Artiste plasticienne d’origine moldave qui vit et travaille en France depuis 12 ans. Son travail aborde la question du paysage de différentes manières. Et si le paysage n’était qu’un prétexte pour questionner autre chose que lui-même ? Comme si le sujet lui-même se métamorphosait en autre chose.
Le déplacement est-ce se mouvoir, est-ce voyager d’un point A à un point B ? Souvent nous passons d’un endroit à l’autre, d’un espace à l’autre sans connaître la nature de ce changement de place et de ce que cela transporte. Le paysage, la traversée de pays et territoires autres que ceux que j’ai pu expérimenter auparavant dans mon enfance constituent le coeur de ma réflexion. Mon travail est une histoire de souvenirs et d’espaces où l’homme enfouit son passé, ses espérances, ses attachements et où parfois il les y perd. Mais pas seulement, car c’est aussi une histoire de territoire, d’appartenance, de ces lieux qui nous construisent, nous identifient, de ceux que l’on transforme et que l’on fantasme. Le récit, le son, l’installation, le dessin et la peinture s’entremêlent au service d’un seul matériau, tantôt solide, tantôt impalpable, parfois net mais le plus souvent flou : la mémoire. La mémoire comme point de départ, comme moyen et comme finalité ; la mémoire comme une question sur la place de l’humain, celle de l’étranger et du déplacé, de l’oublié et de l’oublieux. Et en fin de compte, la mémoire de l’autre, des autres, devenue fragment d’un Rubik’s cube, construit l’archive d’un territoire. Territoire qui m’est de fait étranger. Comment archiver les souvenirs d’un territoire, d’un espace donné ? Le lieu, l’année, la saison, le mois, le jour, l’heure et l’atmosphère du moment ainsi que d’autres détails surgissant des souvenirs contés sont mis en parallèle avec la cartographie. Chaque récit détermine et me transporte vers un lieu précis que je prend en photo tout en archivant les coordonnées GPS de l’image.
La marche comme acte de résistance face à une situation qui nous échappe. La marche comme acte d’écriture par le corps dans le paysage. La marche comme démarche artistique. La marche comme acte échappatoire. La marche comme refuge.
En résonance à l’actualité qui questionne notre liberté, je réalise une marche performative. Cette marche se déroule sur le territoire français.
Équipée d’un sac à dos, d’une tente et du strict nécessaire pour être en autonomie complète, cette nouvelle marche performative m’amène à rejoindre 7 villes et 7 places de la liberté : Place de la Liberté, 39000 Lons-le-Saunier ; Place de la Liberté, 68500 Issenheim ; Place de la Liberté, 69430 Beaujeu ; Place de la Liberté, 63160 Espirat ; Place de la Liberté, 83136 Rocbaron ; Place de la Liberté, 83000 Toulon ; Place de la Liberté, 03450 Ébreuil.
À la fin de mon parcours les initiales des villes parcourues formeront le mot LIBERTÉ. Le parcours dans son intégralité fera 2222 kilomètres, il se fera en plusieurs étapes, selon l’état du corps et des pieds, entre l’été 2021 et la fin de l’été 2022. En fonction des rencontres, des lieux et des circonstances je sèmerai des mots de Liberté. Tels des indices de passage, ce sera la seule trace matérielle que je laisserai derrière moi tout au long de cette odyssée. Chacun de ces mots sera géolocalisé sur la carte créant ainsi des rhizomes de Liberté interconnectés par mes pas.
» L’être humain a toujours besoin d’air…tout en s’affichant comme fils d’une société, il s’en arrache avec réserve, hostile à tout excès, et se détourne pour chercher refuge non pas en soi-même mais dans une nature éprouvée comme l’envers de la société qu’il fuit. Rendu étranger à son monde, il souhaite taire son désarroi. ‘‘ L’Homme de dos Georges Banu
La prochaine étape ce sera pour l’automne. Tenez vous prêts pour de nouvelles aventures !!!
Le chemin de la liberté De BESANCON à BEAUJEU avec Victoria Niki
Chapitre II
J-0 Elles me paraissent toujours étrangement longues ces journées où l’on part pour un lieu mais la marche ne s’enclenche pas encore. La marche est en attente, elle est en suspension, elle ne commence pas encore, elle se prépare. On n’est plus chez soi, mais on n’est pas encore là-bas, on est quelque part, dans un entre deux, dans un sas spatio-temporel.
J’arrive ce soir à Besançon, assez tard. Demain c’est le départ, mes pieds n’en peuvent plus d’attendre. Demain je serai enfin en mouvement.
Au commencement, en 1980, la publication Chemins d’eau aux Éditions Maritimes & d’Outre-Mer, débute une série d’ouvrages qui vont s’égrener sur une vingtaine de titres. Parmi ceux-ci, ajoutons au premier titre : Zones en 1985 et La clôture en 2001 qui narrent déjà des aventures pédestres de Jean Rolin sur le territoire hexagonal.
Sa dernière parution, « Le Pont de Bezons », aux éditions P.O.L, relate les expéditions de l’écrivain le long de la Seine. Un roman de regards pour immersion sensitive dans le décor des berges. Un flot de sensations évocatrices.
Les récits de marche de Jean Rolin naissent de projets aux contours imprécis et d’une envergure disproportionnée pour être réalisables : Dans le cas du Pont de Bezons, le projet consiste « à mener sur les berges de la Seine, entre Melun et Mantes des reconnaissances aléatoires, au fil des saisons, dans un désordre voulu ».
Son objet est le presque rien, assister à un lever de soleil sur le Pont de Bezons. Un pont sur la Seine fondu dans la banalité d’un décor de banlieue, mais dont la description permet à force de digressions de retisser la trame entière de notre présent, et tout un passé avec lui. Dans une chronologie établie pour conférer aux lieux une épaisseur temporelle dont la saisonnalité recompose le cadre.
Le pont avant sa restructuration en 2009
Guillaume Thouroude (écrivain voyageur et chercheur en littérature) dans La démarche ambulatoire de Jean Rolin : un écrivain voyageur au débouché des mouvements littéraires du XXe siècle, écrit :
[Un voyageur n’est rien sans les territoires déterminés sur lesquels il exerce ses déplacements, ses séjours et ses dispositifs. Jean Rolin, plus que tout autre auteur, définit un territoire avant d’écrire et se tient à son projet de départ, que celui-ci soit fructueux ou pas, qu’il soit réalisable ou pas. Ce qui compte, dans les textes de Rolin, ce n’est pas la faisabilité de tel ou tel projet, et encore moins sa réussite, que le fait d’avoir parcouru et quasiment épuisé un territoire, un trajet ou une dimension géographique à travers un dispositif textuel déterminé.]
Comme il les définit lui-même dans Terminal Frigo, les voyages brossent une « autobiographie subliminale ».
Jean Rolin• Crédit : Hélène Bamberger
Guillaume Thouroude, rappelle les contraintes d’existence des récits fixées par l’auteur pour [Zones, voyage autour de Paris obéissant à des règles telles que dormir chaque soir dans un hôtel différent, et ne jamais emprunter deux fois la même ligne de transport en commun. [Alors que] La Clôture, de son côté, impose au narrateur-performer de se mettre en orbite sur un segment précis du boulevard périphérique. Le résultat littéraire, ou en tout cas le contenu du récit, est entièrement redevable de ce qui se passe, ou pas, dans le cadre factuel défini. La réception de ces textes les détermine comme récits de voyage et non comme roman, ou pour le dire plus précisément, comme textes factuels de géographie.]
De la fermeture d’un fast-food à un crépuscule de banlieue, « Le Pont de Bezons » dévoile les trésors enfouis sous la banalité des apparences qui occulte notre attention. Le spectaculaire n’a pas de place dans ces dépotoirs qui recueillent les témoins d’un passé en décomposition. Les signaux visuels et les odeurs forment un duo de marqueurs de sensations. Attentif aux modifications des parcours, Jean Rolin note l’acharnement des communes à rendre les terrains vagues inutilisables pour les gens du voyage. De profonds sillons sont creusés si bien qu’à chacun de ses passages l’auteur ne manque pas de relever la prolifération de ces cicatrices de terre. Comme chacun peut le constater lors de marche dans les marges urbaines.
Le pont après restructuration- Photo publiée par Herlin Chane-kuen
Si Céline, Maupassant et Madame de Sévigné apparaissent dans le récit comme témoins d’une autre histoire des lieux, Gustave Caillebotte s’immisce dans un décor lié aux débuts de l’industrie aéronautique. A ces noms célèbres s’ajouteront des personnes sorties de l’anonymat par le hasard des rencontres, plus nombre de communautés, clubs et congrégations qui viennent à point nommé habiter le récit.
Vue de l’Hotel où s’installe l’auteur pour assister au lever du jour sur le pont
L’auteur, par la précision topographique et temporelle de l’organisation de son récit, nous offre avec brio les sensations les plus infimes que peut connaître le marcheur quand il est attentif à son environnement. Une démarche partagée par ceux qui sont réceptifs aux signaux faibles et qui décryptent avec une acuité particulière leur environnement.
Un livre-manifeste pour une démarche littéraire
Le Pont de Bezons, Jean Rolin- éditions P.O.L 2020 – prix : 19€
AUKERA et DéMarches s’associent pour proposer un parcours pédestre à celles et ceux qui souhaitent rejoindre Jatxou à pied depuis Bayonne. Ce parcours documenté vous permettra à tous moments de vous mettre dans l’état d’esprit qui sied à un séjour nature, pour la Fête de la noisette, le 17 octobre 2020. Voir le programme à paraître sur le site de Aukera
Mise en marche à lire attentivement si vous souhaitez réserver le 17 octobre 2020.
Le parcours ne présente pas de difficulté particulière, cependant, il nécessite une organisation pour gérer les déplacements. Le point d’arrivée étant isolé, il est nécessaire de vous inscrire en cliquant sur le lien pour remplir la fiche :
Merci de remplir tous les champs de la fiche d’inscription, ceci afin d’organiser les retours pour ceux qui voudront rejoindre leur voiture. Après inscription, nous vous adresserons le lieu de rendez-vous à Bayonne et les frais à prévoir, si besoin, pour le taxi et la collation.
Le parcours Bayonne-Aukera 18km environ 4h. Prévoir un équipement adapté à la marche.
Le départ est prévu impérativement à 14 :00, car nous devrons arriver sur le site à 18 :00 pour assister aux événements de la Fête de la noisette.
Le parcours étant soumis aux aléas météo, il sera annulé en cas de précipitations abondantes.
Les conditions sanitaires seront celles prévues à la date pour les activités de plein air.
Présentation succincte des associations.
AUKERA – Le Champ des Possibles, est une association qui oeuvre à la conservation des espèces arboricoles et végétales traditionnelles du Pays Basque, ainsi qu’à la régénération de l’écosystème du domaine où elle gère une noiseraie et un conservatoire arboricole en Permaculture.
our célébrer les récoltes et la création, Aukera organise chaque année 2 événements culturels mêlant Permaculture, Musique Expérimentale et LANDArt.
Son domaine étant particulièrement propice à l’expérimentation, elle accueille une résidence artistique, des camps de création et propose des expériences de coworking à la ferme.
DéMarches est une association dédiée à la réalisation de parcours avec pour objectif de révéler l’espace en le « pratiquant ».
Un blog : d-marches.org
L’association, née en 2014 a pour but de donner à voir, lire, sentir les multiples facettes et implications de la marche et d’élaborer, collectivement ou non, des formes de récits, de dessiner en marchant des représentations du monde dans le cadre d’une activité artistique de l’immatériel.
DéMarches a clairement comme ambition de permettre un nouveau décryptage du paysage à l’aide d’un outil sensible et ouvert, de favoriser une nouvelle écologie de l’esprit par la pratique d’une activité esthétique, et de transmettre aussi largement que possible cette brèche dans les habitudes de perception, en un mot de penser avec les pieds.
Sachant que le walkscape est défini par le groupe Stalker comme « … une affaire de marche, de promenade, de flânerie, conçues comme une architecturation du paysage. La promenade comme forme artistique autonome, comme acte primaire dans la transformation symbolique du territoire, comme instrument esthétique de connaissance et transformation physique de l’espace ‘négocié’, convertie en intervention urbaine. »
Manifeste
La marche s’inscrit désormais dans la catégorie des arts immatériels, au même titre que la performance, par exemple. La marche est un objet non-commercial, réponse mobile, agile, narrative, activité sensible dans une situation de consommation d’images hypertrophiée et inflationniste.
Marcher c’est créer, lire/écrire le territoire en même temps, le parcours est une activité pluridimensionnelle et simultanée, à la fois action, ligne, et récit.
Le parcours permet de penser et de voir avec ses pieds dans un désordre exponentiel, de revenir à une expérience essentielle du monde physique et d’en partager les récits, la marche devient l’instrument de connaissance privilégié du territoire, l’errance est la valeur de ce nouveau monde contemporain de l’ambiguité et de l’hybridation accélérée.
Le parcours est aussi une tresse narrative dans laquelle viennent s’imbriquer différents types de récits : écritures photographiques, sonores, journalistiques, figuratives ou abstraites, documentations, mythes… dont les modalités d’expressions peuvent être aussi variées que l’état mouvant des paysages qu’elle dessine, fabrique de mémoire dans un principe d’incertitude généralisé : le parcours est aussi une structure narrative.
Le parcours est une œuvre ouverte, protéiforme, multi-dimensionnelle, interactive, jamais terminée à l’image des territoires et du monde qu’elle décrit, un laboratoire permanent où s’écrit la science du flou.
L’art du parcours
Expérimentation :le parcours est une forme d’art expérimentale et polymorphe, un moyen d’expression souple et sensible. Elle permet d’évoquer des sujets de teneur très différente, dans des contextes divers. Sa forme globale est constituée de l’expérience même de la marche et des récits qui en sont faits, forme proliférante et sans limites.
Sensible :le parcours réintroduit dans le champ de l’art une expérience sensible singulière autour de la marche. Celle-ci constitue le socle de l’œuvre, ensuite s’enroule autour de ce fondamental une tresse narrative chaque fois différente, jamais terminée ni forclose, l’œuvre devient permanente.
Géographique ou topologique :le parcours est toujours ancré dans un lieu, un territoire, un contexte. Les traces et empreintes de cette géographie sont collectées, ramenées et centralisées autour de l’expérience.
Engagement :le parcours est un engagement au sens où il mobilise la globalité de l’acteur : ses convictions, sa vision du monde et ses interprétations : l’œuvre est une grille de lecture proposée qui permet un décryptage du paysage.
Une page facebook présente des actualités, des informations, des recherches et des réflexions à la marge qui documentent les activités liées aux marches et à leurs environnements.
Page facebook : Démarches
Dans le cadre des activités proposées par AUKERA, le champ des possibles, l’association DéMarches vous propose un parcours pédestre au fil de la Nive (Errobi en basque) jusqu’aux chardons (Eguzki lorea en basque) du Labourd (Lapurdi en basque).
Le parcours Mouettes & Chardons
Relie Bayonne, place du Réduit au Domaine des Cimes-Aukera à Jatxou
Un parcours en deux parties :
1- Le chemin de halage, rive gauche de la Nive [2h20 – 11km]
2- Changement de rive, traversée par la passerelle de Portuberria, construite au début des années 2000 – Villefranque – Aukera par via Chemin de Chaiberrikoborda [1h40 – 7km]
Chemin de halage Bayonne-Ustaritz
Itinéraire continu qui longe la Nive sur une dizaine de kilomètres entre Ustaritz et Bayonne. Accessible à tous et relativement plat, il traverse des paysages remarquables de Barthes et offre des possibilités de points de repos ou de pique-nique.
Le halage est l’ancêtre de l’autoroute certes fluvial mais qui était moins encombré!
Avant l’invention des moteurs de bateaux, et pour pallier l’absence de voiles impossibles sur tous les engins, les péniches qui transportaient des matières premières et tous matériaux étaient tractées le long des fleuves par les mariniers eux-mêmes, des animaux tels des chevaux, des ânes ou des mulets et enfin par des machines telles des tracteurs.
Evidemment, le halage nécessitait un chemin dégagé et hors d’eau qui longeait la berge des voies d’eau où se trouvaient les péniches.
Quelques notes :
Au fil de ses 75 kilomètres, la Nive unit les premiers pics pyrénéens qui dominent le bassin de Saint-Jean-Pied-de-Port, chef-lieu de la basse Navarre, à Bayonne, où elle se jette peu avant la mer dans l’Adour après avoir flâné au milieu des vallons et prairies fertiles du Labourd.
la Nive reste appréciée des pêcheurs : si l’esturgeon a disparu, la truite et, à nouveau, le saumon abondent. Ce dernier était autrefois souvent une nourriture de base, au point que des ouvriers agricoles avaient réclamé, et obtenu, dans leur contrat de travail, qu’il ne leur en soit pas servi tous les jours.
Ses méandres étaient alors le domaine de petits bateaux effilés, les halos, qui transportaient jusqu’à Bayonne les produits agricoles. C’est d’ailleurs autour d’Ustaritz qu’en 1523 aurait été planté pour la première fois en Europe du maïs rapporté des Amériques fraîchement découvertes.
La traction était effectuée par des chevaux, des bœufs mais aussi des hommes zirlinga (avec zirga la corde). On utilisait la marée montante et descendante pour faciliter la tâche.
Etaient acheminés vers Bayonne : canons fabriqués à Baïgorry, laines de Navarre, meules à moulins de Bidarray et Louhossoa et des bois d’Iraty, qui descendaient la Nive par flottage. Dans l’autre sens, on transportait surtout les produits alimentaires : vin, grains, farine, sucre ou poissons. Les chalands à fond plat, de 10 à 12 mètres de long, portaient de 2 à 5 tonnes. Si la descente de la Nive ne posait pas de problèmes, il en était tout autrement pour la remontée. Il fallait 1 heure pour rallier Bayonne, mais 3 heures étaient nécessaires pour remonter la Nive.
De ses rives, on aurait jadis observé le rite de « cubindey », consistant à tremper dans la Nive les femmes volages enfermées dans une cage.
Et la Nive aurait pu être une grande, c’est-à-dire un fleuve, si des travaux au XVIe siècle n’avaient ramené l’Adour, qui divaguait plus au nord dans les Landes, à son cours d’aujourd’hui et au port de Bayonne.
La Nive est mentionné dans le Petit Nicolas de Sempé et Gosciny. En effet Sempé passait ses vacances dans le Labourd.
« Alceste est allé se faire interroger sur les fleuves et ça n’a pas marché très bien, parce que les seuls qu’il connaissait, c’était la Seine, qui fait des tas de méandres, et la Nive, où il est allé passer ses vacances l’été dernier. Tous les copains avaient l’air drôlement impatients que la récré arrive et ils discutaient entre eux. La maîtresse a même été obligée de taper avec sa règle sur la table et Clotaire, qui dormait, a cru que c’était pour lui et il est allé au piquet. »
In Les Récrés du Petit Nicolas
Le Labourd :
Il s’agit de la façade maritime du Pays Basque, qui s’étend des confins de la Gascogne aux Pyrénées et à l’Espagne, des longues plages du Sud des Landes jusqu’à Anglet aux côtes escarpées débutant à Biarritz et s’étirant jusqu’à Hendaye, aux typiques falaises de flysch plissées et escarpées.
Le Labourd c’est une bande côtière de 10 km de large environ jalonnée de stations balnéaires célèbres ou ports typiques telles Biarritz, Hendaye, ou Saint Jean de Luz, sans oublier Bayonne , porte d’entrée du Pays Basque et confluent de deux rivières, la Nive et l’Adour.
Lapurdi, en basque, se distingue par des traditions culturelles ancrées dans l’histoire de cette terre de légendes.
Illargi belarra est le mot basque désignant « l’herbe lunaire ». C’est la Carline acaule, la fleur du chardon sylvestre. On l’accroche au linteau de la porte principale ou à l’entrée de la maison afin qu’elle ne soit pas frappée par la foudre.
Dans d’autres endroits du pays cette fleur, qui peut s’appeler Eguzki-lorea (la fleur du soleil).
Dolores Redondo, auteur de la trilogie de Baztan, raconte dans le roman « De chair et d’os » que cette fleur était traditionnellement accrochée aux linteaux des maisons pour éloigner les sorcières. Celles-ci devaient compter toutes les graines du cœur de cette fleur avant de pouvoir franchir le seuil. La tâche était si longue que le soleil se levait avant qu’elles aient fini de compter. Les sorcières fuyaient le soleil, et la maison était ainsi protégée.
En pays basque, la maison (Etxe) est un lieu sacré. On y vit mais on y meurt aussi. Avant le christianisme, la maison servait de tombe familiale. Elle était le lieu de sépulture de ses habitants. Elle était donc la demeure des vivants mais aussi des défunts. Un lieu que venaient visiter les esprits des disparus. On l’orientait de façon à ce qu’elle soit en contact avec la lumière divine et on y pratiquait de nombreux rites religieux. On y faisait des offrandes aux morts, aux âmes des ancêtres qu’on pouvait alors apercevoir sous la forme de lumières, de rafales ou de coups de vent, d’ombres, de nuées ou de bruits étranges. Il est dit que même encore, elles peuvent resurgir dans la nuit…
Les coutumes successorales au Pays Basque dans l’Ancien Régime étaient unique en Europe non parce qu’elles permettaient aux chefs de famille de léguer tous les biens de famille aux aînés (car c’était le cas de nombreuses régions coutumières en France), mais parce que ce système de l’héritage unique, celui de la primogéniture qui favorisait l’aîné des enfants, ne faisait aucune distinction entre les garçons premiers nés et les filles premières nées. Selon le droit coutumier basque, l’aîné, qu’il soit un garçon ou une fille, devenait l’héritier légal de la maison et de toutes les terres, forcé(e) ensuite de dédommager plus ou moins équitablement les cohéritiers, filles et garçons, qui dès lors quittaient la maison et allaient se placer ailleurs. Ainsi, les filles aînées avaient autant de chances que les fils aînés d’hériter du patrimoine familial. Ce système n’a pas d’équivalence dans les Pyrénées (ni même en France ou en Europe).
A Villefranque, on a transporté beaucoup de produits de carrière, de l’ophite (1) principalement, la dernière gabarre a été coulée sur place en 1935, au Chalet de l’Isle
Note (1)
L’ophite doit son nom au terme grec « ophis » qui évoque les serpents, en raison de la ressemblance de cette roche avec la peau de ces reptiles. Ultérieurement, le terme ophite, utilisé à l’origine dans les Pyrénées, a été déformé en ophiolite.
Du point de vue pétrographique, les ophites sont, en réalité, des dolérites qui contiennent des cristaux de plagioclases et de pyroxènes ainsi que quelques minéraux accessoires comme l’ilménite ou la magnétite. Avec le temps, des minéraux d’altération (serpentine, chlorite et épidote) apparaissent. Tous ces minéraux d’altération possèdent une couleur verte qu’ils transmettent à l’ophite.
Le bâton de marche basque est un attribue historique de la culture basque. Ce bâton de marche remis selon la tradition, à l’adolescent, lors du passage à l’âge adulte est un objet personnel précieux. Il est aussi un attribut d’autorité et de pouvoir, des makilas d’honneur sont dédiés à des hommes à la notoriété reconnue. Chaque makila est gravé et fabriqué pour son propriétaire, avec les décors, le nom-prénom et la devise en basque.
Sa possession nécessite de la patience, il faut environ 25 ans entre la commande et la livraison. Sa fabrication correspond à des règles strictes qui du néflier sur pied aux finitions nécessite de nombreuses étapes se déroulant sur de longues périodes. Traditionnellement, le marcheur basque ne saurait s’engager sur les chemins sans son précieux bâtons, aide à la marche et arme de défense principalement contre les risques d’agressions animales.
La jonction Villefranque-Aukera
à propos de Villefranque, le site en lien présente la ville dans le détail. Villefranque était un important port fluvial, sur le bord de la Nive. Les gabarres accostaient au Port de Villefranque, situé à hauteur de l’actuel Quartier Ste Marie. Là, on vit se développer une importante activité artisanale, telle que l’exploitation de la pierre ou encore la fabrication de chaussure, autour du XXe siècle.
Selon la légende, le 24 août 1343, le maire de Bayonne, profitant des fêtes locales du village, fit capturer et attacher cinq nobles labourdins aux piles du pont de Proudines, au bas du Chateau de Miotz, où la marée montante les noya. En effet, pour trancher le conflit qui opposait les locaux aux bayonnais. Les labourdins refusaient de payer un droit de « douane » sur l’entrée d’alcools dans la ville de Bayonne, aussi lorsque des agents du maire de Bayonne vinrent pour effectuer la collecte, les Labourdins les jetèrent à l’eau afin qu’ils vérifient si elle était salée. Le 24 août de la même année, Pé de Poyanne prit le château de Miotz (démoli, il a été remplacé par une demeure du XIXème siècle), en représailles et captura cinq gentilshommes labourdins. Sinistre supplice, il les attacha aux piles du pont afin qu’ils constatent que la marée montait à cet endroit. La noyade des gentilshommes prouva à leurs dépens que la marée montait en effet jusque-là…
Cette légende fut reprise par Taine dans son « Voyage aux Pyrénées » 1860, illustrée par Gustave Doré.
Détails du parcours Villefranque -Aukera
traverser la Nive par la passerelle
Prendre la direction nord sur D137 vers Route Départementale 257/D257
26 m
Prendre à droite sur Route Départementale 257/D257
950 m
Tourner légèrement à droite pour continuer sur Route Départementale 257/D257
29 m
Continuer sur Chemin de Hariagaraya
950 m
Prendre légèrement à gauche sur Chemin de Chaiberrikoborda
1,6 km
Tourner légèrement à gauche
350 m
Tourner à gauche
900 m
Prendre à gauche sur Route des Cimes/D22 (prudence sur cette section, accotements dangereux, circulation rapide)
110 m
Tourner à droite
750 m
Prendre à gauche sur Otsoezkurra
850 m
Continuer sur Chemin de Mestenborda
150 m
Prendre légèrement à droite sur Otsoezkurra
Votre destination se trouvera sur la droite.
450 m
Aukera. Domaine des cimes
Chemin Inbiadako Bidea 64480 Jatxou. Tel : 06 60 87 03 81/Tel : 07 51 63 42 33
L’accélérateur du Grand collisionneur de hadrons, au nord-ouest de Genève, est constitué de 27 km de tunnel, à 100 m sous terre, dans lequel les particules sont lancées à 99,9999991% de la vitesse de la lumière et vont effectuer 11 245 fois le tour de l’accélérateur par seconde.
En adaptant les chiffres, ce pourrait être une présentation du Grand Paris Express, ce tube de béton en majeure partie enterré qui vient s’ajouter à la Petite Ceinture et aux périphériques pour ceindre un territoire en expansion.
Les aménagements urbains s’implanteront aux confins de terres agricoles traitées aux pesticides, des gares seront érigées au milieu des champs (le Mesnil-Amelot : 850hab) favorisant les opérations immobilières et la gentrification de banlieues dont les plus défavorisés seront rejetés hors du périmètre. Ce qui nécessitera dans quelques décennies un nouvel anneau, répétant ainsi les mêmes erreurs.
Pour vendre ce projet qualifié de plus grand projet urbain en Europe, une opération de séduction d’envergure propose de parcourir à pied les territoires promis aux aménageurs en charge des projets. Les mêmes arguments que ceux qui ont présidé à la construction de Noisy-le Grand, sont utilisés pour vendre un mode de vie, des visions d’avenir. A la fin des années 70, le futur se dessinait un nouvel avenir avec les Camemberts de l’architecte espagnol Manuel Nuñez Yanowsky ou encore les Espaces d’Abraxas de l’architecte espagnol Ricardo Bofill, et le système SK, métro hectométrique lancé en 1988 à la suite de l’annonce du « complexe Mail-Horizons » du promoteur Christian Pellerin. Métro qui devait alors relier deux stations du quartier d’affaires à la gare de Noisy-le-Grand-Mont d’Est sur la ligne A du RER d’Île-de-France. Ligne et matériel construits et abandonnés.
Aujourd’hui, hors le réseau express, les arguments restent identiques avec la couche de préoccupations écologiques venant à point nommé verdir l’ensemble des projets d’aménagement de villes interconnectées par un anneau de vitesse.
document Le Grand Paris Express
Les critiques sont malvenues, l’adhésion est de mise et pour finir de convaincre les plus réticents, la communication s‘habille de promenades, de campagnes photographiques et de romans. Un récit visant à métamorphoser des territoires disparates en une image unifiée, dans l’esprit d’habitants à la conscience territoriale fractionnée.
Des pratiques, théorisées au début du XXème siècle, contribuent à changer les modes opératoires des aménageurs et des urbanistes comme le souligne Francesco Carreri dans La marche comme art civique. (1)
En 1913, Patrick Geddes (2), biologiste écossais déjà reconnu à l’époque, invente Civics, un nouveau cours universitaire consacré à l’étude pratique de la ville, vue à travers les yeux de Darwin et appliquant l’évolutionnisme à la civitas. C’est la naissance d’une nouvelle discipline, inexistante jusque-là : l’urbanisme itinérant, une science civique qui propose aux étudiants et aux futurs planners de se plonger directement dans ses replis, de s’« échapper des abstractions courantes de l’économie et de la politique au sein desquelles nous avons tous été plus ou moins élevés » pour revenir « à l’étude concrète, à partir de laquelle la politique et la philosophie sociale ont à vrai dire vu le jour dans le passé, mais se sont trop égarées – celle des villes comme nous les trouvons, ou plutôt comme nous les voyons se développer » (Geddes, 1994). L’urbanisme naît donc à pied, de façon labyrinthique et participative, comme méthode déambulatoire qui permet de lire et de transformer les villes. Il n’en résulte pas une vision abstraite et surplombante sous forme de cartes statiques divisées en zones fonctionnelles colorées, mais plutôt un récit phénoménologique évolutif, décrit depuis un point de vue horizontal, mis en mouvement en marchant dans les replis de la ville : la survey walk.
La marche est tendance, la marche est fédératrice, la marche véhicule de valeurs qui cautionnent les aménagements. Le piéton devient la mesure des espaces publics.
« La marche est révélatrice d’espaces, la marche énonce les lieux, chaque pas épelle un morceau de territoire, chaque itinéraire épouse le phrasé de la ville » Michel de Certeau.
Le mot de piéton qualifie celui qui va à pied, mais aussi, plus largement, celui qui est à pied. C’est un dérivé du verbe piéter, qui n’est plus que rarement utilisé aujourd’hui, mais qui a également un sens statique (comme dans « se piéter devant quelqu’un » – on dirait plus couramment aujourd’hui « se planter devant quelqu’un »). D’autre part, piéton est un substantif, et ne désigne pas l’action en elle-même (aller à pied ou se tenir sur ses pieds), mais qualifie la personne, pour une certaine période du moins : le piéton qui s’assoit sur un banc est encore un piéton.
Dans cette publication, les auteurs précisent leur point de vue sur la marche urbaine :
Au-delà des fonctions hygiénique et environnementale prêtées à l’aménagement dans le cadre des politiques de développement de la marche, il semble probable que ces politiques portent la marque du tournant entrepreneurial de l’action publique urbaine. Une rapide revue de la littérature grise et scientifique le laisse à penser. Ainsi, pour Sonia Lavadinho (4) le regain d’intérêt pour la marche s’explique en partie par le souhait des gouvernements urbains de développer l’activité touristique urbaine et de doter leurs territoires des attributs considérés comme nécessaires à l’attraction des classes créatives.
Celles et ceux qui souhaitent assister le 23 octobre à la Conférence Les piétons du Grand Paris – Regards croisés sur la marche urbaine, sont invités à s’inscrire.
Notes :
(1) Extrait de [La marche comme art civique (Walking as Civic Art) de Francesco Careri –Traduction de Laura Brignon]
(2) Patrick Geddes (né le à Ballater, Aberdeenshire, Écosse et mort le à Montpellier) est un biologiste et sociologue écossais, connu aussi comme un précurseur dans de nombreux domaines, notamment l’éducation, l’économie, l’urbanisme, la géographie, la muséographie et surtout l’écologie.
(3)
– Thierry Brenac Chargé de recherche, IFSTTAR, TS2, LMA
– Martin Claux Maître de conférences, Institut de Géoarchitecture, Université de Bretagne occidentale
(4) Sonia Lavadinho, Le renouveau de la marche urbaine : terrains, acteurs et politiques, Thèse de doctorat, ENS de Lyon, 2011
Werner Herzog, cinéaste reconnu pour affronter des situations extrêmes, a parcouru une partie de la planète à pied. Coutumier de longues marches jusqu’à l’épuisement, il entend conjurer l’effondrement de la civilisation, thème récurrent de ses films, mais aussi affronter la mort. En 1974, Werner Herzog a 32 ans. Il a déjà réalisé Aguirre et L’Enigme de Kaspar Hauser vient tout juste de sortir.
«Marcher nous fait sortir de nos habitudes modernes. Je fais mes films à pied. C’est en marchant que fonctionne le mieux mon univers imaginaire.» (1)
« Ce que marcher peut faire mal. » (2)
Certainement que pour le cinéaste, l’attrait pour l’absurde et la folie va de pair avec une esthétique des grands espaces et des paysages saisissants, d’où le récit de son voyage à pied Sur le chemin des glaces (Vom Gehen im Eis), Munich-Paris du 23 novembre au 14 décembre 1974, dont le texte incarne son auteur au point que la lecture de ce récit brosse un portrait saisissant de Werner Herzog, marcheur de l’extrême.
Quand le samedi 23 novembre 1974, Werner Herzog apprend par téléphone que son amie Lotte Eisner est gravement malade. Il est tellement bouleversé par la nouvelle qu’il décide sur le champ de la rejoindre à Paris. Pour lui, Lotte Eisner ne peut pas disparaître, car écrit-il « Le cinéma allemand ne peut pas encore se passer d’elle, nous ne devons pas la laisser mourir. J’ai pris une veste, une boussole, un sac marin et les affaires indispensables. Mes bottes étaient tellement solides, tellement neuves, qu’elles m’inspiraient confiance. Je me mis en route pour Paris par le plus court chemin, avec la certitude qu’elle vivrait si j’allais à elle à pied. Et puis, j’avais envie de me retrouver seul ». Ce journal de marche témoigne de la force de l’amitié d’un homme, dont la mise en marche implacable vers son amie aurait une fonction quasi magique de vaincre la mort.
Lotte Eisner avec Werner Herzog
Près de neuf cents kilomètres les séparent. Il ira à pied, décidant qu’elle devrait attendre son arrivée pour partir. Herzog décida de faire le voyage en ligne droite, avec une boussole. Cela impliquait d’abandonner les routes et les autoroutes et d’entrer dans les forêts, les montagnes et les rivières, ainsi que les contraintes liées aux clôtures, aux propriétés privées et aux lieux isolés. Et tout cela sous un hiver de fortes pluies, de boue et de neige. Pour lui, si ce n’était pas un vrai sacrifice, cela n’en valait pas la peine.
Jour après jour, il va tenir un carnet de voyage dans lequel il notera son état d’esprit, son état physique et psychologique.
“Quand j’arriverai à Paris, elle sera en vie. Il ne peut pas en être autrement, cela ne se peut pas. Elle n’a pas le droit de mourir. Plus tard, peut-être, quand nous le lui permettrons.” Et en effet Lotte Eisner décèdera le 25 novembre 1983 soit neuf ans après que Werner Herzog soit arrivé à Paris.
À travers cette marche qui anime de bout en bout le récit, Herzog nous réapprend à voir ce sur quoi notre œil glisse, indifférent. Tout ici est mouvement : chemins, fleuve, oiseaux, arbres, pluie, neige. Narration mais aussi témoignage d’un homme qui nous fait partager tour à tour ses moments d’exaltation, d’épuisement, de plénitude.
Dans une interview pour la revue Hors-Champ en 2004 il répondait à des questions sur la marche.
La marche est-elle quelque part liée à votre démarche de travail ?
Werner Herzog : Je voyage souvent à pieds. Bien sûr dans ces conditions il arrive que j’aie tout un roman ou un match de foot qui se déroule dans ma tête. Oui je vois alors beaucoup de choses apparaître.
HC : Qu’est-ce qui vous intéresse tant dans la marche ? Est-ce un moyen d’atteindre un autre état physique ou mental ?
WH : Il n’est pas nécessaire pour moi de marcher pour initier un projet. Mais il faut que je m’explique, je ne suis pas un « backpacker » et je ne suis pas quelqu’un qui fait du jogging ou de la randonnée, ni qui se déplace toujours à pieds comme avant le temps des automobiles. Je suis paresseux comme tout le monde. Je marche pour des raisons très spécifiques. Quand quelque chose est important, alors oui, je marche. J’ai marché de Munich à Paris parce que Dr. Lotte Eisner était mourante à Paris.
…/…
Pour Herzog, marcher est un acte d’opposition, non seulement à la culture statique des villes
qu’il traverse, mais bien à la mort elle-même. Tant qu’il est en mouvement, en transit, il ne peut pas être immobilisé, ce qui signifie qu’il reste en vie. En 1984, il a marché 2500 km le long de la frontière allemande, pour comprendre la division du pays.
« … je ne parle pas de marche à pied per se. Je parle de voyage à pied. Je ne peux me justifier que par cette maxime : le monde se révèle à ceux qui voyagent à pied. « (3)
Werner Herzog s’investit sans retenu dans des choix, des décisions, qui transmutent la mortalité moins en état d’être qu’en état d’esprit. Cela nous ramène à l’intention, magique ou non, de la promenade elle-même. Ainsi les questions
Marcher sur la glace est un témoignage écrit entre espoir et douleur physique. l’auteur s’en explique dans une interview (4) :
Je n’aime pas marcher comme ça, pour rien. Même pas pour le plaisir de marcher. Je ne marche que si j’ai une raison particulière de le faire. Une raison intense, existentielle. Quand je marche, je vois vraiment le monde et les gens avec leurs histoires, leurs rêves. C’est un peu difficile à expliquer. En fait, on ne peut vraiment parler de cela qu’avec quelqu’un qui voyage aussi à pied. Cela crée une sorte de connexion assez profonde. Mais je dirais en substance que le monde se révèle à ceux qui voyagent à pied. L’homme se révèle, la nature, les paysages… Le monde se révèle ainsi d’une façon vraiment très profonde. Rien de ce que vous pouvez apprendre à l’école ne vous en apprendra autant que de voyager à pied. …/… On est très vulnérable quand on marche comme je le fais. On doit trouver un abri pour la nuit et il m’arrive parfois d’entrer dans des villas inoccupées et de m’installer pour dormir, voire même pour vider une bouteille que j’ai trouvée à la cave. Je ne le fais d’ailleurs que lorsque les conditions sont extrêmes, en hiver, lorsqu’il y a de l’orage, de la neige… Ça m’est arrivé en Forêt-Noire ou dans les Vosges : il faisait déjà nuit et le prochain village était peut-être à 10 kilomètres. Je n’avais pas d’autre choix que de m’abriter dans un de ces chalets de vacances. J’y pénétrais grâce à de petites pinces chirurgicales que j’avais avec moi et qui me permettent d’ouvrir n’importe quelle serrure. Je laisse toujours un mot pour remercier. J’estime qu’il s’agit d’un droit naturel. Je suis certain que si des policiers me trouvaient là, tout ce qu’ils feraient, ce serait de m’apporter du thé chaud…
Herzog a non seulement recherché le chemin le plus difficile, mais aussi vécu l’expérience d’un vagabond.
« Quand je marche, c’est un bison qui marche. Quand je m’arrête, c’est une montagne qui se repose ».
Ce journal de marche ne se résume pas à un livre décrivant le contexte d’un voyage long et difficile, mais une introspection dans l’esprit de son auteur, qui semble parfois voir le monde comme si c’était la première fois, se sentir seul, très seul et étranger à ce qu’il voit se passe sur les côtés de son chemin ardu.
Est / Ouest (d’après Sur le chemin des Glaces, W. Herzog)
« Tant de choses passent dans le cerveau de celui qui marche. Le cerveau : un ouragan »
Ce n’est pas seulement une promenade extérieure mais un exil intérieur.
Le promeneur ignore parfois si ce qu’il voit est là ou dans sa conscience. Parfois, la route évoque des images de son passé, parfois, il recrée des situations que nous ignorons s’il les imagine, si elles appartiennent à sa vie antérieure ou si elles se produisent réellement sous ses yeux. La ligne de démarcation entre la description pure et dure et le récit onirique, presque délirant parfois, est si diffuse qu’il est presque impossible de la discerner.
Une semaine avant d’arriver à Paris, il écrit : La route la plus désolée qui soit, en direction de Domrémy, je ne marche plus comme il faut, je me laisse dériver. La chute vers l’avant, je la transforme en marche.
Les derniers mots, écrits après sa rencontre avec Lotte Eisner à Paris, le libère de son contrat avec la mort « Samedi 14h12. Il me reste à ajouter ceci :je suis allé voir la Eisnerin, elle était encore fatiguée et marquée par la maladie. Quelqu’un lui avait sûrement annoncé au téléphone que j’étais venu à pied, je ne voulais pas lui dire. J’étais gêné et j’ai posé mes jambes endolories sur un deuxième siège qu’elle avait poussé vers moi. Dans ma gêne, un mot me traversa l’esprit et, comme la situation était déjà étrange, je le lui dit. Ensemble, lui dis-je, nous ferons cuire un feu et nous arrêterons les poissons. Alors elle me regarda avec un fin sourire et comme elle savait que j’étais de ceux qui marchent, et partant sans défense, elle m’a compris. Pendant un bref instant tout de finesse, quelque chose de doux traversa mon corps exténué. Je lui dis : ouvrez la fenêtre, depuis quelques jours, je sais voler. »
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Document sonore : Quarante ans plus tard, Guillaume Leingre a fait le voyage pour France Culture, dans les mêmes conditions, muni, non pas d’un carnet de notes, mais d’un Nagra. Partir à la rencontre des paysages, des gens (rares), des souvenirs de cinéma…, voire du vide . Un voyage sonore qui tient autant de la réalité que du rêve.
Document court-métrage : Werner Herzog eats his shoes En 1979, Werner Herzog a fait le pari avec le jeune cinéaste Errol Morris que si Morris terminait un film sur les cimetières pour animaux de compagnie, Herzog mangerait sa chaussure. Morris a ensuite filmé Gates of Heaven afin que Herzog tienne sa promesse. Les Blank, cinéaste vivant et travaillant à El Cerrito, en Californie a filmé la scène. Dans ce court-métrage intitulé Werner Herzog eats his shoes, on voit le réalisateur qui tout en mangeant la chaussure bouillie, dialogue sur le cinéma, l’art et la vie. Pour qu’elle soit comestible et plus agréable au goût, sa chaussure a été bouillie avec de l’ail, des herbes et du bouillon pendant cinq heures. Cependant il n’a pas mangé la semelle expliquant qu’on ne mange pas les os du poulet…
Herzog goûte un morceau de sa chaussure. Photo Nick Allen. Courtesy Les Blank.
Les Blank (né en 1935) est un cinéaste vivant et travaillant à El Cerrito, en Californie. Il a fondé Flower Films en 1967 et a réalisé et produit des films sur des sujets aussi divers que l’ail, les grands importateurs de thé et les femmes aux dents creuses. Werner Herzog mange sa chaussure est montré avec l’aimable autorisation de Les Blank et Flower Films. Pour plus d’informations sur d’autres films de Les Blank, visitez: www.lesblank.com.
« Notre civilisation n’a pas les images adéquates« , disait jadis Herzog, notamment dans le court métrage de Les Blank, Werner Herzog, qui mange sa chaussure. « Sans images adéquates, nous mourrons comme des dinosaures. »
«Sur le chemin des glaces», de Werner Herzog, POL – également disponible dans la Petite Bibliothèque Payot / Voyageurs, 9,75 euros.
Notes
(1) Autoportrait, 1986.
(2) sauf autres mentions, les citations sont extraites du livre « Sur le Chemin des glaces » de Werner Herzog
(3) Werner Herzog, Interview de Rocco Castoro pour Vice Magazine, France, Octobre 2009
(4) Duval, Patrick, pour Libération, 17 décembre 2008.
Publiés depuis 1998, Les Carnets du paysage , fête, avec ce numéro 33, l’anniversaire des vingt ans de la revue. Dans un contexte de renouvellement des théories et des pratiques paysagères et par l’affirmation des enjeux sociaux liés à la qualité des cadres de vie, Les Carnets du paysage sont une revue de dialogue et de confrontation, de recherche et de proposition. Ils ambitionne d’être les témoins critiques de la transformation des cultures paysagères contemporaines, aussi bien sur le plan des projets que sur celui des pratiques, des expériences et des réflexions théoriques.
Lors de la présentation du numéro, à la librairie Volume le 5 juin, Jean-Marc Besse a annoncé l’exposition « Un paysage pour vivre » en octobre au Musée de la Chasse et de la Nature pour célébrer les 20 ans de la revue. Dès à présent on peut voir dans la cour du Musée l’installation « Forêts et cueillettes » de l’Atelier berlinois le baltojusque fin octobre.
La présentation
Le paysage était le grand absent des études sur le commun, de cette constatation a rappelé Jean- Marc Besse est né ce numéro. Rendant, au passage, hommage à Elinor Olstrom, prix Nobel d’économie en 2009. Décédé en 2012, si elle a travaillé sur la notion de dilemme social, à savoir les cas où la quête de l’intérêt personnel conduit à un résultat plus mauvais pour tous que celui résultant d’un autre type de comportement, elle a surtout étudié la question du dilemme social dans le domaine des ressources communes : ressources hydrauliques, forêts, pêcheries, etc.
Autre remarque à propos des paysagistes qui abordent rarement le vivant dans le paysage animé, alors que paysage est un lieu de rencontre de l’univers du vivant.
aux manettes Samuel Hoppe, puis Eugénie Denarnaud, Jean-Marc Besse et Gilles A. Tiberghien à la librairie Volume.
Gilles A. Tiberghien, pour sa part, dresse un panorama de textes publiés, attirant plus particulièrement l’attention sur le texte de Sophie Regal, dont le titre comporte le mot Noutéka. Mot créole emprunté à Texaco, livre dans lequel Jean-Luc Chamoiseau le définit ainsi « La Noutéka est la conquête du pays pour s’approprier la terre et se forger une identité propre ». Dans son ouvrage, prix Goncourt 1992, l’auteur décrit avec précision les conditions nécessaires à l’existence d’un bien commun. Gilles A. Tiberghien a lu, in extenso, le passage devant un auditoire attentif.
Eugénie Denarnaud présente son texte issu de sa thèse en cours portant sur Anthropologie et art. « L’hypothèse de départ est de décrire à travers les jardins pirates un phénomène né dans une filiation d’un grand nombre de chercheurs, ou de théoricien qui abordent le jardin comme un lieu d’expérience alternative et sensible. Le jardin comme lieu de réinvention du monde, est abordé comme lieu de germination d’une pensée alternative. Les figures archétypales de la piraterie apportent une donnée nouvelle sur ces espaces de flous dans la ville, de délaissés, de dérive (Careri 2013), sans affectations: hétérotopies (Foucault 2009): d’abord un changement de rapport à la figure programmatique de la ville : ensuite un rapport à l’espace et au temps dans une nouvelle acception du terme u-topie, qui n’est pas un rêve mais prends corps de manière tangible dans une temporalité donnée. Le jardin pirate n’est pas seulement une métaphore. Il porte en lui la matière d’une contestation. »
Paysages en commun
Que peuvent apporter les débats sur les biens communs et le commun à la réflexion sur les paysages aujourd’hui et sur leur fabrication ?
Telles sont les questions que Les Carnets du paysage ont souhaité explorer dans ce numéro. Les enjeux sont considérables : l’hypothèse qui structure ce numéro est que le paysage non seulement relève des biens communs, mais qu’il constitue en outre un élément décisif dans la reformulation d’une écologie politique.
La question des communs
Mentionnés dans le code civil, les biens dont « l’usage est commun à tous » font l’objet de l’article 714 du Code civil français :
« Il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous. Des lois de police règlent la manière d’en jouir. »
Les res communis de l’article 714 du Code civil, étaient largement tombés en désuétude. La protection du domaine public, d’une part, et tous les monopoles d’exploitation privés d’autre part avaient occulté l’article en question. Pour compléter, on peut se référer à l’article 1128 du même code qui dispose qu’« il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet de convention ».
Le fondement législatif du domaine public est défini par le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) dans son article L. 2111-1, issu de la jurisprudence :
« Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public. »
Biens communs, ou communs, ces concepts ont notamment trouvé un large écho, dans les médias, grâce aux zadistes de Notre Dame des Landes. A la croisée des sciences politiques et de l’économie, les fondements en sont enracinés dans l’histoire de l’agriculture vivrière. Pour faire simple, il y avait à l’origine les terres cultivées appartenant à leurs propriétaires et le reste, à savoir les bois, les terres non exploitées, les prairies, les marais qui constituaient les espaces communs.
La loi dite des «enclosures» en Angleterre réduira les « commons » au XVème siècle. Ce qui mit fin à ces « lieux communs » que les propriétaires confisqueront à leurs seuls profits.
En effet le terme « commons » est porteur d’un sens plus large que l’expression française « biens communaux ». Le terme anglais englobe des notions plus larges que les ressources culturelles et naturelles accessibles à tous les membres d’une société, y compris les matériaux naturels tels que l’air, l’eau et une terre habitable, en effet ces biens communs peuvent également être compris comme des ressources naturelles que des communautés, des groupes d’utilisateurs gèrent pour un bénéfice individuel et collectif. Cela implique une variété de pratiques sociales utilisées pour un mécanisme de gouvernance.
A propos de la ZAD de NDDL
Tibo Labat et Margaux Vigne publient un texte écrit avant la décision gouvernementale de mettre fin au projet d’aéroport et d’expulser manu militari les agriculteurs et les militants présents. La donne ayant changé, une mise à jour revendicative a été distribuée lors de la présentation à la librairie, on peut y lire : « Un dernier mot. Selon nous, le commun a aussi une dimension sociale, a trait au vivre ensemble, à la prise en charge collective d’un groupe humain, des personnes et des problèmes qui le composent, quelque soit son échelle. »Pour obtenir plus d’informations contacter: defendre.habiter@gmail.com
Loic Venance / AFP
Et maintenant ? On ne sait pas trop où on en est maintenant. Il y a beaucoup d’épuisement et de conflits après des semaines d’expulsions et de présence policière. Mais il reste aussi pas mal de monde qui habitait déjà sur la ZAD ou qui est venu ce printemps et qui est déterminé à rester, à continuer à lutter et à construire quelque chose ici. Il y a encore des envies de garder un genre d’ensemble qui tient dans tout ça. Pour nombre d’entre nous, on veut continuer à défendre une zone où il y a de la place pour une diversité de positions sociales, de situations et d’opinions, un endroit où on est liés à d’autres luttes. Ces derniers temps, on a souvent l’impression de devoir choisir entre la peste et le choléra, mais on a encore des choses à essayer, avec tou.te.s celleux qui on envie. (sic)
Quelques occupant.e.s de la ZAD
Mai 2018
Les Carnets du Paysage n°33 Sommaire
Jean-Marc Besse, Paysages en commun
Éditorial
Usage des lieux Alexis Pernet, Le paysage comme communauté de communs. Face à la chalarose du frêne, les ateliers Grand Site Marais mouillé (2015-2016) Sarah Vanuxem, Les sections de commune pour la protection des paysages ? Le cas du Goudoulet, section du plateau ardéchois Eugénie Denarnaud, Tanger, ou la rencontre de la société vernaculaire et de la ville mondialisée. Irréductibilité du lien à la terre Yona Friedman, Architecte affranchi
Éclairages Catherine Larrère, Protection de la nature et communs : allers et retours du pays au paysage Gilles Clément, La peau de la Terre : un commun découpé, saisissable et soumis au marché Joëlle Zask, Hypothèses pour une écologie de la place publique démocratique Hervé Brunon, Thingvellir : les plaines du Parlement islandais
Bines communs Anne Sgard, En montagne avec le paysage, un laboratoire du bien commun ? Pierre Donadieu, La construction contemporaine des communs paysagers agriurbains : entre pragmatisme et résistance Bénédicte Grosjean, La huitième condition : l’imbrication. Usages du territoire dans les communs d’Elinor Ostrom David Schalliol, La jungle de Calais
Forme d’action Tibo Labat & Margaux Vigne, Notre-Dame des Landes, expériences du commun Gabriel Chauvel, Frantz Daniaud & Serge Quilly, La carrière de Fégréac Miguel et Pablo Georgieff/atelier Coloco, Inviter à l’œuvre ou la mise en pratique du paysage en commun Sophie Regal, Noutéka. Habiter « la Mangrove » de Vieux-Pont
Jardins et pâturage Hervé Brunon, Guerre et paix au jardin Pauline Frileux, Le regard mouton et la tondeuse écologique. Des troupeaux collectifs dans la ville
Giorgio Agamben suggère, dans un entretien avec Patrick Boucheron publié par Le Monde, une leçon d’histoire : « C’est l’urgence du présent qui m’oblige, note-t-il, et comme il n’y a pas d’autres voies d’accès au présent que l’archéologie, mes livres sont l’ombre portée que mon interrogation sur notre temps projette sur le passé. »
Le même Patrick Boucheron signe un texte dans le livre 1944Paysages|Dommages, dans lequel Antoine Cardi, lui-même historien de formation et photographe publie une série de 31 images relevant d’une archéologie du présent. On notera avec intérêt que ce type de démarche s’inscrit dans un courant qui traverse les pratiques de photographes tels que Thierry Girard et Benoit Grimbert, ainsi que David Goldblatt pour l’Afrique du Sud. Alors que Stéphane Couturier et Henry Leutwyler, par exemple, sont aussi chacun dans leur registre des tenants de ce courant.
Le dispositif
La démarche d’Antoine Cardi, par l’usage d’un dispositif texte-image, construit une nouvelle image de l’absence dans l’évocation de scènes de guerre, ouvrant ainsi la perspective d’un regard renouvelé sur l’actualité de l’image. Il s’agit d’images qui présentent un état de la scène contemporaine du spectateur, par la documentation historique des légendes, des images sous-jacentes investissent le décor pour y convoquer la mémoire des disparus. Le corpus d’images présenté par l’auteur ne se réduit pas à la juxtaposition dont témoignent le contenu et sa légende. En effet, des images palimpsestes, illustrant le regard documenté du spectateur, s’imposent dans une lecture mémorielle. La photographie de la scène dénuée de toute présence humaine se peuple d’acteurs rendus invisibles par les dommages de guerre. Victimes collatérales de l’usage des armes ou des inconduites des militaires, les civils innocents paient en silence un lourd tribut aux fracas des armes.
Les photos montrent le visible, à travers des cadrages, des angles et des valeurs chromatiques conforment aux canons de la photo documentaire. Aucune dramatisation de la scène dont la plate banalité ne présente pas de signe laissant soupçonné ce que la légende va pulvériser. Strictement factuelles ces légendes renseignent les actions destructrices, les causes et leurs effets, ainsi que la comptabilité morbide des dégâts humains.
Un procédé du tressage du décor dans son actualité et de la légende historicisant l’action qui s’y est déroulé fabrique une troisième image dans laquelle l’absence prend corps. Dans ces paysages de nouvelles perceptions s’ajoutent ici aux lieux, mémoires historiques qui se mêlent et agissent dans l’image, à plusieurs niveaux. Le paysage se décrypte dès lors comme des strates actives, lieu de mémoire qui semble vivre des présences qui l’ont habité soixante-quatorze ans auparavant. Le lieu et le temps se collisionnent dans ce paysage normand, incitant le spectateur à pénétrer les arcanes de l’image.
Paysages d’hommages
Comme le titre en livre l’indice, la question de la commémoration est clairement posée.
Le photographe, historien de formation rappelons le, place son projet sous le régime d’une réévaluation de la présentation officielle du débarquement de Normandie en 1944. Sur un périmètre englobant les plages du débarquement, Antoine Cardi identifie des lieux où périrent de nombreuses victimes civiles, non pas seulement sous les balles ennemis, mais sous les chapelets de bombes alliées. Depuis peu, les brochures relatant les faits mentionnent les pertes civiles, ainsi que les exactions de soldats, réputés à tort comme le fait de noirs-américains. « Les Normands, on l’ignore souvent, payèrent aussi un très lourd tribut dans ces terribles combats. » peut-on lire dans le programme du D-Day Festival 2018.
Si la Normandie est riche en monuments commémoratifs des batailles du débarquement, les souffrances endurées par les populations civiles étaient peu documentées, sinon sur les dégâts immobiliers et patrimoniaux. Freud dans les Cinq leçons de psychanalyse note que « les hystériques souffrent de réminiscences », leurs symptômes seraient les résidus et les symboles d’éléments traumatiques. Le psychanalyste s’appuiera pour sa démonstration sur la ville de Londres, expliquant que les monuments sont des symboles commémoratifs, à l’instar des symptômes hystériques. Il considère la familiarité du citadin avec la nature spécifiquement mnémotechnique des monuments de la ville comme un analogon de l’état pathologique, note Joseph Rykwert dans Le rituel et l’hystérie.
Faut-il suivre Freud dans son analyse ? L’histoire des villes et leurs rituels semblent démontrer le contraire. L’attachement à son environnement permet de réguler ses émotions à travers des moments et des actes rituels favorisant la verbalisation.
En ce qui concerne les territoires du Débarquement alliés de 1944, les monuments et cimetières militaires à la mémoire des soldats morts pour la France entretiennent l’histoire militaire. Antoine Cardi souligne l’absence de lieux mémoriels consacrés aux dizaines de milliers de victimes civiles dont le souvenir pourrait ternir les succès militaires. A travers l’exemple normand, l’auteur nous invite à réfléchir à la place des populations civiles dans les conflits.
Un anachronisme légendaire
Le livre est construit pour rendre tangible l’absence par effacement des victimes. La juxtaposition des légendes historiques et des photos actuelles implique le spectateur dans un processus d’éthérisation des corps des victimes civiles.
Le statut particulier de la légende mérite que l’on en analyse le fonctionnement. L’origine du mot, emprunté au latin médiéval legenda signifie « ce qui doit être lu ». Ici, dans le fonctionnement du livre, les légendes tressent avec les images un témoignage de l’absence dans ces lieux hantés par les disparus. Hommes, femmes, enfants mais aussi habitations, bétails et biens divers essentiels à la vie quotidienne, à l’intimité, à l’histoire de chacun.
S’il existe nombre d’ouvrages sur le sujet, notons pour mémoire les Archives photographiques du MRU à Normandie (éditions Les Falaises-2014) et Normandie, paysages de la reconstruction, photos de Benoit Grimbert (éditions Le Point du Jour-2006), deux ouvrages permettant pour le premier de constater les dégâts et de comprendre les chantiers de reconstruction, alors que le second nous montre une série de photos des bâtiments ordinaires dans leur état actuel, après la reconstruction. Une documentation historique pour l’un, un regard photographique à hauteur d’homme pour l’autre. Ces deux ouvrages pourront compléter utilement Paysages|Dommages, pour les lecteurs désirant approfondir la question de la photo historique et documentaire du paysage urbain.
La présentation de 1944 Paysages|Dommages, aux éditions Trans Photograpic Press fonctionne sur la relation anachronique entre légendes et photographies. Ce que Didi-Huberman analyse ainsi dans La condition des images.
« …, chaque image est à penser comme un montage de lieux et de temps différents, voire contradictoires…/… Le montage intrinsèque à tout événement pourrait être, du point de vue historique, nommé une anachronie ou une hétérochronie. L’anachronisme serait alors la connaissance nécessaire de ces complexités, de ces intrications temporelles. Devant une image, il ne faut pas seulement se demander quelle histoire elle documente et de quelle histoire elle est contemporaine, mais aussi : quelle mémoire elle sédimente, de quel refoulé elle est le retour. À ce moment, l’anachronisme n’est plus une solution de facilité visant à interpréter le passé à l’aide de nos seules catégories présentes, mais une solution de complexité visant à comprendre chaque présent historique comme constitué de nœuds temporels très hétéroclites.»
Antoine Cardi s’en explique dans un texte de réflexion épistémologique en fin de volume, dans lequel on retiendra que « Ce qui permet le rapprochement entre histoire et photographie documentaire esquissé ici, ce sont donc les rapports complexes qu’elles entretiennent toutes deux avec les notions de réel, de vérité et de fiction, partageant une épistémologie mixte construite sur un entrelacement d’objectivité et de subjectivité. »
Des historiens, Annette Becker (historienne, professeure d’université) et
Patrick Boucheron (historien, professeur au Collège de France) complètent le texte de l’auteur-photographe d’informations contextualisant les faits. Les auteurs mènent une réflexion sur les modalités d’écriture de l’histoire ainsi que sur la capacité de la photographie documentaire à rendre compte de ce réel révolu.
1944 Paysages|Dommages
Livre relié demi toilé
éditions Trans Photographic Press
prix : 38€
Note
(1)
Chanson interprétée par les Charlots en 1973, à ne pas confondre avec l’original de 1836, J’irai revoir ma Normandie, paroles et musique : Frédéric Bérat, encore moins avec la chanson de Gérard Blanchard – Elle voulait revoir sa Normandie.
Quand revient le temps des vacances
Et qu’on peut sortir de chez nous
C’est sous le beau ciel de la France
Que j’aime passer le mois d’août.
Je prends la Marne et puis Paris
Je fais la route sans détour.
J’aime revoir la Normandie
C’est un pays où je reviens toujours
A la Normandie, ie, ie, ie
A la Normandie, ie, ie, ie
A la Normandie-Niemen
J’ai fait le désert de Libye
Dans une jolie voiture blindée
Et sous le ciel de l’Italie
J’ai visité tous les musées
Mais en traversant ces patries
Je me disais : Aucun séjour
N’est plus beau que la Normandie,
C’est un pays où je reviens toujours.
A la Normandie, ie, ie, ie
A la Normandie, ie, ie, ie
A la Normandie-Niemen
C’est un beau rêve qui me hante
Et qui hantait mon père aussi.
Dans cette campagne charmante
Je voudrais avoir un logis
Un vieux blockhaus pour la famille
Et je pourrais quitter Hambourg.
Car j’aime tant la Normandie
C’est un pays où je reviens toujours.
A la Normandie, ie, ie, ie
A la Normandie, ie, ie, ie
A la Normandie-Niemen
Un jour peut-être je l’espère
L’Europe ne fera qu’un pays.
Il n’y aura plus de frontière
De la Bretagne à la Russie.
Avec ma femme et mes deux filles
J’irai m’installer à Cabourg
Car j’aime tant la Normandie
C’est un pays où je reviens toujours.
A la Normandie, ie, ie, ie
A la Normandie, ie, ie, ie
A la Normandie-Niemen
Débattre du projet de paysage par la photographie, tel est le sous-titre explicite de cet ouvrage conçu sous la direction de Frédéric Pousin -architecte DPLG, est docteur de l’EHESS et habilité à diriger des recherches. Directeur de recherche au CNRS au sein de l’UMR 3329 Architecture, urbanisme, société (AUSser), dont les travaux portent sur le paysage urbain et le rôle du visuel dans la construction des savoirs.
Des textes ou interventions de 18 chercheurs, photographes, paysagistes réunis dans ce livre aboutissement d’un projet de recherche collectif mené sur trois ans, Photopaysage édité par Les Productions du Effa évalue les rôles joués par la photographie au sein des fabriques du paysage.
Lors de la présentation à la librairie Volume, Frédéric Pousin s’est attaché à préciser le terme clef du livre, à savoir projet de paysage. Terme qui correspond à l’anglais landscape architecture.
Frédéric Pousin
Il est question du rapport que l’architecture du paysage entretient avec la photographie dans un périmètre d’étude englobant la gestion des grands espaces jusqu’aux espaces publics urbains, y compris les Observatoires photographiques des parcs nationaux.
de droite à gauche : F.Pousin, A.Petzold, M-H.Loze, S. Keravel
Une première partie réunit des essais dont un texte de Tim Davis portant sur le rôle de la photographie dans le développement des parcs nationaux américains. Alors que Chris Wilson éclaire le rôle des écrits de J.B. Jackson, dont l’influence est toujours actuelle, dans lesquels John Brinckerhoff Jackson pose les fondamentaux de la relation paysage et photographie dès 1951 dans sa revue Landscape.
Laure Olin examine les moyens de monstration des images. Dans son essai sur la pratique de l’architecture paysagère américaine, 1950-2000, l’auteur dresse un inventaire des publications et des moyens de production et de diffusion des photos. Le trio appareil 24×36, diapositive et projecteur de diapositives occupe alors une place prépondérante qui donne un effet vintage .
La deuxième partie présente les actes d’une table-ronde entre photographes et paysagistes autour de leur collaboration.
Le livre essaie de porter un work in progress, dira Sonia Keravel, avant d’ajouter que les duos paysagistes-photographes se fondent sur des relations durables établies sur des rapports amicaux. Le paysagiste cherche un regard d’auteur susceptible d’amener une approche différenciée.
La problématique de la photographie ne se résume pas à la commande, elle doit aussi donner à penser.
Marie-Hélène Loze observe que lors de ces échanges, si la photo est au service du projet d’aménagement, chaque corpus photographique est une part d’une multiplicité d’approches. La photo peut constituer un déclencheur d’échanges entre les acteurs, témoigner de la temporalité des projets ou encore illustrer les réalisations.
L’Atelier Marguerit explicite dans son document sur le Lauragais ce qui caractérise ce type de projet : La démarche du plan paysage n’est pas la production d’un “album photos”, teinté de nostalgie, mais une réflexion sur l’émergence des nouveaux enjeux de paysage. Notre rôle est d’accompagner une évolution, afin que la rencontre entre le territoire, les acteurs génère un projet de paysage en rapport avec notre passé.
La troisième partie expose cinq portfolios illustrant des projets urbains et ruraux tant en France qu’à l’étranger.
Lors de son intervention, Alexandre Petzold a expliqué sa démarche. Il a poétiquement établi un parallèle entre le développement de la photo et l’évolution de la nature, en montrant comment deux photos d’un lieu du chantier montraient un tapis végétal verdissant une ancienne zone de terre meuble. Il revendique une fidélité à ces lieux sur lesquels il intervient en trois étapes: Imprégnation, appropriation, restitution.
Alexandre Petzold
Le livre a été introduit, le 23 mai, par Françoise Arnold pour Les Productions de EFFA comme un objet fabriqué avec des moyens inhabituels pour ce type d’ouvrage.
Françoise Arnold
En effet, l’ouvrage a fait l’objet de soins particuliers. Chacune des trois sections est imprimée sur un papier adapté à la thématique. Papier mat décliné dans une gamme de grège pour la publication des essais abondamment illustrés, le même papier en bleu pour la table-ronde et enfin un papier couché brillant pour les portfolios. Le tout servi par une maquette claire, dans une typographie facilitant la lecture, avec des encarts et des titrages permettant de hiérarchiser les informations. Autant d’atout pour offrir aux institutions, aux professionnels chercheurs, paysagistes, architectes, aménageurs, photographes et aux passionnés d’images et de nature, un ensemble de qualité tant pour les textes que pour les documents d’illustration ou les portfolios des photographes.
Aujourd’hui d’importants bouleversements technologiques modifient les pratiques. Le numérique a supplanté l’ektachrome, les vidéoprojecteurs ont mis au placard les projecteurs de diapositives, les tablettes permettent un nomadisme des présentations sur écran, les montages sur ordinateur et les logiciels de traitement d’images transforment les photographes en magicien, les moyens de prises de vue aérienne permettent, avec les drones, d’accéder facilement à la « vision de l’oiseau » et last but not the least, le timelapse compresse le temps.
Autant de perspectives d’études pour les équipes. La mutation des paysages s’accompagne d’une évolution des moyens de production et de post-production dont les effets restent à analyser.
Table des matières • Jalons pour une approche interculturelle. Frédéric Pousin
• Nouvelles perspectives sur la photographie des parcs nationaux américains. Tim Davis
• L’année 1994. Une décennie de missions photographiques au sein des institutions de l’aménagement du territoire. Raphaële Bertho
• J. B. Jackson, la photographie et l’essor des études du paysage culturel. Chris Wilson
• Ordre et ambiguïté. Le paysage urbain dans Landscape, le magazine de J. B. Jackson. Bruno Notteboom
• Voir, c’est croire/Les apparences sont trompeuses. La photographie dans la pratique de l’architecture paysagère américaine, 1950–2000. Laurie Olin
• Les discours photographiques de Gilles Clément. Frédéric Pousin
• Du photoréalisme au post-photographique, les paysages imaginés du Bureau Bas Smets. Marie-Madeleine Ozdoba
• Quand la photographie se mêle du projet de paysage. Gérard Dufresne et Alain Marguerit : trente années de collaboration. Sonia Keravel
• Après Strand, anatomie d’un projet photographique. Franck Michel
• Exposer, publier, communiquer sur le projet de paysage par la photographie : table ronde autour des photographes Alexandre Petzold, Édith Roux, Geoffroy Mathieu, Bertrand Stofleth et des paysagistes Pascale Hannetel, Valérie Kauffmann, Catherine Mosbach ; avec Marie-Hélène Loze, Raphaële Bertho, Sonia Keravel, Cristina Ros et Frédéric Pousin.
• Portfolios Alexandre Petzold : Le parc du Peuple de l’herbe Édith Roux : Scalo Farini Geoffroy Mathieu : Le principe de ruralité Bertrand Stofleth : Rhodanie Debora Hunter : Taos, Nouveau-Mexique
Vente en librairie spécialisée, prix 29€
Contact :
Les Productions du Effa
56 rue des Vignoles
75020 Paris
Annoncé conjointement à travers une campagne de crowdfunding et sur les réseaux sociaux, le n°1 de la revue semestrielle Paysageur est disponible, à compter de la première semaine d’avril, depuis son lancement à la librairie Volume à Paris.
Avec pour thème [Puissants paysages], la revue s’impose avec dynamisme dans un environnement porté par l’intérêt du public pour la marche. Niche commerciale qui est moins le sujet que le paysage comme le néologisme paysageur le laisse astucieusement comprendre. Construit sur le modèle voyage/voyageur, paysage/paysageur se définit par un surtitre « Une revue qui pense avec les pieds » -expression chère à Démarches.
La première occurrence de ce néologisme est repérable en 2001 : Paysageur, ouvrage collectif autour de la peinture de Christian Gardair, accompagné de la publication d’un poème de Maud Thiria, qui débute par une phrase qui aurait pu servir d’exergue à la revue: Être du paysage comme l’on est du voyage. Puis en 2015 deuxième apparition en titre de l’ouvrage de Maud Cooper : Le paysageur et les fantômes d ‘existence.
-Paysageur s’attache à raconter les paysages à travers la marche. La revue invite ses lecteurs à explorer des territoires, sauvages ou habités. L’esprit nomade anime Paysageur et ses fondateurs Claire Fau et Maxime Lancien qui entendent mêler la marche au journalisme et explorer le paysage à travers la photographie, l’illustration, la littérature, la botanique, l’anthropologie, etc.-
Une transversalité que l’on retrouve chez les contributeurs dont les parcours, principalement, universitaires et les origines géographiques garantissent une diversité des sujets et de leur traitement.
Ce premier numéro, abondamment illustré, se présente dans un format (23,5×16, 5) facilement nomade. La tranche carré-collé, le choix de papiers de qualité, l’un à grain pour l’ensemble de la revue, l’autre bistre satiné pour un encart de petite taille dans le portfolio photographique démontrent le soin apporté à la publication.
La maquette élégante s’adapte aux sujets sans rompre la ligne graphique. La variété des typos et des encadrés confèrent un aspect agréable à l’ensemble.
Le thème Puissants paysages pour ce premier numéro est défini par des contributeurs sollicités par mails. Les interprétations varient sur la compréhension du thème. Puissance du paysage pour Jean-Luc Chapin, un puissant paysage pour Gilles Clément et Jérémy Van der Haegen.
Le sommaire varie les sources et les approches, republication d’un texte de Eric McCormack sur une expérience chamanique d’intégration à la nature. Portfolios photographiques, enquêtes, interviews se succèdent avec une préoccupation prépondérante pour les atteintes à l’intégrité des territoires. De Monsanto à la Toundra, le panorama des puissants paysages se focalise sur la puissance nuisible des décisions politiques d’aménagement. Les points de vue urbanistiques, socio-économiques et scientifiques confirment un prisme de lecture engagé contre les altérations, les atteintes et les dégradations d’une société qui ne prend pas soin de son cadre de vie.
Yoann Morvan précise dans son interview une position radicale à l’égard de la marche « Aujourd’hui, il existe une prolifération de livres sur la marche mais je reste assez stoïque par rapport à cet engouement. C’est une pratique simple pour moi et je pense a priori ne pas écrire sur le sujet. » Il sera donc question de paysages.
On notera l’absence de cartes pour tracer des sentiers de connaissance (sur le site, une carte de la Plaine du Var est présentée), le numéro 2 abordera le thème des [Insaisissables paysages]. Question de l’aporie du paysage, dont on pourra lire avec intérêt le texte intitulé Le paysage en politique
Le paysageur n’est pas un touriste dilettante, mais un témoin conscient de son environnement.
Les panneaux publicitaires occultent le paysage, suivant les réglementations propres à chaque Etat, leur installation à foison sur les bas-côtés des routes et autoroutes sollicite l’attention des automobilistes, cyclistes et piétons. Les supports de toutes tailles vantent des offres commerciales. Des créatifs et des artistes ont décidé de mettre à profit l’efficacité du panneau d’affichage en la détournant à des fins environnementales. L’idée étant de valoriser le paysage à travers les supports qui le masque.
L’effet Burma-Shave
La méthode de publicité connue sous le nom de Burma-Shave, compagnie de crème à raser qui a initialement utilisé ce dispositif, repose sur le mouvement du spectateur. Il s’agit dans ce cas de publicité autoroutière dont la lecture du message n’est accessible qu’aux automobilistes se déplaçant devant une succession de panneaux.
En 1925 Allan Odell, fils de Clinton le propriétaire de la marque, invente le concept des enseignes séquentielles pour vendre son produit.
La série de panneaux Burma-Shave est apparue pour la première fois sur l’autoroute US Highway 65 près de Lakeville, au Minnesota, en 1926, et est restée une importante composante publicitaire jusqu’en 1963 dans la plupart des États contigus. Sur la première série les automobilistes pouvaient lire : Cheer up, face – the war is over! Burma-Shave.
Certains Etats de l’Union n’ont pas été dotés du système, soit à cause d’un trafic insuffisant, comme au Nouveau-Mexique, dans l’Arizona et le Nevada, soit comme le Massachusetts à cause de l’abondance de la végétation le long des routes.
Le dispositif se composait généralement de six petites enseignes consécutives affichées le long des autoroutes, espacées pour permettre une lecture séquentielle par les automobilistes. Le dernier panneau affichait en général le nom du produit. Les panneaux ont été produits à l’origine dans deux combinaisons de couleurs: rouge et blanc et orange et noir, durant une courte période. Des panneaux blanc sur bleu ont été mis en place dans le Dakota du Sud, la couleur rouge étant réservées aux panneaux routiers.
Chacun dans les voitures tentaient de deviner le contenu de ces poèmes des bas-côtés, dont les exemples illustrent la forme (1) :
Shaving brushes/You’ll son see’em/On a shelf/In some museum /Burla-Shave
If you/Don’t know/whose signs/These far ;you can’t have/driven very far/Burma-Shave
Cette utilisation de série de panneaux de petits formats, dont chaque ensemble constituait un message commercial, était une approche réussie de publicité routière adaptée aux vitesses peu élevées des véhicules de l’époque, attirant l’attention des automobilistes qui étaient curieux de découvrir ces messages. À mesure que le système des Interstates s’est développé à la fin des années 1950 et que la vitesse des véhicules a augmenté, il est devenu plus difficile de capter l’attention des automobilistes avec des panneaux de petites tailles.
Suite à des reventes et à l’inadaptation du système aux vitesses de déplacement, la marque déclina jusqu’à disparaitre définitivement des bords de route. Mais le souvenir reste vivant à travers des musées et des sites protégés qui conservent la mémoire de ce système astucieux.
A history of the Burma-Vita Company, écrite par Frank Rowsome Jr. et illustré par Carl Rose, édité chez Stephen Greene Press en 1963.
L’effet Burma Shave a inspiré des déclinaisons artistiques le long des routes, avec des installations adaptées à la circulation automobile actuelle.
Jennifer Bolande – Desert X
Aux USA, une artiste du nom de Jennifer Bolande a conçu une installation pour la manifestation Desert X, une exposition organisée par des artistes établis et émergents dans la vallée de la Coachella et son paysage désertique.
Les voitures circulant sur la voie nommée Gene Autry, entre l’Interstate 10 et Vista Chino à Palm Springs, rencontrent l’installation Visible Distance/Second Sight (2), une expérience cinématographique animée par une séquence de photographies de montagnes, aux formats précisément étudiés, placée sur des panneaux d’affichage. Ces images ont été parfaitement alignées sur leur arrière-plan, donc – vu d’une position unique le long de la route – le rectangle du panneau d’affichage est raccord avec l’environnement qui lui sert de fond de décor naturel.
Les billboards de Jennifer Bolande recouvrent les deux éléments suivants : le support de publicité commerciale qui lui-même masque le paysage et la photographie du paysage qui montre la partie masquée.
« Pour le conducteur, il y a une sorte d’oscillation d’attention entre l’image et la réalité, ce qui m’intéresse vraiment », dit Jennifer. « Je pense que la plupart d’entre nous sont plus habitués à regarder des images de la nature que la nature elle-même.
J’aime la façon dont le projet attire l’attention sur le cadrage de la réalité et fournit également une sorte d’évasion du cadre. Vous pouvez seulement apercevoir le premier panneau d’affichage du coin de l’œil, le second que vous voyez par rapport au paysage, et le troisième que vous attendez avec impatience et qui peut voir les horizons s’aligner. Mais parce que vous ne pouvez pas arrêter, vous devez le laisser passer. Alors c’est juste un souvenir, mais le paysage sans cadre est toujours là, juste devant toi. »
En lieu et place d’une publicité, Jennifer Bolande expose une image du paysage masqué en jouant sur les échelles entre l’image et le paysage, massif montagneux qui clôt l’horizon. De ce rapport entre le billboard support d’un fragment agrandi et le paysage réel dans son étendue, un point de vue unique permet à l’automobiliste de réaliser la coïncidence des lignes de crêtes qui assureront la continuité paysagère.
Brian Kanes – Healing Tool
En 2015, pour son projet Healing Tool, l’artiste Brian Kanes achète de l’espace publicitaire sur des panneaux géants au croisement de deux autoroutes dans le Massachusetts aux Etats-Unis. Il souhaite ainsi alléger temporairement la pression des messages publicitaires en présentant des images de nature.
L’intitulé de son installation Healing Tool est le nom de l’outil de Photoshop qui permet de corriger une image. Ces panneaux numériques permettent de les intégrer dans leur environnement, grâce à la diffusion d’images du paysage évoluant en fonction de la période de la journée. En journée, le panneau affiche des images de la nature environnante et quand vient la nuit des photos en haute définition de la Lune et même de la voie lactée les remplacent, permettant de contempler la voûte céleste, rendue invisible par la pollution lumineuse. Suite à une polémique sur les réseaux sociaux entre Jennifer Bolande et Brian Kane, ce dernier a déclaré « C’est une pâle copie de mon travail original de 2015, à l’exception que mon oeuvre était meilleure, puisqu’elle était digitale, permettant ainsi aux images d’évoluer selon l’heure de la journée et fonctionnait la nuit. »
Si les deux oeuvres ont en commun un détournement des panneaux publicitaires au profit d’une attention au paysage, il n’y a pas de place pour une polémique, les deux réalisations traitent le sujet chacune à leur manière.
Autres dispositifs cinétiques
Parmi les solutions d’affichage dynamique, notons les panneaux à lamelles horizontales, de type Tri-vision ou à défilement qui permettent de montrer plusieurs images dans un même cadre. Leur capacité narrative a donné lieu à des réalisations graphiques, même si la préférence semble donner aux panneaux juxtaposés pour des jeux visuels.
Bucarest 2012- Photo François Duconseille
Billboard Outdoor
Marqueur du paysage américain, le billboard développe, sur une longueur minimum de 15 mètres, des affiches à l’échelle du territoire et adaptées à la circulation automobile. La lisibilité est fonction de la taille par rapport à la distance de la route. Affichage commercial donnant lieu à de multiples traitements, les billboards accueillent aussi les visiteurs dans de nombreux Etats, avec des mises en scène paysagères.
Ciel! le cadre
Le cadre des panneaux publicitaires interroge l’environnement. Le panneau vide ou évidé offre aux créatifs et aux artistes de multiples possibilités dont les exemples ci-dessous montrent quelques réussites remarquables. Dans ces exemples, le support ne masque pas, il cadre une part de ciel. Le cycle journalier et la météo offrent ainsi un fond variable aux messages.
Outdoor advertisment créé par Saatchi & Saatchi, Vietnam pour Pacific Airlines.
Y&R Auckland et la société néo-zélandaise Metservice ont créé ce cadre d’affichage simulant la page web du service météo, comme preuve de l’exactitude des données du site.
Le cadre fixe le point de vue à un moment précis du positionnement de l’automobiliste.
Pour promouvoir la marque de couleurs pour cheveux Koleston, l’agence Leo Burnett a conçu un panneau évidé au niveau de la chevelure du modèle. Une idée lumineuse. En fonction du lever ou du coucher du soleil, la couleur des cheveux change selon les variations du ciel. La couleur naturelle…
Le spectateur est assigné à une place précise qui seule offrira le point de vue conforme à l’intention. Dans ces cas, le spectateur est invité à découvrir son positionnement sur lequel il devra rester dans une posture statique. En situation de mobilité, la vue, fugitive, est conditionnée par la vitesse de déplacement.
Le Lead Pencil Studio, installé à Seattle, dirigé par Daniel Mihalyo et Annie Han, a conçu une imposante structure tubulaire pour créer l’espace négatif d’un panneau d’affichage. Il s’agit d’une installation nommée Non-Sign et située près de Vancouver, à la frontière du Canada et des Etats-Unis. Daniel Mihalyo explique le concept: Empruntant l’efficacité des panneaux d’affichage pour détourner l’attention du paysage … cette percée ouverte en permanence entre les nations ne sert qu’à définir une vision claire de l’évolution des conditions atmosphériques au-delà… C’est un endroit vraiment remarquable – une vasière, divisée en deux par la frontière – mais parce que c’est une zone de sécurité, il est difficile d’apprécier l’environnement. »
Neuf mois d’installation, pour cette commande du programme Art in Architecture de General Services Administration (GSA), qui consacre une petite partie (0,5%) des coûts de construction de tous les projets fédéraux à l’amélioration des œuvres d’art, dans le but d’ennoblir l’espace public et de promouvoir les artistes américains
photos Ian Gill pour Lead Pencil Studio
détails de l’installation
Interagir avec l’urbain
OX mixe les styles des mouvements d’avant-garde avec l’univers visuel commercial.
Membre du collectif “Les Frères Ripoulin” célèbre pour avoir eu entre autres comme membres Pierre Huyghe, Claude Closky et Jean Faucheur. Ox décide, dès les années 80, de travailler dans l’espace public.
« Ces espaces d’affichage publicitaire sont comme d’immenses fenêtres, des tableaux surdimensionnés, suspendus dans la ville », dit OX
« Dans mon travail il ne s’agit pas de décorer la ville, mais plutôt de créer un tout petit moment qui est juste un petit peu différent; il s’agit de s’éloigner des relations du slogan ainsi que de l’idée de la vente afin de les intégrer encore plus dans le moment. Il ne s’agit pas de provoquer la chute de la publicité. » déclarait-il dans un entretien pour ARTE creative. En extérieur, il réalise des collages prenant en compte l’environnement et la saisonnalité qui interagissent avec l’oeuvre.
L’anamorphose dans la ville
Des artistes comme l’italien Felice Varini travaille sur des formes spectaculaires puisqu’il utilise comme support, les lieux et les architectures des espaces sur lesquels il intervient. Ses interventions à l’échelle des bâtiments, des rues utilisent la technique de l’anamorphose qui permet de recomposer une forme à partir d’un point de vue unique. Pour aider au bon point de vue, l’artiste marque physiquement le point précis depuis lequel le spectateur obtiendra la vue ajustée de l’anamorphose.
Felice Varini- Saint Nazaire. Anamorphose de triangles dans le cadre d’Estuaire
En France, Georges Rousse travaille aussi sur l’anamorphose. S’il utilise uniquement la photographie pour fixer son œuvre de l’unique point de vue de son appareil photo, Georges Rousse est avant tout peintre.
Cette maison isolée au milieu d’immondices a été peinte et photographiée par l’artiste à Séoul en 2000. Le cercle parfait que nous voyons, n’existe que depuis l’endroit précis où Georges Rousse a fixé son objectif. Un décalage, aussi faible soit-il, dévoilerait le travail d’ajustement du cercle sur les décrochés de la façade. Le point de vue unique assigné au spectateur par l’artiste est ici attesté par la photo qui fixe un état précaire du bâti.
Olé toro !
La silhouette de taureau, familière aux Espagnols et aux touristes, a été conçue pour le groupe Osborne par le directeur artistique et chef de studio de l’agence Azor, Manuel Prieto, en 1956.
dessin original de Manuel Prieto
La première silhouette en bois a été placée sur la route Madrid-Burgos et après quelques changements, en 1961 le taureau désormais fabriqué en tôle passe des 40 m2 initiaux à 150 m2.
Ces caractéristiques sont impressionnantes : il mesure 14 mètres de haut et pèse 4 tonnes. Il nécessite 1 000 boulons pour l’assemblage et 76 litres de peinture noire. Le nom de la marque a majoritairement disparu et la référence au produit n’est plus une référence pour les jeunes générations qui ne consomment plus de finos de Jerez, dans les botellon, ces samedis soirs arrosés.
La bête est à la mesure du paysage. Sa taille imposante est la conséquence d’une loi imposant aux panneaux publicitaires une distance d’au moins 125 mètres de la chaussée. La silhouette du taureau se dresse donc sur des promontoires, figure symbolique de l’Espagne. Image familière des bords de route, la silhouette du taureau Osborne a perdu son message de marque au profit d’une image symbolique dont la notoriété en a fait un élément d’intérêt esthétique et culturel reconnue depuis 1997.
Pourtant ce marqueur territorial n’est pas accepté dans toutes les régions loin s’en faut. S’il existe 91 taureaux Osborne en Espagne, leur répartition géographique sur le territoire espagnol est fonction des positions des différentes provinces à l’égard de Madrid. Ainsi la Cantabrie, la Catalogne, Ceuta et la région de Murcie les ont refusés. D’autres province n’ont qu’un exemplaire : les îles Baléares, les Canaries, Melilla, la Navarre et le Pays basque, alors que l’Andalousie en a vingt-trois.
L’imposante figure du taureau de Manuel Prieto n’a pas seulement réussi à s’imposer dans le cadre du paysage, mais est devenue une référence majeure dans la conception graphique et la publicité au niveau international. Son intégration dans le paysage fonctionne moins comme publicité que comme figure emblématique d’un animal culturellement attaché à la Péninsule Ibérique. Loin d’occulter son environnement, cette silhouette inscrit l’animal dans le territoire.
Jeu d’échelle urbaine
A l’occasion des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro en 2016, l’artiste français JR installe dans la ville la présence physique d’athlètes. Ici, le soudanais Mohamed Younes Idriss, spécialiste du saut en hauteur, s’impose en haut d’un immeuble alors qu’il n’est présent qu’en image. En effet, il n’était pas sélectionné pour les Jeux. A l’échelle urbaine, le surdimensionnement de l’humain s’impose pour s’intégrer dans un rapport visuel dans lequel l’humain domine le décor.
JR-Jeux Olympiques 2016-Rio de Janeiro-Mohamed Younes Idriss, originaire du Soudan-non sélectionné
Art vs affiche
La relation à l’art passe par les figures de Raymond Hains et de Jacques Villeglé qui ont travaillé sur la lacération des affichages publics. En accrochant aux cimaises des galeries et des musées leurs oeuvres respectives, les deux artistes ont inscrit l’affiche comme oeuvre picturale. Les messages réduits en lambeaux de couches superposées illustrent la précarité de ces affiches conçues pour retenir notre regard en oblitérant ou en égayant, suivant les lieux, leur environnement.
Jacques Villeglé
Raymond Hains
L’affichage représente un important secteur économique qui a fait la fortune dans chaque pays concernés des acteurs de ce marché mondial. L’affiche commerciale, politique ou informationnelle reste un vecteur essentiel par son impact visuel et sa capacité à investir tous les formats, de la pancarte dans les manifs aux gigantesques billboards. Composante inévitable du paysage qu’il soit urbain ou rural, l’affiche gène, séduit, masque ou révèle. Autorisés ou interdits, les supports et leurs affiches s’inscrivent souvent comme élément masquant du paysage et parfois comme révélateur de leur environnement. En France le texte le plus affiché est probablement celui qui rappelle la loi.
L’actualité cinématographique de la rentrée 2018 affiche un film américain réalisé parMartin McDonagh « Billboards, outside Ebbing », dont le sujet porte sur l’utilisation de 3 panneaux d’affichage plus ou moins abandonnés. Lire l’article de Florence Berthier
Le parcours « Dans les pas de Delacroix » relève d’une démarche différente des propositions précédentes. Il s’en distingue à plusieurs titres :
les parcours sont ici des promenades historiques aménagées au XIXème siècle
l’objet des promenades outre la marche réside dans l’immersion au sein de paysages arpentés par Eugène de Delacroix
Le peintre confronté, pour la première fois, aux montagnes s’interroge sur les représentations de ces motifs reliefs.
En 1845, Eugène Delacroix suit une cure aux Eaux-Bonnes dans les Pyrénées, pour soigner une laryngite tuberculeuse. Des aquarelles et croquis de son séjour paraissent dispersées à travers des feuillets, alors que son carnet dit « des Pyrénées » classé « trésor national » en 2003 est acquis l’année suivante par le Louvre. Il appartient à une série de 27 albums apparus en 1864 lors de la vente de l’atelier du peintre.
Le carnet a fait l’objet d’une publication en fac-similé dans un coffret comprenant une étude savante de Marie-Pierre Salé, conservateur en chef au département des Arts graphiques du Louvre, reconnue comme une des grandes spécialistes françaises de l’art du dessin au XIXe siècle.
Ce coffret a motivé un déplacement sur place pour découvrir le cadre dans lequel Delacroix s’était promené et voir les paysages qu’il avait dessinés. L’étude de Marie-Pierre Salé documente avec précision le séjour du peintre, sa lecture satisfera tous ceux qui souhaitent approfondir le sujet. (1)
Les Eaux-Bonnes
Les Eaux-Bonnes, petite station thermale des Pyrénées-Atlantiques, a connu une vie trépidante au XIXème siècle. Delacroix s’y installe, du 22 juillet au 14 août 1845, après un éprouvant voyage en diligence depuis Bordeaux, où il a visité son frère. La station très fréquentée n’a pas encore était transformée par Mlle de Montijo, qui en épousant Napoléon III deviendra impératrice des Français. Il faudra attendre 1861 pour que les travaux dotent les Eaux-Bonnes des équipements que nous lui connaissons aujourd’hui.
Ainsi, lorsque Delacroix s’installe, les aménagements publics sont sommaires, comme en témoigne Adolphe Moreau dans Itinéraire de Pau aux Eaux-Bonnes et aux Eaux-Chaudes édité par Vignancour à Pau en 1841 :
Au centre du Jardin Anglais, on a jeté un pont sur le torrent : ce passage sert d’entrée au Chemin Horizontal, dont la tête mène aussi à la Promenade Gramont. Vous ne serez pas sans vous étonner de voir ce terrain auquel la nature a tout prodigué, verdure, ombrage, eau, n’être pour ainsi dire qu’un affreux cloaque, dans une partie duquel il faut marcher avec une extrême précaution. Quand on compare l’état d’abandon dans lequel on le laisse avec le soin apporté au bien-être dans les hôtels où vous logez, on a lieu d’être surpris.
Cette description donne une idée de la situation. Quand on visite les Eaux-Bonnes aujourd’hui, on l’imagine mal sans son casino, le Jardin Anglais aménagé et arboré, et l’Hôtel des Princes tels que nous le découvrons, même si ce dernier est actuellement en attente de réhabilitation.
Destination prisée, la station ossaloise accueille une colonie comme en atteste le Mémorial des Pyrénées dans son édition du 27 juillet 1845 :
« On peut voir sur la promenade Eugène Delacroix, Paul Huet, Camille Roqueplan, Pehr Wickenberg et Eugène Deveria s’embrasser cordialement et témoigner du bonheur qu’ils avaient à se revoir. »
Le chroniqueur de l’époque se garde d’évoquer le désarroi de Delacroix face aux curistes, familles en goguette qui occupent leurs journées entre soins et fêtes nocturnes. Lui qui est tracassé par ses chantiers parisiens, du Palais Bourbon et du Luxembourg comme il l’écrit à Frédéric Villot le 5 août 1845.
Les Prom’s
Seules quelques promenades offrent aux curistes de 1845 des opportunités pour marcher sur des parcours aménagés.
Eugène Delacroix les empruntera pour découvrir les panoramas et apprécier les points de fuite sur la Vallée d’Ossau :
par la route qui longe le Valentin on accède à la cascade du Gros Hêtre
Chacune permet de découvrir un versant de la vallée. Ces promenades toujours accessibles ne présentent pas de difficulté particulière. De la promenade Horizontale, la plus célèbre car sans dénivelé à la promenade Eynard pour découvrir le charmant belvédère dénommé Butte au trésor.
Jacques Le Gall, Maître de conférence en langue et littérature française à l’Université de Pau et des pays de l’Adour, rappelle que Delacroix, comme ses confrères peintres, offrit une aquarelle à une loterie organisée pour financer l’aménagement de la fin de la Promenade Horizontale. On connaît par l’article paru alors dans le Mémorial des Pyrénées le nom du gagnant : M. de Plaisance. Mais on ignore le titre et le devenir de cette aquarelle. (2)
« Le pays est magnifique. C’est la montagne dans toute sa majesté. Il y a vraiment à chaque pas, à chaque détour de sentier des sites ravissants : ayez avec cela les pieds de chèvre pour escalader les montées, et vous avez la jouissance complète du pays. » lettre à Frédéric Villot-26 juillet 1845
Le peintre prend la plume le 26 juillet pour narrer à son ami Pierret son impression sur son lieu de cure :
J’ai eu toutes les difficultés du monde à me loger; on vous offre à votre arrivée des trous à ne pas mettre des animaux […] Je me suis vu d’abord ici dans un véritable guêpier. On trouve aux eaux une foule de gens qu’on ne voit jamais à Paris; et moi qui fuis les conversations, surtout les conversations oiseuses, je me voyais d’avance assassiné. Il faut donc une certaine adresse pour éluder les rencontres, et c’est fort difficile dans un endroit qui est fait comme un entonnoir et où on est par conséquent les uns sur les autres.
Dans son abondant courrier, le peintre insiste auprès de ses correspondants sur la vie animée et bruyante de personnes venues pour se soigner. Les mondanités l’insupportent. La cure, prescrite pour traiter une affection laryngée persistante, rythme ses journées.
Arrivé sous une météo clémente, son séjour connaîtra des passages pluvieux abondants. Le site l’impressionne, il voit pour la première fois des montagnes. Pics, névés, cascades, prairies, forêts, guides et autochtones mobilisent toute son attention.
« Le vrai peintre est celui chez qui l’imagination parle avant tout »
Eugène Delacroix, Journal- 12 octobre 1853
La question de la taille du panorama s’impose d’emblée : « la beauté de cette nature des Pyrénées n’est pas de celles qu’on peut espérer rendre avec la peinture d’une manière heureuse. Tout cela est trop gigantesque et on ne sait par où commencer au milieu de ces masses et de ces multitudes de détails. » lettre à Gaultron-5 août 1845
Le folklore des vêtements locaux, les us et coutumes pyrénéennes retiennent son intérêt, il apprécie les vêtements des femmes. Il croque des figures, des détails vestimentaires, des attitudes, autant d’instantanés du quotidien dont le carnet témoigne.
Il marche à l’écart de la foule des curistes qu’il fuit. Il prend un guide, s’installe avec son carnet, ses crayons dans les sous-bois, face aux cascades et esquisse des vues cadrées sur lesquelles il note en clair les couleurs de référence. Dominante des variétés de vert. Dans sa chambre d’hôtel, il ajoute des rehauts d’aquarelle. Le papier du carnet supporte la transparence de l’aquarelle, jamais de gouache qui « bouche ». La dilution à l’eau, de cette peinture facile à mettre en oeuvre en déplacement, lui convient pour réaliser les esquisses auxquelles il pourra de retour dans son atelier parisien se référer pour les grandes toiles et les décors.
La méthode de travail de Delacroix se divise en deux phases distinctes : il réalise in situ des dessins qu’il annote pour préciser les couleurs ou des détails; ensuite, de retour dans son atelier parisien il recompose le paysage en donnant à sa mémoire et son imagination la place nécessaire pour ne pas recopier la nature comme le fait la photographie et les peintres dont il critique la pratique.
Dès son arrivée sur place, Delacroix écrit des lettres dans lesquelles il ne manque pas de manifester son enthousiasme pour le site :
« La nature est ici très belle ; on est jusqu’au cou dans les montagnes et les effets en sont magnifiques” lettre à L. Riesener, le 25 juillet.
La montagne a longtemps inspiré la crainte, comme l’a montré Alain Corbin dans « Une Histoire du silence » (3) et l’on trouve de nombreux témoignages de cette «orophobie » dans la peinture, la cantonnant à l’arrière-plan, en fond de décor, malgré son caractère imposant. Il faudra attendre le milieu du XVIIIe siècle, lorsque des hommes plus téméraires s’aventureront sur les sommets et en reviendront enthousiastes, pour que la montagne devienne un thème pictural de premier plan.
La photographie n’est pas étrangère à l’intérêt suscité par ces motifs reliefs. On connaît la curiosité de la Delacroix pour la photographie. Parmi les premiers inscrits à la Société Française de Photographie, il reste défiant envers des pratiques et des usages de la photo. Mais il est convaincu par son aspect « aide-mémoire ». La photographie permettra dès ses débuts de montrer au public des sujets qu’ils découvriront pour la première fois. Dans le contexte de l’époque peu de personnes avaient eu l’occasion de découvrir les montagnes et leurs sommets.
« Les tableaux de M. Delacroix, cette année, sont, comme nous le disions, des esquisses, mot qui éveille mal à propos l’idée d’une ébauche à terminer. Ce n’est pas ainsi qu’on doit l’entendre : dans ces petites toiles se rencontre tout ce que l’auteur a cherché, une impression vive, un effet juste et saisissant. Francis Wey “Salon de 1847 (3e article)”, Le Courrier français, 11 avril 1847
Delacroix et la photographie
« Jusqu’ici, cet art à la machine ne nous rendu qu’un détestable service il nous gâte les chefs d’oeuvre, sans nous satisfaire complètement. » Delacroix-Journal, 1853
Eugène Durieu est une figure marquante des débuts de la photographie en France. Il participe activement à la mise en place de la Mission héliographique. Il s’implique aussi dans la Société héliographiqueet il est le premier président de la Société française de photographie, fondée le . La même année, sa collaboration avec Eugène Delacroix est un fait acquis. Il réalisa sur les indications du peintre une série de photographies de modèles nus.
Sans préjuger des rivalités entre peinture et photographie, Delacroix se documente et s’intéresse de près à l’essor de la photographie. Il était réticent dans son rapport à l’image photographique, on sait qu’il demanda, sans succès, la destruction de ses portraits photographiques qui ne répondait pas à sa conception de la représentation. « Je suis effrayé du résultat, c’est une triste effigie, au nom du ciel ne laissez pas subsister le résultat de ce moment-ci » écrit-il à Nadar, à propos du portrait ci-dessous.
Pour sa documentation personnelle, il collectionne des reproductions d’œuvres d’art. Il note dans son Journal le 1er septembre 1859 : « les photographies qui saisissent davantage sont celles où l’imperfection même du procédé pour rendre d’une manière absolue laisse certaines lacunes, certains repos pour l’oeil ». S’il ne pratique pas lui-même la photo, il confie à Durieu la réalisation des clichés. Il définit pour cela un cahier des charges lui permettant d’obtenir des photos « vagues » dépouillées de tous les attributs pittoresques qui ornaient les images commerciales, très en vogue dans les ateliers de peintre.
Son correspondant d’Arras, le peintre Constant Dutilleux nous livre un précieux témoignage sur les séances de prises de vue qu’organisait Delacroix :
« Je possède un album composé de poses de modèles, hommes et femmes, qui furent indiquées par lui, saisies sous ses yeux par l’objectif… Phénomène incroyable! Le choix de la nature, l’attitude, la distribution de la lumière, la torsion des membres sont si singuliers, si voulus qu’on dirait de beaucoup de ces épreuves qu’elles ont été prises d’après les originaux du même maître. L’artiste est en quelque sorte souverain maître de la machine et de la matière. Le rayonnement de l’idéal qu’il portait en lui transformait en héros vaincus et rêveurs, nymphes nerveuses et pantelantes des modèles à 3 francs la séance. »
Notes de Constant Dutilleux, papiers Burty-Paris-Bibliothèque Doucet-Institut d’art et d’archéologie.
Nu féminin sur un divan, E.Durieu-1854
Delacroix, Odalisque-1857
En 1853, dans les colonnes de La Lumière, le rédacteur en chef Ernest Lacan tente « trois esquisses physiologiques » du photographe : « le photographe proprement dit », c’est le professionnel, qui produit « les images fidèles d’un gendarme, d’une première communiante, d’un monsieur de qualité douteuse, de deux ou trois familles groupées tendrement, le sourire aux lèvres, dans des attitudes plus ou moins gracieuses et engageantes ». « Le photographe artiste est celui qui, ayant consacré sa vie à l’étude d’un art, comme la peinture, l’architecture, la gravure, etc., a vu dans la photographie un moyen nouveau de traduire ses impressions, d’imiter la nature dans sa poésie, sa richesse et sa beauté, et de reproduire les chefs-d’œuvre que le génie humain a semé sur terre ». « Le photographe amateur, pour nous, c’est l’homme qui, par amour de l’art, s’est passionné pour la photographie, comme il se serait passionné pour la peinture, la sculpture ou la musique, qui en a fait une étude sérieuse, raisonnée, intelligente ». Textes réunis par le Musée français de la photographie de Bièvres.
La querelle du paragone 2.0.
Marco Collareta, professeur d’Histoire de l’art à l’Université de Pise, décrit l’origine de ce conflit entre les arts dans un article intitulé : Nouvelles études sur le paragone entre les arts. (4)
[Le mot italien paragone est entré en force dans le langage de la critique d’art moderne à partir de 1817. Cette année-là, lorsque Guglielmo Manzi fit imprimer pour la première fois le Trattato della pittura de Léonard de Vinci tel qu’il nous a été transmis par le Codex Vaticanus Urbinas 1270, il intitula la première partie de ce texte capital « Paragone di pittura, poesia, musica e scultura », partie consacrée justement à une comparaison systématique entre la peinture et les autres arts. Il n’est pas difficile de déceler, dans un tel choix éditorial, l’ombre portée d’une branche de la philosophie encore très récente à l’époque, à savoir l’esthétique. La conception de l’art qu’elle tentait alors d’élucider reposait sur une classification rigoureuse des différentes disciplines artistiques…] Marco Collareta
Le terme paragone (comparer) désigne dans ce cas un exercice de comparaison des arts, dans lequel les protagonistes débattent des attributs de leur art.
Eugène Delacroix bénéficie des connaissances scientifiques du XIXème siècle riche de découvertes : des traités des couleurs, en 1864, Eugène Chevreul publie Des couleurs et de leurs applications aux arts industriels, livre dans lequel il répertorie 14400 tonalités chromatiques des colorants naturels ou artificiels à la photographie dont les optiques et la chimie évoluent constamment, en passant par la mise sur le marché des tubes de peinture à bouchon vissé.
M. E. Chevreul The Principles of Harmony and Contrast of Colours London, 1860
Delacroix dans son Journal évoque à plusieurs reprises les différences entre les arts, comparant la peinture aux autres expressions artistiques :
La peinture, entre autres avantages, a celui d’être plus discrète : le tableau le plus gigantesque se voit en un instant. Si les parties qu’il renferme ou certaines parties attirent l’admiration, à la bonne heure : on peut s’y complaire, plus longtemps même que sur un morceau de musique. Mais si le morceau vous paraît médiocre, il suffit de tourner la tête pour échapper à l’ennui… – 11 mars 1849
Vous voyez votre tableau d’un coup d’oeil; dans votre manuscrit, vous ne voyez pas même la page entière, c’est-à-dire, vous ne pouvez pas l’embrasser tout entière par l’esprit… – 21 juillet 1850
De nombreuses citations du Journal de Delacroix sont recensées et étudiés par Hubert Damish dans La peinture en écharpe (5)
Mais Delacroix n’ignorait pas que la photographie s’inscrivait dans l’esprit de ses contemporains en concurrente de la peinture. Selon Gaston Tissandier qui rapporte l’anecdote dans Les Merveilles de la photographie, Paris, 1874, p. 62 : « Paul Delaroche a vu Daguerre, il lui a arraché des mains une plaque impressionnée par la lumière. Il la montre partout en s’écriant : “La peinture est morte à dater de ce jour”. » Même si la phrase ne fut probablement pas prononcée telle quelle, elle reflète une inquiétude répandue dans les milieux artistiques dès 1839.
Mais la montagne résiste à sa représentation, il écrit à Frédéric Villot, le 5 août 1845 : « J’admire par moments mais je ne peux rien en faire. D’abord le gigantesque de tout cela déconcerte. Il n’y a pas de papier assez grand pour donner l’idée des masses et les détails sont si nombreux qu’il n’est pas de patience qui puisse en triompher. »
Le peintre retient deux points de résistance, le rapport de taille et par conséquence la taille du carnet (12,5×20,3) inappropriée, à ce premier point technique s’ajoute le temps, non pas du séjour mais d’exécution pour restituer les détails. La patience la plus extrême n’y suffirait pas.
La photographie permettra de dépasser ces deux obstacles. La taille des chambres photographiques emportées pour les prises de vue montagnardes autorisent de grands tirages avec un luxe de détails que le progrès des optiques rend avec précision. Mais à cette même époque les photographes utilisent le collodion humide. Ils doivent emporter un laboratoire ambulant pour le développement des plaques sur place. Les photographes se devaient d’être tout à la fois de solide montagnard et des photographes motivés car ils partaient en expédition avec environ deux cent cinquante kilos de matériel.
» Une photographie est toujours plus saisissante qu’une description, si complète et si détaillée qu’elle soit : elle apporte au débat un témoignage d’une valeur incontestable ; fixe l’histoire si intéressante des torrents et des travaux de toute sorte qu’on y exécute ; fournit le moyen de conserver la physionomie vraie de la montagne aux diverses phases de sa restauration. » écrivent Fabien Benardeau et Henri Labbé, dans leur Notice sur le rôle et l’emploi de la photographie dans le service du reboisement, en 1886.
L’histoire de la photographie pyrénéenne a retenu le nom de Paul Jeuffrain, qui en 1850 réalise le premier cliché à Cauterets. Mais cette première image n’a pas été conservée. Ce sera donc à un anglais installé à Pau, dès 1853, que reviendra le titre d’inventeur de la photographie dans les Pyrénées. Son nom : Farnham Maxwell-Lyte. Il a ouvert la voie à de nombreux photographes dont Eugène Trutat qui photographiera la montagne de 1880 à 1920.
Pyrénées, par Maxwell-Lyte, 1860
L’aquarelle et la photo constituent deux aide-mémoires , des « traces » qui permettront au peintre de s’y référer dans ses peintures.
Les carnets d’aquarelle ou de dessin requiert un temps de présence et d’observation long. Une présence sur le site et une habileté manuelle. Il s’agit moins dans l’usage actuel d’une réalisation artistique finalisée que d’aide-mémoires. De nombreux adeptes perpétuent cette tradition bien vivante malgré la déferlante de pratiques photographiques. On observe différentes variantes parmi les usagers de la prise de vues, du travail à la chambre photographique au smartphone en passant par toutes les déclinaisons de l’argentique au numérique. Le temps raccourci, le savoir-faire technique relayé par les automatismes offrent à tout un chacun le loisir de s’adonner sans limite à la photo « souvenir ». Quant aux références esthétiques, elles se résument soit à l’auto-référence soit à des emprunts aux codes de la peinture.
Denis Diderot s’interroge et répond à la question « Pourquoi une belle esquisse nous plaît-elle plus qu’un beau tableau? C’est qu’il y a plus de vie, moins de forme. A mesure qu’on introduit les formes, la vie disparaît… » Salon de 1767
Delacroix interrompt la rédaction de son Journal durant cette période, seuls les échanges épistolaires documentent son séjour.
(1) Eugène Delacroix- Carnet « des Pyrénées »- 2 volumes : fac-similé et étude de Marie-Pierre Salé sous coffret- Louvre éditions-2016
(2) in la Revue Pyrénées publie dans le n°268, octobre 2016 un article signé Jacques Le Gall : Quand Eugène Delacroix dessinait et peignait en vallée d’Ossau qui analyse la composition du carnet et éclaire le séjour de Delacroix avec des références érudites. A commander à : revue Pyrénées- B.P. 204 – 64002 Pau Cedex
(3) Alain Corbin, Histoire du silence : de la Renaissance à nos jours. éd Albin Michel 2016
(4) Perspective, 1 | 2015, 153-160.
(5) Hubert Damish- La peinture en écharpe. éd. Klincksieck 2010
La librairie Mazarine, présente jusqu’au 24 juin une exposition de Franck Ancel. Un projet multimédia qui s’ancre à la frontière franco-espagnole sur Cerbère et ses environs.
photo Denise Bellon
Duchamp et Kiesler
vue partielle accrochage
Ce territoire frontalier, qui dit frontière disait avant l’espace Schengen, contrebande et par conséquent chemins de montagne qui évitent les douanes.
vue Google map de Portbou
« En 1998, Franck Ancel découvre simultanément sur la frontière franco-espagnole l’hôtel le Belvédère du Rayon vert, à Cerbère, et Passages le monument de Dani Karavan à Portbou… »*
Hôtel Le Belvédère du rayon vert à Cerbère
Puis de rebond en écho, au fil des années le projet embarque Vila-Matas, Frédéric Kiesler, Marcel Duchamp et Walter Benjamin.
« En 2004, Franck Ancel lit dans Passages de Dani Karavan un extrait du Labyrinthe d’Odradek, de Vila-Matas. »*
Odradek est un mot que l’on trouve dans la nouvelle inachevée de Kafka Le souci du père de famille.
[Ce mot inventé a donné lieu a de multiples interprétations, il désigne à la fois une poupée et un prodige tombé du ciel, une mécanique de l’horreur et une étoile, une figure du disparate et un microcosme ; en somme, le modèle réduit de toutes les ambiguïtés d’échelle de l’imaginaire, car selon Walter Benjamin « Odradek est la forme que prennent les choses oubliées. »] Description issue de Liminaire.
Dani Karavan-Passages- photo Jaume Blassi
Ce projet généré par un lieu, des passages et des échos artistiques se matérialise sous la forme d’une application pour mobile : Chess-border, téléchargement gratuit sur l’App Store ou sur Google Play, en cinq langues. L’appli enrichit l’écoute sur le Vinyle, en vente à la librairie, d’extraits de la lecture du livre de Vila-Matas par Franck Ancel et d’une spirale sonore réalisée par Vincent Epplay à partir de sirènes.
capture écran de Chess-border
Chess-border, titre polysémique, joue sur les mots : jeu d’échec et frontière respectivement pour chess et border en anglais qui en mot composé désigne le plateau de jeu. Particulièrement soignée, l’appli permet d’appréhender la globalité de l’oeuvre grâce à une interface efficace. Le plus techno, un damier d’échec qui se modélise sur les Pyrénées en géolocalisation. Vous pourrez en profiter lors de la marche que nous vous proposons sur les pas de Walter Benjamin :
Parcours
depuis le hameau du Puig del Más. En grimpant dans les vignes, puis par d’anciens chemins en balcon, vous marcherez au milieu d’une végétation assez dense mais relativement rase. Suivre le balisage Jaune du « Sentier Walter Benjamin« , qui coïncide également avec un ancien chemin de contrebandiers et avec la Route Lister, jusqu’à la Tour de Querroig. Un chemin en balcon, après être passé sous la ligne à Haute-tension amène à la frontière franco-espagnole. Le retour depuis la Tour de Querroig se fait par un chemin de crête. le panorama est superbe.
Distance de Banyuls à Portbou : 14,45km, prévoir une durée de 5h30 en comptant une pause d’une heure. Le chemin culmine à 745m d’altitude.
A Portbou, une visite de l’immense gare s’impose avant de rejoindre le cimetière marin.
*extraits du texte au recto de la pochette du Vinyle en vente sur place – voir repro ci-dessous
Aux confins des Landes et du Pays Basque, Tarnos s’étend sur une zone littorale typiquement landaise. Le bleu de l’océan, la blondeur des dunes, le vert de la pinède, les trois couleurs de la palette Aquitaine. Mais prenez garde, regardez où vous mettez les pieds, ici le piéton libéré des contraintes de circulation déambule dans un espace naturel dont il ne soupçonne pas les fragiles richesses. Le cocktail : mer, plage, sable chaud et vacances tend à affranchir des contraintes au profit d’un usage ludique dénué de responsabilité.
L’estivant, le touriste de passage n’exonèrent toutefois pas le résident, le chasseur ou le promeneur du dimanche de ses responsabilités. Le risque anthropique sur un site fragile ne différencie pas les piétinements, il les subit.
Le pied tond ce qu’il foule. Et l’été la foule des estivants envahit ces espaces fragiles que sont les dunes dont le dénuement apparent abrite des espèces rares tant florales qu’animales.
A Tarnos, une vaste zone classée Natura 2000 mixe la plage du Métro réputée pour le surf, une ancienne piste d’aviation et des exclos dédiés à l’étude et à la préservation des espèces. Le toponyme Métro est lié à l’implantation en 1938 d’un centre de vacances réservé aux enfants des employés du métro parisien.
photo d’archives-DR
En 1938, lorsque s’implante le centre de vacances réservé aux enfants des employés du métro parisien, on ne parle pas de la plage du Métro qui n’existera qu’à partir de 1977. Durant la guerre civile espagnole, la commune de Tarnos accueille 150 réfugiés qui sont hébergés dans les locaux de la colonie de vacances du Métro. Il s’agit de l’exode vers la France, connu sous le nom de Retirada. Le centre fermera définitivement le 30 juin 1939. Les réfugiés seront alors transférés vers d’autres camps.
Les colonies de la RATP ont cessé depuis 1995. Tarnos a repris sa part de gestion du littoral, coincé entre un champ de tir hérité de Napoléon III, le port industriel géré par Bayonne, et une zone naturelle classée Natura 2000 depuis 1998. « Cela a été une longue bataille dans les années 80, résume Jacques Vigne, historien local. Il a d’abord fallu se battre pour chasser les entreprises qui venaient extraire du sable de la plage pour en faire des parpaings ! » selon les propos rapportés par Emma Sain-Genez dans un article paru en 2010 dans le quotidien local Sud-Ouest
Ici, plus particulièrement, le biotope reste fragile : érosion naturelle et érosion anthropique se conjuguent souvent, menaçant la dune du Métro, alors que la ligne littorale relativement stable bénéficie des effets de la digue. Concernant la dune, il est donc urgent d’agir et, bien avant le Grenelle de l’Environnement, l’Office National des Forêts, fondé en 1966, soucieux de préserver les écosystèmes, se préoccupe à la fois de fixer et de protéger le cordon dunaire qui ourle le massif forestier.
document ONF
Cette protection implique l’information de la population locale déjà sensibilisée par le classement, en 1969, des zones humides du secteur comme site inscrit sous l’appellation « Étangs landais sud ». Quelque 206 ha font en effet déjà l’objet d’un inventaire ZNIEFF (Zones Naturelles d’Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique) qui a pour objectif, depuis 1982, d’identifier et de décrire des secteurs présentant de fortes capacités biologiques et un bon état de conservation. Un site d’intérêt majeur qui, compte tenu de ces éléments, entre tout naturellement dans le réseau Natura 2000 en 2003 et en ZSC (Zones Spéciales de Conservation) visant la conservation des types d’habitats et des espèces animales et végétales en 2006.
La dune c’est du sel, du sable, du vent, des amplitudes hygrométriques et thermiques importantes et des activités anthropiques sur un sol pauvre. Malgré ces difficultés de nombreuses espèces s’y sont implantées. La flore et la faune se répartissent en bandes parallèles à la côte, en fonction des variations des conditions liées à la plus ou moins grande distance de l’océan.
Cette imbrication de zones publiques et d’espaces protégés s’impose d’emblée aux regards des personnes fréquentant ces lieux. De nombreux panneaux affichent des messages pédagogiques ou des interdictions.
Le piétinement détruit les plantes qui fixent le sable : la circulation est donc interdite sur la dune aux piétons, chevaux et engins motorisés.
La prolifération de ces panneaux, dont certains particulièrement vétustes, signe la difficulté pour les responsables de maîtriser un périmètre sur lequel se côtoient vacanciers, promeneurs locaux, chasseurs, animaux domestiques et sauvages sur un sol sablonneux parsemé d’une flore mélangeant espèces invasives et espèces fragiles.
Car fouler du pied entraîne des conséquences, ici le pied écrase. Il suffit de regarder la dune pour constater que rares sont les espaces sans empreintes de pas. On a du mal à imaginer que le piétinement soit aussi important, comme si une foule gigantesque avait marché sur la dune sans épargner le moindre recoin. Probablement qu’aux pas des bipèdes que nous sommes, il faut ajouter les lapins, les chiens et autres quadrupèdes ainsi que les oiseaux, chacun laisse une empreinte dont le sable garde la mémoire.
La végétation végète, les pas détruisent des espèces au profit d’autres. Les plus fragiles disparaissent à force d’écrasement. Alors que les vents, les vêtements, les semelles sèment des variétés invasives qui supplantent les plantes locales. La flore strictement dunaire est constituée, dans le sud des Landes, d’une quarantaine d’espèces. 8 d’entre-elles sont endémiques, 12 sont protégées sur le plan national, plusieurs sont en cours de protection au niveau régional, dont le Lis mathiole -espèce régionale actuellement protégée-et le Silène de thore – une espèce endémique non protégée.
Tarnos- Lis Matthiole-Pancratum maritimum-dont les feuilles ont été affectées par le gel
Tarnos-Immortelle des sables-Helicrysum stoechas
Tarnos-Herbe de la pampa -Cortaderia selloana
Tarnos-Ajonc d’Europe -Ulex europaeus- nanifié par le sel et le vent
Brande séchée
zone à Immortelles des sables, avec une couverture Bryo-lichénique (mousses et lichens) ; la mousse la mieux représentée semble être Tortula ruraliformis.
Les espèces adventices représentent au milieu de la flore autochtone, un élément perturbateur, d’autant que des espèces invasives comme l’herbe de la pampa supplantent rapidement les espèces indigènes. Concernant les invasives, le Baccharis et surtout le Séneçon du Cap (et Herbes de la Pampa) constituent une problématique majeure à Tarnos, qui amène à engager de coûteuses actions.
L’amensalisme est une interaction biologique entre plusieurs partenaires dans laquelle l’interaction se révèle négative en termes de valeur sélective pour l’un des partenaires alors qu’elle est neutre pour l’autre partenaire.
Le piétinement des dunes participe du principe de l’amensalisme. En effet, il induit un coût important pour les espèces indigènes qui disparaissent quand elles sont sensibles au piétinement, alors que ce dernier n’implique ni coût, ni bénéfice pour l’humain qui piétine. Cette interaction a des implications importantes car elle induit une substitution d’espèces. En effet, des plantes sont remplacées par d’autres qui résistent mieux au piétinement.
Les humains entretiennent aussi des relations amensales avec de nombreuses espèces animales ou végétales. Ces dernières peuvent souffrir d’une ou plusieurs activités humaines, telles que la pollution des dunes par les détritus divers abandonnés sur place ou portés par le vent. A l’inverse les vestiges de constructions fournissent un habita à des espèces rares. En effet, certains écosystèmes ont été entièrement créés par l’homme à l’instar de la forêt landaise qui sert d’habitat à une biodiversité sauvage.
On notera dans la partie forestière la présence du chêne-liège, que l’on rencontre également au sein des buissons pré-forestiers. Là, règnent également les aubépines, les troënes, les brandes, mais aussi la Salsepareille d’Europe , connu sous le nom familier de« Herbe aux schtroumpfs ». Elle est associée au chêne-liège, créant avec ses hôtes supports, un véritable enchevêtrement. C’est un sous-arbrisseau lianescent, très rameux qui s’agrippe au moyen de vrilles sur les rameaux des arbustes et arbrisseaux. Elle participe à l’aspect dense des buissons.
En forêt, Le piétinement compacte les sols, détruit la végétation et empêche la repousse de la forêt. Évitez donc de quitter les sentiers : le réseau dense de chemins, et routes forestières fermées à la circulation des voitures, vous permettent largement d’arpenter la forêt.
Les interactions entre végétaux, animaux et hommes s’expriment sur les dunes avec une acuité particulière. La fragilité d’un milieu dont la granularité du sol le rend sensible aux effets de piétinement, mais aussi aux événements éoliens, conjugués à la pauvreté d’une surface découverte offerte aux éléments météorologiques brutaux constituent autant de facteurs de développement pour des formes de vie extrême.
Les exclos protègent les terrains du piétinement pour que les plantes endogènes se développent ou que des semis soient protégés. L’isolement des parcelles découpe la dune en clos entre lesquelles les promeneurs peuvent cheminer. Une clôture type grillage à moutons protège ces exclos des perturbations anthropiques.
Chaque exclos a une surface plus ou moins rectangulaire :
-Tarnos nord: 70 x 80m = 5600m²
-Tarnos sud: 145 x 60m = 8700m²
pour le site de Tarnos [ces expérimentations] ont permis de montrer des effets positifs des exclos sur les populations végétales par une augmentation générale du recouvrement du sable nu:
-des espèces nouvelles en particulier des annuelles et vivaces géophytes ont été recensées sur le protocole de suivi,
-des espèces des dunes semi-fixées à fixées présentent une bonne vitalité (nombreuses plantules) et participent à la fixation du sable nu et à la restauration de la végétation de dune grise tandis que les espèces de dunes mobiles tendent à être remplacées.
-développement et restauration des habitats d’espèces d’intérêt patrimonial (Alyssum loiseleuri, Dianthus gallicus, Silene portensis, Solidao virgaurea macrocarpa…)
Cependant, la végétation de dune grise continue de subir de nombreuses perturbations comme la fréquentation humaine (piétinement, arrachage de piquets-repères) mais elle est également soumise à des apports de sable (faible et récurrent), et à l’action du lapin.
Les dégradations anthropiques posent des problèmes de suivi de la végétation sur le protocole (Transects et Stations) en particulier pour l’exclos de Tarnos Métro …
Raphaël Jun – ONF – Révison DOCOB Dunes Landes- octobre 2012
L’ancienne piste d’aviation de Turbomeca fait l’objet d’une renaturalistion afin qu’elle soit à terme ensablée. La piste n’est pas immédiatement décelable, elle affleure par endroit. Le tarmac a fait l’objet de destructions partielles pour empêcher l’accès et l’installation de véhicules de type caravane ou mobil home. La piste, ainsi que les blockhaus fournissent des abris à quelques animaux dont des lézards ocellés, espèce protégée qui interdit la destruction de leur habitat.
document ONF
Photos Patrick Laforet – sauf autres mentions
Merci au spécialiste de l’écologie des dunes et des milieux naturels, Gilles Granereau, chargé de mission Natura 2000 à l’agence ONF LNA (Landes nord-aquitaine), pour son aide précieuse.
La publication du n°30 de la revue « Les carnets du paysage » dédié à John Brinckerhoff Jackson a précédé l’ouverture de l’exposition « Notes sur l’asphalte, une Amérique mobile et précaire, 1950-1990 » au Pavillon Populaire, à Montpellier.
L’exposition présente près de deux cents photographies de six chercheurs américains dont la réputation scientifique, dans les domaines de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage, est acquise sur le continent américain : Richard Longstreth, Donald Appleyard, Chester Liebs, John Brinckerhoff Jackson, Allan Jacobs et David Lowenthal. De 1950 et 1990, ils ont parcouru les routes des Etats-Unis et immortalisé les paysages urbains ou ruraux.
John Brinckerhoff Jackson (1909-1996), historien et théoricien du paysage américain, se définissait lui-même comme « une sorte de touriste professionnel », explorant les territoires. Bien que né à Dinard et élevé principalement en Europe, ce personnage majeur de l’étude des paysages n’avait pas en France la notoriété attachée à son nom.
Ses conceptions des paysages et ses approches sur le terrain ne correspondaient en rien aux pratiques et traditions universitaires. Il avait fondé et dirigé pendant 17 ans la revue « Landscape » qui publia les textes du gotha de l’architecture et de l’urbanisme. Bien qu’enseignant dans de prestigieuses universités américaines, l’homme se considérait comme un amateur éclairé. Motard, il parcourait les contrées pour y photographier en ektachrome les signaux faibles de la présence humaine et les impacts de la mobilité humaine. Auteur de quelques 5000 photos documentant ses recherches, il utilisait la photo comme note, même si parfois il dessinait les paysages qu’il observait avec une acuité rare.
John B. Jackson plaçait ses observations sous le régime des « sceneries » et de « l’hodologie » plutôt que des « landscapes » et « walkscapes ».
Il insiste dans ses notes sur ces choix. Le paysage est ce qui est produit quand une société entreprend de modifier son environnement à des fins de survie ; alors que scenery désigne ce que nous allons voir et apprécier.
Gilles Deleuze, dans son cours sur la Vérité et le temps, s’interroge pour répondre par une synthèse performante « Qu’est qu’un espace hodologique ? C’est un espace vécu, dynamique, défini par des chemins – d’où son nom – des buts, des obstacles ou des résistances, des retours, bref, par une distribution de centres de forces. » c’est ce qui caractérise l’approche de Jackson, les tensions humaines et les interactions avec les lieux. Il préférait se préoccuper des similarités que des différences.
Abondamment illustré, Les carnets du paysage brossent le portrait d’une vie multiple. Photographe au talent affirmé, Jackson compose les scènes en centrant son sujet, il ne descendait pas de toujours de moto pour saisir rapidement des images d’une réflexion in situ dont on repère les spécificités dans des corpus photographiques ultérieurs. Les textes de son ami Chris Wilson, de Gilles A. Tigerghien et de Jordi Balesta expliquent ce qui singularise la démarche de Jackson. Ces conférences clefs sur paysage et environnement, paysage habité et hodologie offrent aux lecteurs un aperçu des réflexions qui allaient ouvrir la voie aux landscape studies.
J. B. Jackson. Chapel of San Antonio de Cieneguilla in La Cienega-New Mexico-1982
Pour les lecteurs qui s’intéressent à la pratique photographique de Jackson, ils devront se reporter au texte de Jordi Ballesta, spécialiste de l’œuvre photographique de Jackson, par ailleurs co-commissaire de l’exposition de Montpellier avec Camille Fallet, publié dans la revue L’Espace géographique 2016/3, sous l’intitulé « John Brinckerhoff Jackson, au sein des paysages ordinaires. Recherches de terrain et pratiques photographiques amateurs. »
Fondée en 2010, la Biennale de Belleville est le fruit d’une rencontre entre ce quartier de l’Est
parisien et un groupe de commissaires, de critiques d’art et d’artistes.
Jouant sur l’absence de lieu central pour en faire un de ses points de force, la Biennale de
Belleville se déploie du Pavillon carré de Baudouin au belvédère de la rue Piat, de la rue de
Belleville pour s’étirer davantage vers l’Est de Paris.
Reposant sur un principe de mixité des lieux et de variété des interventions, la Biennale allie
ainsi performances déambulatoires et expositions collectives.
Depuis deux éditions, la Biennale de Belleville dessine de nouveaux itinéraires et met en
place des manières originales d’appréhender l’art contemporain.
A cette occasion DéMarches proposera Hors-Circuits, un walkscape urbain de Pantin au Bourget en passant par Bobigny.
WalkScape proposé parl’association DéMarches Auteurs : Clayssen/Laforet Biennale de Belleville / Septembre –octobre 2014
Les territoires actuels sont inventés : ils sont exhumés et créés, dans un même mouvement, dans la foulée. C’est en ce sens que traverser ces espaces aboutit aussi à les produire. : il n’y a pas de regard à l’état sauvage qui permette de les saisir à nu, mais une intrication du donné et du projeté, du donné et du plaqué, du déjà là et du fabriqué, de la découverte et de la production, et par conséquent de la traversée des territoires actuels et de leur création. La traversée est invention. Thierry Davila in Marcher, Créer.
Deux météorites mondialisées du milieu artistique international sont tombées au beau milieu du chaos de la banlieue parisienne, les galeries Thaddaeus Ropac à Pantin et Gagosian au Bourget. Deux objets culturels sortis de leur contexte habituel, il était intéressant de voir ce qu’il y a dans l’interstice, de parcourir le territoire entre les deux cratères, d’examiner quel lien peut exister à la fois entre les deux et au milieu des deux. Voyage donc dans l’entre-deux, quel paysage s’y déploie, y a t il quelque chose à voir ou rien ou si peu ? Quels signaux faibles, où en est l’entropie dans ce hors-circuit, quel paysage peut-on construire sur ce vide, cette absence de mythe, cette vacance de la Disneylisation millimétrée du monde ?
Hors-circuits – temps de parcours et infos déplacement
0’00 ‘’ Galerie Thaddaeus Ropac, Avenue Général Leclerc, Pantin 1
6’30’’ Château d’eau, entrée du cimetière (urinoir à gauche de l’entrée)
Ensuite prendre Av. des Platanes (vers les cyprès) puis à droite
26’00’’ Avenue de la Zone à gauche
Sortie à droite Avenue Jean-Jaurès
Fort d’Aubervilliers
Zingaro (métro)
38’45’’ à droite sur le parking, Avenue de la Division Leclerc
57’50’’ Parc Départemental des sports de Paris Seine St Denis
(urinoir dans bâtiment à gauche de l’entrée)
1h00’ Sortie Parc des sports prendre à droite promenade Django Reinhardt tout droit jusqu’à la rue de l’Etoile.
Dans la rue de l’Etoile prendre la 1ère rue à droite, rue de l’Amicale qui longe l’arrière du terrain de l’ancienne gare de Bobigny jusqu’à la rue Gustave Moreau sur la droite (Chapelle de l’Etoile)
1h22’ Emprunter le pont routier
1h30’ Carrefour Repiquet (champ de pierres )
Traverser le terrain de jeux,
Sortie à gauche vers tunnel de Bobigny sortie n°221
1h42’30’’ traverser vers la gauche dans l’axe de la passerelle Julian Grimau prendre le tunnel pour sortir à gauche rue Diderot
2h00’’ Mur de soutènement en pierres sous grillages
Retourner vers la passerelle Julian Grimau
Suivre la rue Julian Grimau au bout tourner à gauche rue de la Courneuve puis à droite rue Jean-Pierre Timbaud (panneau Drancy à gauche)
Prendre à droite l’Avenue Vaillant Couturier (temple indien sur le trottoir de gauche en allant vers Le Bourget).
2h30’ commune du Bourget (sur la droite l’ancien cinéma Aviatic)
Suivre l’avenue de la Division Leclerc
Passer au-dessus de l’autoroute et prendre à gauche le long des bâtiments de la zone aéroportuaire
3h10’ Aéroport du Bourget (Musée de l’air et de l’espace)
Sortir pour traverser la nationale
vers la Cité Germain Dorel, au Blanc Mesnil
Puis retour le long des pistes jusqu’à la rue de Stockholm vers la Galerie Larry Gagosian 2
3h45 Fin du parcours
Retour vers Paris arrêt bus n° 350 devant l’aéroport
Les points de vue sont les aspérités remarquables du paysage créé par le walkscape. Ouvrages, bâtiments, végétation, curiosités, ce sont eux qui donnent le La, la couleur du parcours et sa tonalité, le rythme et la structure des récits engendrés par la marche.
15Km entre les galeries Ropac et Gagosian en milieu urbain de basse densité
Un parcours d’environ 15 Km avec un départ à Pantin, au pied de la galerie Thaddaeus Ropac, autour de la station de métro Quatre Chemins, vaste hangar sophistiqué, en direction de l’aéroport du Bourget, au milieu des friches industrielles plus ou moins reconverties, d’un grand cimetière, de parkings sauvages, de jardins ouvriers, d’une cité perdue mais classée, des fantômes de la Shoah, de zones de transit et d’un ouvrage d’art autoroutier sans égal, de temples colorés enfouis dans la jungle urbaine, de pistes d’envol, d’une autre cité oubliée dans les plis de l’histoire et pour finir dans la re-visitation industrielle précieuse de la galerie Gagosian en lisière de l’aéroport.
« Lisières & Climats de Bourgogne », un parcours dans un vignoble d’exception. Démarches a été sollicité par Bernard Utudjian, directeur de la Galerie Polaris et initiateur d’un événement dont l’intitulé « Une partie de campagne » évoquera Guy de Maupassant pour les lecteurs, Jean Renoir pour les cinéphiles et pour les galeristes et collectionneurs, une invitation estivale. Un événement que l’on rejoint en se déplaçant dans des lieux qui bien que éloignés du Marais parisien doivent disposer au moins d’une galerie et d’espaces disponibles pour accueillir des expositions à la demande d’un commanditaire sur place.
« Une partie de campagne » est l’occasion de découvrir en présence des galeristes et des artistes des œuvres inédites. Après la Bretagne -Locquirec et St Briac, l’Aquitaine -St Emilion, cette année sera bourguignonne. Châteaux, Domaines, caveau, salle du Conseil Municipal de Chassagne-Montrachet accueilleront les expositions le temps d’un weekend avec un objectif : partir à la découverte de la création contemporaine entre professionnels, collectionneurs, amateurs et curieux de l’art, dans un cadre dont le savoir-faire a conduit le vignoble à la reconnaissance internationale de l’UNESCO. Une occasion de visiter aussi les oeuvres de l’antenne du FRAC-Bourgogne à Chagny.
Jacques Clayssen et Patrick Laforet, auteurs de parcours, ont été invités par Bernard Utudjian à proposer une marche de type walkscape (la marche comme pratique esthétique) entre Chassagne-Montrachet et Chagny. Marcher sur une terre qui vaut de l’or, entre des vignes qui produisent les nectars les plus précieux, voilà la commande confiée à l’association Démarches.
Un walkscape associé à un parcours d’art contemporain à suivre du 11 au 12 juin à Chassagne-Montrachet.
Démarrage du walkscape, départ de la fameuse galerie Thadhaeus Ropac, repaire des collectionneurs mondiaux de l’art, luxe, calme et volupté. Ensuite poursuite dans le rien de la banlieue, détails, petits signes, déréliction parfois, surprises affectueuses, parkings, cartes, tags partout, jusqu’aux champs de pierres conceptuels du rond-point Riquet.
Suite du parcours. Le Rien s’étend et parfois se rétrécit. Des jeux, du végétal, de la chapelle, des tags encore et partout jusqu’à la démesure pharaonique du tunnel de Bobigny, passage au-dessus des voies ferrées, mauvaise ambiance, spectres blancs de la Shoa à drancy, temple millénaire et arrivée à l’aéroport du Bourget.
L’association Démarches propose deux walkscapes dont l’intitulé « Promenade » définit littéralement le lieu de marche : la promenade Victor Mendiboure à Anglet. Cette promenade fréquentée par une importante population composée de locaux, de joggeurs et de nombreux touristes dont le flux continue ne tarit jamais, en période estivale. En empruntant ce parcours quasi rectiligne défini par les aménageurs, nous pourrons vérifier la problématique pointée par Alain Corbin, suivant laquelle : Le paysage n’existe pas en lui-même. Il résulte d’une lecture comme tout système d’appréciation. Mais le véritable problème se situe entre l’éprouvé et le dit. In entretien entre Alain Corbin et Véronique Nahoum-Grappe publié dans la revue La Mètis, que dirigeait alors Maryline Desbiolles (nº 1 « Le Littoral », janvier 1990).
Sur cette Promenade balisée le marcheur emprunte une voie aménagée dont les revêtements varient suivant les époques au gré des restaurations et des initiatives visant à séduire le marcheur en installant, par exemple, des promontoires surplombant la plage.
Cheminant entre les verts des plantations, des pelouses et du green du golf d’un côté et les différentes qualités de sable, d’or fin à l’ocre des graviers de l’autre côté avant que l’océan n’ajoute sa palette aux marées. La Promenade s’immisce entre ces ambiances colorées mettant le marcheur sur une lisière neutre. Le terrain de la marche appartient à l’espace aménagé, celui que l’on appelle espace vert par opposition à la plage espace naturel vers l’océan.
Espace public desservant les plages, entrecoupé d’accès perpendiculaires reliant les plages et les parkings, dont un tunnel sous la dune, cette liaison entre La Barre et la Chambre d’Amour fonctionne comme axe de déplacement pédestre, lieu de déambulation.
A l’image des sentiers douaniers, la promenade épouse la ligne de côte ici quasi rectiligne.
Cette portion de côte porte les stigmates des erreurs d’aménagement et de l’érosion naturelle dont les traces effacées à la suite d’un cycle de construction/déconstruction/reconstruction gardent en mémoire les empreintes du passé.
Ces témoignages d’une histoire mouvementée se lisent dans des signes généralement faibles pour un observateur non-averti. Le touriste de passage ne percevra rien de ce passé. Le vacancier fidèle à la station pourra noter les indices les plus visibles de mutation du paysage. Les autochtones gardent le souvenir des événements les plus marquants de leur vivant.
Les histoires littorales placent en premier les événements naturels. Les phénomènes liés aux érosions éoliennes et marines et aux tempêtes. Le réchauffement climatique favorise probablement la fréquence et la puissance des phénomènes météorologiques. La liste des noms des principales tempêtes qui ont sévi sur le littoral aquitain marquent autant d’épisodes violents : « Klaus », « Lothar », « Martin », « Xynthia », « Dirk », « Hercules », « Petra », « Qumeira », « Ruth », « Ulla », « Christine », « Ruzica », « Susanna ». A la suite de quoi, le littoral aquitain, qui était sur un recul de 3 à 6 mètres par an, a perdu 20 mètres en un mois et demi en 2014.
Anglet, station balnéaire du Pays Basque, au bout de la Côte d’Argent, dans le golfe de Gascogne. Connue des surfeurs pour la variété de ses vagues, Anglet est surnommée « la petite Californie ».
La promenade pédestre de 4,5 km, en front de mer, longe les 11 plages d’Anglet, de la Chambre d’Amour à La Barre.
Sans difficulté particulière, la promenade Mendiboure est équipée de bancs, de points d’eau, de toilettes gratuites. Elle est jalonnée de nombreux lieux de restauration et rafraîchissement. Un balisage piéton éclaire les promeneurs le soir.
Le point départ se situe sur la plate-forme d’observation du Parc écologique Izadia
La ligne 10 dessert toutes les plages d’Anglet, de La Barre à la Chambre d’Amour. Une fréquence plus importante sera instaurée pour la période estivale.
Incendie à Anglet, jeudi 30 juillet 2020, dans la forêt de Chiberta.
Attisé par le vent l’incendie s’est déclaré vers 18 heures dans la forêt de Chiberta à Anglet, une zone boisée de 250 hectares. Des dizaines d’habitations ont été évacuées. 165 d’hectares de pinède ont brûlé et les flammes ont atteint le parc écologique Izadia.
Situé à l’embouchure du fleuve Adour, ce parc de 14 hectares qui « recèle les derniers vestiges des milieux arrière dunaires du littoral sableux angloy » et abrite plusieurs espèces végétales et animales avait été restauré au début des années 2000. Il accueillait depuis une dizaine d’années le public pour des visites pédagogiques.
Extrait de La République des Pyrénées, publié le 20 août 2020 in La République des Pyrénées
Claude Olive, maire d’Anglet, veut désormais se tourner vers l’avenir.
Evoquant le parc Izadia, détruit par les flammes, l’élu angloy indique que « Nous régénérerons Izadia, sans rien soustraire de ses spécificités, de sa richesse florale et animale, de ses exigences environnementales. Nous doterons ce parc d’un nouvel édifice, qui sera un signal d’intégration au paysage, en même temps qu’un exemple vivant des nouvelles techniques de construction durables, d’expérimentation de procédés innovants. Nous ferons d’Izadia une référence, un témoignage de notre engagement écologique. »
« Nous mobiliserons les compétences, nous trouverons les financements, nous convaincrons les partenaires, parce que nous défendons un bien commun ancré dans notre histoire et notre capital paysager. L’accablement sera passager, le besoin d’action et de réussite nous fera relever la tête, la perspective d’un enjeu essentiel nous galvanisera, la fierté d’être des Angloys actifs et volontaires sera notre guide pour gagner ce nouveau pari. Ensemble nous ferons à nouveau briller notre devise « Mar e Pignada per m’aida » » indique enfin Claude Olive.
Seeing is forgetting the name of the thing one sees [Voir, c’est oublié le nom de ce que l’on voit]. Robert Irwin
Proposition de lecture de cette portion de côte à travers des affinités, des contiguïtés visuelles, des proximités évocatrices. Lors de la Promenade, des formes repérables évoquent pour les promeneurs avertis des similitudes avec des références artistiques. Reste aussi, comme nous le verrons, les traces d’une intervention artistique ayant eu lieu lors de précédentes biennales.
Des équivalences visuelles…
avec l’Art Minimal…
Les digues, les jetées, les épis en rochers d’ophite de Souraïde et Ainhoa ou en blocs de béton laitier tentent d’opposer à l’océan leur inertie d’enrochement lourd. Ces brise-lames conçus pour résister aux éléments même déchaînés connaissent des fortunes diverses. Leurs énormes blocs basculent parfois dans la mer sous les coups de boutoir des vagues ou l’effet de la houle.
Les plages d’Anglet, délimitées par ces épis devenus parties prenantes de ce paysage littoral, composent avec ces avancées que les promeneurs empruntent à leurs risques et périls malgré les interdictions.
La tentation est grande d’avancer dans la mer, protégé par ces énormes blocs, pour aller outre mer. De là, un point de vue donnant la sensation d’être seul face aux éléments, avec la possibilité de laisser derrière soi la plage, de se situer à la proue du navire terre.
En focalisant l’attention sur les blocs nous découvrons un monde aux formes variées. Des rochers d’ophite taillés à la dynamite, dont les masses répondent aux exigences des calculs, aux blocs de béton rainurés aux formes étudiées pour résister à la houle. Ces cubes de béton rainurés, affichent un poids de 24 à 32 tonnes suivant les emplacements.
Sol LeWitt
Sol LeWitt
Sol LeWitt
Tony Smith
Rafael Soto
Robert Morris
Kader Attia
Si en géométrie l’hexaèdre est un polyèdre à 6 faces, il existe de multiple hexaèdre cependant il n’existe qu’un seul hexaèdre régulier: le cube. Il est un des 5 solides de Platon, composé de 6 faces, 12 arêtes et 8 sommets.
Objet mathématique en trois dimensions, le cube occupe une place majeure dans le domaine artistique. Figure caractéristique de l’Art Minimal, de nombreuses œuvres s’articulent autour du cube. De Sol LeWitt à Robert Morris en passant par Rafael Soto, Michelangelo Pistoletto, Eve Hesse et Tony Smith, ces artistes ont choisi de l’explorer sous différents aspects. Et la série des Rochers carrés de Kader Attia, prix Marcel Duchamp 2016.
et avec Daniel Buren
Les tentes rayées, mais il en est ainsi de beaucoup de rayures tant la prégnance d’une œuvre empruntant un motif de toiles a su s’imposer, ne manquent pas se rappeler comme des réminiscences de Daniel Buren.
Daniel Buren
Daniel Buren
Daniel Buren
Restes de l’œuvre de Claire Forgeot
L’épi de la plage du Club présente des roches aux couleurs passées. Les plus avertis et les habitués savent que ces peintures témoignent du travail de l’artiste Claire Forgeot lors de la 2ème Biennale en 2007. A l’origine l’artiste avait retenu des couleurs vives : rose fuchsia, rouge piment, jaune citron, vert chlorophylle, et du bleu marin qui ont résisté jusqu’à aujourd’hui, même si les couleurs sont « délavées ».
Le rocher support de peinture s’inscrit dans une longue tradition. Des sites népalais aux rochers peints, en 1984 par l’artiste belge Jean Vérame, dans le sud marocain, dispersés sur environ 5 km.
Pierre couverte de mantras peints à Syangboche
Jean Vérame
Ugo Rondinone
« Seven Magic Mountains », d’Ugo Rondinone est située à 20 minutes de Las Vegas, dans le désert du Nevada, cette oeuvre monumentale s’intègre au paysage désertique. Ces énormes rochers trouvés sur place sont peints et disposés en équilibre, plus ou moins précaire. Leur disposition apparaît soit alignée soit chaotique selon l’angle de vue.
Bunkers pour graffeurs
Les bunkers d’Anglet servent de support aux graffeurs, en production libre ou organisé par l’Udan Graffiti Jam. L’édition 2016 de l’UGJ a donné lieu à une œuvre sur l’enrochement.
Les lectures littorales se construisent pour chacun à travers ses propres références, alors que les œuvres des Biennales d’ Art Contemporain appartiennent aux propositions des commissaires. Saluons Anglet d’avoir opté pour une manifestation ambitieuse à l’écart des circuits traditionnels de l’art. Dans un contexte budgétaire tendu, ce choix exigeant de questionnement du monde par les artistes est à souligner. D’autant que l’époque semble incliner vers une fermeture des centres d’art et des élus imposant leurs goûts ou leurs intérêts.
Anglet recombine les éléments constitutifs de l’attractivité des stations balnéaires : visibilité sociale, effets thérapeutiques du littoral, architectures et urbanismes de loisir. Ici, la villégiature maritime a acquis ses lettres de noblesse par la présence de personnages illustres. Ensuite, la bourgeoisie a supplanté ses modèles pour devenir à son tour prescriptrice de conduites et de désirs populaires.
« La station sur le rivage plage, récif ou falaise, contact des vacuités de l’air et de l’eau, la saisie de ce ‘royaume du vide’ dont parle Virgile, cité par Chateaubriand engendre un faisceau d’émotions, de lectures du paysage, de schèmes rhétoriques et de pratiques sociales dont l’ensemble constitue ce qu’on appelle communément : la mer. » Extrait d’un texte d’Alain Corbin paru dans Aménagement et nature.
Alain Corbin a étudié, dans son livre Le territoire du vide, L’Occident et le désir du rivage, les perceptions, les appréciations et les émotions provoquées par le littoral à travers les époques. Il a inventorié les pratiques sociales et les représentations du milieu maritime, dernier espace commun de la planète, objet tout à la fois de fantasmes et de convoitises.
Je dis quoi, quand je dis littoral ?
La loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite loi « littoral », pose les principes de protection et de mise en valeur des espaces littoraux, des mers et grands lacs intérieurs, qui présentent des enjeux majeurs de protection de la nature et de maîtrise du développement, pour la France métropolitaine et l’outre-mer.
Puis, la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a instauré un Conseil National du Littoral (CNL). La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle 2 », a transformé le CNL en Conseil National de la Mer et des Littoraux (CNML).
La première définition effectuée par l’Etat concerne le domaine public maritime, selon l’ordonnance sur la marine de Colbert en 1681 précise : « Sera réputé bord et rivage de la mer tout ce qu’elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusqu’où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves ».
Le terme reste difficile à définir, qu’il s’agisse d’une « entité géographique » ou d’une « interface terre–mer ». Une présentation approfondie des problèmes posés permet d’en comprendre la complexité.
La promenade Victor Mendiboure
Promenade pédestre de 4,5 km, sur un site aménagé longeant le littoral. La promenade Victor Mendiboure, du nom d’un maire resté dans les mémoires pour ses qualités humaines et son ambition pour la commune durant son mandat qui se termine en 1992 après 21 ans d’exercice, est bordée d’un côté par l’océan et les 11 plages d’Anglet dont la plupart dispose de baraques de surf, de l’autre côté par des espaces verts aménagés et des équipements tels que le golf, l’Espace Océan et la thalasso. De La Barre à la Chambre d’Amour la vue, par beau temps, sur les Pyrénées s’impose au-delà du phare de Biarritz.
Le littoral, dernier front pionnier, constitue l’enjeu de toutes les convoitises et de toutes les pressions. Le tropisme littoral exacerbe les tensions entre les nécessités de préservation et les demandes d’occupation foncières.
La Littorale pour cette 6ème édition de la Biennale d’Anglet a choisi sous le commissariat de Paul Ardenne de présenter des œuvres d’artistes actuels qui envisagent le littoral sous ses aspects les plus actuels qu’ils soient géographiques, sociaux ou politiques.
Anglet entre souvenir et devenir
Le littoral angloy témoigne d’une histoire effacée. Les éléments naturels, tempêtes, érosion éolienne, courants marins, dérive littorale façonnent cette côte sableuse rectiligne. L’activité humaine, guerre, commerce, transports et loisirs ont impacté le paysage au fil du temps. Si la mer a modifié la ligne de côte la faisant inexorablement reculer, les aménageurs ont dû s’adapter pour composer en plus avec les effets des activités d’extraction de sable, des digues et des manques de crédit pour financer les importants travaux d’entretien et de clapage.
Une histoire littorale forcément mouvementée, au fond du golfe de Gascogne, la côte d’Argent a connu des épisodes violents, dont les événements climatiques, ont obligé à repenser les aménagements.
Les effets conjugués de la houle, du sable et du vent ont eu raison des équipements construits sur ce littoral depuis la plantation de la forêt de Chiberta au Second Empire.
Avant, c’était une autre histoire. Une histoire de culture maraîchère, de vignes et de barthes. L’Adour n’avait pas son embouchure à l’emplacement actuel, les terres agricoles alimentaient Bayonne et abreuvaient la région d’un vin de sable et d’un cidre localement réputés.
Les évolutions au fil du temps se jouent, comme le souligne le géographe Ronan Le Délézir, dans les équilibres entre ceux qui y vivent, ceux qui en vivent et ceux qui y viennent.
Les aménagements liés aux difficultés de construction en lisière du domaine maritime créent les conditions d’une évolution caractérisée par des soustractions dans les lieux les plus exposés. Cette interface entre la terre et la mer combine trois éléments l’atmosphère, l’hydrosphère et la lithosphère dont les actions conjuguées altèrent les matériaux et érodent végétaux et sols. D’autant que la salinité du milieu accroît les risques.
La promenade littorale raconte comment la complexité de cette lisière accentue la fragilité des équilibres. Ainsi aux activités premières que constituaient le maraîchage, la vigne et la pêche, qui ont façonné cette côte durant des siècles, a succédé une économie résidentielle. Si les effets de l’activité touristique profitent à l’économie littorale, le tourisme et les loisirs qui y sont associés induisent en retour un type de développement dont les méfaits doivent être au mieux corrigés au pire subi durablement.
Aujourd’hui, comme si ces difficultés ne suffisaient pas, on ne peut ignorer le changement climatique facteur aggravant qui va impacter durablement le littoral. Avec l’élévation du niveau de la mer, l’intensification des tempêtes et la dégradation des écosystèmes marins et côtiers les phénomènes de submersion marine et d’érosion côtière déjà particulièrement intense sur cette côte iront en s’amplifiant. Gageons que l’expérience acquise au fil du temps permettra de gérer avec soin un trait de côte exposé à des risques majeurs.
Une chronologie des lieux équipés pour les loisirs à succès par époque met à jour une succession de construction-destruction dont les motivations tiennent majoritairement aux événements climatiques et au milieu marin. Les destructions ou les dégradations conséquences des tempêtes imposent des démolitions permettant de substituer à un équipement en difficultés économiques de s’effacer au profit d’un édifice plus conforme à l’époque.
Napoléon III en finançant la forêt de Chiberta a modifié profondément l’économie. D’une part des activités liées à la forêt se sont développées, d’autre part l’entretien de l’embouchure artificielle de l’Adour nécessite encore aujourd’hui une importante activité de désensablage pour assurer l’activité du port de Bayonne.
A cette même époque, Biarritz attire une foule de célébrités dans le sillage du couple impérial. L’engouement de l’aristocratie pour ce nouveau loisir nommé tourisme nécessite des équipements nouveaux pour lesquels des travaux importants sont engagés. En 1854, l’Impératrice Eugénie et son époux mettent à la mode la Chambre d’Amour. De là, les plus aventureux des baigneurs succombent aux charmes des grands espaces et des plages sauvages du littoral angloy.
Une histoire documentée in situ
Les marcheurs curieux de connaître l’histoire du littoral angloy trouveront en différents lieux des panneaux historiques. Du parc Izadia à Belambra un ensemble de panneaux retracent la chronologie illustré des différents espaces. Cartes postales anciennes et documents d’archives présentent la mémoire de cette portion de côte. Cette abondante documentation prouve, outre le souci de satisfaire la curiosité des autochtones et des touristes, l’importance des transformations des aménagements et des équipements. On peut y lire l’histoire des loisirs dans les stations balnéaires à travers la diversité architecturale : tentatives de synthèse basco-arts déco (les villas, les établissements de bain, le golf), les nécessités du tourisme de masse (Belambra, les résidences de Sables d’Or) et le équipements de bien-être ( Atlanthal). Mais on y lira aussi l’impact des événements climatiques et des érosions qui ont bouleversé les aménagements de défense du littoral.
La côte d’argent
Commence pour cette portion de côte une histoire qui verra surgir successivement des anciennes barthes des équipements nécessitant d’importants travaux.
L’hippodrome
Aux chasses à courre dans la forêt de Chiberta vient s’ajouter en 1870 un premier hippodrome.
La création de l’hippodrome de la Barre est un pari audacieux. La société de courses, présidée par Alexis d’Arcangues, est fondée en 1869.
La guerre de 1870 retardera le projet, ce n’est qu’en 1873 qu’a lieu la première réunion de courses.
Le chantier est colossal, les comptes rendus de l’époque mentionne le remplacement de 200 000 mètres cubes de sable par 200 000 mètres cubes de terre adaptée. Les tribunes et la piste sont entourées de pelouses.
Les installations subiront les méfaits des tempêtes, en particulier le débordement de la mer du 9 janvier 1924. Il subira de gros dommages durant la Deuxième guerre mondiale. Il sera reconstruit partiellement. Dans les années 60 le premier karting en plein air ouvre sur le domaine de l’hippodrome ainsi qu’un tir aux pigeons. Les activités cesseront avec la fermeture à la fin des années 70 suivi dans les années 80 de sa destruction du site.
La patinoire est inaugurée en 1969 après les jeux olympiques de Grenoble. L’équipement passera sous gestion municipale en 1977.
Vestiges – Aujourd’hui reste le nom de la plage des Cavaliers baptisée ainsi en souvenir de l’hippodrome installé sur l’actuel emplacement des installations de la Maison de l’environnement-Parc écologique Izadia.
Le golf
En 1880, la création du golf de Biarritz installe quelques trous sur la commune d’Anglet. Il faudra attendre 1920 pour que la société Biarritz-Anglet-La Forêt se rende propriétaire des150 nouveaux hectares nécessaires à la création du golf de Chiberta.
En 1927, le célèbre architecte Tom Simpson s’installe face à l’Atlantique pour le plaisir du Duc de Windsor. De renommé internationale, il avait entre autres construit en France les golfs de Chantilly et de Fontainebleau en 1909. Dans son contrat, il était stipulé que Simpson devait créer le plus beau golf du monde ! A vous de juger.
La thalasso
En 1882 la France comptait un établissement de thalasso, en 1975 il y en avait 9, puis 35 en 90, 44 en 95. Aujourd’hui la France regroupe 52 centres de thalassothérapie dont une vingtaine a ouvert entre 1985 et 1991et la moitié de ces centres ont moins de 20 ans. Ces équipements représentent une capacité d’accueil d’environ 8 000 curistes par jour. Depuis 1994 le parc semble se stabiliser.
En France, c’est à partir de 1820 que démarre, importé d’Angleterre, l’engouement médical pour l’eau de mer. À Anglet, dès 1854, la mode des bains se développe…
La thalassothérapie moderne verra l’ouverture en 1989 du Centre Atlanthal bénéficiant de l’utilisation combinée des bienfaits du milieu marin qui comprend le climat marin, l’eau de mer, les boues marines, les algues, et autres substances extraites de la mer. Le Centre de thalassothérapie Atlanthal accorde un intérêt tout particulier à l’aspect sportif et à la remise en forme grâce à des équipements spécifiques.
L’aérodrome
A la Chambre d’Amour, un champ d’atterrissage doté d’une piste de 3, 5 km, sans obstacle autre que les dunes à l’Est, permettait aux pilotes de faire décoller leurs avions. En effet la manoeuvrabilité des appareils de l’époque autorisait le fonctionnement d’une telle installation. Toutes les conditions semblaient réunies pour que les liaisons avec Bordeaux, Santander et pourquoi pas Londres ouvrent aux touristes fortunés les accès à la Côte d’Argent.
Georges Guynemer, futur as de la première guerre mondiale, y découvrira sa vocation. Il résidait dans la villa Delphine voisine du terrain. Mais le projet d’un aéroport à Parme initié depuis longtemps se précisera avec l’acquisition des terrains. La réalisation de l’aéroport signa la fin de l’aérodrome qui fermera en 1922.
Vestiges – une partie du tarmac reste visible entre les herbes folles. Une végétation rase se développe derrière une clôture qui protège la zone contre le stationnement.
La Chambre d’Amour
La Chambre d’Amour, nom attribué à une grotte située en contrebas des falaises d’Aintzarte. Coordonnées GPS : lat. 43° 29′ 56″ – long. -1° 32′ 31″
La légende est née en pleine période romantique, au début du dix-neuvième siècle. « Dans les temps lointains, Laorens, pauvre et orphelin et Saubade, fille d’un riche cultivateur, s’aimaient. Ils se retrouvaient, en dépit de l’opposition paternelle, dans une grotte, face à l’immensité des vagues. Là, ils faisaient le serment de s’aimer jusqu’à la mort. Un beau jour, l’orage gronda dans le Golfe de Gascogne, et la mer, poussée par le vent du large, monta plus rapidement qu’à l’habitude, emportant les amants. On appela « Chambre d’Amour » la grotte fatale qui attire, aujourd’hui encore, amoureux et curieux. » (rapporté par E. De Jouy dans l’Hermite en province ou observations sur les moeurs ou les usages français au commencement du XIXe siècle.)
La légende contribua au succès du lieu. L’accès dangereux contribue à élargir la dénomination à la plage du même nom. Le nom suggestif assure le succès du lieu. L’imagination portée par le mythe favorisa les récits et l’évocation d’une plage favorisant les amours estivales.
Vestiges : Suite aux modifications des courants et des transferts de sable, la grotte est désormais à une centaine de mètres de la mer. Les aménagements des abords et la construction du VVF ont ôté au lieu sa discrétion.
Le mythe
La légende de la Chambre d’Amour
La légende est née en pleine période romantique, au début du dix-neuvième siècle. « Dans les temps lointains, Laorens, pauvre et orphelin et Saubade, fille d’un riche cultivateur, s’aimaient. Ils se retrouvaient, en dépit de l’opposition paternelle, dans une grotte, face à l’immensité des vagues. Là, ils faisaient le serment de s’aimer jusqu’à la mort. Un beau jour, l’orage gronda dans le Golfe de Gascogne, et la mer, poussée par le vent du large, monta plus rapidement qu’à l’habitude, emportant les amants. On appela « Chambre d’Amour » la grotte fatale qui attire, aujourd’hui encore, amoureux et curieux. » (rapporté par E. De Jouy dans l’Hermite en province ou observations sur les moeurs ou les usages français au commencement du XIXe siècle.)
Les établissements disparus
Dès 1884, un établissement de bains de 75 cabines est édifié par la ville. Il inaugurera la série de déboires liés à la proximité de la mer. En 1924 un raz de marée dévaste l’installation qui sera reconstruite trente mètres plus loin 4 ans plus tard. Cet établissement fonctionnera jusque dans les années 50.
Devant le succès des bains de mer, la municipalité décide en 1927 de la construction d’un bâtiment plus adapté. Les plans sont confiés aux architectes Anatole & Durruthy adeptes du style Art Déco, ils imaginent un bâtiment sur deux niveaux avec casino à l’étage.
En 1928, le projet définitif offre, sur 15000m², piscine et vaste salle des fêtes à la Chambre d’Amour. 2 ans plus tard des aménagements supplémentaires s’imposent pour offrir un bar, des salons particuliers et des cabines réservées aux célébrités de l’époque : la baronne de Rothschild, le maharadjah de Jasdan, le grand duc Dimitri, le roi et la reine d’Espagne, le prince de Galles, et Buster Keaton…
En 1957 et 58 un plongeoir en béton remplace le plongeoir initial en bois et 15 cabines sont ajoutées. En 1966 le mur de soutènement est consolidé une première fois, il sera endommagé lors des tempêtes de 1973 et 1975 ainsi que la piscine. En 1977, piscine, bar et cabines sont détruits. D’importants travaux de protection du littoral sont réalisés. Des épis et des jetés sont construits pour enrayer la montée de l’océan qui rogne le littoral.