Être là, quand ça marche ?

…l’homme est un animal qui marche, qui voyage. Il est avant tout homo viator.

Le terme Homo Viator signifie en latin « l’homme en chemin », ou tout simplement le pèlerin. Cette image est parfois utilisée en philosophie pour définir l’être humain comme un être toujours en devenir, « en route vers », tendu vers un idéal ou à la poursuite de ses désirs. Cf. Gabriel Marcel

… D’où mon idée de proposer à la communauté analytique le concept d’une nouvelle pulsion, la cinquième, la pulsion viatorique, celle-là même que le pédiatre vérifie à la naissance du bébé, en même temps que la succion, le réflexe de marche, support à venir de la pulsion viatorique et qui, à mes yeux représente la figure paradigmatique du désir humain. Gérard Haddad in Le voyage, figure du désir

Marche-performance- Rue de Lille

« Nous croyons penser avec notre cerveau. Moi, je pense avec mes pieds, c’est là seulement que je rencontre quelque chose de dur. »

Lacan J., « Conférence au Massachusetts Institute of Technology, 2 décembre 1975 », Scilicet 6/7, novembre 1976, p. 60.

Depuis le 5 de la rue de Lille, point de départ des participants réunis devant la plaque commémorative, les marcheurs portent soit un nœud papillon, un col roulé, une chemise blanche, suivant sa préférence.

Il portait alors des chemises ou des tuniques, sans col, sans cravate non plus ; et le nœud papillon qui avait surveillé mes premiers pas avait disparu depuis longtemps, remplacé par le col roulé, puis par ce type de col, ou d’absence de col, sur ce type de chemise blanche, aux boutons maintenant cachés… in Lacan, 5 rue de Lille. Jean-Guy Godin

Jacques Lacan apparaissait. Il était d’une élégance rare, habillé d’une chemise en soie rose et d’un complet gris, toujours avec un noeud papillon qu’il changeait souvent, chaussé de splendides mocassins noirs. Son abondante chevelure noire légèrement grisonnante rejetée en arrière. Aspects méconnus de Jacques Lacan in le blog de Roland Jaccard

Ceux qui auront opté pour le noeud papillon participent à un double hommage à la figure de Jacques Lacan. D’une part, il constitue un signe de reconnaissance autour d’un attribut vestimentaire qu’il a souvent porté ; d’autre part, dans son intervention au Congrès de Rome en 74, Lacan déclare : « Que ce soit ces ronds du noeud borroméen, ce n’est quand même pas une raison non plus pour nous y prendre le pied. Ce n’est pas ça que j’appelle penser avec ses pieds. » in La Troisième, il précise : « Si vous pouvez penser avec les peauciers du front, vous pouvez aussi penser avec les pieds. Eh bien, c’est là que je voudrais que ça entre – puisque, après tout, l’imaginaire, le symbolique et le réel, c’est fait pour que, ceux de cet attroupement qui me suivent, ça les aide à frayer le chemin de l’analyse. »

Bande-son

« … les craquements du parquet que la moquette n’arrivait plus à étouffer ; les pas vifs de Gloria, le clop-tchop-tchip-tchip des pas de Lacan. » témoignage de Jean-Guy Godin, in 5 rue de Lille

Les marcheurs entament la marche en file indienne sur le trottoir de gauche vers Orsay [ flèche bleue ]. Ceux qui le souhaitent peuvent dessiner un « nœud » avec leur trace GPS, pour d’obtenir cette trace, il conviendra de suivre un parcours précis. A mi-parcours, les marcheurs devront traverser la rue en ayant pris soin de dessiner une figure rectangulaire pour représenter le pont de fixation du nœud papillon [ carré vert ]. Ensuite les marcheurs reprendront leur marche en file indienne sur le trottoir de droite jusqu’à l’angle de la rue….

Le retour s’effectuera en sens inverse [ flèche noire  ] dans les mêmes conditions. Voir dessin ci-dessous :

1-Proposition « La Déambulation » rue de Lille

Le groupe se met en marche avec des variantes possibles :

  • Un pas de deux
  • Un pas d’eux deux
  • Un pas deux 2

Déambulation entre le n°1 et le n°31

Quelques éléments historiques concernant des adresses ayant un lien avec Jacques Lacan :

3. logement de Jacques Lacan

adresse indéfinie : L’écrivain et poète, chef de file du mouvement Dada, Tristan Tzara (1896-1963), habita et est mort ici.

5. cabinet de Jacques Lacan

8. restaurant La Calèche

19. (plaque) « Max Ernst, peintre, sculpteur, poète, né le 2 avril 1891 en Allemagne à Brühl, a vécu Dans cette maison de 1962 à sa mort le 1er avril 1976. »

immeuble dans lequel Christine Deviers-Joncour recevait Roland Dumas, qui y résidait souvent. comme en atteste de nombreux témoins de cette affaire connu sous le nom d’affaire Dumas.

D’autre part, le psychanalyste Daniel André, qui résidait au 19, rue de Lille, fut impliqué comme ami de Mme Deviers-Joncour

23 : Karl Marx y habita de novembre 1846 à mars 1847

­25. Association Lacanienne Internationale

2-Proposition « La Traversée « rue de Lille

A la séance courte, le parcours court s’impose comme expérience spatio-temporelle praticable dans des conditions permettant aux marcheurs de réaliser un parcours réduit.

Traversée entre le n°5 et le n° 8

Contexte :

« La rue de Lille – avec sa notoriété, Lacan avait annexé toute la rue – était très fréquentée – En outre sa clientèle multiple, une autre population la visitait pour des motifs mondains ou privés, l’entretien d’un commerce agréable ou simplement nécessaire. « 

In Jacques Lacan, 5 rue de Lille- Jean-Guy Godin.

Postures et déplacements

  • immobile face plaque commémorative sur le mur du n°5
  • rotation 180° -une fois par la droite, puis par la gauche à partir de la position initiale-
  • marche jusqu’au bord du trottoir
  • marche sur la chaussée en prenant l’axe (angle 45°) vers le n°8
  • arrêt au pied du trottoir
  • monter sur le trottoir
  • face vitrine restaurant La Calèche
  • rotation 180° -une fois par la droite, puis par la gauche à partir de la position initiale-
  • Porter son regard vers la plaque commémorative sur le mur du n°5

Le marcheur s’imprègne des lieux, nature des murs, des sols, de l’ambiance de la rue.

Il interroge le pourquoi de sa présence hic et nunc.

Marcher en se remémorant des éléments liés aux pratiques et usages de Lacan sur cette fraction de rue.

Le témoignage de Philippe Sollers

« je vais au 5, rue de Lille et je tombe sur l’adresse de Lacan, qui, on le sait, a exercé là, de 1940 à sa mort (en 1981), son très éprouvant métier de psychanalyste. Si le divan de Lacan pouvait parler, il mettrait en crise toute l’industrie romanesque et ses millions de livres pour rien. Cette adresse m’est familière. Bien que jamais allongé chez lui, c’est là que j’allais le chercher, certains soirs, pour dîner en sa compagnie à La Calèche, le restaurant d’en face. Le 5, c’était la promesse d’un plaisir. Mais le 5 rue de Lille (et c’est là que le temps se met à parler à voix basse) était aussi l’adresse d’un certain Darasse, le banquier d’Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, lorsqu’il venait toucher la pension que lui envoyait son père depuis Montevideo (Darasse était en affaires avec ce pays lointain). […] C’est au même banquier Darasse que Ducasse, le 12 mars 1870 (il meurt en novembre, à l’âge de 24 ans et demi, pendant le siège allemand de Paris), annonce que sa méthode a complètement changé après l’échec des Chants de Maldoror, pour dans Poésies I et II, donc) chanter exclusivement “l’espoir, l’espérance, le calme, le bonheur, le devoir”.»

Quand il sortait de son cabinet, après ses séances, vers 19 h 30, 20 heures, on allait en face de chez lui, dîner, comme ça, rapidement…

   Au restaurant La Calèche ?

   À La Calèche, c’est ça. On buvait du champagne rosé dont il m’arrosait très gentiment… Et là la conversation était libre, elle pouvait sauter d’un sujet à l’autre et c’était très agréable. Je crois que je le détendais.

Propos recueillis par Sophie Barrau, le 15 juin 2001 Lacan même, Navarin, 2005

Puis, dans un entretien avec Nathalie Crom en 2009 au Centre Pompidou, Sollers reformulera ses rencontres en ces termes :

Lacan, qui était un grand ami, habitait au 5, rue de Lille – juste à côté de chez Max Ernst. J’allais chez lui le chercher à la fin de la journée pour aller dîner juste en face, à La Calèche. Il poussait de grands soupirs : il avait entendu des conneries romanesques, c’est-à-dire névrotiques, toute la journée, et il n’en pouvait plus. C’est ainsi qu’il gagnait son argent, et il avait des billets plein les poches parce qu’il se faisait payer rigoureusement – drôle de type ! C’est très romanesque, la vie de Lacan. Les gens venaient chez lui payer en analyse ce qu’ils ne savaient pas qu’ils disaient, et moi, j’y allais pour avoir un dîner gratuit ; cela n’est-il pas romanesque ?

  • Roland Dumas qui s’était installé au 19, chez Christine Deviers-Joncour, relate avec gourmandise ses rendez-vous avec Lacan à La Calèche

Il m’invitait à déjeuner pour manger du caviar. Il me téléphonait vers midi et me demandait invariablement :

« Roland, que faites-vous pour le déjeuner? »

J’étais débordé par des dossiers urgents mais ne voulais manquer cette rencontre sous aucun prétexte. Je bredouillais :

« Rien de particulier.

Vous ne voudriez pas qu’on « se » mange une « p’tite boîte? »

Il habitait au 3 rue de Lille, et son cabinet était au 5. Une plaque, ainsi rédigée, rappelle au passant d’aujourd’hui que c’était l’adresse de son cabinet : « Jacques Lacan (1901-1981) pratiqua ici la psychanalyse de 1941 à sa mort. » Nous n’avions qu’à traverser la rue pour nous retrouver à La Calèche, un petit restaurant où il avait ses habitudes et sa table réservée au fond de l’établissement. Il passait, impérial, devant les convives qui faisaient mine de ne pas le reconnaître. On s’installait. Le serveur venait ou ne venait pas. Quand Lacan en avait assez d’attendre, il se mettait à pousser un hurlement qui mettait la salle en émoi. Le serveur arrivait affolé : « Tout de suite, monsieur le professeur! » Et de rappliquer en urgence avec excuses, caviar et vodka.

  • Julia Kristeva évoque aussi une rencontre avec Lacan à la Calèche

Nous avons dîné ensemble à la Calèche, son restaurant habituel, et s’est immédiatement installée entre nous une très forte proximité fondée sur un respect réciproque. A la sortie du restaurant Lacan m’a demandé quel était le prénom  de mon père. Je lui ai dit qu’il s’appelait Stoyan (variante bulgare de Stéphane), un « signifiant » dont mon père s’amusait à faire remonter l’étymologie à la racine latine « sto-stare » :  « il tient ». Lacan s’est arrêté, contempla quelques longues minutes la lune, et finit par me dire: «Je vois que cela tient ». Je me souviendrai toujours de son regard, curieux, enveloppant et très respectueux. Finalement, je n’ai jamais fait l’interview, mais les  échanges se sont poursuivis. 

  • Extrait de l’article consacré à Françoise Giroud, lors de la publication des Leçons particulières en Livre de poche. De ce hasard chronologique a dépendu le destin de L’Express. 23 août 2001

De 1963 à 1967, quatre fois par semaine, Françoise Giroud franchit le seuil du 5, rue de Lille, l’adresse qui, à l’époque, aimante autant qu’elle effraie. A raison de 400 séances d’une vingtaine de minutes, Françoise Giroud, en s’allongeant sur le divan du psychanalyste le plus idolâtré et le plus critiqué, va réapprendre à tenir debout. «Grâce à lui, j’ai pris conscience que je marchais le pied droit dans ma chaussure gauche et le pied gauche dans ma chaussure droite», dit-elle. Image frappante qui aide à savoir pourquoi l’on trébuche. 

  • Dans Le Monde du 12 juillet 2020, Arielle Dombasle raconte « Un ami de mon grand-père habitait ici [5,rue de Lille], il racontait que Lacan s’arrêtait chaque fois pendant vingt minutes devant le grand miroir de l’escalier pour se regarder »

  • Novembre1951 : Jacques Lacan invite Enrique Pichon-Rivière à dîner au 5 rue de Lille, et lui réserve une surprise.
    par Gustavo Freda, Psychanalyste, membre de l’école de la Cause Freudienne de Paris. 

Psychiatre et psychanalyste argentin d’origine suisse (1907-1977), fondateur du freudisme en Argentine, Enrique Pichon-Rivière a été l’un des fondateurs de l’Association psychanalytique argentine en 1942. Clinicien et enseignant novateur, il crée, en 1959, l’École de psychologie sociale. Ses travaux et son enseignement témoignent du lien entre les deux voies d’implantation de la psychanalyse en Argentine : la voie culturelle et la voie thérapeutique.

E. Pichon-Rivière était un passionné de Rimbaud, de Baudelaire mais surtout d’Isidore Ducasse, à qui il consacra de nombreux écrits. Fasciné par ce personnage et le mystère qui l’entourait, captivé par ce jeune homme dont il ne connaissait pas le portrait (aucune photo de lui n’existait à l’époque), il profite d’un voyage à Paris, où il doit participer à un congrès, pour enquêter sur les derniers pas du poète uruguayen. Nous sommes en 1951 et le congrès en question est la XIVe Conférence des psychanalystes de langue française durant laquelle il retrouvera Lacan, avec qui il partage le programme 2 et qui l’invitera à dîner le soir même… lui réservant une surprise.

Et (c’est là le point le plus savoureux), lorsque Lacan lui remet sa carte pour qu’il sache où se rendre, E. Pichon-Rivière de rétorquer : « Mais, hier matin j’étais à cette adresse ! »
Alors, pourquoi E. Pichon-Rivière s’était-il déplacé fin octobre 1951 au 5 rue de Lille?
Parce qu’outre l’adresse du cabinet du docteur Lacan, le 5 de la rue de Lille était aussi la résidence du banquier Darasse, homme d’affaires en lien avec l’Uruguay, qui servait d’intermédiaire financier entre Isidore Ducasse et son père, et qui versait au fils une
pension mensuelle et lui accordait des fonds destinés à financer la publication – à compte
d’auteur – de ses œuvres. ( voir Philippe Sollers, Les voyageurs du temps,
.
Voici donc notre E. Pichon-Rivière, revenant le soir à la même adresse qu’il avait quittée la veille, frustré de ne pas avoir pu nourrir son dossier, ni sur Isidore Ducasse, ni sur le banquier Darasse. Sauf que si la balade matinale fut infructueuse, celle du soir s’avéra généreuse : la surprise que Lacan lui avait « réservée » était la présence, parmi les convives, de TristanTzara, grand connaisseur du poète maudit sur qui ils échangeront la soirée durant !
Lacan connaissait-il la passion vouée au Comte de Lautréamont par E. Pichon-Rivière ? Ce dernier, lors d’un éloquent et affectueux témoignage à l’égard de Lacan, répond par l’affirmative.

Texte publié par L’École de la Cause freudienne | « La Cause Du Désir » 2017/3 N° 97 | pages 165 à 166

La rue de Lille se termine à l’ouest par la Gare d’Orsay, aujourd’hui Musée, les trains à destination d’Orléans partaient de cette gare jusqu’en 1939. Orléans, ville où le grand-père paternel de Lacan exerçait dans le vinaigre.

A l’est, la rue permet de rejoindre le quartier St Germain que Lacan fréquentait entre autres pour ses librairies et ses cafés. Entre la librairie La Hune et Le Divan, Lacan fréquentait, de préférence, la librairie qui ne commercialisait pas les éditions pirates de ses séminaires.

Les Deux Magots, le Flore et Lipp un trio de brasseries entre lesquels se dispersaient au grè des affinités et des désamours les acteurs de la scène germanopratine.

« La pratique de Lacan était très corporelle, il travaillait comme un sculpteur, au couteau, comme on le disait au café Les deux magots, où l’on se retrouvait parfois nombreux, après les séances auprès de lui… » Jean-Jacques Moscovitz, Membre fondateur en 1986 de Psychanalyse Actuelle.Membre d’Espace Analytique.

Être là, quand ça marche?

« La promenade comme forme artistique autonome, comme acte primaire dans la transformation symbolique du  territoire, comme instrument esthétique de connaissance et transformation physique de l’espace ‘négocié’, convertie en intervention urbaine. » écrit le groupe Stalker dont l’objectif est de révéler l’espace en le « pratiquant » à travers un certain nombre d’actions dont la marche et diverses installations … Stalker est un laboratoire d’art urbain, créé en 1995, à Rome, référence historique de Démarches.

Jean-Pierre Brazs Vers le chemin des pierres plantées.

Jean-Pierre Brazs partage ses activités entre installation, dessin, photographie et écriture. Après avoir conçu depuis 1995 de nombreuses « interventions paysagères » éphémères ou pérennes son activité artistique se développe depuis 2009 à partir de fictions institutionnelles : le Centre de recherche sur les faits picturaux, puis la Manufacture des roches du futur, donnant lieu à des expositions, des installations, des conférences, des publications. Entre 2015 et 2017, dans le cadre de son projet L’hypothèse de l’île, il s’est déclaré en résidence d’artiste fictive dans une île imaginaire.

Ses œuvres sont présentes dans de nombreuses collections publiques dont le Fonds national d’art contemporain, le Musée de Grenoble, le Musée d’histoire contemporaine ou le Musée du paysage de Verbania, Italie.

La démarche de Jean-Pierre Brazs
La proposition de J.P Brazs s’inscrit naturellement dans l’esprit de « Démarches ». Un parcours qui tisse un récit chronologique de ses travaux sur le thème de la lecture-écriture des paysages. Ces « coutures » raboutent différentes temporalités, elles définissent la continuité de ses diverses productions, sur la thématique paysagère. Entre le scientifique et le chaman, il artialise les domaines qu’il investit en nous donnant à découvrir, à travers son regard, les parts visibles et invisibles de la terre. Il gratte la croûte terrestre avec le savoir d’un déchiffreur averti qui en décrypte les signes.  En cela son travail participe de cette « tresse narrative » fondement de Démarches.

Ancré dans l’art rupestre par ses recherches et son travail sur les rochers, ce corpus de travaux de Jean-Pierre Brazs s’inscrit aussi dans le système de pensée corrélative à l’oeuvre dans la Chine antique. Pensée qui place les montagnes et les pierres dans une relation où si les pierres participent aux pouvoirs de la montagne, c’est moins pour leur ressemblance apparente que parce qu’elles constituent des microcosmes, animés par les forces qui créèrent les monts et les sommets.

Carole Fritz, chargé de recherche au CNRS au Centre de Recherche et d’Etude pour l’Art Préhistorique indique que « C’est difficile d’en parler sans rentrer dans l’interprétationMais l’anthropologie démontre depuis très longtemps qu’il n’existe pas de société sans mythes. Je ne vois pas pourquoi le paléolithique dérogerait à la règle. Dans les sociétés, ce sont les mythes qui régissent l’organisation sociale, la pensée. Le problème c’est que nous n’avons pas d’ethnographie qui accompagne cela : on fouille des poubelles et on regarde des dessins ; c’est très difficile de reconstituer un mythe à partir de ça.« 
Jean-Pierre Brazs nous invite à découvrir ses reconstitutions qui sont autant de reconstructions interprétatives.
« Ne connaît-on pas assez exactement le caractère d’un homme lorsqu’on entend […] qu’il considère toute roche brute comme un témoin du passé, avide de parler, vénérable pour lui dès son enfance… » Friedrich Nietzche in Humain, trop humain.

Cartes des parcours de Salève et de Barjac


Vers le chemin des pierres plantées
Texte et illustrations Jean-Pierre Brazs

Mes « interventions paysagères » passées (depuis 1995) étaient issues d’une expérience physique et visuelle avec un lieu « déjà là », composé du substrat géomorphologique, des présences et des rythmes végétaux et animaux et du « fabriqué avant » par les hommes. Étaient alors convoqués (de façon très braudélienne) des cycles aux amplitudes multiples, depuis les grands cycles géologiques aux cycles nocturnes diurnes, en passant par les cycles historiques ou ceux modeste d’une vie humaine. Me préoccupant aussi d’un « au-delà » du lieu, je cherchai à l’interroger et en quelque sorte à l’élargir, dans le sens où je souhaitai tisser des liens avec des références extérieures au lieu lui-même dans l’espace et le temps.
Dans le prolongement de ces expériences, je me suis intéressé ensuite aux parcours qui peuvent relier des lieux, constituant en quelque sorte des « lieux – réseaux ».
Les cheminements, se construisent comme des récits, il n’est donc pas étonnant de trouver sur les sols ou les parois de modestes « écritures » volontaires ou fortuites. Depuis quelques années je les collecte pour les décomposer ensuite en multiples fragments, persuadé qu’une langue pouvait y être à l’œuvre et qu’il suffirait d’y puiser des syllabes visuelles pour écrire la suite d’un récit ébauché. Me souvenant d’un projet que j’avais anciennement nommé « lieux-dits », j’ai donné à ces récits graphiques le nom de « dits ».
Le « chemin de mégalithes » et les « pierres plantées » existent réellement à proximité de mon nouvel atelier à Barjac dans le Gard, que j’occupe depuis l’été 2019. L’intrigante garrigue encourage à la rêverie et je ne puis m’empêcher de convoquer parfois des paysages imaginaires. En des lieux si particuliers le sol transpirerait des bruits du monde.

*

17 09 18
La randonnée de ce jour au sommet du Mont Salève a été décisive.
Ce massif, géologiquement jurassien, situé en Haute-Savoie, domine la ville de Genève. Il a toujours été abondamment occupé et parcouru, par les hommes comme par les animaux. Il a été dès le IIe siècle après J.-C. le lieu d’une petite métallurgie. Je me suis intéressé à des traces minimes, à des pierres simplement déplacées, à des relations parfois étranges entre l’arbre et la pierre.

18 09 18
En fin d’après-midi, en m’arrêtant à l’un des sommets du mont Salève et en tournant le dos à la vue panoramique sur les massifs des Alpes, j’ai aperçu des allées et venues d’hommes et de femmes transportant des branches de toutes tailles vers les hauteurs du pâturage habité de pierres éparses et d’arbres rabougris.
La tombée du jour est propice à la tenue de feux nouveaux dans les petites enceintes de pierres des foyers anciens dispersés sur le sommet.
Je salue donc les pourvoyeuses des flammes, les vétérans de l’étincelle, les brandonneurs et brandonneuses de toutes saisons.

19 09 18
J’ai engagé un travail d’inventaire des nombreuses traces de foyers récemment utilisés, abandonnés ou en attente de réutilisation.

26 09 18
Mon projet d’intervention avec et sur le mont Salève le constitue à la fois en topos et en oloé (les « espaces élastiques où lire où écrire », d’Anne Savelli) Le lieu choisi n’est pas un thème ou un support, mais il est à l’œuvre, c’est-à-dire qu’il est mis au travail.

28 09 18
Dans les rochers de Faverges, (ancien site d’extraction de minerais de fer et de petite métallurgie ; « Faverges », du latin fabrica : la forge) on peut à la fois se hisser en grimpant et être reliés aux entrailles de la terre. Les foyers sont à proximité des passages et de cavités.
A partir d’un plan topo utilisé par les varappeurs j’ai pu définir cinq zones :
Dans la partie basse du site (donnant sur une prairie) :
La zone des grands rochers gravés / La zone du « grand foyer » / La zone du passage étroit
Dans la partie haute du site : la clairière (dans laquelle se trouvent de nombreux foyers)
Entre ces deux zones : des rochers, dans lesquels on peut circuler et qui parfois forment des grottes

01 10 18

Début d’inventaire des tracés à la peinture bleue sur les rochers de Faverges. Ils indiquent les passages à utiliser pour les amateurs de varappe. Le mot « varappe », créé en 1883, provient du nom d’un des couloirs d’escalade du mont Salève.

varappe n.f.rég.Suisse ESC. GÉOGR. ALP. « couloir rocheux » – In Ga[1970].
Compl.TLF (mêmes réf., ø texte)
1883 – Origine du mot varapper. – On nous demande d’où vient le terme
varapper, appliqué quelquefois dans les récits d’excursions en<montagne.  (…)  Revenons  à  l’origine  du  terme  varapper.  Nous  la trouvons, sous la signature de L. WANNER, dans l’Écho des Alpes (1883,p. 248), organe des Sections romandes du Club Alpin Suisse. Ce nom de Varappe est tiré de certains couloirs du Salève, situés entre la Grande Gorge et le Coin. Ces couloirs qui, à première vue, semblent être inaccessibles, sont parcourus fréquemment par quelques Clubistes genevois qui estiment qu’il faut demander à la montagne autre chose que la marche et que, pour retirer tout le bien des courses alpestres, il faut que tout le corps travaille et non les jambes seulement. Cette manie de rechercher ce qui passe parmi la plupart de nos collègues pour des casse-cou, leur a fait donner le surnom de « Varappeux » età leur bande celui de « Varappe ».

http://www.cnrtl.fr/definition/bhvf/varappe

09 10 18
J’ai poursuivi l’exploration des rochers et découvert de nouvelles inscriptions. Je suis maintenant en mesure d’en faire un inventaire complet. Certaines se trouvent à proximité directe d’un « feu ». D’autres à l’entrée d’un passage ». D’autres encore sont cachées dans des « grottes ».
Des figures humaines ou simiesques sont gravées sur des parois verticales. Des enfants barbouillés du noir des charbons de bois, m’ont prévenu de la présence de « monstres » dans les cavités rocheuses, ajoutant, en courant vers l’entrée de la petite grotte, que rien ne pouvait les effrayer.

05 11 18
Les sommets du mont Salève sont vraiment des territoires nourriciers. J’y ai récolté quelques écritures : signes, traces et quelques étrangetés qui pourront alimenter un travail purement graphique (qui m’occupera cet hiver, alors que le Salève sera couvert de neige)

07.11.18
J’ai retrouvé des notes publiées en 1983 à l’occasion d’un projet consacré aux espaces urbains intitulé « LIEUX DITS » produit par le Centre d’action culturelle de Montbéliard.
(Aujourd’hui je ne formulerai pas  les choses de la même façon)
ERRE : manière d’avancer, de marcher.
ERRER : s’écarter de la vérité, aller de côté et d’autre, au hasard, à l’aventure. IMAGES = ERREUR ?
L’errance c’est de n’avoir pas lieu ?
ERRATA : chose où l’on a erré.
ERRATIQUE : qui n’est pas fixe. Les roches erratiques ont été transportées par les anciens glaciers à une grande distance de leur point d’origine.
ERREUR : acte de l’esprit qui tient pour vrai ce qui est faux et inversement ; jugement, faits psychiques qui en résultent.« Les ténèbres de l’ignorance valent mieux que la fausse lumière de l’erreur » (Rousseau).

12.11.18
Je suis retourné inspecter les rochers de Faverges.
Temps géologique, historique et actuel s’y conjuguent.
J’ai pu collecter différentes roches sidérolithiques. (Les rochers de Faverges sont formés d’une roche blanchâtre, rougeâtre à jaunâtre, constituée uniquement de grains millimétriques de quartz. Cette roche correspond au « grès sidérolithique » : « grès » en raison de l’abondance des grains de quartz et « sidérolithique » à cause de leur teneur en oxydes et hydroxydes fer. L’aspect de cette roche est dit saccharoïde, car sa texture rappelle celle du sucre. Ils se sont déposés, il y a une quarantaine de millions d’années, dans des fissures et des cavités creusées dans un plateau calcaire légèrement bombé, à l’emplacement du futur Salève, alors que le climat était tropical à désertique).

J’ai retrouvé des scories datant des anciennes activités sidérurgiques au Mont Salève. (Entre le Ve et le VIe siècle, et le XIe et le XIIIe siècle selon l’étude en 2017 de J. Sesiano de l’Université de Genève).

J’ai rendu visite à mon « grand foyer ». C’est le plus spectaculaire du Mont Salève. Il utilise une cuvette naturelle dans les rochers, attenante à une sombre anfractuosité. La fumée a noirci la roche ; sur les parois abondent signes gravés et tracés au charbon de bois.
C’est dans cette terrible béance que j’ai découvert une litière soigneusement préparée avec des branches de sapins recouvertes d’une épaisse couche de feuilles mortes. À côté du foyer des branches ont été soigneusement posés contre la paroi rocheuse.
Il me faut donc imaginer une personne (ou un couple) à la tombée du jour, allumant un feu et passant une partie de la nuit (la nuit entière peut-être) dans ce lieu directement ouvert sur les entrailles de la terre.

*

Il m’est arrivé de penser que la « réalité » ne serait qu’un mycélium enfoui et le dessin une façon de gratter le sol des apparences.

Qu’y a-t-il donc sous terre ? Quelque chose qui repose, attend, s’enfonce ou se soulève, ou se déploie, s’accumule, se concrétionne peut-être, ou se désarticule et s’éparpille ? Ce ne serait pas un monde inversé, ni symétrique, ni le germe de ce qui éclot à l’air libre, ni un monde racinaire, ni un chaos informe, ni des restes enfouis, ni notre monde livré à la décomposition ; quelque chose qui renonce ou qui espère, qui à la fois nourrit le dessus et en absorbe la substance.
Partout dans le monde existent des danses en rond. Le pilou kanak, se déroulait en grandes spirales de pieds et de bambou, frappant fortement le sol dans l’obscurité totale de la nuit. On peut imaginer que le bruit était si fort, l’onde transmise à la terre si particulière, que parfois le monde du dessous pouvait répondre, que les danseurs ne pouvaient s’arrêter de frapper le sol qu’à l’épuisement de leurs forces, qu’ils frappaient de plus en plus fort, de peur de ne plus entendre que le bruit de la terre.

Il est différentes manières d’entendre les bruits du monde. Il faut pour cela se trouver à des endroits particuliers et aux moments qui conviennent. Les foyers du mont Salève se répartissent en différents points hauts d’où la vue sur le massif alpin est bien dégagée et à proximité de rochers ouverts sur les entrailles de la terre : ils témoigneraient dans ce cas non pas de la volonté de voir, mais d’entendre. Pourquoi sinon s’obstiner à réalimenter régulièrement certains foyers, et à chaque fois s’assurer que le feu soit bien étouffé en le recouvrant des pierres qu’on avait d’abord organisées en cercle pour le contenir. Pourquoi aussi, sur certains rochers préservant d’étroits passages, de basses galeries et de petites « grottes », graver ou dessiner des visages effrayants (ou effrayés), parfois simplement des yeux, sinon pour signaler que dans ces cavités pourraient résonner des chants, des paroles ou des cris, sonorités anciennes prisonnières des plis de la terre.

*

Le « chemin de mégalithes » et les « pierres plantées » existent réellement à proximité de mon nouvel atelier à Barjac dans le Gard.
« Depuis l’office de tourisme de Barjac, prendre la direction Orgnac puis à gauche, rue Salavas … bifurquez à droite Grand-Rue Jean-Moulin qui débouche place de la croix blanche … prendre la rue Chevalier Lavaure … passer devant l’école publique et aller tout droit. Place Dr-Roque, prenez en face la rue Chevalier-Lavaure… prendre à gauche le circuit du PR 23 et le vieux chemin du Mazert … couper la D176. Poursuivez en face, sur un chemin pierreux. … Prendre à gauche la route goudronnée
… De cette portion de route vous apercevez au loin sur la gauche les bâtiments de la propriété de l’artiste Anselm Kiefer ainsi que quelques œuvres… Prenez à gauche à la rencontre de la piste forestière. Au Clos-du-Prince, prenez à droite vers l’Aven d’Orgnac pour déboucher devant le dolmen des Gigantes … suivre les rectangles jaunes, pour parvenir au dolmen de la Devèze… rejoignez l’aven des Cristaux. Prenez à droite pour déboucher aux dolmens de Serre-de Fabre et rejoignez la maison Forestière … »

Au-delà de l’éloquence pratique des topoguides, l’intrigante garrigue encourage à la rêverie et je ne puis m’empêcher d’y convoquer des paysages chimériques. Comme dans les rochers de Faverges, en des lieux si particuliers le sol transpirerait des bruits du monde et les mégalithes seraient gravés de traces imaginaires.

Liens :
http://www.jpbrazs.com/__index_lieuxdits.html
https://www.tk-21.com/TK-21-LaRevue-no90#Perce-voir-un-lieu

« Le Pont de Bezons » mis en Seine par Jean Rolin.

Au commencement, en 1980, la publication Chemins d’eau aux Éditions Maritimes & d’Outre-Mer, débute une série d’ouvrages qui vont s’égrener sur une vingtaine de titres.  Parmi ceux-ci, ajoutons au premier titre : Zones en 1985 et La clôture en 2001 qui narrent déjà des aventures pédestres de Jean Rolin sur le territoire hexagonal.

Sa dernière parution, « Le Pont de Bezons », aux éditions P.O.L, relate les expéditions de l’écrivain le long de la Seine. Un roman de regards pour immersion sensitive dans le décor des berges. Un flot de sensations évocatrices.

Les récits de marche de Jean Rolin naissent de projets aux contours imprécis et d’une envergure disproportionnée pour être réalisables : Dans le cas du Pont de Bezons, le projet consiste « à mener sur les berges de la Seine, entre Melun et Mantes des reconnaissances aléatoires, au fil des saisons, dans un désordre voulu ».

Son objet est le presque rien, assister à un lever de soleil sur le Pont de Bezons. Un pont sur la Seine fondu dans la banalité d’un décor de banlieue, mais dont la description permet à force de digressions de retisser la trame entière de notre présent, et tout un passé avec lui. Dans une chronologie établie pour conférer aux lieux une épaisseur temporelle dont la saisonnalité recompose le cadre.

Le pont avant sa restructuration en 2009

Guillaume Thouroude (écrivain voyageur et chercheur en littérature) dans La démarche ambulatoire de Jean Rolin : un écrivain voyageur au débouché des mouvements littéraires du XXe siècle, écrit :

[Un voyageur n’est rien sans les territoires déterminés sur lesquels il exerce ses déplacements, ses séjours et ses dispositifs. Jean Rolin, plus que tout autre auteur, définit un territoire avant d’écrire et se tient à son projet de départ, que celui-ci soit fructueux ou pas, qu’il soit réalisable ou pas. Ce qui compte, dans les textes de Rolin, ce n’est pas la faisabilité de tel ou tel projet, et encore moins sa réussite, que le fait d’avoir parcouru et quasiment épuisé un territoire, un trajet ou une dimension géographique à travers un dispositif textuel déterminé.]

Comme il les définit lui-même dans Terminal Frigo, les voyages brossent une « autobiographie subliminale ».

Jean Rolin• Crédit : Hélène Bamberger

Guillaume Thouroude, rappelle les contraintes d’existence des récits fixées par l’auteur pour [Zones, voyage autour de Paris obéissant à des règles telles que dormir chaque soir dans un hôtel différent, et ne jamais emprunter deux fois la même ligne de transport en commun. [Alors que] La Clôture, de son côté, impose au narrateur-performer de se mettre en orbite sur un segment précis du boulevard périphérique. Le résultat littéraire, ou en tout cas le contenu du récit, est entièrement redevable de ce qui se passe, ou pas, dans le cadre factuel défini. La réception de ces textes les détermine comme récits de voyage et non comme roman, ou pour le dire plus précisément, comme textes factuels de géographie.]

De la fermeture d’un fast-food à un crépuscule de banlieue, « Le Pont de Bezons » dévoile les trésors enfouis sous la banalité des apparences qui occulte notre attention. Le spectaculaire n’a pas de place dans ces dépotoirs qui recueillent les témoins d’un passé en décomposition. Les signaux visuels et les odeurs forment un duo de marqueurs de sensations. Attentif aux modifications des parcours, Jean Rolin note l’acharnement des communes à rendre les terrains vagues inutilisables pour les gens du voyage. De profonds sillons sont creusés si bien qu’à chacun de ses passages l’auteur ne manque pas de relever la prolifération de ces cicatrices de terre. Comme chacun peut le constater lors de marche dans les marges urbaines.

Le pont après restructuration- Photo publiée par Herlin Chane-kuen

Si Céline, Maupassant et Madame de Sévigné apparaissent dans le récit comme témoins d’une autre histoire des lieux, Gustave Caillebotte s’immisce dans un décor lié aux débuts de l’industrie aéronautique. A ces noms célèbres s’ajouteront des personnes sorties de l’anonymat par le hasard des rencontres, plus nombre de communautés, clubs et congrégations qui viennent à point nommé habiter le récit.

Vue de l’Hotel où s’installe l’auteur pour assister au lever du jour sur le pont

L’auteur, par la précision topographique et temporelle de l’organisation de son récit, nous offre avec brio les sensations les plus infimes que peut connaître le marcheur quand il est attentif à son environnement. Une démarche partagée par ceux qui sont réceptifs aux signaux faibles et qui décryptent avec une acuité particulière leur environnement.

Un livre-manifeste pour une démarche littéraire

Le Pont de Bezons, Jean Rolin- éditions P.O.L 2020 – prix : 19€

Werner Herzog : le monde se révèle à ceux qui voyagent à pied.

Werner Herzog, cinéaste reconnu pour affronter des situations extrêmes, a parcouru une partie de la planète à pied. Coutumier de longues marches jusqu’à l’épuisement, il entend conjurer l’effondrement de la civilisation, thème récurrent de ses films, mais aussi affronter la mort.  En 1974, Werner Herzog a 32 ans. Il a déjà réalisé Aguirre et L’Enigme de Kaspar Hauser vient tout juste de sortir.

«Marcher nous fait sortir de nos habitudes modernes. Je fais mes films à pied. C’est en marchant que fonctionne le mieux mon univers imaginaire.» (1)

« Ce que marcher peut faire mal. » (2)

Certainement que pour le cinéaste, l’attrait pour l’absurde et la folie va de pair avec une esthétique des grands espaces et des paysages saisissants, d’où le récit de son voyage à pied Sur le chemin des glaces (Vom Gehen im Eis), Munich-Paris du 23 novembre au 14 décembre 1974, dont le texte incarne son auteur au point que la lecture de ce récit brosse un portrait saisissant de Werner Herzog, marcheur de l’extrême.

Quand le samedi 23 novembre 1974, Werner Herzog apprend par téléphone que son amie Lotte Eisner est gravement malade. Il est tellement bouleversé par la nouvelle qu’il décide sur le champ de la rejoindre à Paris. Pour lui, Lotte Eisner ne peut pas disparaître, car écrit-il « Le cinéma allemand ne peut pas encore se passer d’elle, nous ne devons pas la laisser mourir. J’ai pris une veste, une boussole, un sac marin et les affaires indispensables. Mes bottes étaient tellement solides, tellement neuves, qu’elles m’inspiraient confiance. Je me mis en route pour Paris par le plus court chemin, avec la certitude qu’elle vivrait si j’allais à elle à pied. Et puis, j’avais envie de me retrouver seul ». Ce journal de marche témoigne de la force de l’amitié d’un homme, dont la mise en marche implacable vers son amie aurait une fonction quasi magique de vaincre la mort.

Lotte Eisner avec Werner Herzog

Près de neuf cents kilomètres les séparent. Il ira à pied, décidant qu’elle devrait attendre son arrivée pour partir. Herzog décida de faire le voyage en ligne droite, avec une boussole. Cela impliquait d’abandonner les routes et les autoroutes et d’entrer dans les forêts, les montagnes et les rivières, ainsi que les contraintes liées aux clôtures, aux propriétés privées et aux lieux isolés. Et tout cela sous un hiver de fortes pluies, de boue et de neige. Pour lui, si ce n’était pas un vrai sacrifice, cela n’en valait pas la peine.

Jour après jour, il va tenir un carnet de voyage dans lequel il notera son état d’esprit, son état physique et psychologique.

Quand j’arriverai à Paris, elle sera en vie. Il ne peut pas en être autrement, cela ne se peut pas. Elle n’a pas le droit de mourir. Plus tard, peut-être, quand nous le lui permettrons.” Et en effet Lotte Eisner décèdera le 25 novembre 1983 soit neuf ans après que Werner Herzog soit arrivé à Paris.

À travers cette marche qui anime de bout en bout le récit, Herzog nous réapprend à voir ce sur quoi notre œil glisse, indifférent. Tout ici est mouvement : chemins, fleuve, oiseaux, arbres, pluie, neige. Narration mais aussi témoignage d’un homme qui nous fait partager tour à tour ses moments d’exaltation, d’épuisement, de plénitude.

Dans une interview pour la revue Hors-Champ en 2004 il répondait à des questions sur la marche.

La marche est-elle quelque part liée à votre démarche de travail ?

Werner Herzog : Je voyage souvent à pieds. Bien sûr dans ces conditions il arrive que j’aie tout un roman ou un match de foot qui se déroule dans ma tête. Oui je vois alors beaucoup de choses apparaître.

HC : Qu’est-ce qui vous intéresse tant dans la marche ? Est-ce un moyen d’atteindre un autre état physique ou mental ?

WH : Il n’est pas nécessaire pour moi de marcher pour initier un projet. Mais il faut que je m’explique, je ne suis pas un « backpacker » et je ne suis pas quelqu’un qui fait du jogging ou de la randonnée, ni qui se déplace toujours à pieds comme avant le temps des automobiles. Je suis paresseux comme tout le monde. Je marche pour des raisons très spécifiques. Quand quelque chose est important, alors oui, je marche. J’ai marché de Munich à Paris parce que Dr. Lotte Eisner était mourante à Paris.

…/…

Pour Herzog, marcher est un acte d’opposition, non seulement à la culture statique des villes
qu’il traverse, mais bien à la mort elle-même. Tant qu’il est en mouvement, en transit, il ne peut pas être immobilisé, ce qui signifie qu’il reste en vie. En 1984, il a marché 2500 km le long de la frontière allemande, pour comprendre la division du pays.

« … je ne parle pas de marche à pied per se. Je parle de voyage à pied. Je ne peux me justifier que par cette maxime : le monde se révèle à ceux qui voyagent à pied. « (3)

Werner Herzog s’investit sans retenu dans des choix, des décisions, qui transmutent la mortalité moins en état d’être qu’en état d’esprit. Cela nous ramène à l’intention, magique ou non, de la promenade elle-même. Ainsi les questions

Marcher sur la glace est un témoignage écrit entre espoir et douleur physique. l’auteur s’en explique dans une interview (4) :

Je n’aime pas marcher comme ça, pour rien. Même pas pour le plaisir de marcher. Je ne marche que si j’ai une raison particulière de le faire. Une raison intense, existentielle. Quand je marche, je vois vraiment le monde et les gens avec leurs histoires, leurs rêves. C’est un peu difficile à expliquer. En fait, on ne peut vraiment parler de cela qu’avec quelqu’un qui voyage aussi à pied. Cela crée une sorte de connexion assez profonde. Mais je dirais en substance que le monde se révèle à ceux qui voyagent à pied. L’homme se révèle, la nature, les paysages… Le monde se révèle ainsi d’une façon vraiment très profonde. Rien de ce que vous pouvez apprendre à l’école ne vous en apprendra autant que de voyager à pied.
…/…
On est très vulnérable quand on marche comme je le fais. On doit trouver un abri pour la nuit et il m’arrive parfois d’entrer dans des villas inoccupées et de m’installer pour dormir, voire même pour vider une bouteille que j’ai trouvée à la cave. Je ne le fais d’ailleurs que lorsque les conditions sont extrêmes, en hiver, lorsqu’il y a de l’orage, de la neige… Ça m’est arrivé en Forêt-Noire ou dans les Vosges : il faisait déjà nuit et le prochain village était peut-être à 10 kilomètres. Je n’avais pas d’autre choix que de m’abriter dans un de ces chalets de vacances. J’y pénétrais grâce à de petites pinces chirurgicales que j’avais avec moi et qui me permettent d’ouvrir n’importe quelle serrure. Je laisse toujours un mot pour remercier. J’estime qu’il s’agit d’un droit naturel. Je suis certain que si des policiers me trouvaient là, tout ce qu’ils feraient, ce serait de m’apporter du thé chaud…

Herzog a non seulement recherché le chemin le plus difficile, mais aussi vécu l’expérience d’un vagabond.

«  Quand je marche, c’est un bison qui marche. Quand je m’arrête, c’est une montagne qui se repose ».

Ce journal de marche ne se résume pas à un livre décrivant le contexte d’un voyage long et difficile, mais une introspection dans l’esprit de son auteur, qui semble parfois voir le monde comme si c’était la première fois, se sentir seul, très seul et étranger à ce qu’il voit se passe sur les côtés de son chemin ardu.

Est / Ouest (d’après Sur le chemin des Glaces, W. Herzog)

« Tant de choses passent dans le cerveau de celui qui marche. Le cerveau : un ouragan » 

Ce n’est pas seulement une promenade extérieure mais un exil intérieur.

Le promeneur ignore parfois si ce qu’il voit est là ou dans sa conscience. Parfois, la route évoque des images de son passé, parfois, il recrée des situations que nous ignorons s’il les imagine, si elles appartiennent à sa vie antérieure ou si elles se produisent réellement sous ses yeux. La ligne de démarcation entre la description pure et dure et le récit onirique, presque délirant parfois, est si diffuse qu’il est presque impossible de la discerner.

Une semaine avant d’arriver à Paris, il écrit : La route la plus désolée qui soit, en direction de Domrémy, je ne marche plus comme il faut, je me laisse dériver. La chute vers l’avant, je la transforme en marche.

Les derniers mots, écrits après sa rencontre avec Lotte Eisner à Paris, le libère de son contrat avec la mort  « Samedi 14h12. Il me reste à ajouter ceci :je suis allé voir la Eisnerin, elle était encore fatiguée et marquée par la maladie. Quelqu’un lui avait sûrement annoncé au téléphone que j’étais venu à pied, je ne voulais pas lui dire. J’étais gêné et j’ai posé mes jambes endolories sur un deuxième siège qu’elle avait poussé vers moi. Dans ma gêne, un mot me traversa l’esprit et, comme la situation était déjà étrange, je le lui dit. Ensemble, lui dis-je, nous ferons cuire un feu et nous arrêterons les poissons. Alors elle me regarda avec un fin sourire et comme elle savait que j’étais de ceux qui marchent, et partant sans défense, elle m’a compris. Pendant un bref instant tout de finesse, quelque chose de doux traversa mon corps exténué. Je lui dis : ouvrez la fenêtre, depuis quelques jours, je sais voler. »
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Document sonore : Quarante ans plus tard, Guillaume Leingre a fait le voyage pour France Culture, dans les mêmes conditions, muni, non pas d’un carnet de notes, mais d’un Nagra. Partir à la rencontre des paysages, des gens (rares), des souvenirs de cinéma…, voire du vide . Un voyage sonore qui tient autant de la réalité que du rêve.

Document court-métrage : Werner Herzog eats his shoes
En 1979, Werner Herzog a fait le pari avec le jeune cinéaste Errol Morris que si Morris terminait un film sur les cimetières pour animaux de compagnie, Herzog mangerait sa chaussure. Morris a ensuite filmé Gates of Heaven afin que Herzog tienne sa promesse. Les Blank, cinéaste vivant et travaillant à El Cerrito, en Californie a filmé la scène. Dans ce court-métrage intitulé Werner Herzog eats his shoes, on voit le réalisateur qui tout en mangeant la chaussure bouillie, dialogue sur le cinéma, l’art et la vie. Pour qu’elle soit comestible et plus agréable au goût, sa chaussure a été bouillie avec de l’ail, des herbes et du bouillon pendant cinq heures. Cependant il n’a pas mangé la semelle expliquant qu’on ne mange pas les os du poulet…

Herzog goûte un morceau de sa chaussure. Photo Nick Allen. Courtesy Les Blank.

Les Blank (né en 1935) est un cinéaste vivant et travaillant à El Cerrito, en Californie. Il a fondé Flower Films en 1967 et a réalisé et produit des films sur des sujets aussi divers que l’ail, les grands importateurs de thé et les femmes aux dents creuses. Werner Herzog mange sa chaussure est montré avec l’aimable autorisation de Les Blank et Flower Films. Pour plus d’informations sur d’autres films de Les Blank, visitez: www.lesblank.com.

« Notre civilisation n’a pas les images adéquates« , disait jadis Herzog, notamment dans le court métrage de Les Blank, Werner Herzog, qui mange sa chaussure . « Sans images adéquates, nous mourrons comme des dinosaures. »

 

«Sur le chemin des glaces», de Werner Herzog, POL – également disponible dans la Petite Bibliothèque Payot / Voyageurs, 9,75 euros.

Notes

(1) Autoportrait, 1986.

(2) sauf autres mentions, les citations sont extraites du livre « Sur le Chemin des glaces » de Werner Herzog

(3) Werner Herzog, Interview de Rocco Castoro pour Vice Magazine, France, Octobre 2009

(4) Duval, Patrick, pour Libération, 17 décembre 2008.

Quand Bach prend la route

Alors qu’il n’a que 20 ans, Jean-Sébastien Bach entreprend un voyage à pied de plus de 400 km. Parti de Arnstatd, il marchera jusqu’à Lübeck pour rencontrer le plus grand organiste d’Europe du Nord : Dietrich Buxtehude. Voilà tout ce que l’on sait de cet épisode, décisif pour Bach. Dans le roman La rencontre de Lübeck (1), le musicologue Gilles Cantagrel imagine les échanges amicaux et musicaux entre les deux plus grands compositeurs de l’époque baroque en Allemagne.

cartographie association EOL, créée à l’automne 1993, l’Association a pour objet l’acquisition d’un orgue, son agrandissement, sa mise en valeur par l’organisation de concerts et de spectacles, son utilisation sur les plans culturel et liturgique, l’entretien et la gestion de l’instrument.

En 1705, Jean-Sébastien Bach se rend à Lübeck pour écouter le plus grand compositeur allemand de son temps, Dietrich Buxtehude, âgé de 68 ans. Ce voyage, il le fait à pied : plus de quatre cents kilomètres aller, et autant au retour. Parti pour trente jours, il est resté absent quatre mois. Aucun témoignage ne permet de savoir ce qui s’est passé à Lübeck. On peut imaginer que l’influence de Buxtehude est si primordiale sur le génie de Bach qu’il s’est forcément produit là quelque chose d’essentiel, une transmission essentielle.  Gilles Cantagrel, grand connaisseur des œuvres des deux musiciens, des documents anciens et du contexte historique, raconte ce qui a pu se passer, dans un livre intitulé La rencontre de Lübeck.

Il est admis par les historiens que Bach aurait emprunté la vieille route du sel, une route commerciale très fréquentée traversant le nord de l’Allemagne et utilisée depuis l’époque médiévale. Il n’était pas inhabituel à l’époque que les gens effectuent de longs déplacements à pied.

Le parcours de la route du sel s’étend sur environ cent kilomètres entre la vieille ville millénaire du sel, Lüneburg et la ville hanséatique de Lübeck, accès à la mer Baltique. Cette voie traverse  Lauenburg an der Elbe et Mölln, la ville de Till l’Espiègle.

Alte_Salzstrasse_Breitenfelde

Pour le tricentenaire de la mort de Buxtehude des musiciens, chanteurs et organistes ont emprunté le même trajet à pied, par étapes de 25 kilomètres. Ils improvisaient des concerts dans les villes-étapes, allant à la rencontre des cantors locaux et bénéficiant parfois de l’hébergement chez l’habitant, comme le fit probablement Jean-Sébastien Bach en son temps.

Benjamin François, producteur à Radio France, contribue à la réalisation du feuilleton-atelier de création radiophonique « Sur les pas de Bach », 465 km de randonnée musicale entre Arnstadt et Lübeck pour les 300 ans de la rencontre entre Bach et Buxtehude, il explique dans un article du Monde (2) « Bach a fait le trajet à pied pour échapper aux droits de douanes exorbitants en diligence. Mais nous avons découvert, en marchant, que la rencontre avec le maître illustre n’a pas dû représenter le seul attrait du voyage. La marche nous met en harmonie avec les paysages traversés, c’est une ascèse intérieure, une reconstruction. Bach s’est « trouvé » en marchant ; il en est revenu changé. »

L’itinéraire précis n’étant pas documenté, le parcours a été imaginé sur la base d’éléments biographiques du célèbre musicien « Etape à Erfurt, chez sa soeur et à Mühlhausen chez l’ami Wender, facteur de l’orgue d’Arnstadt. Mais ensuite, a-t-il traversé le massif du Harz ? Je pense que oui. Est-il passé par Nordhausen, Wernigerrode et surtout Wolfenbüttel, qui conservait la mémoire du plus grand musicien protestant, Michael Praetorius ? La fin est claire : la route du sel à partir de Uelzen, Lüneburg, Lauenburg jusqu’à Lübeck. »

Marienkirche- Lübeck

Si l’on ne sait pas exactement ce qui s’est passé lorsque Bach est arrivé à Lübeck,  il est certain que le voyage porté ses fruits, même si le jeune organiste d’Arnstadt a été évincé de son poste suite à sa trop longue absence. Parti pour un mois, il ne reviendra que quatre mois plus tard, au grand dam de ses employeurs. Il rentre à pied, reprenant le long chemin la tête pleine des enseignements et des découvertes musicales acquises auprès du maître de Lübeck.

Arnstadt-Bachkirche

Marcher sur les traces du futur Cantor de Leipzig ne peut qu’ajouter du sel au parcours.

« Dieu peut remercier Bach, parce que Bach est la preuve de l’existence de Dieu ».
Emil Cioran in Syllogismes de l’amertume.

 

Document sonore, écouter l’émission de Priscille Lafitte : « Quand Bach rencontre Buxtehude » sur : canalacademie pour entendre Gilles Cantagrel détailler l’histoire de cette rencontre.

 

HL_Damals__Marienkirche_Mittelschiff_nach_Westen. Orgue de l’église Ste Marie de Lübeck avant sa destruction en 1942.

 

Du 20 mai 2020 au 24 mai 2020

sur les pas de Jean-Sébastien Bach

Pas après pas, ville après ville, cet itinéraire est une invitation à suivre les traces de Jean-Sébastien Bach, par la découverte de l’homme et de son œuvre pléthorique, qui compte plus de mille compositions incarnant le couronnement de la musique baroque. Depuis Eisenach, sa ville natale, jusqu’à Leipzig, où il produisit ses plus grands chefs-d’œuvre, en passant par Weimar, Arnstadt et Gotha, ce voyage sera jalonné de concerts qui rendront vivant le musicien dans les lieux historiques qu’il a connus.

Notes :

-(1) Gilles Cantagrel, La rencontre de Lübeck. ed: Desclée de Brouwer. 2015

-(2) in Le Monde daté 27 juillet 2007

Sylvothérapie-Plogging-Geotraceur

Trois tendances actuelles liées à la pratique de la marche. Derrière ces mots, des activités et des moyens prenant en ligne de compte respectivement le bien-être, l’écologie, la sécurité.

La Sylvothérapie

Les bienfaits de la promenade en forêt ne sont plus à démontrer, mais la pratique de la Sylvothérapie ajoute une dimension nouvelle à l’agrément de la promenade.

Appelée shinrin yoku au Japon, littéralement le bain de forêt, cette tradition connait depuis la parution de La Vie secrète des arbres, de l’Allemand Peter Wohlleben, une popularité croissante.

Contrairement à ce que véhiculent des interprétations erronées, il est inutile d’enlacer les arbres. L’attitude et le comportement sont primordiaux, il s’agit pour le promeneur d’être présent en mobilisant ses sens. Un couple d’heures de marche dans un bois produit des effets bénéfiques durant environ une semaine, principalement sur le système immunitaire.

Dans leur ouvrage « Les pouvoirs guérisseurs de la forêt » aux éditions Solar, Héctor GarcÍa et Francesc Miralles expliquent les processus à l’œuvre, ce qu’ils détaillent dans une interview, de la manière suivante « Au-delà du calme et de l’équilibre que nous apporte la campagne, lieu où notre corps et notre esprit ralentissent leurs rythmes, les arbres agissent sur l’organisme par le biais des phytoncides, des molécules qu’ils diffusent dans l’air pour se défendre contre les bactéries et les champignons, et que l’homme absorbe par la peau et les voies respiratoires. Cet effet se remarque aussi dans les parcs des villes. Tous les végétaux ont une action positive. Certains sont cependant plus puissants que d’autres. Les cyprès diffusent ainsi la plus grande quantité de phytoncides. Et plus la densité d’arbres est grande, plus les bénéfices sont importants. » En s’appuyant sur des références à la fois scientifiques et philosophiques (du shintoïsme aux écrits des penseurs modernes) et en s’inspirant de l’art de vivre japonais (le yugen, le wabi-sabi, la sagesse des maîtres zen), les deux auteurs nous livrent toutes les clés pour pratiquer le shinrin yoku au quotidien et vivre en harmonie.

Le Plogging

Ce néologisme est la contraction du mot « ramasser » en suédois plocka upp et de « jogging », à la racine le  verbe anglais to jog qui signifie sautiller, remuer, secouer, ce mot intraduisible en français désigne la pratique de la course à pied à faible allure, envisagée comme un plaisir, et particulièrement bénéfique pour le rythme cardiaque, le maintien de la ligne et l’équilibre nerveux.

Le plogging désigne une activité en passe de changer une activité individuelle en comportement utile à la collectivité  puisque tout en parcourant un lieu à petites foulées, le ploggeur en profite pour y éliminer les détritus.

Séance de course à pied et de ramassage de déchets pour les membres de la Run Eco Team dans le parc de Procé à Nantes. Photo Theophile Trossat pour Le Monde

« Il y a une façon de ramasser. Il faut plier les genoux pour ne pas se blesser, ce qui permet aussi de se muscler les cuisses, enseigne Danielle Tramond, bénévole qui organise cette opération en partenariat avec l’association Run Eco Team, comme le raconte Le Monde dans un article consacré au sujet. Cette pratique nécessite le respect de règles comportementales pour éviter les risques. Le ploggeur ne collecte ni le verre brisé ni les produits chimiques, il ne se substitue pas aux agents de la propreté publique, il intervient en complément sur des parcours souillés. Un acte dont l’utilité se heurte aux aprioris liés aux dégoûts que peuvent provoquer des déchets ou des objets à usage intime.

Cette activité dérivée du jogging y ajoute la pratique du fractionné à chaque fois que l’on s’arrête et que l’on repart, on muscle ses abdos en se penchant et ses bras en portant le sac de déchets récoltés.

Depuis ses débuts, l’application mobile qui a pour slogan « 1 run = 1 déchet » comptabilise non seulement les kilomètres parcourus mais aussi les quantités de détritus récoltés.

Les ploggeurs entretiennent leur santé et protègent la nature, tout en luttant contre la pollution et en participant au respect de leur cadre de vie.

Le Geotraceur

Les randonneurs ont à leur disposition une panoplie de dispositifs adaptés à leurs pratique, du traceur GPS à la balise de détresse personnelle (PLB) en passant par l’émetteur de localisation d’urgence (ELT), autant de moyens connectés dont les fonctionnalités répondent à des besoins particuliers.

Le temps de précieux conseils dispensaient dans les offices de tourisme est révolu pour beaucoup. Les cartes papier, Michelin ou IGN ont encore leurs adeptes, mais les applications pour smartphones (iOS ou Android) les remplacent avantageusement.

Chacun peut le vérifier avec la version de base d’iPHign en téléchargement gratuit. Elle permet d’accéder à toutes les cartes gratuitement pendant 7 jours calendaires (jours où l’application est utilisée). Ensuite, l’abonnement au Géoportail, à 14,99 €/an en accès illimité est comparable au prix d’une carte papier. Sachant que les cartes iGN non topographiques restent accessibles même sans abonnement.

Une large gamme de produits sont à disposition pour vous aider à choisir l’IGN propose un comparateur qui vous permettra de vous doter de l’équipement le plus adapté à vos besoins.

Sur les pas de Pierre Lambert à Woluwe

Le parcours artistique d’Alain Snyers questionne l’art action, les gestes dans l’espace public, les processus de communication par l’image et les manoeuvres artistiques engagées dans l’urbanité. Membre du groupe Untel, Alain Snyers a développé une activité artistique personnelle foisonnante comme en témoigne sa dernière publication chez L’Harmattan : Le récit d’une œuvre 1975-2015.

C’est en Belgique sur les communes de Woluwe-St-Pierre et Woluwe-St-Lambert qu’il a articulé un projet original de promenade urbaine. Dans le cadre de la manifestation Alphabetvilles pour La Langue Française en Fête, Alain Snyers a coordonné un ensemble d’événements à travers un parcours composé de 4 circuits urbains autour d’un personnage imaginaire Pierre Lambert.

« Sur les traces de Pierre Lambert- par son biographe autoproclamé Alain Snyers », l’artiste nous convie à une visite des sites fréquentés par son personnage. De succulents textes décrivent à travers les âges de la vie du personnage les différents lieux de cette géographie bien réelle revisitée par les facétieux détails de son histoire.

L’ensemble du dispositif, y compris la biographie complète de Pierre Lambert sont consultables à l’adresse suivante : https://www.alphabetvilles.com/sur-les-traces-de-pierre-lambert.

Le document de présentation explique l’opération : L’axe principal d’ALPHABETVILLES est la réalisation d’un décor urbain de mots « Sur les traces de Pierre Lambert », un parcours traversera le territoire des deux communes en reliant 26 “stations” correspondant aux 26 lettres de l’alphabet. A chaque étape, une lettre « grand format » servira de fil rouge pour raconter l’histoire de ce personnage imaginaire, Pierre Lambert, qui aurait vécu dans les deux communes. Le parcours sera notamment fléché par des panneaux signalétiques détournés par l’artiste Alain Snyers.

Une découverte urbaine par une marche décalée qui confère une existence imaginaire à des lieux d’intérêts locaux. Les acteurs associatifs et des collectifs d’artistes contribuent à la diversité de la manifestation qui s’est déroulée du 18 au 26 mars 2017. Le projet agrège un ensemble de propositions qui de la carte avec parodies publicitaires aux panneaux d’affichage utilise tous les attributs de la communication événementielle urbaine.

 

La piste des Apaches

Fondée en 2010, la Biennale de Belleville est le fruit d’une rencontre entre ce quartier de l’Est
parisien et un groupe de commissaires, de critiques d’art et d’artistes.
Jouant sur l’absence de lieu central pour en faire un de ses points de force, la Biennale de
Belleville se déploie du Pavillon carré de Baudouin au belvédère de la rue Piat, de la rue de
Belleville pour s’étirer davantage vers l’Est de Paris.
Reposant sur un principe de mixité des lieux et de variété des interventions, la Biennale allie
ainsi performances déambulatoires et expositions collectives.
Depuis deux éditions, la Biennale de Belleville dessine de nouveaux itinéraires et met en
place des manières originales d’appréhender l’art contemporain.
A cette occasion DéMarches proposera Hors-Circuits, un walkscape urbain de Pantin au Bourget en passant par Bobigny.

La Biennale de Belleville 3

Paris Art

Wall Street International

vernissage de la Biennale de Belleville by Saywho

Slash Paris

TCQVAR

 

HORS_CIRCUITS AFFICH

Un événement DéMarche

Pantin-Le Bourget

_MG_5098_DxOWalkScape proposé par l’association DéMarches
Auteurs : Clayssen/Laforet
Biennale de Belleville / Septembre –octobre 2014

Les territoires actuels sont inventés : ils sont exhumés et créés, dans un même mouvement, dans la foulée. C’est en ce sens que traverser ces espaces aboutit aussi à les produire. : il n’y a pas de regard à l’état sauvage qui permette de les saisir à nu, mais une intrication du donné et du projeté, du donné et du plaqué, du déjà là et du fabriqué, de la découverte et de la production, et par conséquent de la traversée des territoires actuels et de leur création. La traversée est invention. Thierry Davila in Marcher, Créer.

Deux météorites mondialisées du milieu artistique international sont tombées au beau milieu du chaos de la banlieue parisienne, les galeries Thaddaeus Ropac à Pantin et Gagosian au Bourget. Deux objets culturels sortis de leur contexte habituel, il était intéressant de voir ce qu’il y a dans l’interstice, de parcourir le territoire entre les deux cratères, d’examiner quel lien peut exister à la fois entre les deux et au milieu des deux. Voyage donc dans l’entre-deux, quel paysage s’y déploie, y a t il quelque chose à voir ou rien ou si peu ? Quels signaux faibles, où en est l’entropie dans ce hors-circuit, quel paysage peut-on construire sur ce vide, cette absence de mythe, cette vacance de la Disneylisation millimétrée du monde ?

La caRte

15Km à pied
3 heures 45 de marche
18 623 pas

HORSCIRCUITW

Hors-circuits – temps de parcours et infos déplacement

0’00 ‘’ Galerie Thaddaeus Ropac, Avenue Général Leclerc, Pantin 1

6’30’’ Château d’eau, entrée du cimetière (urinoir à gauche de l’entrée)

Ensuite prendre Av. des Platanes (vers les cyprès) puis à droite

26’00’’ Avenue de la Zone à gauche

Sortie à droite Avenue Jean-Jaurès

Fort d’Aubervilliers

Zingaro (métro)

38’45’’ à droite sur le parking, Avenue de la Division Leclerc

57’50’’ Parc Départemental des sports de Paris Seine St Denis

(urinoir dans bâtiment à gauche de l’entrée)

1h00’ Sortie Parc des sports prendre à droite promenade Django Reinhardt tout droit jusqu’à la rue de l’Etoile.

Dans la rue de l’Etoile prendre la 1ère rue à droite, rue de l’Amicale qui longe l’arrière du terrain de l’ancienne gare de Bobigny jusqu’à la rue Gustave Moreau sur la droite (Chapelle de l’Etoile)

1h22’ Emprunter le pont routier

1h30’ Carrefour Repiquet (champ de pierres )

Traverser le terrain de jeux,

Sortie à gauche vers tunnel de Bobigny sortie n°221

1h42’30’’ traverser vers la gauche dans l’axe de la passerelle Julian Grimau prendre le tunnel pour sortir à gauche rue Diderot

2h00’’ Mur de soutènement en pierres sous grillages

Retourner vers la passerelle Julian Grimau

Suivre la rue Julian Grimau au bout tourner à gauche rue de la Courneuve puis à droite rue Jean-Pierre Timbaud (panneau Drancy à gauche)

Prendre à droite l’Avenue Vaillant Couturier (temple indien sur le trottoir de gauche en allant vers Le Bourget).

2h30’ commune du Bourget (sur la droite l’ancien cinéma Aviatic)

Suivre l’avenue de la Division Leclerc

Passer au-dessus de l’autoroute et prendre à gauche le long des bâtiments de la zone aéroportuaire

3h10’ Aéroport du Bourget (Musée de l’air et de l’espace)

Sortir pour traverser la nationale

vers la Cité Germain Dorel, au Blanc Mesnil

Puis retour le long des pistes jusqu’à la rue de Stockholm vers la Galerie Larry Gagosian 2

3h45 Fin du parcours

Retour vers Paris arrêt bus n° 350  devant l’aéroport

RATP- 350 – Horaires du samedi

Musée de l’Air et de l’Espace 16.16 16.36 16.56 17.16 17.36 17.56 18.16 18.36 18.55 19.15 19.35 19.54 20.14
Porte de la Chapelle
Gare de l’Est
16.34
16.51
16.54
17.11
17.14
17.31
17.34
17.51
17.54
18.11
18.14
18.31
18.34
18.51
18.53
19.10
19.12
19.29
19.32
19.48
19.51
20.07
20.08
20.24
20.27
20.43

 

Notes

1-Galerie Thaddaeus Ropac

69 avenue du Général Leclerc
93500
PANTIN RER : E, Pantin

2-Galerie Larry Gagosian

800 avenue de l’Europe
93350
LE BOURGET

Autoroute : A1
Bus : 350, 152 arrêt Musée de l’Air et de l’Espace
RER : B, Le Bourget puis bus 152

 

 

Les Points de vue

Les points de vue sont les aspérités remarquables du paysage créé par le walkscape. Ouvrages, bâtiments, végétation, curiosités, ce sont eux qui donnent le La, la couleur du parcours et sa tonalité, le rythme et la structure des récits engendrés par la marche.
HORS-CIRCUITW

15Km entre les galeries Ropac et Gagosian en milieu urbain de basse densité
Un parcours d’environ 15 Km avec un départ à Pantin, au pied de la galerie Thaddaeus Ropac, autour de la station de métro Quatre Chemins, vaste hangar sophistiqué, en direction de l’aéroport du Bourget, au milieu des friches industrielles plus ou moins reconverties, d’un grand cimetière, de parkings sauvages, de jardins ouvriers, d’une cité perdue mais classée, des fantômes de la Shoah, de zones de transit et d’un ouvrage d’art autoroutier sans égal, de temples colorés enfouis dans la jungle urbaine, de pistes d’envol, d’une autre cité oubliée dans les plis de l’histoire et pour finir dans la re-visitation industrielle précieuse de la galerie Gagosian en lisière de l’aéroport.

Démarches part en campagne

« Lisières & Climats de Bourgogne », un parcours dans un vignoble d’exception. Démarches a été sollicité par Bernard Utudjian, directeur de la Galerie Polaris et initiateur d’un événement dont l’intitulé « Une partie de campagne » évoquera Guy de Maupassant pour les lecteurs, Jean Renoir pour les cinéphiles et pour les galeristes et collectionneurs, une invitation estivale. Un événement que l’on rejoint en se déplaçant dans des lieux qui bien que éloignés du Marais parisien doivent disposer au moins d’une galerie et d’espaces disponibles pour accueillir des expositions à la demande d’un commanditaire sur place.

« Une partie de campagne » est l’occasion de découvrir en présence des galeristes et des artistes des œuvres inédites. Après la Bretagne -Locquirec et St Briac, l’Aquitaine -St Emilion, cette année sera bourguignonne. Châteaux, Domaines, caveau, salle du Conseil Municipal de Chassagne-Montrachet accueilleront les expositions le temps d’un weekend avec  un objectif : partir à la découverte de la création contemporaine entre professionnels, collectionneurs, amateurs et curieux de l’art, dans un cadre dont le savoir-faire a conduit le vignoble à la reconnaissance internationale de l’UNESCO. Une occasion de visiter aussi les oeuvres de l’antenne du FRAC-Bourgogne à Chagny.

Jacques Clayssen et Patrick Laforet, auteurs de parcours, ont été invités par Bernard Utudjian à proposer une marche de type walkscape (la marche comme pratique esthétique) entre Chassagne-Montrachet et Chagny. Marcher sur une terre qui vaut de l’or, entre des vignes qui produisent les nectars les plus précieux, voilà la commande confiée à l’association Démarches.

Un walkscape  associé à un parcours d’art contemporain à suivre du 11 au 12 juin à Chassagne-Montrachet.

 

IMG_1040

le carnet de campagne 2016

TraVerses

Documentation complète du parcours et des principaux points de vue, et un peu d’atmosphère…
Cliquez sur la première photo pour voir la galerie.

Photos Patrick Laforet

FragmeNts 1

Voyage au milieu du Rien

Démarrage du walkscape, départ de la fameuse galerie Thadhaeus Ropac, repaire des collectionneurs mondiaux de l’art, luxe, calme et volupté. Ensuite poursuite dans le rien de la banlieue, détails, petits signes, déréliction parfois, surprises affectueuses, parkings, cartes, tags partout, jusqu’aux champs de pierres conceptuels du rond-point Riquet.

Photos Patrick Laforet

FragmeNts 2

La Ville discontinue

Suite du parcours. Le Rien s’étend et parfois se rétrécit. Des jeux, du végétal, de la chapelle, des tags encore et partout jusqu’à la démesure pharaonique du tunnel de Bobigny, passage au-dessus des voies ferrées, mauvaise ambiance, spectres blancs de la Shoa à drancy, temple millénaire et arrivée à l’aéroport du Bourget.

Bâtons/Mémoires

Le bâton est associé à l’humanité depuis ses débuts, il en a accompagné toutes les évolutions et s’est diversifié dans un grand nombre d’usages : aide à la marche, arme guerrière, signe de pouvoir ou instrument de chasse. Outil polyvalent, il a pris des formes esthétiques très diverses et souvent très codées, chaque culture ayants ses bâtons décorés, gravés, sculptés, peints ou ornés, aux significations précises et la plupart du temps rituelles. La pratique du WalkScape se devait de rendre hommage à ce compagnon fidèle des marcheurs, des pèlerins et le bâton s’est imposé comme élément de mémoire, autre forme de récit et d’écriture destinée à rendre compte de chaque œuvre, symbolique douce de l’esprit d’un parcours, à la limite de la sculpture, de l’installation et de l’objet fétiche.

Le bâton-mémoire est orné de parures et de signes le liant exclusivement à un walkscape. Il est support des attributs symboliques ou littéraux d’un chemin, d’une voie. Le bâton-mémoire, participe de la tresse narrative à l’œuvre dans le walkscape. Ce bâton condense sur sa partie haute les éléments d’une histoire à travers des objets issus pour une part d’association d’idées, d’affinités électives, d’évocations et d’autre part d’objets témoins collectés sur le parcours, dont le statut de reliquat leur confère une aura singulière. Le bâton-mémoire, objet narratif qui à travers sa composition  offre à chacun un support à l’imaginaire. Il évoque et convoque tout à la fois des points de vue propres à chacun selon la connaissance ou l’expérience qu’il a du walkscape et ses référents culturels.

Œuvres d’imagination, ces sculptures, éléments en volume ou ces tableaux en relief suivant la perception de chacun, racontent l’histoire d’un parcours mental restituant un parcours physiquement réalisé et éprouvé lors d’un walkscape. De forme cylindrique, le bâton une fois pris en main, déroule sous toutes ses faces une figuration enlacée à sa forme à l’instar du bâton d’Asclépios autour duquel s’entoure la couleuvre. Le bâton-mémoire s’impose par son inscription dans le champ de la marche comme l’accompagnateur traditionnel du marcheur. Au titre d’emblème de la marche,  le bâton-mémoire constitue le support naturel d’une matérialisation de l’expérience esthétique de celle-ci.

Ci-dessous quelques exemples historiques ou contemporains, de l’exposition des bâtons des pèlerins de Saint Jacques de Compostelle aux foires anglo-saxonnes de walking sticks en passant par les ateliers d’enfants autour de cet objet et également les réalisations de DéMarches pour ses WalkScapes, décrites plus complètement dans le cadre de chaque parcours.

Les Barthes avec Roland

Un walkscape, dédié à la mémoire de Roland Barthes, sur les traces d’un parcours entre Bayonne et Urt qu’il appréciait. Le célèbre sémiologue et critique appartenait à une famille dont les domiciles se déplaçaient au fil des événements sur une bande littorale d’Hendaye à Hossegor en passant par Biarritz et Bayonne avant de s’arrêter dans le village d’Urt.IMG_1561
CARTE DEF URT

Des résidences familiales, des institutions d’enseignement tracent une cartographie de lieux connus et célèbres ou discrets et méconnus. Ces lieux ont fait l’objet d’études, de notes, d’observations qui ont alimenté ou documenté les biobliographies de Roland Barthes. En 2015, lors des manifestations du centenaire de sa naissance, en Aquitaine, de nombreuses productions et travaux ont mis à jour des aspects liés à ce territoire familial.

Notre contribution se situe localement sur un parcours familier des auteurs et de Roland Barthes. Trajet commenté par ses soins dans le texte publié par l’Humanité en 1977 sous le titre  La lumière du Sud-Ouest. Un texte singulier dans l’oeuvre de Barthes, il y évoque en effet dans un style littéraire inusité des souvenirs intimes à travers ses sensations.

Ce walkscape hommage à la mémoire de Barthes commence là où Bayonne fini le long de l’Adour vers les Landes.

Point de départ : Moulin de Bacheforès
Ce moulin à marée construit en 1642, sur la rive droite de l’Adour à Bayonne, est l’un des derniers témoins d’une technique originale. Il se compose de trois paires de meules à grains, entraînées par des roues à augets horizontales. Il fonctionne sur les mouvements de la marée. L’étang se remplit à marée montante puis se vide à marée descendante à l’ouverture des vannes qui entraînent les meules.
Point d’arrivée : cimetière d’Urt.
Village situé à une quinzaine de kilomètres à l’est de Bayonne,  dans la province basque du Labourd, il jouxte le département des Landes.  Henriette Barthes s’y installera dans les années 60, dans la maison Carboué. Elle y  accueillera ses enfants jusqu’à son décés en 1977. Enterrée au cimetière d’Urt, situé non loin de sa maison, son fil Roland sera inhumé dans le même caveau à son décès en 1980.

Le bâtiment qui était en cours de construction lors de notre parcours, abrite une médiathèque, une cantine et des locaux associatifs. Il est implanté sur le site de l’ancienne médiathèque Roland Barthes. Il est ouvert depuis novembre 2016.

chantier gp (2)   

 

 

 

 

 

 

Ce parcours se déroule aujourd’hui en majeure partie le long de l’Adour sur la D74. Une voie mixte vélos-piétons permet de marcher en toute sécurité, à l’exception de quelques passages non aménageables du fait de l’étroitesse de la voie.

Photos du parcours par Patrick Laforet

Compter 3h pour parcourir les 15km en toute tranquillité.

 

La lumière du Sud-Ouest

Les Barthes avec Roland, un walkscape hommage à Roland Barthes. Né à Cherbourg, Roland Barthes était par sa famille paternelle attaché au Sud-Ouest, il en a détaillé les raisons dans un texte d’écrivain publié en 1977 dans l’Humanité et réédité à moult reprises. Ce texte intitulé « La lumière du Sud-Ouest » nous a guidés dans notre parcours par la départementale 74, des bords de l’Adour au sortir de Bayonne jusqu’ au cimetière d’Urt où il repose avec sa mère.

marguerite de jardin

Aujourd’hui, 17 juillet, il fait un temps splendide. Assis sur le banc, clignant de l’œil, par jeu, comme font les enfants, je vois une marguerite du jardin, toutes proportions bouleversées, s’aplatir sur la prairie d’en face, de l’autre côté de la route.

Elle se conduit, cette route, comme une rivière paisible; parcourue de temps en temps par un vélo-moteur ou un tracteur (ce sont là, maintenant, les vrais bruits de la campagne, finalement non moins poétiques que le chant des oiseaux : étant rares, ils font ressortir le silence de la nature et lui impriment la marque discrète d’une activité humaine), la route s’en va irriguer tout un quartier lointain du village. Car ce village, quoique modeste, a ses quartiers excentriques. Le village, en France, n’est-il pas toujours un espace contradictoire ? Restreint, centré, il s’en va pourtant très loin ; le mien, très classique, n’a qu’une place, une église, une boulangerie, une pharmacie et deux épiceries (je devrais dire, aujourd’hui, deux self-services) ; mais il a aussi, sorte de caprice qui déjoue les lois apparentes de la géographie humaine, deux coiffeurs et deux médecins. La France, pays de la mesure ? Disons plutôt — et cela à tous les échelons de la vie nationale — pays des proportions complexes.

De la même façon, mon Sud-Ouest est extensible, comme ces images qui changent de sens selon le niveau de perception où je décide de les saisir. Je connais ainsi, subjectivement, trois Sud- Ouest.

Le premier, très vaste (un quart de la France), c’est un sentiment tenace de solidarité qui, instinctivement, me le désigne (car je suis loin de l’avoir visité dans son entier) : toute nouvelle qui me vient de cet espace me touche d’une façon personnelle. A y réfléchir, il me semble que l’unité de ce grand Sud-Ouest, c’est pour moi la langue : non pas le dialecte (car je ne connais aucune langue d’Oc) ; mais l’accent, parce que, sans doute, l’accent du Sud-Ouest a formé les modèles d’intonation qui ont marqué ma première enfance. Cet accent gascon (au sens large) se distingue pour moi de l’autre accent méridional, celui du Midi méditerranéen ; celui-là, dans la France d’aujourd’hui, a quelque chose de triomphant : tout un folklore cinématographique (Raimu, Fernandel), publicitaire (huiles, citrons) et touristique, le soutient ; l’accent du Sud-Ouest (peut-être plus lourd, moins chantant) n’a pas ces lettres de modernité ; il n’a, pour s’illustrer, que les interviews des rugbymen. Moi-même, je n’ai pas d’accent ; de mon enfance, il me reste cependant un « méridionalisme » : je dis « socializme », et non « socialisme » (qui sait, cela fait peut-être deux socialismes ?).

Mon second Sud-Ouest n’est pas une région ; c’est seulement une ligne, un trajet vécu. Lorsque, venant de Paris en auto (j’ai fait mille fois ce voyage), je dépasse Angoulême, un signal m’avertit que j’ai franchi le seuil de la maison et que j’entre dans le pays de mon enfance ; un bosquet de pins sur le côté, un palmier dans la cour d’une maison, une certaine hauteur des nuages qui donne au terrain la mobilité d’un visage. Commence alors la grande lumière du Sud-Ouest, noble et subtile tout à la fois ; jamais grise, jamais basse (même lorsque le soleil ne luit pas), c’est une lumière-espace, définie moins par les couleurs dont elle affecte les choses (comme dans l’autre Midi) que par la qualité éminemment habitable qu’elle donne à la terre. Je ne trouve pas d’autre moyen que de dire : c’est une lumière lumineuse. Il faut la voir, cette lumière (je dirais presque : l’entendre, tant elle est musicale), à l’automne, qui est la saison souveraine de ce pays ; liquide, rayonnante, déchirante puisque c’est la dernière belle lumière de l’année, illuminant chaque chose dans sa différence (le Sud-Ouest est le pays des micro -climats), elle préserve ce pays de toute vulgarité, de toute grégarité, le rend impropre au tourisme facile et révèle son aristocratie profonde (ce n’est pas une question de classe mais de caractère). A dire cela d’une façon aussi élogieuse, sans doute un scrupule me prend : n’y a-t-il jamais de moments ingrats, dans ce temps du Sud-Ouest ? Certes, mais pour moi, ce ne sont pas les moments de pluie ou d’orage (pourtant fréquents) ; ce ne sont même pas les moments où le ciel est gris ; les accidents de la lumière, ici, me semble-t-il, n’engendrent aucun spleen ; ils n’affectent pas l’« âme », mais seulement le corps, parfois empoissé d’humidité, saoulé de chlorophylle, ou alangui, exténué par le vent d’Espagne qui fait les Pyrénées toutes proches et violettes : sentiment ambigu, dont la fatigue a finalement quelque chose de délicieux, comme il arrive chaque fois que c’est mon corps (et non mon regard) qui est troublé.

Mon troisième Sud-Ouest est encore plus réduit : c’est la ville où j’ai passé mon enfance, puis mes vacances d’adolescent (Bayonne), c’est le village où je reviens chaque année, c’est le trajet qui unit l’une et l’autre et que j’ai parcouru tant de fois, pour aller acheter à la ville des cigares ou de la papeterie, ou à la gare chercher un ami. J’ai le choix entre plusieurs routes ; l’une, plus longue, passe par l’intérieur des terres, traverse un paysage métissé de Béarn et de Pays basque ; une autre, délicieuse route de campagne, suit la crête des coteaux qui dominent l’Adour ; de l’autre côté du fleuve, je vois un banc continu d’arbres, sombres dans le lointain : ce sont les pins des Landes ; une troisième route, toute récente (elle date de cette année), file le long de l’Adour, sur sa rive gauche : aucun intérêt, sinon la rapidité du trajet, et parfois, dans une échappée, le fleuve, très large, très doux, piqué des petites voiles blanches d’un club nautique. Mais la route que je préfère et dont je me donne souvent volontairement le plaisir, c’est celle qui suit la rive droite de l’Adour ; c’est un ancien chemin de halage, jalonné de fermes et de belles maisons. Je l’aime sans doute pour son naturel, ce dosage de noblesse et de familiarité qui est propre au Sud-Ouest ; on pourrait dire que, contrairement à sa rivale de l’autre rive, c’est encore une vraie route, non une voie fonctionnelle de communication, mais quelque chose comme une expérience complexe, où prennent place en même temps un spectacle continu (l’Adour est un très beau fleuve, méconnu), et le souvenir d’une pratique ancestrale, celle de la marche, de la pénétration lente et comme rythmée du paysage, qui prend dès lors d’autres proportions ; on rejoint ici ce qui a été dit au début, et qui est au fond le pouvoir qu’a ce pays de déjouer l’immobilité figée des cartes postales : ne cherchez pas trop à photographier : pour juger, pour aimer, il faut venir et rester, de façon à pouvoir parcourir toute la moire des lieux, des saisons, des temps, des lumières.

On me dira : vous ne parlez que du temps qu’il fait, d’impressions vaguement esthétiques, en tout cas purement subjectives. Mais les hommes, les rapports, les industries, les commerces, les problèmes ? Quoique simple résident, ne percevez-vous rien de tout cela ? — J’entre dans ces régions de la réalité à ma manière, c’est-à-dire avec mon corps ; et mon corps, c’est mon enfance, telle que l’histoire l’a faite. Cette histoire m’a donné une jeunesse provinciale, méridionale, bourgeoise. Pour moi, ces trois composantes sont indistinctes ; la bourgeoisie, c’est pour moi la province, et la province, c’est Bayonne ; la campagne (de mon enfance), c’est toujours l’arrière-pays bayonnais, réseau d’excursions, de visites et de récits. Ainsi, à l’âge où la mémoire se forme, n’ai-je pris des « grandes réalités » que la sensation qu’elles me procuraient : des odeurs, des fatigues, des sons de voix, des courses, des lumières, tout ce qui, du réel, est en quelque sorte irresponsable et n’a d’autre sens que de former plus tard le souvenir du temps perdu (tout autre fut mon enfance parisienne : pleine de difficultés matérielles, elle eut, si l’on peut dire, l’abstraction sévère de la pauvreté, et du Paris de cette époque, je n’ai guère d’« impressions »). Si je parle de ce Sud-Ouest tel que le souvenir le réfracte en moi, c’est que je crois à la formule de Joubert : « II ne faut pas s’exprimer comme on sent, mais comme on se souvient. »

Ces insignifiances sont donc comme les portes d’entrée de cette vaste région dont s’occupent le savoir sociologique et l’analyse politique. Rien, par exemple, n’a plus d’importance dans mon souvenir que les odeurs de ce quartier ancien, entre Nive et Adour, qu’on appelle le petit-Bayonne : tous les objets du petit commerce s’y mêlaient pour composer une fragrance inimitable : la corde des sandales (on ne dit pas ici des « espadrilles ») travaillée par de vieux Basques, le chocolat, l’huile espagnole, l’air confiné des boutiques obscures et des rues étroites, le papier vieilli des livres de la bibliothèque municipale, tout cela fonctionnait comme la formule chimique d’un commerce disparu (encore que ce quartier garde un peu de ce charme ancien), ou plus exactement, fonctionne aujourd’hui comme la formule de cette disparition. Par l’odeur, c’est le changement même d’un type de consommation que je saisis : les sandales (à la semelle tristement doublée de caoutchouc) ne sont plus artisanales, le chocolat et l’huile s’achètent hors la ville, dans un supermarché. Finies les odeurs, comme si, paradoxalement, les progrès de la pollution urbaine chassaient les parfums ménagers, comme si la « pureté » était une forme perfide de la pollution.

Autre induction : j’ai connu, dans mon enfance, bien des familles de la bourgeoisie bayonnaise (le Bayonne de cette époque avait quelque chose d’assez balzacien) ; j’ai connu leurs habitudes, leurs rites, leurs conversations, leur mode de vie. Cette bourgeoisie libérale était bourrée de préjugés, non de capitaux ; il y avait une sorte de distorsion entre l’idéologie de cette classe (franchement réactionnaire) et son statut économique (parfois tragique). Cette distorsion n’est jamais retenue par l’analyse sociologique ou politique, qui fonctionne comme une grosse passoire et laisse fuir les « subtilités » de la dialectique sociale. Or, ces subtilités — ou ces paradoxes de l’Histoire — , même si je ne savais pas les formuler, je les sentais : je « lisais » déjà le Sud-Ouest, je parcourais le texte qui va de la lumière d’un paysage, de la lourdeur d’une journée alanguie sous le vent d’Espagne, à tout un type de discours, social et provincial. Car « lire > un pays, c’est d’abord le percevoir selon le corps et la mémoire, selon la mémoire du corps. Je crois que c’est à ce vestibule du savoir et de l’analyse qu’est assigné l’écrivain : plus conscient que compétent, conscient des interstices mêmes de la compétence. C’est pourquoi l’enfance est la voie royale par laquelle nous connaissons le mieux un pays. Au fond, il n’est Pays que de l’enfance.

* Paru dans L’Humanité du 10 septembre 1977. Ré-édition Le Seuil.

Goxokissime

C’est l’intime qui veut parler en moi, faire entendre son cri, face à la généralité, à la science. Le Bruissement de la langue. Essais critiques 4 par Roland Barthes.

L’époque des séjours à Urt commence dans les années 60, Henriette Barthes quitte la villa Etchetoa, à Hendaye devenue trop touristique. Elle achète la maison Carboué (la maison du charbonnier, en gascon), à Urt.  A compter de 1968, Roland Barthes y séjournera tous les étés et durant les vacances scolaires, « le délice de ces matinées à U. : le soleil, la maison, les roses, le silence, la musique, le café, le travail, la quiétude insexuelle, la vacance des agressions ».  Il y trouve une quiétude et une tranquillité bercées par la douce présence de sa mère, jusqu’au décès de celle-ci le 25 octobre 1977 qui bouleversera durablement le reste de la vie de son fils.

Villa Les Sirènes à Biarritz

La Villa Les Sirènes à Biarritz où résida la famille Barthes au début de la Seconde Guerre mondiale. RB réformé, échappe à la mobilisation et devient professeur à Biarritz.

Maison Etchetoa à Hendaye-Henriette

La villa Etchetoa à Hendaye que vendit Henriette, la mère de Roland avant de s’installer à Urt.

maison Carboué vue par RBLa maison Carboué à Urt, photo publiée par l’auteur dans Roland Barthes par Roland Barthes.

Dans la maison d’Urt, Barthes a reconstitué son espace de travail à l’identique de la rue Servandoni. II s’acclimate d’autant mieux au village qu’il s’y est fait quelques amis. Ce retour sur les terres de l’enfance le comble, pour preuve le récit qu’en fait l’écrivain Roland Barthes. Dans le texte littéraire sobrement intitulé La lumière du Sud-Ouest, Barthes laisse libre cours à ses souvenirs dans un récit intime et poétique dans lequel affleurent les émotions esthétiques, les souvenirs qui forgent le corps. Barthes s’incarne physiquement dans un paysage matriciel. Un environnement d’odeurs, de saveurs et d’accents nimbés d’une lumière lumineuse. Et là, tout d’un coup il avoue son impuissance à décrire. Lui, le sémiologue, le critique aux mots précis jusqu’à la préciosité, l’auteur au vocabulaire savant, le spécialiste de la rhétorique, écrit : Je ne trouve pas d’autre moyen que de dire : c’est une lumière lumineuse. Cette hyperbole illumine le texte, Barthes laisse place à Roland, le petit garçon qui a grandi à l’ombre de sa mère. La lumière inonde les Barthes, l’eau et la lumière, pas le soleil et la mer. Pour nommer cette différence, il agglutinera basque et latin inventant un mot capable de décrire le sentiment qu’il éprouvait, sur ce territoire, d’une existence protégée : goxokissime.

Enfant je m’étais fait une retraite à moi, cabane et belvédère, au palier supérieur d’un escalier extérieur, sur le jardin : j’y lisais, écrivais, collais des papillons, bricolais ; cela s’appelait (basque+latin) gochokissime. In « Grand fichier », 1 mai 1978.

A noter que Barthes n’utilise pas la graphie basque du mot racine goxo mais la graphie phonétique. La graphie basque permet d’identifier à l’origine du néologisme le terme goxoki, qui signifie douceur enveloppante.

Barthes était plus basque à Paris qu’à Urt. Il en a surpris plus d’un en arborant fièrement, autour du jardin du Luxembourg, son béret basque. Fabrice Luchini, raconte volontiers sa surprise lorsqu’ il avait découvert pendu à une patère, rue Servandoni, un béret. « C’est normal (d’avoir un béret), je suis Basque » lui avait expliqué Barthes.

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La littérature ne permet pas de marcher, mais elle permet de respirer concède Roland Barthes dans Essais critiques -1964. Le fait littéraire permet de dispenser un souffle dans un monde asphyxié par le signifiant. Quelques sept ans auparavant, il notait à propos de la marche dans Mythologies-1957: Marcher est peut-être – mythologiquement – le geste le plus trivial, donc le plus humain. Tout rêve, toute image idéale, toute promotion sociale suppriment d’abord les jambes, que ce soit par le portrait ou par l’auto.

Dans Roland Barthes par Roland Barthes, sous le classement J’aime, nous retiendrons qu’il aime …marcher en sandales le soir sur des petites routes du Sud-Ouest, le coude de l’Adour vu de la maison du docteur L.,…. Il notera avec ironie, dans La lumière du Sud-Ouest,  que les espadrilles chères aux touristes se nomment ici sandales.

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A cette époque, je ne fréquentais pas souvent les rives de l’Adour et j’ignorais cette proximité géographique. Pourtant, les occasions de croiser Roland Barthes ne manquaient pourtant pas, que ce soit chez Cazenave à Bayonne devant un chocolat mousseux, devant un fronton lors d’une partie de pelote, à l’Abbaye de Bellocq pour acheter des fromages de brebis ou sur le banc face à l’Adour devant la Galupe, table qu’il appréciait. Le patron ayant reconnu le bon vivant qui savait apprécier sa cuisine et prenait plaisir à sélectionner avec lui quelques flacons de vins fins. Ou encore le croiser dans sa coccinelle rouge entre Urt et Bayonne,  dans ce Sud-Ouest où il pouvait se saouler de chlorophylle.

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Cazenave sous les arceaux de Bayonne,
son chocolat mousseux a contribué à son succès.

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L’Abbaye de Bellocq commercialise un fromage de chèvre apprécié.

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Sur les rives de l’Adour, ce restaurant réputé, accueillait souvent Roland Barthes ami de Christian Parra. Ce chef étoilé, disparu en 2015, était célèbre pour ses recettes de boudin noir, de saumon de l’Adour et de ventrèche de thon.

Texte Jacques Clayssen

Les Barthes

Mettre nos pas dans le sillage des roues de l’auto de Roland Barthes pour effectuer son trajet préféré entre Urt et Bayonne, c’est parcourir dans un temps long un parcours effectué par l’auteur au volant de sa décapotable, les cheveux au vent quand le temps le permettait.

Il achète au début des années 1960 une Volkswagen, il sera propriétaire d’une Coccinelle décapotable de couleur rouge. Il aimait conduire. S’il descendait de Paris à Urt, comme on dit dans le Sud-Ouest, à l’époque le voyage nécessitait une douzaine d’heures. Il descendait très souvent en auto, puis la fatigue et son emploi du temps lui firent préférer le train ou l’avion. Il laissa l’auto à Urt pour ses périples au Pays Basque, sur les deux versants des Pyrénées.

Roland Barthes avait le choix entre trois itinéraires pour rejoindre la maison Carboué à Urt depuis Bayonne. Deux longent l’Adour, chacun par une rive, le troisième passe par les hauteurs loin du fleuve. Dans le texte La lumière du Sud-Ouest, RB précise son choix «Mais la route que je préfère et dont je me donne souvent volontairement le plaisir, c’est celle qui suit la rive droite de l’Adour ; c’est un ancien chemin de halage, jalonné de fermes et de belles maisons. Je l’aime sans doute pour son naturel, ce dosage de noblesse et de familiarité qui est propre au Sud-Ouest ; on pourrait dire que, contrairement à sa rivale de l’autre rive, c’est encore une vraie route, non une voie fonctionnelle de communication, mais quelque chose comme une expérience complexe, où prennent place en même temps un spectacle continu (l’Adour est un très beau fleuve, méconnu), et le souvenir d’une pratique ancestrale, celle de la marche, de la pénétration lente et comme rythmée du paysage, qui prend dès lors d’autres proportions ; on rejoint ici ce qui a été dit au début, et qui est au fond le pouvoir qu’a ce pays de déjouer l’immobilité figée des cartes postales : ne cherchez pas trop à photographier : pour juger, pour aimer, il faut venir et rester, de façon à pouvoir parcourir toute la moire des lieux, des saisons, des temps, des lumières. ». Dans l’ouvrage de référence écrit par Tiphaine Samoyault (1), celle-ci se trompe de route en s’engageant sur la départementale 261, alors que Roland Barthes indique clairement préférer la départementale 74 sur la rive droite, chemin jalonné de fermes et de belles maisons qui lui apparaît, comme il l’écrit dans La lumière du Sud-Ouest : une expérience complexe. Ce sera donc sur la route des Barthes que nous marcherons, pour une pénétration lente et comme rythmée du paysage,  qui prend dès lors d’autres proportions.

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L’homonymie est-elle un indice justifiant le choix ou une affinité élective qui ne manque pas d’interpeller?

Roland Barthes étudia, lors d’un séminaire sur le « Vivre ensemble au Collège de France » en 1976, la capacité des sociétés humaines à inventer des noms propres et forgea à cette occasion un néologisme : « l’onomatogénèse » (la création de nom, du grec onoma). Il ouvre ainsi une perspective vers une ethnologie historique ; puisque des noms de famille sont des noms de lieux ou des surnoms. On se souviendra qu’il a développé une étude onomastique dans le Degré zéro de l’écriture, Barthes y prend son nom comme exemple : une barthe, dans une langue celto-ibère, est une prairie périodiquement inondée. Barthes se souvient aussi avoir vu, enfant, dans un journal local, un article sur « La grande misère des barthes », relatant les désordres occasionnés par la trop faible ou trop forte montée des eaux. Mais, la route des Barthes, qu’il parcourt, longe un fleuve mieux maîtrisé même si le risque persiste. J’entre dans ces régions de la réalité à ma manière, c’est-à-dire avec mon corps ; et mon corps, c’est mon enfance… la campagne (de mon enfance), c’est toujours l’arrière l’arrière-pays bayonnais, réseau d’excursions, de visites et de récits.

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Le couple St Barthélémy-Barthes fonctionne sur une racine commune [Barthe], mais l’association géographique des deux toponymes n’est pas unique puisqu’elle se redouble dans l’arc antillais l’île et l’archipel associés : Saint Barthelemy / St Barth. L’apocope de Barthélémy ayant donné le nom familier utilisé par les îliens.

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La Barthe, désigne des terres inondables de la vallée de l’Adour. L’Office de tourisme des Landes explique : « façonnées par les crues millénaires de l’Adour, les Barthes, mi-eau, mi-terre, représentent un milieu original d’une très grande richesse ». La route longe une digue-talus la protégeant, ainsi que les terres alentour des inondations dues à la montée des eaux principalement quand les marées d’équinoxe se conjuguent avec la fonte des neiges. Moment critique durant lequel l’Adour voit son débit et son niveau augmenter. De la route en voiture, le fleuve n’est visible que dans les intervalles laissés dans la digue pour des appontements ou depuis les ponts qui jalonnent la route pour enjamber les esteys.

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Les aménagements hydrauliques des barthes ont été réalisés au XVIIème siècle par des ingénieurs hollandais. Les eaux du coteau et les esteys sont canalisées par des canaux de traverse vers l’Adour. Le mot gascon estey désigne des cours d’eau à sec lors de la marée basse. Sur l’Adour, les plus hautes marées se font sentir jusqu’à Dax, à soixante kilomètres de l’embouchure, aussi les esteys sont équipés à leur débouché de portes à flots ou à clapets, laissant s’écouler les eaux vers le fleuve, mais se refermant à marée montante. Hors des saisons de hautes eaux, l’Adour s’écoule lentement presque au niveau de la route. Le flot changeant de direction avec les marées, à marée descendante le fleuve charrie vers l’océan les débris forestiers de ses rives pyrénéennes. Entre Bayonne et Urt deux îles, sur l’une d’elles, l’île de Berens, une demeure et sa chapelle bordées de grands arbres. La route suit les méandres de l’Adour, la bâti ancien empiète sur la chaussée contraignant la route à éviter les coins des fermes dont les plus anciennes dates du XVIIIème siècle, mais aussi de belles propriétés, dont le château de Montpellier, une maison de style espagnol, des maisons de maître accompagnées de leur corps de ferme alternent avec des prairies inondables. Ce bâti a du cachet et l’on comprend que Roland Barthes préfère cette rive à la rive gauche plus efficace pour relier Bayonne, mais dont les abords présentent moins d’attrait.

Roland Barthes avait confié lors d’une interview sur France Culture qu’il n’aimait pas trop marcher. La découverte pédestre de son parcours automobile préféré pour joindre Bayonne à Urt favorise une revue détaillée de l’environnement, mais aussi un point de vue à hauteur d’homme. Assis en auto, même décapotable le regard butte sur les haies et la digue ne livrent que de fugitives lignes de fuite.

La distinction entre paysages habitables et paysages visitables catégorise les paysages dont la distinction tient à la qualité de la lumière-espace qui dispense une qualité éminemment habitable à la terre qui acquiert ainsi le pouvoir de déjouer l’immobilité figée des cartes postales. Ce trajet des Barthes fait figure de modèle de paysage habitable, pourtant quelques années plus tard dans La Chambre Claire, l’auteur revient sur sa définition du paysage habitable en prenant pour exemple une photo de l’Alhambra. Réalisée par Charles Clifford dans les années 1850, cette image n’est pas sans évoquer la Villa Saint-Jean sur les bords de l’Adour, dont le souvenir du style hispanisant marqué pourrait avoir orienté le choix de Roland Barthes. D’autant que la légende « C’est là que je voudrais vivre… » est interrogée par le texte ci-dessous :

« Pour moi, les photographies de paysages (urbains ou campagnards) doivent être habitables, et non visitables. Ce désir d’habitation, si je l’observe bien en moi-même n’est ni onirique (je ne rêve pas d’un site extravagant) ni empirique ; il est fantasmatique, relève d’un sorte de voyance qui semble me porter en avant dans un temps utopique, ou me reporter en arrière, je ne sais où de moi-même (…) »… » La Chambre Claire- 1980- p.66-68

La tentation est grande de localiser ce je ne sais où de moi-même comme une réminiscence des bords de l’Adour. Et j’y succombe.

Quand il rentrait en fin d’après-midi à Urt, par la Départementale 74, il pouvait lire sur le cadran solaire de la Villa St-Jean : « Je ne marque que les beaux soirs ». Le cadran solaire ne peut marquer les heures de fin de journée que si le soleil brille assez tard dans la soirée. L’évidence poétique de cette assertion ne résume pas le sens littéral de ce tracé par la lumière, qui à l’instar des racines grecques du mot photographie « peindre avec la lumière » décrit un état naturel de la photo, inscription instantanée, sans mémoire. Dans ce contexte seul les « beaux » instants sont marqués, sans la lumière la marque n’apparaît pas, le « beau » fonctionne ici comme condition de la marque, du tracé. Ce « beau » météorologique peut aussi marquer un point final, le beau soir de la vie. Cet aphorisme éclaire d’une lumière particulière ce parcours qui lui est dédié.

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La villa et son cadran solaire éléments remarquables de ce parcours n’ont pu échapper à Roland Barthes malgré l’attention que requiert, à cet endroit, la route qui s’enlace sur l’angle de la villa, avant de filer vers le fronton de St Barthélémy, daté 1951 et orné d’un blason. Encore une image, sans texte, un tracé au trait figurant son propre décor.

Le fronton, support du blason dessiné y figurant, cette mise en abyme condense les éléments constitutifs du paysage dans lequel il s’inscrit : le fleuve, les roseaux, un arbre et l’église de St Barthélémy que l’on découvre plus loin perchée sur une butte.

Il ne s’agit pas d’un sentier pédestre mais bien d’une route, parfois bordée de platanes taillés suivants des règles variées qui donnent aux troncs des allures surprenantes, drôles ou inquiétantes. Le platane, repère identitaire des barthes de l’Adour, dispense non seulement son ombrage en été, mais il fournit son bois aux riverains. Ces platanes aux troncs tourmentés portent les marques des tailles répétées tout au long de leur croissance. Cette pratique, appelée trogne, consiste à couper le tronc ou les branches maîtresses à un niveau plus ou moins élevé, ce qui provoque un renflement au sommet du tronc qui supporte un taillis de branches. La trogne permet d’assurer une production de bois régulière pour le chauffage ou la construction sans détruire l’arbre. La drôle de trogne des platanes porte le nom de abarburu au pays basque.

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Le pont d’Urt, construction Eiffel, enjambe l’Adour. Premier pont depuis Bayonne, le suivant se situe à Peyrehorade à vingt kilomètres en amont. De ce pont doté d’un passage piéton, en aval du tablier et isolé de la chaussée,  le marcheur découvre l’Adour dans toute sa largeur et le village d’Urt perché sur sa colline. La petite gare, le passage à niveau, la rive droite à hauteur de St Laurent-de-Gosse, l’Aran petit affluent qui jouxte l’Adour d’un côté ; le restaurant la Galupe et le Château de Montpellier en aval composent ce paysage que l’on découvre en montant par le sentier qui, après une volée de marches, débouche sur la place d’Urt.

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Château de Montpellier vue du pont

propriété Lartigue

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(1) Roland Barthes, Tiphaine Samoyault.- éd. Seuil-2015

Texte et photos Jacques Clayssen

Urt, pied-à-terre

De 1972 à 1973, devant des étudiants curieux, intervenaient successivement à l’université de Bordeaux III Julia Kristeva, Philippe Sollers et Roland Barthes. Nous étions quelques étudiants en Lettres Modernes entassés dans une salle de cours.

Alors que je travaillais à la librairie La Hune à la fin des années 70, sous la responsabilité de Jacques Bertoin, Roland Barthes passait souvent en voisin. Ne racontait-on pas à l’époque que la librairie était là pour permettre aux clients de choisir entre le Flore et les Deux Magots, lui avait choisi Le Flore. Ce jour-là Barthes cherchait un exemplaire de La Chartreuse de Parme. En édition de poche, précise-t-il, c’est pour travailler.

Il en avait besoin m’explique-t-il pour préparer une conférence qu’il devait donner à Milan la semaine suivante. Il s’agissait comme je l’apprendrai plus tard d’une intervention sur Stendhal et l’Italie qu’il avait intitulée « On échoue toujours à̀ parler de ce qu’on aime ».

Puis, nous avons échangé à propos de la photo. La Chambre Claire venait de paraître suscitant débats et polémiques. L’ouvrage marquait un tournant dans le monde de la photo, il succédait à la publication en français de Sur la photographie (1) ; six essais, écrits entre 1973 et 1977 par Susan Sontag, amie de Roland Barthes. Notre échange se prolongeait, des clients nous interrompaient, d’autres manifestaient leur impatience. Alors, il m’a suggéré un rendez-vous le lundi 25. Nous avons convenu qu’il me rejoindrait à la librairie, à la fin de mon service, pour poursuivre nos échanges autour d’une table.

Je passais un week-end dans l’impatience de cette rencontre proposée avec cette délicate amabilité dont il savait faire preuve.

J’ai attendu en vain. Roland Barthes n’est jamais venu. Je n’ai appris que le mardi qu’il avait été hospitalisé suite à un accident dont les conséquences devaient lui coûter la vie un mois plus tard.

Il sera enterré au cimetière d’Urt avec Henriette, sa mère bien aimée

« Là-bas, je ne me rappelle que la pluie battante, folle, violente, et le vent glacé qui nous enveloppa, resserrés comme une petite troupe aux abois, et le spectacle immémorial du cercueil qu’on descendait dans la fosse.» se souviendra son ami Éric Marty

Ma mère est décédée dans une maison de retraite d’Urt le 27 mars 2012. Barthes s’est éteint le 26 mars 1980, il sera inhumé quelques jours plus tard.

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Coïncidences et hasards de la vie. Marcher sur cette route aimée par Barthes, s’immerger dans son paysage, partager ses points de vue, regarder à travers ses descriptions et ses sensations, autant de raisons pour métamorphoser ce parcours en pèlerinage. De l’enfance au cimetière, un chemin de vie en quelques kilomètres pour éprouver de tout son être qu’Au fond, il n’est de Pays que de l’enfance.

Note :

(1)       Sur la photographie, Susan Sontag.- éd. Seuil-Fiction & Cie-1979

Texte Jacques Clayssen

Bâton/Mémoire – Les Barthes avec Roland

« Marcher est peut-être – mythologiquement – le geste le plus trivial, donc le plus humain », écrivait Roland Barthes.

Le bâton-mémoire se fait ici portrait d’un homme avec des évocations territoriales : le maïs des Landes, les couleurs du drapeau basque. Le sigle stylisé de la marque de son auto, réminiscence des Mythologies. La bière espagnole pour les escapades au-delà des Pyrénées. Le damier livré à notre imagination s’enroule autour d’un portrait de l’auteur adolescent.

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Adour mon amour

_H9A1650_DxOPaysage de rien, ou de peu, la promenade préférée de Roland Barthes ressemble à un chemin de croix dont on aurait enlevé les stations et dont il ne resterait que la trace de l’ombre sur les murs. Territoire vide et vaguement mélancolique au premier abord, les prairies se suivent et se ressemblent, uniformes, sans aspérités, désespérément plates et sans relief, bordées par le fleuve et sa platitude tranquille dont l’eau s’écoule ou, première surprise, parfois remonte avec la marée. L’Adour est un petit Danube dont le flot s’inverse tranquillement et ce phénomène se perçoit difficilement selon la marée, le vent, la saison, la lumière, bref demande du temps, de l’observation et une attention flottante suffisamment forte pour déceler le décalage du cours qui remonte la pente naturelle au lieu de la descendre, légère bizarrerie dans le paysage.

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Succession morne des étendues herbeuses, quelques reliefs au loin dans les forêts dispersées, un air de Sibérie au printemps, de l’eau partout, sous jacente, dont le bruit ne quitte jamais le visiteur, réseau de canaux anciens qui drainent sans cesse un envahissement régulier. La terre n’est pas vraiment la terre ici, elle ne sert qu’à écouler de l’eau, souvent en surnombre, le territoire est transitoire, en attente d’une arrivée toujours imprévue, comme un membre de la famille qui débarque toujours à l’improviste et du coup tombe parfois au mauvais moment, invité non-désiré mais dont on garde la chambre prête parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver, la neige peut fondre, la pluie tomber, le fleuve gonfler et l’invitée se répandre dans ce territoire toujours prêt à absorber un surplus, territoire toujours recommencé, réinventé, à la végétation rapide et envahissante.

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Dénuement spectaculaire où justement le moindre signe prend un éclat sans précédent, dans cette absence de choses le vide devient un écrin pour le petit, l’insignifiant que l’on ne regarde plus, l’inaperçu permanent, le détour dans le rien devient un éclat perçant pour les petites choses, les petits signes que nous adresse la réalité, le territoire devient une forme de méditation pour sémiologue stressé et occupé de millions de sollicitations visuelles, d’analyses mythologiques et de chambres claires. Le dénuement est reposant, paisible, toujours disponible, machine à laver permanente et bienveillante, passer dans ce territoire c’est remettre les compteurs à zéro, se débarrasser du superflu, de la profusion et de l’inutilement présent à l’esprit, et s’offrir quelques instants d’éternité au passage.

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La ponctuation, le « punctum » prend ici tout son sens, le chemin est jalonné de petits points au reliefs forts et délicats, très marqués, presque trop présents et qui viennent rompre une tranquillité visuelle charmante aux douces tonalités exotiques ou campagnardes. Un vrai repos du guerrier après la bataille perpétuelle de la surcharge, du baroque des paysages urbains modernistes. Enfin il ne se passe plus rien, juste une circulation dans un espace en creux, un entre-deux solitaire où rien ne distrait, rien ne perturbe, sauf la courbe d’un arbre, d’un roseau, les légères inflexions de la route ou la tache de couleur de quelques marguerites.

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Le temps aussi s’y est arrêté dans un style désuet, daté, propret, un petit monde de nains de jardins sympathiques où s’empilent les références, longuement accumulées au milieu de cette sorte de grenier stylistique, du vintage férocement brutalise à l’hacienda mexicaine, le tout enchâssé dans le fameux décor rural à la vibration bordélique, plein de machines, de poules et d’animaux, de déchets divers éparpillés selon une logique obscure mais persistante. De même que le fleuve inverse son cours selon les caprices des marées, le temps lui même par endroits se contracte et offre de splendides raccourcis, de belles coincidences dans un joyeux n’importe quoi, surprise toujours renouvelée du parcours.

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Le seul signe religieux de cette promenade se dresse avec élégance au milieu du parcours, reprenant la forme baroque de la figure de Dieu, sans les ornements, sans la préciosité, sans l’ostentation des ors de l’église, sans le cadre sacralisant, toujours le dénuement, simple rupture visuelle entre le plat et le vertical, ornée malgré tout d’une fine dentelle de grillage, vague réminiscence respectueuse, sur laquelle viennent se fracasser les balles du jeu collectif de la région. L’adresse a remplacé la dévotion mais sert toujours de ciment communautaire, nouvelle religion païenne partagée avec l’ancienne, égalité du fronton et de l’église.

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Paysage squelettique dans lequel peut se déployer sans frein, sans obstacle et sans distraction, la fameuse lumière du sud-ouest si chère à Roland Barthes, qui envahit, jour après jour, ce territoire incertain. Paysage dont la seule  fonction est de porter la lumière du ciel, de recevoir ses rayons et vibrer dans le dénuement des courtes oscillations de la couleur, miroir sans tain sur la beauté de la terre et des marécages, des nuages et du vide.

Texte et Photos Patrick Laforet

Hors-Circuits +1

Un an après la première édition, nous avons repris le parcours Pantin-Le Bourget. En effet, dès la mise en place de Hors circuits, nous avions envisagé de suivre les évolutions de son environnement.Une marche permet de découvrir un état du parcours figé à l’instant du passage, remettre ses pas dans les pas de l’année précédente révèle les mutations infimes ou massives d’un environnement en continuelle évolution.

Jacques Clayssen, relevé des observations notées en septembre 2015

De la gentrification de Pantin aux évolutions du site aéroportuaire du Bourget, en passant par les constructions, réhabilitations , aménagements et dégradations de l’espace public, nous découvrons comment la nature estompe les entraves à l’implantation des populations précaires, comment des espaces occupés par des bidonvilles sont aujourd’hui rendus inaccessibles après avoir été vidé de leurs habitants.

Des immeubles aux façades miroitantes se dressent en lieu et place de pavillons, un hyper O’Marché frais ouvre sur 4800 m² à la Courneuve, il occupe le rez-de-chaussée d’un parking de 750 places sur 3 niveaux. Ces façades équipées de gigantesques panneaux lumineux affichent des prix compétitifs en continu.

Les empierrements se sont incrustés dans le sol et les herbes folles masquent les fossés de défense, la tour de l’Etoile est en cours de réhabilitation de même que des bâtiments de la cité. Le stade a bénéficié d’une réfection des bâtiments japonisants et des courts de tennis ont été restaurés. Le jardin des Vertus exposent sa luxuriance et le temple de Shivan est en travaux d’agrandissement. Les changements ont des rythmes différents suivants les communes et le type de zone traversé. Dans l’ensemble, les espaces ont été nettoyés, dans tous les sens du terme. Rendez-vous dans un an pour la suite.

 

 

Retour à Pantin par Patrick Laforet

Retrouvailles avec un vieil ami : le parcours Hors-Circuits, anniversaire sans bougies mais avec émotion. Rien ne change sauf de micro-variations : la ville se construit, les légumes poussent et meurent dans les jardins ouvriers, les tags se délitent doucement pour accéder au statut de fresque primitive, la pluie érode lentement le béton abandonné, quelques fleurs de plastique rythment la vie des autoroutes et ses drames invisibles, le paysage reste triste, tout va bien, pas de surprises, à l’année prochaine.

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Table ronde au Mac Val-2015

Une table ronde animée par Sabine Chardonnet-Darmaillacq, architecte DPLG, docteur en urbanisme et enseignant-chercheur à l‘Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, impliquée dans de nombreuses recherches-actions sur la marche, réunissait le 12 septembre au MacVal les participants autour du thème « La marche comme nouvelle forme d’exploration des territoires ».

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Hors Circuits, parcours anniversaire!

Comme annoncé, nous proposons le premier circuit anniversaire de « Hors- circuits ». Mais la météo nous a obligé à annuler le parcours du Dimanche 13 septembre à 14h

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Arles 2015 : Blind Spot / Point Aveugle

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LOGOARLES2La singularité de ce walkscape réside dans deux facteurs dérogeant aux règles habituelles de cette pratique artistique. Sachant que le walkscape est défini par le groupe Stalker comme « … une affaire de marche, de promenade, de flânerie, conçues comme une architecturation du paysage. La promenade comme forme artistique autonome, comme acte primaire dans la transformation symbolique du  territoire, comme instrument esthétique de connaissance et transformation physique de l’espace ‘négocié’, convertie en intervention urbaine. »

En effet, le lieu proposé, la voie sous le tablier du pont de la Nationale 113 sur le Rhône, présente la particularité d’être une voie pédestre et cyclable dans un caisson de béton éclairé par une grille zénithale située entre les 2 x 2 voies de la circulation des véhicules sur le tablier du pont. Cette construction est décrite dans les études comme un passage intérieur construit sous les chaussées principales. Nous y proposons un parcours partant du chantier de la Fondation Luma, jusqu’au passage inférieur du pont Ballarin, se poursuivant par une boucle effectuée sur l’autre rive avant de repartir à travers la friche industrielle SNCF vers le pont de la D35A pour regagner le centre-ville et la fameuse place du Forum.

Les véhicules motorisés bénéficient d’une circulation à l’air libre ; avec vue sur le fleuve, alors que les adeptes de la marche et du vélo sont relégués dans un caisson de béton. Ce parcours aérien sous la chaussée met l’utilisateur dans une situation d’enfermement. Seule la grille zénithale offre une échappée du regard vers le ciel. Les vues latérales sur le fleuve sont occultées sur toute la longueur du passage. Ce dispositif inscrit le projet de walkscape dans un environnement singulier qui rend le passant invisible dans un paysage occulté. Il faut ici prendre en considération ces caractéristiques du parcours, pour comprendre l’intérêt de ce lieu.

L’invisibilité du lieu lui-même est vérifiable par une simple requête image sur un moteur de recherche. Même Google ne retourne qu’une occurrence, avec une vue prise par un cyclo-touriste. Cette absence d’image confirme une négation du lieu dont l’enfermement impose son inexistence visuelle. Un lieu quasiment sans représentation, un parcours occultant la vue. Sur la base de ces deux spécificités le walkscape trouve un terrain d’exploration inattendu, dont l’étude devrait soulever des questionnements atypiques.

Photos : Patrick Laforet/ Texte : Jacques Clayssen

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Cartographie de l’invisible

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Temps de parcours : environ 1h30
Niveau : trajet facile, pas de difficulté

Le parcours commence sur l’avenue Victor Hugo au niveau de la brasserie Les Ateliers, prendre le chemin du Dr Zamenoff et suivre la voie ferrée désaffectée en longeant le chemin Marcel Sembat. Poursuivre jusqu’à l’autoroute, passer sur le pont et prendre à droite la rue Jean Charcot en longeant le canal. Au bout de cette rue, passer sous la D35 et traverser le terrain vague, ensuite remonter par l’Allée de la Nouvelle Ecluse. Prendre ensuite à droite l’allée de la 1ere Division Française Libre, passer devant le Musée Départemental Arles Antique et continuer dans l’avenue Jean Monnet. Arrivée au pont Ballarin, passer dessous et remonter par l’escalier et entrer dans le pont. Une fois la traversée terminée, à la sortie prendre l’escalier à droite, descendre et traverser la route, entrer dans la friche SNCF. La traverser et suivre le quai Trinquetaille. Remonter sur le pont de la D35A, traverser et suivre l’avenue du Maréchal Leclerc, à gauche suivre la rue de la République et dépasser la mairie par la droite, à gauche suivre le Plan de la Cour et à droite dans la rue du Palais, et voilà la Place du Forum, vous êtes arrivés.

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Marcher dans l’Invisible

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Un parcours simple et facile, d’environ une heure et demie, qui part de la Fondation Luma, descend le long de la voie ferrée désaffectée, passe au-dessus de l’autoroute et ensuite longe les rives du canal jusqu’au pont Ballarin. Là un escalier ou une rampe d’accès vous mèneront dans cet univers indescriptible des dessous de la circulation routière pour atteindre l’autre rive. En traversant la friche industrielle sur la droite du pont vous rejoindrez la D35A et remonterez dans la ville pour rejoindre la mairie, que vous dépasserez sur la droite pour arriver à la fameuse Place du Forum, lieu de tous les débats, rendez-vous, tractations et cafés pour vous rafraîchir.

PREMIERE PARTIE
De la Fondation au Pont Ballarin