Manifesto

Marcher c’est créer

jackfoot

 

La marche s’inscrit désormais dans la catégorie des arts immatériels, au même titre que la performance, par exemple. La marche est un objet non-commercial, réponse mobile, agile, narrative, activité sensible dans une situation de consommation d’images hypertrophiée et inflationniste.

Marcher c’est créer, lire/écrire le territoire en même temps, le parcours est une activité pluridimensionnelle et simultanée, à la fois action, ligne, et récit.

Initié par le mouvement Dada dans les années 20, repris et développé par les surréalistes qui en font un instrument de lecture de l’inconscient des villes, politisé ensuite par les situationnistes et introduit dans le monde de l’art par un ensemble d’artistes américains issus du Land Art tels Tony Smith, Richard Long ou Robert Smithson, le walkscape s’attache à un paysage inédit, donné par une ville en rotation accélérée, pleine de vides et d’interstices . Le walkscape, au pouvoir révélateur sur la nouvelle cité liquide, archipel mouvant parsemé d’îles sédentaires et de courants souterrains, devient un instrument politique pour un collectif comme Stalker.

La marche devient une pratique esthétique ouverte sur la banlieue du monde, territoire sans représentation, territoire de l’oubli, lieu du déchet et du vide, espace sans qualité, sans codes, d’où le pouvoir est absent, où donc la liberté peut se déployer sans obstacles, poser de nouvelles questions, trouver de nouvelles réponses.

Marcher dans les nouveaux paysages entropiques, parcourir la nouvelle nature qui émerge entre les vides, fouler la basse densité, le diffus, l’indéfini, visiter les marges en mutation, interroger les amnésies urbaines, la ville parallèle, le marcheur devient le nouvel entropologue (1) cher à Lévi-Strauss, les deux pieds dans la zone mutante, pieds nus dans le chaos comme le dit si bien Francesco Careri à propos du walkscape.

Le parcours permet de penser et de voir avec ses pieds dans un désordre exponentiel, de revenir à une expérience essentielle du monde physique et d’en partager les récits, la marche devient l’instrument de connaissance privilégié de la ville-labyrinthe, l’errance est la valeur de ce nouveau monde contemporain de l’ambiguité et de l’hybridation accélérée.

Le parcours est aussi une tresse narrative dans laquelle viennent s’imbriquer différents types de récits : écritures photographiques, sonores, journalistiques, figuratives ou abstraites, documentations, mythes… dont les modalités d’expressions peuvent être aussi variées que l’état mouvant des paysages qu’elle dessine, fabrique de mémoire dans un principe d’incertitude généralisé : le parcours est aussi une structure narrative.

Le parcours est une œuvre ouverte, protéiforme, multi-dimensionnelle, interactive, jamais terminée à l’image des territoires et du monde qu’elle décrit, un laboratoire permanent où s’écrit la science du flou.

Note :

-(1) « Plutôt qu’anthropologie, il faudrait écrire « entropologie » le nom d’une discipline vouée à étudier dans ses manifestations les plus hautes ce processus de désintégration. » : Claude Lévi-Strauss, Triste Tropiques, in Œuvres, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 444.