Mouettes & Chardons

AUKERA et DéMarches s’associent pour proposer un parcours pédestre à celles et ceux qui souhaitent rejoindre Jatxou à pied depuis Bayonne. Ce parcours documenté vous permettra à tous moments de vous mettre dans l’état d’esprit qui sied à un séjour nature, pour la Fête de la noisette, le 17 octobre 2020. Voir le programme à paraître sur le site de Aukera

Mise en marche à lire attentivement si vous souhaitez réserver le 17 octobre 2020.

Le parcours ne présente pas de difficulté particulière, cependant, il nécessite une organisation pour gérer les déplacements. Le point d’arrivée étant isolé, il est nécessaire de vous inscrire en cliquant sur le lien pour remplir la fiche :

https://forms.gle/wRUCUnRBwckmJtTx7

Merci de remplir tous les champs de la fiche d’inscription, ceci afin d’organiser les retours pour ceux qui voudront rejoindre leur voiture. Après inscription, nous vous adresserons le lieu de rendez-vous à Bayonne et les frais à prévoir, si besoin, pour le taxi et la collation.

Le parcours Bayonne-Aukera 18km environ 4h. Prévoir un équipement adapté à la marche.

Le départ est prévu impérativement à 14 :00, car nous devrons arriver sur le site à 18 :00 pour assister aux événements de la Fête de la noisette.

Le parcours étant soumis aux aléas météo, il sera annulé  en cas de précipitations abondantes.

Les conditions sanitaires seront celles prévues à la date pour les activités de plein air.

Présentation succincte des associations.

AUKERA – Le Champ des Possibles, est une association qui oeuvre  à la conservation des espèces arboricoles et végétales traditionnelles du Pays Basque, ainsi qu’à la régénération de l’écosystème du domaine où elle gère une noiseraie et un conservatoire arboricole en Permaculture.

our célébrer les récoltes et la création, Aukera organise chaque année 2 événements culturels mêlant Permaculture, Musique Expérimentale et LANDArt.

Son domaine étant particulièrement propice à l’expérimentation, elle accueille une résidence artistique, des camps de création et propose des expériences de coworking à la ferme.

DéMarches est une association dédiée à  la réalisation de parcours avec pour objectif de révéler l’espace en le « pratiquant ».

Un blog : d-marches.org

L’association, née en 2014 a pour but de donner à  voir, lire, sentir les multiples facettes et implications de la marche et d’élaborer, collectivement ou non, des formes de récits, de dessiner en marchant des représentations du monde dans le cadre d’une activité artistique de l’immatériel.

DéMarches a clairement comme ambition de permettre un nouveau décryptage du paysage à l’aide d’un outil sensible et ouvert, de favoriser une nouvelle écologie de l’esprit par la pratique d’une activité esthétique, et de transmettre aussi largement que possible cette brèche dans les habitudes de perception, en un mot de penser avec les pieds.

Sachant que le walkscape est défini par le groupe Stalker comme « … une affaire de marche, de promenade, de flânerie, conçues comme une architecturation du paysage. La promenade comme forme artistique autonome, comme acte primaire dans la transformation symbolique du  territoire, comme instrument esthétique de connaissance et transformation physique de l’espace ‘négocié’, convertie en intervention urbaine. »

Manifeste

La marche s’inscrit désormais dans la catégorie des arts immatériels, au même titre que la performance, par exemple. La marche est un objet non-commercial, réponse mobile, agile, narrative, activité sensible dans une situation de consommation d’images hypertrophiée et inflationniste.

Marcher c’est créer, lire/écrire le territoire en même temps, le parcours est une activité pluridimensionnelle et simultanée, à la fois action, ligne, et récit.

Le parcours permet de penser et de voir avec ses pieds dans un désordre exponentiel, de revenir à une expérience essentielle du monde physique et d’en partager les récits, la marche devient l’instrument de connaissance privilégié du territoire, l’errance est la valeur de ce nouveau monde contemporain de l’ambiguité et de l’hybridation accélérée.

Le parcours est aussi une tresse narrative dans laquelle viennent s’imbriquer différents types de récits : écritures photographiques, sonores, journalistiques, figuratives ou abstraites, documentations, mythes… dont les modalités d’expressions peuvent être aussi variées que l’état mouvant des paysages qu’elle dessine, fabrique de mémoire dans un principe d’incertitude généralisé : le parcours est aussi une structure narrative.

Le parcours est une œuvre ouverte, protéiforme, multi-dimensionnelle, interactive, jamais terminée à l’image des territoires et du monde qu’elle décrit, un laboratoire permanent où s’écrit la science du flou.

L’art du parcours

Expérimentation :le parcours est une forme d’art expérimentale et polymorphe, un moyen d’expression souple et sensible. Elle permet d’évoquer des sujets de teneur très différente, dans des contextes divers. Sa forme globale est constituée de l’expérience même de la marche et des récits qui en sont faits, forme proliférante et sans limites.

Sensible :le parcours réintroduit dans le champ de l’art une expérience sensible singulière autour de la marche. Celle-ci constitue le socle de l’œuvre, ensuite s’enroule autour de ce fondamental une tresse narrative chaque fois différente, jamais terminée ni forclose, l’œuvre devient permanente.

Géographique ou topologique :le parcours est toujours ancré dans un lieu, un territoire, un contexte. Les traces et empreintes de cette géographie sont collectées, ramenées et centralisées autour de l’expérience.

Engagement :le parcours est un engagement au sens où il mobilise la globalité de l’acteur : ses convictions, sa vision du monde et ses interprétations : l’œuvre est une grille de lecture proposée qui permet un décryptage du paysage.

Une page facebook présente des actualités, des informations, des recherches et des réflexions à la marge qui documentent les activités liées aux marches et à leurs environnements.

Page facebook : Démarches

Dans le cadre des activités proposées par AUKERA, le champ des possibles, l’association DéMarches vous propose un parcours pédestre au fil de la Nive (Errobi en basque) jusqu’aux chardons (Eguzki lorea en basque) du Labourd (Lapurdi en basque).

Le parcours Mouettes & Chardons

Relie Bayonne, place du Réduit au Domaine des Cimes-Aukera à Jatxou

Un parcours en deux parties :

  • 1- Le chemin de halage, rive gauche de la Nive [2h20 – 11km]

  • 2- Changement de rive, traversée par la passerelle de Portuberria, construite au début des années 2000  – Villefranque – Aukera par via Chemin de Chaiberrikoborda [1h40 – 7km]

Chemin de halage Bayonne-Ustaritz

Itinéraire continu qui longe la Nive sur une dizaine de kilomètres entre Ustaritz et Bayonne. Accessible à tous et relativement plat, il traverse des paysages remarquables de Barthes et offre des possibilités de points de repos ou de pique-nique.

Le halage est l’ancêtre de l’autoroute certes fluvial mais qui était moins encombré!
Avant l’invention des moteurs de bateaux, et pour pallier l’absence de voiles impossibles sur tous les engins, les péniches qui transportaient des matières premières et tous matériaux étaient tractées le long des fleuves par les mariniers eux-mêmes, des animaux tels des chevaux, des ânes ou des mulets et enfin par des machines telles des tracteurs.

Evidemment, le halage nécessitait un chemin dégagé et hors d’eau qui longeait la berge des voies d’eau où se trouvaient les péniches.

Quelques notes :

Au fil de ses 75 kilomètres, la Nive unit les premiers pics pyrénéens qui dominent le bassin de Saint-Jean-Pied-de-Port, chef-lieu de la basse Navarre, à Bayonne, où elle se jette peu avant la mer dans l’Adour après avoir flâné au milieu des vallons et prairies fertiles du Labourd.

  • la Nive reste appréciée des pêcheurs : si l’esturgeon a disparu, la truite et, à nouveau, le saumon abondent. Ce dernier était autrefois souvent une nourriture de base, au point que des ouvriers agricoles avaient réclamé, et obtenu, dans leur contrat de travail, qu’il ne leur en soit pas servi tous les jours.
  • Ses méandres étaient alors le domaine de petits bateaux effilés, les halos, qui transportaient jusqu’à Bayonne les produits agricoles. C’est d’ailleurs autour d’Ustaritz qu’en 1523 aurait été planté pour la première fois en Europe du maïs rapporté des Amériques fraîchement découvertes.

                               Maquette de halo (Musée de la Batellerie de Conflans-Sainte-Honorine)

  • La traction était effectuée par des chevaux, des bœufs mais aussi des hommes zirlinga (avec zirga la corde). On utilisait la marée montante et descendante pour faciliter la tâche.
  • Etaient acheminés vers Bayonne : canons fabriqués à Baïgorry, laines de Navarre, meules à moulins de Bidarray et Louhossoa et des bois d’Iraty, qui descendaient la Nive par flottage. Dans l’autre sens, on transportait surtout les produits alimentaires : vin, grains, farine, sucre ou poissons. Les chalands à fond plat, de 10 à 12 mètres de long, portaient de 2 à 5 tonnes. Si la descente de la Nive ne posait pas de problèmes, il en était tout autrement pour la remontée. Il fallait 1 heure pour rallier Bayonne, mais 3 heures étaient nécessaires pour remonter la Nive.
  • De ses rives, on aurait jadis observé le rite de « cubindey », consistant à tremper dans la Nive les femmes volages enfermées dans une cage.
  • Et la Nive aurait pu être une grande, c’est-à-dire un fleuve, si des travaux au XVIe siècle n’avaient ramené l’Adour, qui divaguait plus au nord dans les Landes, à son cours d’aujourd’hui et au port de Bayonne.
  • La Nive est mentionné dans le Petit Nicolas de Sempé et Gosciny. En effet Sempé passait ses vacances dans le Labourd.

« Alceste est allé se faire interroger sur les fleuves et ça n’a pas marché très bien, parce que les seuls qu’il connaissait, c’était la Seine, qui fait des tas de méandres, et la Nive, où il est allé passer ses vacances l’été dernier. Tous les copains avaient l’air drôlement impatients que la récré arrive et ils discutaient entre eux. La maîtresse a même été obligée de taper avec sa règle sur la table et Clotaire, qui dormait, a cru que c’était pour lui et il est allé au piquet. »

In Les Récrés du Petit Nicolas

Le Labourd :

Il s’agit de la façade maritime du Pays Basque, qui s’étend des confins de la Gascogne aux Pyrénées et à l’Espagne, des longues plages du Sud des Landes jusqu’à Anglet aux côtes escarpées débutant à Biarritz et s’étirant jusqu’à Hendaye, aux typiques falaises de flysch plissées et escarpées.

Le Labourd c’est une bande côtière de 10 km de large environ jalonnée de stations balnéaires célèbres ou ports typiques telles Biarritz, Hendaye, ou Saint Jean de Luz, sans oublier Bayonne , porte d’entrée du Pays Basque et confluent de deux rivières, la Nive et l’Adour.

Lapurdi, en basque, se distingue par des traditions culturelles ancrées dans l’histoire de cette terre de légendes.

  • Illargi belarra est le mot basque désignant « l’herbe lunaire ». C’est la Carline acaule, la fleur du chardon sylvestre. On l’accroche au linteau de la porte principale ou à l’entrée de la maison afin qu’elle ne soit pas frappée par la foudre.

Dans d’autres endroits du pays cette fleur, qui peut s’appeler Eguzki-lorea (la fleur du soleil).

Dolores Redondo, auteur de la trilogie de Baztan, raconte dans le roman « De chair et d’os » que cette fleur était traditionnellement accrochée aux linteaux des maisons pour éloigner les sorcières. Celles-ci devaient compter toutes les graines du cœur de cette fleur avant de pouvoir franchir le seuil. La tâche était si longue que le soleil se levait avant qu’elles aient fini de compter. Les sorcières fuyaient le soleil, et la maison était ainsi protégée.

  • En pays basque, la maison (Etxe) est un lieu sacré. On y vit mais on y meurt aussi. Avant le christianisme, la maison servait de tombe familiale. Elle était le lieu de sépulture de ses habitants. Elle était donc la demeure des vivants mais aussi des défunts. Un lieu que venaient visiter les esprits des disparus. On l’orientait de façon à ce qu’elle soit en contact avec la lumière divine et on y pratiquait de nombreux rites religieux. On y faisait des offrandes aux morts, aux âmes des ancêtres qu’on pouvait alors apercevoir sous la forme de lumières, de rafales ou de coups de vent, d’ombres, de nuées ou de bruits étranges. Il est dit que même encore, elles peuvent resurgir dans la nuit…
  • Les coutumes successorales au Pays Basque dans l’Ancien Régime étaient unique en Europe non parce qu’elles permettaient aux chefs de famille de léguer tous les biens de famille aux aînés (car c’était le cas de nombreuses régions coutumières en France), mais parce que ce système de l’héritage unique, celui de la primogéniture qui favorisait l’aîné des enfants, ne faisait aucune distinction entre les garçons premiers nés et les filles premières nées. Selon le droit coutumier basque, l’aîné, qu’il soit un garçon ou une fille, devenait l’héritier légal de la maison et de toutes les terres, forcé(e) ensuite de dédommager plus ou moins équitablement les cohéritiers, filles et garçons, qui dès lors quittaient la maison et allaient se placer ailleurs. Ainsi, les filles aînées avaient autant de chances que les fils aînés d’hériter du patrimoine familial. Ce système n’a pas d’équivalence dans les Pyrénées (ni même en France ou en Europe).
  • A Villefranque, on a transporté beaucoup de produits de carrière, de l’ophite (1) principalement, la dernière gabarre a été coulée sur place en 1935, au Chalet de l’Isle

Note (1)

L’ophite doit son nom au terme grec « ophis » qui évoque les serpents, en raison de la ressemblance de cette roche avec la peau de ces reptiles. Ultérieurement, le terme ophite, utilisé à l’origine dans les Pyrénées, a été déformé en ophiolite.

Du point de vue pétrographique, les ophites sont, en réalité, des dolérites qui contiennent des cristaux de plagioclases et de pyroxènes ainsi que quelques minéraux accessoires comme l’ilménite ou la magnétite. Avec le temps, des minéraux d’altération (serpentine, chlorite et épidote) apparaissent. Tous ces minéraux d’altération possèdent une couleur verte qu’ils transmettent à l’ophite.

Le bâton de marche basque, le Makila

Le bâton de marche basque est un attribue historique de la culture basque. Ce bâton de marche remis selon la tradition, à l’adolescent, lors du passage à l’âge adulte est un objet personnel précieux. Il est aussi un attribut d’autorité et de pouvoir, des makilas d’honneur sont dédiés à des hommes à la notoriété reconnue. Chaque makila est gravé et fabriqué pour son propriétaire, avec les décors, le nom-prénom et la devise en basque.

Sa possession nécessite de la patience, il faut environ 25 ans entre la commande et la livraison. Sa fabrication correspond à des règles strictes qui du néflier sur pied aux finitions nécessite de nombreuses étapes se déroulant sur de longues périodes. Traditionnellement, le marcheur basque ne saurait s’engager sur les chemins sans son précieux bâtons, aide à la marche et arme de défense principalement contre les risques d’agressions animales.

La jonction Villefranque-Aukera

à propos de Villefranque, le site en lien présente la ville dans le détail. Villefranque  était  un  important  port  fluvial,  sur le bord de la  Nive.  Les  gabarres  accostaient au Port de Villefranque, situé à hauteur de l’actuel Quartier Ste Marie. Là, on vit se développer une importante activité artisanale,  telle que l’exploitation de la pierre ou encore la fabrication de chaussure, autour du XXe siècle.

Selon la légende, le 24 août 1343, le maire de Bayonne,  profitant des fêtes locales du village, fit capturer et attacher cinq nobles labourdins aux piles du pont de Proudines, au bas du Chateau de Miotz, où la marée montante les noya. En effet, pour trancher le conflit qui opposait les locaux aux bayonnais. Les labourdins refusaient de payer un droit de « douane » sur l’entrée d’alcools dans la ville de Bayonne, aussi lorsque des agents du maire de Bayonne vinrent pour effectuer la collecte, les Labourdins les jetèrent à l’eau afin qu’ils vérifient si elle était salée. Le 24 août de la même année, Pé de Poyanne prit le château de Miotz (démoli, il a été remplacé par une demeure du XIXème siècle), en représailles et captura cinq gentilshommes labourdins. Sinistre supplice, il les attacha aux piles du pont afin qu’ils constatent que la marée montait à cet endroit. La noyade des gentilshommes prouva à leurs dépens que la marée montait en effet jusque-là…

Cette légende fut reprise par Taine dans son « Voyage aux Pyrénées » 1860, illustrée par Gustave Doré.

Détails du parcours Villefranque -Aukera

traverser la Nive par la passerelle

Prendre la direction nord sur D137 vers Route Départementale 257/D257

26 m

Prendre à droite sur Route Départementale 257/D257

950 m

Tourner légèrement à droite pour continuer sur Route Départementale 257/D257

29 m

Continuer sur Chemin de Hariagaraya

950 m

Prendre légèrement à gauche sur Chemin de Chaiberrikoborda

1,6 km

Tourner légèrement à gauche

350 m

Tourner à gauche

900 m

Prendre à gauche sur Route des Cimes/D22
(prudence sur cette section, accotements dangereux, circulation rapide)

110 m

Tourner à droite

750 m

Prendre à gauche sur Otsoezkurra

850 m

Continuer sur Chemin de Mestenborda

150 m

Prendre légèrement à droite sur Otsoezkurra

Votre destination se trouvera sur la droite.

450 m

Aukera. Domaine des cimes

Chemin Inbiadako Bidea 64480 Jatxou. Tel : 06 60 87 03 81/Tel : 07 51 63 42 33

Vous êtes arrivés à destination. Bon séjour.

L’art d’être solivagant

Le solivagant est un marcheur qui choisit le vagabondage solitaire.  

La pratique de la marche occupe désormais une place prépondérante dans les activités récréatives de tourisme et de bien-être. De multiples offres utilisent la marche pour « endoctriner » le marcheur en lui vendant découverte du territoire, tissage de lien social, fabrique d’un sentiment d’appartenance, adhésion à un projet d’aménagement de préférence structurant. Un utilitarisme qui implique des marches organisées. Ces marches grégaires donnent lieu à de longues files s’effilochant sur des sentiers où chacun est invité à partager une expérience collective. Les chemins de la foi, les marches contestataires, les visites guidées ont décliné la formule avec succès. Des chemins méconnus, des sentiers peu pratiqués se transforment ainsi, par la grâce des organisateurs, en véritables autoroutes à marcheurs. Objectif considéré comme un succès.

I need to be alone. I need to ponder my shame and my despair in seclusion; I need the sunshine and the paving stones of the streets without companions, without conversation, face to face with myself, with only the music of my heart for company.  – Henry Miller in Tropic of Cancer.

Mais la marche est encore aussi pour certain synonyme d’«ennui». Alors interrogeons-nous, que se passe-t-il si nous revisitons une conception solitaire et regardons comment la marche peut être bénéfique pour vaincre le mal-être, pour améliorer la santé physique et mentale, favoriser une nouvelle conscience de soi?

For my part, I travel not to go anywhere, but to go. – Robert Louis Stevenson
Socialement, nous sommes constamment poussés vers la prochaine opportunité à découvrir au bout de la rue. Souvent, cela signifie que nous quêtons une hypothétique satisfaction, plutôt que d’accepter de vivre dans le présent, nous poursuivons une promesse future toujours hors de portée.  La même problématique s’applique à la marche. Nous marchons de préférence s’il y a un but. Nous marchons vers notre lieu de travail, notre lieu d’étude, de loisirs, ou pour aller vers un objectif qui nous a été assigné. Mais que faire si nous commençons à marcher juste pour notre plaisir personnel? Etre solitaire est un choix, alors que la solitude ne l’est pas. 

Il s’avère que ce vagabondage, contrairement à une opinion répandue, n’est pas une errance stérile mais favorise le bien-être, d’autant plus facilement qu’il s’agit d’une pratique accessible à tout un chacun dans son environnement immédiat.

Finsbury Park North London by Alamy

 

Il n’y a rien de tel que la marche solitaire

Solitude is independence. It had been my wish and with the years I had attained it. It was cold. Oh, cold enough! But it was also still, wonderfully still and vast like the cold stillness of space in which the stars revolve. – Hermann Hesse in Steppenwolf

La marche en solitaire présente des similitudes avec la dérive psychogéographique chère aux situationnistes. La psychogéographie doit s’entendre littéralement comme un point de convergence de la psychologie et de la géographie, concernant la dérive urbaine. Mais le principe posé par Guy Debord peut être élargi à des pratiques périphériques comme le voyage mental, la flânerie ou encore le vagabondage.  Malgré la disparité apparente de ces pratiques, elles agrègent des invariants, dont la marche est l’élément fondamental.

Rex Features

 

Qu’il se nomme marcheur, flâneur ou promeneur, le piéton à une dimension politique  caractéristique de la psychogéographie, l’opposition à l’autorité à laquelle s’adjoint un sens de la provocation pouvant prendre des formes ludiques. La psychogéographie actuelle s’inscrit dans des approches liant une histoire locale à une enquête géographique.

Lors d’une promenade dans notre environnement, nous découvrirons avant tout, que même seul, nous participons de quelque chose qui nous dépasse.

Vous pouvez sur tous les sites, touristiques ou pas, croiser des personnes isolées. Avant que vous n’en ayez conscience, vous serez en phase avec eux. Les «solivagants», un type de personne,  que je vous invite à découvrir. Des errants solitaires avec lesquels vous partagerez des instants et des émotions éphémères, une complicité fugace tant chacun veille à respecter l’Autre.

Le solitaire est un diminutif du sauvage, accepté par la civilisation. -Victor Hugo in L’Homme qui rit

N’attendez rien, gagnez tout

Les événements aussi minuscules soient-ils adviennent quand on s’y attend le moins, et ce sont souvent les meilleures surprises. Cela survient lors de marche sans but – autrement dit de marche méditative.

Si vous venez sans attente, autre que de vous abandonner à votre environnement, je peux vous assurer que vous allez acquérir quelque chose d’intangible, de l’ordre d’une expérience bénéfique.

Not all who wander are lost. -Tolkien in The Lord of the Rings

L’expérience du solivagant, favorise l’acquisition d’une meilleure conscience de soi. Peut-être parce que l’on est plus à l’aise en sa propre compagnie, avec rien d’autre que ses propres pensées pour se guider.

Un homme seul – 2005 – photo : imagineur

On se laisse envahir par une seule pensée – je veux marcher, simplement pour le plaisir de marcher et m’immerger dans mon environnement immédiat.

En anglais Listen & Silent s’épellent avec les mêmes lettres, ce qui est une invitation à combiner écoute et silence.

Christian Marclay- 2005

 

Quand on a une tendance à la rumination mentale, à se perdre dans ses pensées, la pratique de la promenade apprend à être plus en accord avec ses propres pensées et à apprécier le lieu dans lequel on évolue.  Une attitude positive, de la confiance en soi s’acquiert lorsqu’on s’y attend le moins, d’où la nécessité de rester réceptif.

L’habitude de rentrer en moi-même me fit perdre enfin le sentiment et presque le souvenir de mes maux, j’appris ainsi par ma propre expérience que la source du vrai bonheur est en nous. -Jean-Jacques Rousseau in Rêverie d’un promeneur solitaire

Un voyage d’un millier de lieues commence par un simple pas. -Lao Tseu

Si vous choisissez de profiter du moment, choisissez le bonheur hic et nunc, votre esprit peut alors atteindre son vrai potentiel. Si au contraire, vous pensez toujours conditionnellement  « Je serais heureux, si seulement … », vous nourrirez inévitablement votre esprit avec des échecs.

Adopter la position du solivagant dans sa vie (celui d’être à l’aise seul et d’apprécier les sites qui se trouvent sur le chemin que vous rencontrez) constitue un moyen simple d’accomplir un changement positif.

Johanna Obando- The traveller 2013

Essayez, où que vous viviez – n’hésitez pas à enrichir votre expérience en prenant des photos, du café ou du thé, mais faites simplement des promenades, par amour de la marche et appréciez le monde qui vous entoure.

 

La piste des Apaches

Fondée en 2010, la Biennale de Belleville est le fruit d’une rencontre entre ce quartier de l’Est
parisien et un groupe de commissaires, de critiques d’art et d’artistes.
Jouant sur l’absence de lieu central pour en faire un de ses points de force, la Biennale de
Belleville se déploie du Pavillon carré de Baudouin au belvédère de la rue Piat, de la rue de
Belleville pour s’étirer davantage vers l’Est de Paris.
Reposant sur un principe de mixité des lieux et de variété des interventions, la Biennale allie
ainsi performances déambulatoires et expositions collectives.
Depuis deux éditions, la Biennale de Belleville dessine de nouveaux itinéraires et met en
place des manières originales d’appréhender l’art contemporain.
A cette occasion DéMarches proposera Hors-Circuits, un walkscape urbain de Pantin au Bourget en passant par Bobigny.

La Biennale de Belleville 3

Paris Art

Wall Street International

vernissage de la Biennale de Belleville by Saywho

Slash Paris

TCQVAR

 

HORS_CIRCUITS AFFICH

Un événement DéMarche

Pantin-Le Bourget

_MG_5098_DxOWalkScape proposé par l’association DéMarches
Auteurs : Clayssen/Laforet
Biennale de Belleville / Septembre –octobre 2014

Les territoires actuels sont inventés : ils sont exhumés et créés, dans un même mouvement, dans la foulée. C’est en ce sens que traverser ces espaces aboutit aussi à les produire. : il n’y a pas de regard à l’état sauvage qui permette de les saisir à nu, mais une intrication du donné et du projeté, du donné et du plaqué, du déjà là et du fabriqué, de la découverte et de la production, et par conséquent de la traversée des territoires actuels et de leur création. La traversée est invention. Thierry Davila in Marcher, Créer.

Deux météorites mondialisées du milieu artistique international sont tombées au beau milieu du chaos de la banlieue parisienne, les galeries Thaddaeus Ropac à Pantin et Gagosian au Bourget. Deux objets culturels sortis de leur contexte habituel, il était intéressant de voir ce qu’il y a dans l’interstice, de parcourir le territoire entre les deux cratères, d’examiner quel lien peut exister à la fois entre les deux et au milieu des deux. Voyage donc dans l’entre-deux, quel paysage s’y déploie, y a t il quelque chose à voir ou rien ou si peu ? Quels signaux faibles, où en est l’entropie dans ce hors-circuit, quel paysage peut-on construire sur ce vide, cette absence de mythe, cette vacance de la Disneylisation millimétrée du monde ?

La caRte

15Km à pied
3 heures 45 de marche
18 623 pas

HORSCIRCUITW

Hors-circuits – temps de parcours et infos déplacement

0’00 ‘’ Galerie Thaddaeus Ropac, Avenue Général Leclerc, Pantin 1

6’30’’ Château d’eau, entrée du cimetière (urinoir à gauche de l’entrée)

Ensuite prendre Av. des Platanes (vers les cyprès) puis à droite

26’00’’ Avenue de la Zone à gauche

Sortie à droite Avenue Jean-Jaurès

Fort d’Aubervilliers

Zingaro (métro)

38’45’’ à droite sur le parking, Avenue de la Division Leclerc

57’50’’ Parc Départemental des sports de Paris Seine St Denis

(urinoir dans bâtiment à gauche de l’entrée)

1h00’ Sortie Parc des sports prendre à droite promenade Django Reinhardt tout droit jusqu’à la rue de l’Etoile.

Dans la rue de l’Etoile prendre la 1ère rue à droite, rue de l’Amicale qui longe l’arrière du terrain de l’ancienne gare de Bobigny jusqu’à la rue Gustave Moreau sur la droite (Chapelle de l’Etoile)

1h22’ Emprunter le pont routier

1h30’ Carrefour Repiquet (champ de pierres )

Traverser le terrain de jeux,

Sortie à gauche vers tunnel de Bobigny sortie n°221

1h42’30’’ traverser vers la gauche dans l’axe de la passerelle Julian Grimau prendre le tunnel pour sortir à gauche rue Diderot

2h00’’ Mur de soutènement en pierres sous grillages

Retourner vers la passerelle Julian Grimau

Suivre la rue Julian Grimau au bout tourner à gauche rue de la Courneuve puis à droite rue Jean-Pierre Timbaud (panneau Drancy à gauche)

Prendre à droite l’Avenue Vaillant Couturier (temple indien sur le trottoir de gauche en allant vers Le Bourget).

2h30’ commune du Bourget (sur la droite l’ancien cinéma Aviatic)

Suivre l’avenue de la Division Leclerc

Passer au-dessus de l’autoroute et prendre à gauche le long des bâtiments de la zone aéroportuaire

3h10’ Aéroport du Bourget (Musée de l’air et de l’espace)

Sortir pour traverser la nationale

vers la Cité Germain Dorel, au Blanc Mesnil

Puis retour le long des pistes jusqu’à la rue de Stockholm vers la Galerie Larry Gagosian 2

3h45 Fin du parcours

Retour vers Paris arrêt bus n° 350  devant l’aéroport

RATP- 350 – Horaires du samedi

Musée de l’Air et de l’Espace 16.16 16.36 16.56 17.16 17.36 17.56 18.16 18.36 18.55 19.15 19.35 19.54 20.14
Porte de la Chapelle
Gare de l’Est
16.34
16.51
16.54
17.11
17.14
17.31
17.34
17.51
17.54
18.11
18.14
18.31
18.34
18.51
18.53
19.10
19.12
19.29
19.32
19.48
19.51
20.07
20.08
20.24
20.27
20.43

 

Notes

1-Galerie Thaddaeus Ropac

69 avenue du Général Leclerc
93500
PANTIN RER : E, Pantin

2-Galerie Larry Gagosian

800 avenue de l’Europe
93350
LE BOURGET

Autoroute : A1
Bus : 350, 152 arrêt Musée de l’Air et de l’Espace
RER : B, Le Bourget puis bus 152

 

 

Les Points de vue

Les points de vue sont les aspérités remarquables du paysage créé par le walkscape. Ouvrages, bâtiments, végétation, curiosités, ce sont eux qui donnent le La, la couleur du parcours et sa tonalité, le rythme et la structure des récits engendrés par la marche.
HORS-CIRCUITW

15Km entre les galeries Ropac et Gagosian en milieu urbain de basse densité
Un parcours d’environ 15 Km avec un départ à Pantin, au pied de la galerie Thaddaeus Ropac, autour de la station de métro Quatre Chemins, vaste hangar sophistiqué, en direction de l’aéroport du Bourget, au milieu des friches industrielles plus ou moins reconverties, d’un grand cimetière, de parkings sauvages, de jardins ouvriers, d’une cité perdue mais classée, des fantômes de la Shoah, de zones de transit et d’un ouvrage d’art autoroutier sans égal, de temples colorés enfouis dans la jungle urbaine, de pistes d’envol, d’une autre cité oubliée dans les plis de l’histoire et pour finir dans la re-visitation industrielle précieuse de la galerie Gagosian en lisière de l’aéroport.

TraVerses

Documentation complète du parcours et des principaux points de vue, et un peu d’atmosphère…
Cliquez sur la première photo pour voir la galerie.

Photos Patrick Laforet

FragmeNts 1

Voyage au milieu du Rien

Démarrage du walkscape, départ de la fameuse galerie Thadhaeus Ropac, repaire des collectionneurs mondiaux de l’art, luxe, calme et volupté. Ensuite poursuite dans le rien de la banlieue, détails, petits signes, déréliction parfois, surprises affectueuses, parkings, cartes, tags partout, jusqu’aux champs de pierres conceptuels du rond-point Riquet.

Photos Patrick Laforet

FragmeNts 2

La Ville discontinue

Suite du parcours. Le Rien s’étend et parfois se rétrécit. Des jeux, du végétal, de la chapelle, des tags encore et partout jusqu’à la démesure pharaonique du tunnel de Bobigny, passage au-dessus des voies ferrées, mauvaise ambiance, spectres blancs de la Shoa à drancy, temple millénaire et arrivée à l’aéroport du Bourget.

Anglet- promenade

INSCRIPTIONS

Du vendredi 26 août au mercredi 2 novembre 2016, la sixième édition de la Biennale d’art contemporain d’Anglet devient La Littorale, avec un parcours artistique confié à l’écrivain et historien d’art Paul Ardenne.

L’association Démarches vous propose un walkscape sur la promenade littorale de la Barre à la Chambre d’Amour.

Point de rendez-vous : Maison de  l’environnement-Parc écologique Izadia

Maison de l'environnement-Parc écologique Izadia

  • un parcours diurne, le 9 septembre. Départ à 10h de la terrasse d’observation
  • un parcours nocturne, le 16 octobre. Départ à 22h devant l’entrée

La participation au walkscape est libre, mais il est impératif de se préinscrire par mail à l’adresse suivante : clayssen.laforet@gmail.com

 

Paysage soustractif

Anglet recombine les éléments constitutifs de l’attractivité des stations balnéaires : visibilité sociale, effets thérapeutiques du littoral,  architectures et urbanismes de loisir. Ici, la villégiature maritime a acquis ses lettres de noblesse par la présence de personnages illustres. Ensuite, la bourgeoisie a supplanté ses modèles pour devenir à son tour prescriptrice de conduites et de désirs populaires.

« La station sur le rivage plage, récif ou falaise, contact des vacuités de l’air et de l’eau, la saisie de ce ‘royaume du vide’ dont parle Virgile, cité par Chateaubriand engendre un faisceau d’émotions, de lectures du paysage, de schèmes rhétoriques et de pratiques sociales dont l’ensemble constitue ce qu’on appelle communément : la mer. »
Extrait d’un texte d’Alain Corbin paru dans Aménagement et nature.

Alain Corbin a étudié, dans son livre Le territoire du vide, L’Occident et le désir du rivage, les perceptions, les appréciations et les émotions provoquées par le littoral à travers les époques. Il a inventorié les pratiques sociales et les représentations du milieu maritime, dernier espace commun de la planète, objet tout à la fois de fantasmes et de convoitises.

Je dis quoi, quand je dis littoral ?

La loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite loi « littoral », pose les principes de protection et de mise en valeur des espaces littoraux, des mers et grands lacs intérieurs, qui présentent des enjeux majeurs de protection de la nature et de maîtrise du développement,  pour la France métropolitaine et l’outre-mer.

Puis, la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a instauré un Conseil National du Littoral (CNL). La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle 2 », a transformé le CNL en Conseil National de la Mer et des Littoraux (CNML).

La première définition effectuée par l’Etat concerne le domaine public maritime, selon l’ordonnance sur la marine de Colbert en 1681 précise : « Sera réputé bord et rivage de la mer tout ce qu’elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusqu’où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves ».

Le terme reste difficile à définir, qu’il s’agisse d’une « entité géographique » ou d’une « interface terre–mer ». Une présentation approfondie des problèmes posés permet d’en comprendre la complexité.

La promenade Victor Mendiboure

Promenade pédestre de 4,5 km, sur un site aménagé longeant le littoral. La promenade Victor Mendiboure, du nom d’un maire resté dans les mémoires pour ses qualités humaines et son ambition pour la commune durant son mandat qui se termine en 1992 après 21 ans d’exercice, est bordée d’un côté par l’océan et les 11 plages d’Anglet dont la plupart dispose de baraques de surf, de l’autre côté par des espaces verts aménagés et des équipements tels que le golf, l’Espace Océan et la thalasso. De La Barre à la Chambre d’Amour la vue, par beau temps, sur les Pyrénées s’impose au-delà du phare de Biarritz.

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Le littoral, dernier front pionnier, constitue l’enjeu de toutes les convoitises et de toutes les pressions. Le tropisme littoral exacerbe les tensions entre les nécessités de préservation et les demandes d’occupation foncières.

La Littorale pour cette 6ème édition de la Biennale d’Anglet a choisi sous le commissariat de Paul Ardenne de présenter des œuvres d’artistes actuels qui envisagent le littoral sous ses aspects les plus actuels qu’ils soient géographiques, sociaux ou politiques.

Anglet entre souvenir et devenir

Le littoral angloy témoigne d’une histoire effacée. Les éléments naturels, tempêtes,  érosion éolienne, courants marins, dérive littorale façonnent cette côte sableuse rectiligne. L’activité humaine, guerre, commerce, transports et loisirs ont impacté le paysage au fil du temps. Si la mer a modifié la ligne de côte la faisant inexorablement reculer, les aménageurs ont dû s’adapter pour composer en plus avec les effets des activités d’extraction de sable, des digues et des manques de crédit pour financer les importants travaux d’entretien et de clapage.

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Une histoire littorale forcément mouvementée, au fond du golfe de Gascogne, la côte d’Argent a connu des épisodes violents, dont les événements climatiques, ont obligé à repenser les aménagements.

Les effets conjugués de la houle, du sable et du vent ont eu raison des équipements construits sur ce littoral depuis la plantation de la forêt de Chiberta au Second Empire.

Avant, c’était une autre histoire. Une histoire de culture maraîchère, de vignes et de barthes. L’Adour n’avait pas son embouchure à l’emplacement actuel, les terres agricoles alimentaient Bayonne et abreuvaient la région d’un vin de sable et d’un cidre localement réputés.

Les évolutions au fil du temps se jouent, comme le souligne le géographe Ronan Le Délézir, dans les équilibres entre ceux qui y vivent, ceux qui en vivent et ceux qui y viennent.

Les aménagements liés aux difficultés de construction en lisière du domaine maritime créent les conditions d’une évolution caractérisée par des soustractions dans les lieux les plus exposés. Cette interface entre la terre et la mer combine trois éléments l’atmosphère,  l’hydrosphère et la lithosphère dont les actions conjuguées altèrent les matériaux et érodent végétaux et sols. D’autant que la salinité du milieu accroît les risques.

La promenade littorale raconte comment la complexité de cette lisière accentue la fragilité des équilibres. Ainsi aux activités premières que constituaient le maraîchage, la vigne et la pêche, qui ont façonné cette côte durant des siècles, a succédé une économie résidentielle. Si les effets de l’activité touristique profitent  à l’économie littorale, le tourisme et les loisirs qui y sont associés induisent en retour un type de développement dont les méfaits doivent être au mieux corrigés au pire subi durablement.

Aujourd’hui, comme si ces difficultés ne suffisaient pas, on ne peut ignorer le changement climatique facteur aggravant qui va impacter durablement le littoral.  Avec l’élévation du niveau de la mer, l’intensification des tempêtes et la dégradation des écosystèmes marins et côtiers les phénomènes de submersion marine et d’érosion côtière déjà particulièrement intense sur cette côte iront en s’amplifiant. Gageons que l’expérience acquise au fil du temps permettra de gérer avec soin un trait de côte exposé à des risques majeurs.

Une chronologie des lieux équipés pour les loisirs à succès par époque met à jour une succession de construction-destruction dont les motivations tiennent majoritairement aux événements climatiques et au milieu marin. Les destructions ou les dégradations conséquences des tempêtes imposent des démolitions permettant de substituer à un équipement en difficultés économiques de s’effacer au profit d’un édifice plus conforme à l’époque.

Napoléon III en finançant la forêt de Chiberta a modifié profondément l’économie. D’une part des activités liées à la forêt se sont développées, d’autre part l’entretien de l’embouchure artificielle de l’Adour nécessite encore aujourd’hui une importante activité de désensablage pour assurer l’activité du port de Bayonne.

A cette même époque, Biarritz attire une foule de célébrités dans le sillage du couple impérial. L’engouement de l’aristocratie pour ce nouveau loisir nommé tourisme nécessite des équipements nouveaux pour lesquels des travaux importants sont engagés. En 1854, l’Impératrice Eugénie et son époux mettent à la mode la Chambre d’Amour. De là, les plus aventureux des baigneurs succombent aux charmes des grands espaces et des plages sauvages du littoral angloy.

Une histoire documentée in situ

Les marcheurs curieux de connaître l’histoire du littoral angloy trouveront en différents lieux des panneaux historiques. Du parc Izadia à Belambra un ensemble de panneaux retracent la chronologie illustré des différents espaces. Cartes postales anciennes et documents d’archives présentent la mémoire de cette portion de côte. Cette abondante documentation prouve, outre le souci de satisfaire la curiosité des autochtones et des touristes, l’importance des transformations des aménagements et des équipements. On peut y lire l’histoire des loisirs dans les stations balnéaires à travers la diversité architecturale : tentatives de synthèse basco-arts déco (les villas, les établissements de bain, le golf),  les nécessités du tourisme de masse (Belambra, les résidences de Sables d’Or) et le équipements de bien-être ( Atlanthal). Mais on y lira aussi l’impact des événements climatiques et des érosions qui ont bouleversé les aménagements de défense du littoral.

La côte d’argent

Commence pour cette portion de côte une histoire qui verra surgir successivement des anciennes barthes des équipements nécessitant d’importants travaux.

L’hippodrome

Aux chasses à courre dans la forêt de Chiberta vient s’ajouter en 1870 un premier hippodrome.

La création de l’hippodrome de la Barre est un pari audacieux. La société de courses, présidée par Alexis d’Arcangues, est fondée en 1869.

La guerre de 1870 retardera le projet, ce n’est qu’en 1873 qu’a lieu la première réunion de courses.

Le chantier est colossal, les comptes rendus de l’époque mentionne le remplacement de 200 000 mètres cubes de sable par 200 000 mètres cubes de terre adaptée. Les tribunes et la piste sont entourées de pelouses.

Les installations subiront les méfaits des tempêtes, en particulier le débordement de la mer du 9 janvier 1924. Il subira de gros dommages durant la Deuxième guerre mondiale. Il sera reconstruit partiellement. Dans les années 60 le premier karting en plein air ouvre sur le domaine de l’hippodrome ainsi qu’un tir aux pigeons. Les activités cesseront avec  la fermeture à la fin des années 70 suivi dans les années 80 de sa destruction du site.

La patinoire est inaugurée en 1969 après les jeux olympiques de Grenoble. L’équipement passera sous gestion municipale en 1977.

Vestiges – Aujourd’hui reste le nom de la plage des Cavaliers baptisée ainsi en souvenir de l’hippodrome installé sur l’actuel emplacement des installations de la Maison de l’environnement-Parc écologique Izadia.

Le golf

En 1880, la création du golf de Biarritz installe quelques trous sur la commune d’Anglet. Il faudra attendre 1920 pour que la société Biarritz-Anglet-La Forêt se rende propriétaire des150 nouveaux hectares nécessaires à la création du golf de Chiberta.

En 1927, le célèbre architecte Tom Simpson s’installe face à l’Atlantique pour le plaisir du Duc de Windsor. De renommé internationale, il avait entre autres construit en France les golfs de Chantilly et de Fontainebleau en 1909. Dans son contrat, il était stipulé que Simpson devait créer le plus beau golf du monde ! A vous de juger.

La thalasso

En 1882 la France comptait un établissement  de thalasso, en 1975 il y en avait 9, puis 35 en 90, 44 en 95. Aujourd’hui la France regroupe 52 centres de thalassothérapie dont une vingtaine a ouvert entre 1985 et 1991et la moitié de ces centres ont moins de 20 ans. Ces équipements représentent une capacité d’accueil d’environ 8 000 curistes par jour. Depuis 1994 le parc semble se stabiliser.

En France, c’est à partir de 1820 que démarre, importé d’Angleterre, l’engouement médical pour l’eau de mer. À Anglet, dès 1854, la mode des bains se développe…

La thalassothérapie moderne verra l’ouverture en 1989 du Centre Atlanthal bénéficiant de l’utilisation combinée des bienfaits du milieu marin qui comprend le climat marin, l’eau de mer, les boues marines, les algues, et autres substances extraites de la mer. Le Centre de thalassothérapie Atlanthal accorde un intérêt tout particulier à l’aspect sportif et à la remise en forme grâce à des équipements spécifiques.

L’aérodrome

A la Chambre d’Amour, un champ d’atterrissage doté d’une piste de 3, 5 km, sans obstacle autre que les dunes à l’Est, permettait aux pilotes de faire décoller leurs avions. En effet la manoeuvrabilité des appareils de l’époque autorisait le fonctionnement d’une telle installation. Toutes les conditions semblaient réunies pour que les liaisons avec Bordeaux, Santander et pourquoi pas Londres ouvrent aux touristes fortunés les accès à la Côte d’Argent.

Georges Guynemer, futur as de la première guerre mondiale, y découvrira sa vocation. Il résidait dans la villa Delphine voisine du terrain. Mais le projet d’un aéroport à Parme initié depuis longtemps se précisera avec l’acquisition des terrains. La réalisation de l’aéroport signa la fin de l’aérodrome qui fermera en 1922.

Vestiges – une partie du tarmac reste visible entre les herbes folles. Une végétation rase se développe derrière une clôture qui protège la zone contre le stationnement.

La Chambre d’Amour

La Chambre d’Amour, nom attribué à une grotte située en contrebas des falaises d’Aintzarte. Coordonnées GPS : lat. 43° 29′ 56″ – long. -1° 32′ 31″

La légende est née en pleine période romantique, au début du dix-neuvième siècle. « Dans les temps lointains, Laorens, pauvre et orphelin et Saubade, fille d’un riche cultivateur, s’aimaient. Ils se retrouvaient, en dépit de l’opposition paternelle, dans une grotte, face à l’immensité des vagues. Là, ils faisaient le serment de s’aimer jusqu’à la mort. Un beau jour, l’orage gronda dans le Golfe de Gascogne, et la mer, poussée par le vent du large, monta plus rapidement qu’à l’habitude, emportant les amants. On appela « Chambre d’Amour » la grotte fatale qui attire, aujourd’hui encore, amoureux et curieux. » (rapporté par E. De Jouy dans l’Hermite en province ou observations sur les moeurs ou les usages français au commencement du XIXe siècle.)

La légende contribua au succès du lieu. L’accès dangereux contribue à élargir la dénomination à la plage du même nom. Le nom suggestif assure le succès du lieu. L’imagination portée par le mythe favorisa les récits et l’évocation d’une plage favorisant les amours estivales.

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Vestiges : Suite aux modifications des courants et des transferts de sable, la grotte est désormais à une centaine de mètres de la mer. Les aménagements des abords et la construction du VVF ont ôté au lieu sa discrétion.

Le mythe

La légende de la Chambre d’Amour

La légende est née en pleine période romantique, au début du dix-neuvième siècle. « Dans les temps lointains, Laorens, pauvre et orphelin et Saubade, fille d’un riche cultivateur, s’aimaient. Ils se retrouvaient, en dépit de l’opposition paternelle, dans une grotte, face à l’immensité des vagues. Là, ils faisaient le serment de s’aimer jusqu’à la mort. Un beau jour, l’orage gronda dans le Golfe de Gascogne, et la mer, poussée par le vent du large, monta plus rapidement qu’à l’habitude, emportant les amants. On appela « Chambre d’Amour » la grotte fatale qui attire, aujourd’hui encore, amoureux et curieux. » (rapporté par E. De Jouy dans l’Hermite en province ou observations sur les moeurs ou les usages français au commencement du XIXe siècle.)

Les établissements disparus

Dès 1884, un établissement de bains de 75 cabines est édifié par la ville. Il inaugurera la série de déboires liés à la proximité de la mer. En 1924 un raz de marée dévaste l’installation qui sera reconstruite trente mètres plus loin 4 ans plus tard. Cet établissement fonctionnera jusque dans les années 50.

Devant le succès des bains de mer, la municipalité décide en 1927 de la construction d’un bâtiment plus adapté. Les plans sont confiés aux architectes Anatole & Durruthy  adeptes du style Art Déco, ils imaginent un bâtiment sur deux niveaux avec casino à l’étage.

En 1928, le projet définitif offre, sur 15000m², piscine et vaste salle des fêtes  à la Chambre d’Amour. 2 ans plus tard des aménagements supplémentaires s’imposent pour offrir un bar, des salons particuliers et des cabines réservées aux célébrités de l’époque : la baronne de Rothschild, le maharadjah de Jasdan, le grand duc Dimitri, le roi et la reine d’Espagne, le prince de Galles, et Buster Keaton…

En 1957 et 58 un plongeoir en béton remplace le plongeoir initial en bois et 15 cabines sont ajoutées. En 1966 le mur de soutènement est consolidé une première fois, il sera endommagé lors des tempêtes de 1973 et 1975 ainsi que la piscine. En 1977, piscine, bar et cabines sont détruits.  D’importants travaux de protection du littoral sont réalisés. Des épis et des jetés sont construits pour enrayer la montée de l’océan qui rogne le littoral.

Vestiges – Enfin en 2007 l’Espace de l’Océan est inauguré, avec une salle des congrès conçue dans le respect du style art déco d’origine. Seule la décoration rend hommage aux anciens établissements.

En 1930, la villa Zipa, construite sur la pointe rocheuse de la Chambre d’Amour est démontée et reconstruite dans un autre quartier. La villa Zipa aura résisté aux assauts de l’océan durant une dizaine d’années.

Vestige : reste une plateforme aménagée dont rien n’indique qu’une villa se dressait là.

En novembre 1969, des dégâts sur le mur de soutènement devant la plage face à l’hôtel Marinella. Un affaissement de 3 mètres sape le pied du mur et les vagues submergent le quai.

En 1976, la construction d’un deuxième épi est décidée devant la plage du Club entraînant la disparition de la piscine sous les gravats. Un troisième épi sera créé au nord de la plage de Marinella afin de tenter en vain de sauver l’hôtel.

En 1980, l’hôtel Marinella est racheté par l’Etat  pour être démoli. La plateforme d’enrochement, sur lequel il reposait, sera enlevée en 1987 car elle aggravait l’érosion de la plage.

Vestige : la plage de Marinella est le seul souvenir de cet hôtel.

Le VVF

En 1970, l’hôtel Village Vacances Famille, conçu par l’agence Aquitaine Architectes Associés -Hébrard, Gresy et Percillier- est construit sur un terrain contraignant. Le bâtiment est construit sur pilotis, atteignant une largeur de 250m. Les architectes concevront un paquebot couleur de sable. Ce qui fait architecture ici c’est l’intégration dans le lieu, dans un rapport évident avec la topographie. Un ensemble compact de gradins sur la mer, tels les ponts d’un navire. Le vocabulaire s’inscrit dans le registre maritime, évoquant un navire paré pour affronter l’océan, adossé aux rochers. Son infrastructure en béton brut, bois et pierre sèche incruste sa masse dans le décor.

Vestiges : Exit le VVF. Après 2 ans de travaux (2008-2009), les 210 logements et les parties communes sont restaurés pour renaître sous le nom de Belambra. Ce changement de nom marque le renouveau du site.

Le surf

Un littoral sur lequel le surf s’est imposé comme mode de vie. Tout au long de la promenade les plages offrent des écoles pour tous les âges et tous les niveaux.

L’histoire a commencé sur la côte basque. Durant l’été 1952, l’ébéniste dacquois Jacky Rott se rend à la Chambre d’Amour afin de voir si le rêve hawaiien, découvert lors de la projection d’un film, pouvait être importé au Pays Basque… Une fois à l’eau, la planche – taillée par ses soins dans du cyprès chauve – fut impossible à maîtriser dans les vagues, sans aileron ni paraffine… habitué de la pratique allongé du planky, il ne parvint pas à se tenir debout pour surfer.

Le surf arrive, en 1956, à la Chambre d’Amour avec une équipe hollywoodienne venue tourner « le Soleil se lève aussi », film tiré du roman éponyme d’Ernest Hemingway.

Le 27 août 1963, l’actrice Deborah Kerr, épouse du scénariste Peter Viertel, inaugure le Surfing-club de la Chambre d’Amour, premier club de surf en France. A peine un an plus tard, le club devenait le Surf-Club de France.

La planche a débarqué dans les années 1950 grâce au tournage d’un film inspiré d’Hemingway. Depuis, la Côte basque n’a cessé d’être au sommet de la vague. . A l’été 1957, alors étudiant, Joël de Rosnay sportif aguerri, devient champion de surf. Son nom restera associé dans la légende du surf à ceux entre autres de Georges Henebutte, fabricant de planky et de Jo Moraiz qui créera la première école de surf. Ils entreront dans l’histoire de ce sport sous le nom de « tontons surfeurs ».

Vestiges : reste les concours et championnats, entre les World Surfing Games, le surf de nuit et les  compétitions de longboards, les fédérations et les sponsors entretiennent la réputation d’un site historique.

Texte Jacques Clayssen

Pieds et points liés

Chacun se souvient des dessins point à point qui facilitaient en s’amusant l’apprentissage du trait et du coloriage. Dessins dont les points pré-configuraient le tracé.

De cet exercice enfantin, nous avons emprunté les points en les reportant sur des balisages in situ. Si l’on observe attentivement notre environnement, nous constaterons que le paysage présente des ancrages naturels ou construits qui permettent avec un traceur GSM d’utiliser les offres du terrain pour réaliser des figures point à point.

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Désormais, aux traditionnelles cartes géographiques et aux instruments de navigation se substituent les moyens offerts par les smartphones alliant cartes et boussoles à travers le GPS.  Ces techniques de positionnement par satellite et leurs reports cartographiques viennent enrichir la palette de moyens d’expression de l’art actuel.

procédure :

  • disposer d’un smartphone avec une application de tracking
  • identifier dans le paysage les points d’ancrage
  • effectuer le parcours suivant la figure choisie en reliant les points.

Cette proposition s’articule sur un walkscape augmenté d’une dimension liée à une pratique artistique ancestrale : le dessin dans le paysage à l’image des géoglyphes de Nazca. Dans sa version actualisée, le GPS offre la possibilité de dessiner un parcours sans empreinte, dont seule la version tracée via le GPS figure sur l’écran.

Ainsi se mettent en place les conditions d’une démarche artistique totale, à la manière de l’Action Painting en transformant les marcheurs en traceur. Les corps en déplacement sont à l’œuvre sur le parcours du walkscape. L’expression apportée par l’usage du GPS respecte le principe d’un art immatériel. Au déplacement physique du walkscape s’ajoute la mémoire figurative d’un tracé sur écran, sans traces matérialisées sur le terrain.

Le principe est simple: les marcheurs se déplacent suivant un tracé reliant des points identifiés sur le parcours. Ce tracé suivi via GPS dessinera une trace figurative identique à celle déterminée. Chacun devient acteur et détenteur de sa représentation.

Les points visuels composant des figures matérialisées par le traceur nécessitent une détection par le regard imaginant la possibilité d’une figure. Le regard construit les lignes du parcours reliant des points dissemblables ou ordonnés. Dans le cas de points ordonnés, les figures potentielles révèlent les potentialités de liens.

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vue panoramique du site

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Vue du site avec les plots balisant l’aire d’atterrissage d’hélicoptère située entre la plage de la Madrague et Marinella.

Promenade Nocturne

IMPORTANT : la Promenade nocturne change de date

INSCRIPTIONS
Dans le cadre de la sixième édition de la Biennale d’art contemporain d’Anglet : La Littorale, avec un parcours artistique confié à l’écrivain et historien d’art Paul Ardenne, l’association Démarches vous propose un walkscape de nuit sur la promenade littorale de la Barre à la Chambre d’Amour.

Promenade nocturne, le mercredi 2 novembre. Départ à 22h, durée environ 2h.

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La participation est libre, mais il est impératif de se préinscrire par mail à l’adresse suivante : clayssen.laforet@gmail.com

Le crU et le BUis

« le seul endroit du monde où le climat appartient au ciel et à la terre. Incertain quand on lève les yeux, le climat est toujours sûr et constant quand on les baisse » cette observation de Bernard Pivot, dans la préface écrite pour l’ouvrage de référence Climats du vignoble de Bourgogne*, décrypte poétiquement le double sens du mot « climat » en Bourgogne.

C’est en effet la combinaison de la situation météo, des sols et sous-sols, des pentes et orientations associés à une conduite des vignes issue d’une observation sur plusieurs siècles qui a modelé cette mosaïque de parcelles dont les figures géométriques se lisent dans les limites cadastrales, les meurgers, les clos et les cheminements.

Si l’histoire commence au XIIIe siècle, lorsque l’abbaye cistercienne de Maizières reçoit les premières vignes en « mont Rachaz ou Montrachaz », sa consécration viendra au XIXe siècle lorsque ce vignoble prend tout son essor.

De l’avis de Thomas Jefferson, troisième Président des Etats-Unis, qui découvre ce cru lorsqu’il était ambassadeur des États-Unis en France de 1785 à 1789 , il s’agit rien moins que du meilleur vin du monde. Tandis qu’Alexandre Dumas père disait que ce vin devrait être bu à genoux et tête découverte, alors que Stendhal dans Mémoires d’un touriste  publié à Paris en 1838 écrivait : La Côte-d’Or n’est qu’une petite montagne bien sèche et bien laide ; mais on distingue les vignes avec leurs petits piquets, et à chaque instant on trouve un nom immortel.

Ce point de vue stendhalien ne doit pas faire oublier la place primordiale occupée par l’image, à la même époque, dans cette région. Berceau de la photographie, la Bourgogne outre son prestige viticole compte parmi ses célébrités rien moins que l’inventeur de l’héliographie ancêtre de la photographie et l’inventeur de la chronophotographie qui pose les bases techniques de l’image animée.

Nicéphore Niepce- Le point de vue du Gras- 1826

Le premier,  Nicéphore Niepce est né le 7 mars 1765 à Chalon-sur-Saône, la première héliographie connue date de 1826. Intitulée Le Point de vue du Gras , elle représente un paysage proche de Chalon sur Saône.

Le second, Etienne-Jules Marey est né le 5 mars 1830 à Beaune. Il vécut à 6 km de Chagny au Domaine de la Folie. Etienne-Jules Marey, aïeul de Clémence, la gérante du domaine, a reconstitué et mis en valeur l’exploitation familiale.  Professeur au Collège de France, physiologiste, précurseur du cinéma, il est à l’origine de nombreuses inventions telles que le fusil chronophotographique ou le sphygmographe, appareil pour enregistrer le pouls.

L’homme qui marche – Etienne-Jules Marey – 1890

La Bourgogne offre aussi au cinéma un décor et des modes de vie marqués par la tradition et le milieu viticole. Pour raconter une histoire de famille et de transmission entre générations, le cinéaste Cédric Klapisch, a retenu le vignoble bourguignon. C’est dans la côte de Beaune, notamment Meursault et Chassagne-Montrachet, qu’il a trouvé les motifs d’une histoire d’héritage. Car, le vin dit-il présente à la différence des autres « cultures » l’avantage de se bonifier en vieillissant… C’est ainsi qu’à Chassagne-Montrachet le Domaine de Magenta figure dans le décor de sa dernière réalisation, Le Vin et le vent. Le tournage, a débuté pendant les vendanges 2015 et devrait se terminer au début de l’été. Lire la note d’actualisation en fin d’article.

Cédric Klapisch – Le Vin et le vent .DR

Dans l’étude sur le Sémantisme autour du vin: représentations symboliques et lexiculturelles, Mercedes Eurrutia Cavero, Maître de Conférence à l’Université d’Alicante, note à propos du mythe dyonisiaque : Comme le sacré et l’art, le vin permet à l’homme de s’approprier le «désordre» à travers un «ordre». La patience du vigneron, l’acharnement du peintre, du poète, de l’artiste aboutissent paradoxalement à ce qui est opposé à la sphère du travail, l’ivresse, le rêve, l’extase. Tel est le sens de la religion dionysiaque: «Dionysos est un dieu ivre, c’est le dieu dont l’essence divine est la fo­lie»  d’après Georges Bataille.  

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vers 70 av. J.-C, maison de Pompéi surnommée  » La Villa des mystères « . on y voit Dionysos, dieu du Vin et de la Vigne, et sa mère, Sémélé.

Hervé Chayette et Philippe baron de Rothschild précise dans l’ouvrage Le vin à travers la peinture : Mais Dionysos est également un dieu de culture dans le sens abstrait du terme : «Il est essentiel d’insister sur le lien incarné par Dionysos entre le vin, d’une part et l’autre la civilisation en ce qu’elle comporte de plus raffiné ou de plus sublime : la création artistique». Dans l’Antiquité il était considéré comme protecteur de tous les arts, dieu de l’inspiration artistique dans ce qu’elle a de divin et d’assimilable à l’ivresse.

Et l’on sait la place accordée au vin dans  la chrétienté…

Le paysage construit

Le paysage se définit généralement à travers la question de ses représentations en éludant la posture du spectateur. L’expérience corporelle, la positionalité du spectateur constituent pourtant les éléments fondateurs d’un paysage perçu. Nous donnons généralement le primat à la vision au détriment de la mise en forme de la terre par les activités humaines.

Ce walkscape en milieu agraire s’inscrit dans un paysage construit sur une période remontant au Moyen-âge. Pour preuve, le village de Chassagne est inscrit au cartulaire de 886 de l’abbaye de Saint-Seine sous le nom de Cassaneas ou Cassania, tandis que des moines clunisiens y fondent le prieuré de Morgeot et que l’abbaye bénédictine Saint-Jean-le-Grand d’Autun est propriétaire du Clos Saint-Jean.

Conditionnée par la géologie et le relief, la côte peut se décrire par strates successives : au sommet, les plateaux calcaires en cours d’enfrichement ou plantés de résineux, les escarpements rocheux artificiels ou naturels et leurs éboulis boisés, puis les vignobles en coteau et les plaines bocagères héritées des cultures monastiques.

Ceci permet d’interpréter les conditions d’élaboration de ce paysage ancien qui doit essentiellement à la présence continue des moines. Les règles des monastères ont favorisé la présence d’une population stable qui a façonné le paysage par des pratiques viticoles forgées par des savoir-faire fondés sur l’observation sur de longues périodes.

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Le paysages de vignoble, est indéniablement un type de paysage fait pour être vu, il évoque le produit fini et convoque sa charge symbolique. En Bourgogne la parcellisation des terres compose un camaïeu délimité, souligné, découpé dont la vue paysagère régale l’œil des variations d’alignement. Le paysage viticole incite peu à la promenade, sa découverte spectaculaire n’invite pas à la déambulation entre les vignes. Lieux de travail et de production, la vigne requiert des soins méticuleux et une attention soutenue, on ne vagabonde pas dans les inter-rangs. Sa valeur et sa renommée incitent au respect, on regarde mais on ne touche pas. On dégustera, car seul le produit de la vigne permettra d’apprécier la qualité dans un raccourci qui de la vigne au verre racontera chaque étape de la production.
La beauté singulière des « Climats » se livre dans la vue d’ensemble.

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Trois types d’occupation des sols : le bâti, la vigne et la friche. Composition directement observable depuis les chemins à flanc de coteaux. Quand on marche en surplomb de Chassagne-Montrachet aux lisières de la friche forestière et des buis sauvages, le regard porte sur la mosaïque de vignes délimitée par les murets et les routes et chemins qui enceignent le village, les domaines et leurs bâtiments d’habitations et viticoles, alors que la voie ferrée et la nationale convergent vers les abords de Chagny et sa périphérie. La mythique Nationale 6 qui reliait Paris à l’Italie via la Bourgogne et Lyon a perdu sa renommée de route des vacances depuis l’ouverture de l’autoroute A6.

La terre des parcelles a une telle valeur que l’on dit que les viticulteurs, lors d’un achat, goûtent la terre pour apprécier le goût du futur vin qui sera susceptible d’y être produit. Mais on dit aussi qu’il faut gratter la terre sous les semelles en quittant une parcelle pour ne pas éparpiller un bien si précieux. Un dégustateur averti retrouvera dans son verre l’identité de la terre.

La friche est essentiellement le terrain de prédilection du buis. Les particularités du buis compliquent sa gestion. Car il s’agit d’un bois dur avec une grande capacité de repousse après coupe, toxique pour le bétail et d’une longévité exceptionnelle.

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Les buxaies trouve toute leur place dans l’équilibre écologique il s’agit de les contenir car elles sont une composante du paysage et participent de la typicité de ce paysage.

Deux lectures permettent de lire ce paysage.

Une lecture temporelle. Le paysage qui s’offre aux visiteurs actuels est le résultat de trois étapes historiques :

* Le phylloxera à la fin 19ème siècle qui a obligé à structurer l’alignement des vignes

* La délimitation des appellations d’origine par de actes juridiques

* L’évolution des moyens de production avec le développement des enjambeurs, puis de l’hélicoptère.

Une lecture spatiale permet d’appréhender par l’observation de l’étroite corrélation entre les activités humaines et les lieux où elles s’exercent, une toponymie caractéristique des régions viticoles d’excellence. En effet, la région Bourgogne imbrique villages et lieux-dits dont les noms désignent tout à la fois le lieu de production et le produit. Par le décret du 27 novembre 1879, la commune de Chassagne-le-Haut est autorisée à changer son nom en Chassagne-Montrachet, du nom du climat le Montrachet, classé grand cru.

La carrière de Chassagne-Montrachet entaille blanche à flanc de côte, marqueur essentiel du paysage. Le « calcaire de Chassagne », un calcaire blanc à petits grains ronds a été utilisé pour le bâti local. Les maisons de la Côte de Beaune sud, mais aussi des Châteaux et l’Hôpital de Meursault en témoignent.  Cette pierre est aussi un des substrats du Climat de Montrachet. La carrière à ciel ouvert de Chassagne dont les déblais, appelés « cavaliers », enrichissent la morphologie du paysage de la côte par la rupture visuelle qu’ils occasionnent.

Cette pierre marbrière a pour caractéristique d’acquérir, après polissage, un brillant de qualité. Moins onéreuse que le marbre, la pierre de Chassagne a été utilisée sur de grands chantiers comme le Grand-Louvre, à Paris, mais aussi au palais royal Fahd Bin Abdulaziz, à Fès, au Maroc, ainsi que dans divers chantiers au Qatar, en Arabie Saoudite, aux Etats-Unis, etc. Ce type de pierre est aussi exploité en côte de Nuits, sous le nom de Comblanchien.

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Parler d’un « Terroir de la Pierre » n’est pas un abus de langage tant les liens entre le travail du sol et du sous-sol sont étroits. L’extraction des matériaux des multiples « perrières » a servi aux constructions des bâtis vignerons : murets, meurgers, cabottes, habitations, celliers…, leur conférant ce cachet typique de la pierre sèche. Les anciennes perrières reconverties en vigne ont donné leur nom à des Climats racontant la relation étroite qui unit vignes, vins et villages. En plus des perrières, le sous-sol est riche de diverses ressources comme les argilières, les gravières, les lavières qui servent de couvertures aux toits traditionnels.
Avec la taille guyot simple -simple, avec une baguette de cinq à huit yeux et un courson de un à trois yeux-, qui étale les sarments, le viticulteur obtient un palissage qui favorise l’ensoleillement et limite l’hygrométrie au niveau de la vigne, grâce à la circulation d’air.

Le cycle végétatif de la vigne se compose de phases successives.  Le calendrier de la vigne ou commence la taille pour se clore avec les vendanges généralement en septembre.

Pour comprendre et apprécier le paysage viticole, il est indispensable d’identifier la phase dans laquelle se trouve la vigne au moment de la marche dans le vignoble. Du point de vue paysage, chaque phase offre un aspect spécifique avec des dominantes de couleurs, mais aussi d’activités humaines qui modifient la perception qu’en aura l’observateur.

Car, la surface foliaire est un élément fondamental des paysages de vignes qui s’offrent à l’observateur suivant les saisons. L’alignement parfait des rangs de vignes avec des feuilles ordonnées.

Le ‘’palissage’’ des rameaux sur les fils de fer malgré ses qualités visuelles et sa photogénie n’a aucun motif esthétique. La surface foliaire doit être maintenue homogène et suffisante pour faciliter le processus de photosynthèse.

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La densité de plantation influence la surface foliaire. Une grande partie des travaux du viticulteur tout au long du cycle végétatif de la vigne, concourent à l’optimisation de la surface foliaire. On appelle surface foliaire l’avers et l’envers de la feuille de vigne, de la vigne au-dessus des pieds des ceps. On notera que les grappes poussent sous la partie foliaire.

Otis Historical Archives of National Museum of Health & Medicine

Dès 1530, suite aux excès de la Renaissance, une vague de pudibonderie entraîna des actions de masquage de la nudité sur les œuvres d’art. Ces altérations des oeuvres connues sous le nom de surpeint ou repeint de pudeur étaient effectuées généralement par un ajout de feuilles de vigne. A l’origine, il s’agissait de feuilles de figuier conformément au texte de la Genèse « Et les yeux de tous deux furent ouverts ; ils connurent qu’ils étaient nus, et ils cousirent ensemble des feuilles de figuier, et s’en firent des ceintures » (Genèse 3 : 7). Cette pratique perdura jusqu’au 19è siècle en particulier dans l’imagerie médicale et à visée pédagogique. La feuille de vigne devint ainsi le symbole de la pudibonderie et d’une forme de censure.

 

 

 

L’enjambeur apparaît dans les années 50, il va supplanter le cheval et ouvrir une nouvelle ère dans la conduite de la vigne. Dès l’origine de ce tracteur à pont les inventeurs vont suivant les régions développer des modèles plus ou moins performants. En Bourgogne, l’entreprise fondée par Emile Bobard en 1927, développera en 1957 un enjambeur qui va travailler dans les plantations dont les allées de passage varient entre 0,90 m et 1,50 m. L’enjambeur participe de la modification du paysage,

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En période de taille de la vigne de décembre à mars, l’odeur caractéristique du sarment brûlé, envahit les villages bourguignons. Cette fumée fortement parfumée est assez tenace pour imprégner durablement les cheveux et tous les vêtements. Images typiques du vignoble bourguignon, les colonnes de fumée qui s’élèvent des vignes. Les sarments sont brûlés dans des genres de brouettes dites « breulots ». Chaque viticulteur bricole la sienne , le modèle le plus répandu est réalisé avec une roue de vélo, une armature de tuyaux de fer sur laquelle on installe un bidon métallique fendu sur la longueur puis ouvert et percé de trous à l’opposé pour le tirage et l’évacuation des cendres.

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Les tournières désignent les abords des lieux cultivés enherbés. Ces lisières herbeuses des vignes ont avant tout un rôle technique et environnemental, mais elles impactent aussi le paysage. Cette pratique à la fois maîtrisée et naturelle est un des marqueurs d’une agriculture partenaire de la nature. La vigne enherbée en Bourgogne prend aussi en compte cet aspect.

Les abords de parcelle sont enherbés, même si c’est l’option sol nu est retenue sur le reste de la parcelle. Parfois la végétation spontanée est suffisante, sinon les espèces semées peuvent être identiques à celles utilisées pour enherber les inter-rangs. L’enherbement des abords des parcelles a le même impact sur la protection contre l’érosion et la réduction du ruissellement que dans l’inter rang. Les bandes enherbées, interfaces entre les vignes et les autres milieux : haies, talus, bois, prairies, autres cultures…, servent à protéger la parcelle mais aussi à héberger et nourrir nombre d’insectes.

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Dans une société urbaine, les citadins se ressourcent en accédant aux plaisirs de la nature et à la découverte des paysages. Les paysages de vignes varient au cours des saisons, situés comme La Côte de Beaune sur des contreforts, mais travaillés, entretenus, le touriste urbain malgré le dépaysement est rassuré par ces espaces aménagés. Il s’agit de paysage construit par une longue histoire ancrée dans la mythologie et les religions.  Il y découvre un mode de vie, des plaisirs de la table associés à la production locale dont il pourra acquérir les produits pour retrouver et faire partager les sensations et évoquer le souvenir par le goût et l’odorat, lors de l’ouverture d’une bouteille. La vigne est une culture peuplante, un écosystème vivant, mais aussi habité et marqué par les traditions, des abbayes, des villages, des domaines, des châteaux, des chais, des caves,…

Les visiteurs d’Une partie de campagne en ont fait l’expérience lors des journées du 10, 11 et 12 juin.

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Note :

*Climats du vignoble de Bourgogne, Ouvrage collectif, Préface de Bernard Pivot, Collection « Le Verre et l’assiette » – éditions Glénat, 224 pages. Format : 245 x 328 mm, Prix : 49 €

Texte et Photos Jacques Clayssen

 

Juin 2017-Note d’actualisation à propos du film de Cédric Klapisch

Le titre à l’époque du tournage: Le vin et le vent, n’était qu’un titre de travail, le titre commercial joue astucieusement sur le lien familial et la lie du vin, ce titre résume à lui seul la problématique du film. C’est donc à l’occasion de la sortie en salle de son dernier opus Ce qui nous lie que le réalisateur Cédric Klapisch  compare avec poésie, le travail du vigneron et du réalisateur : « on récolte des images pendant le tournage,puis elles maturent lors de la postproduction, comme le raisin en tonneaux dans les caves. Il y a beaucoup de ressemblances entre les métiers de vigneron et de réalisateur : il faut savoir observer, travailler sans compter ses heures, ne jamais baisser les bras. Tout ça pour offrir du bonheur, en bouteille ou sur grand écran. » extrait du JDD du 11 juin 2017.

En mars 2017, La Galerie Cinéma à Paris, 26 rue St Claude Paris 3 présentait les «photographies de repérage» du réalisateur avant le tournage de Ce qui nous lie. Nous avons sélectionné deux images que le réalisateur présentait dans l’exposition «La nature humaine».

Bâtons/Mémoires

Le bâton est associé à l’humanité depuis ses débuts, il en a accompagné toutes les évolutions et s’est diversifié dans un grand nombre d’usages : aide à la marche, arme guerrière, signe de pouvoir ou instrument de chasse. Outil polyvalent, il a pris des formes esthétiques très diverses et souvent très codées, chaque culture ayants ses bâtons décorés, gravés, sculptés, peints ou ornés, aux significations précises et la plupart du temps rituelles. La pratique du WalkScape se devait de rendre hommage à ce compagnon fidèle des marcheurs, des pèlerins et le bâton s’est imposé comme élément de mémoire, autre forme de récit et d’écriture destinée à rendre compte de chaque œuvre, symbolique douce de l’esprit d’un parcours, à la limite de la sculpture, de l’installation et de l’objet fétiche.

Le bâton-mémoire est orné de parures et de signes le liant exclusivement à un walkscape. Il est support des attributs symboliques ou littéraux d’un chemin, d’une voie. Le bâton-mémoire, participe de la tresse narrative à l’œuvre dans le walkscape. Ce bâton condense sur sa partie haute les éléments d’une histoire à travers des objets issus pour une part d’association d’idées, d’affinités électives, d’évocations et d’autre part d’objets témoins collectés sur le parcours, dont le statut de reliquat leur confère une aura singulière. Le bâton-mémoire, objet narratif qui à travers sa composition  offre à chacun un support à l’imaginaire. Il évoque et convoque tout à la fois des points de vue propres à chacun selon la connaissance ou l’expérience qu’il a du walkscape et ses référents culturels.

Œuvres d’imagination, ces sculptures, éléments en volume ou ces tableaux en relief suivant la perception de chacun, racontent l’histoire d’un parcours mental restituant un parcours physiquement réalisé et éprouvé lors d’un walkscape. De forme cylindrique, le bâton une fois pris en main, déroule sous toutes ses faces une figuration enlacée à sa forme à l’instar du bâton d’Asclépios autour duquel s’entoure la couleuvre. Le bâton-mémoire s’impose par son inscription dans le champ de la marche comme l’accompagnateur traditionnel du marcheur. Au titre d’emblème de la marche,  le bâton-mémoire constitue le support naturel d’une matérialisation de l’expérience esthétique de celle-ci.

Ci-dessous quelques exemples historiques ou contemporains, de l’exposition des bâtons des pèlerins de Saint Jacques de Compostelle aux foires anglo-saxonnes de walking sticks en passant par les ateliers d’enfants autour de cet objet et également les réalisations de DéMarches pour ses WalkScapes, décrites plus complètement dans le cadre de chaque parcours.

Les Barthes avec Roland

Un walkscape, dédié à la mémoire de Roland Barthes, sur les traces d’un parcours entre Bayonne et Urt qu’il appréciait. Le célèbre sémiologue et critique appartenait à une famille dont les domiciles se déplaçaient au fil des événements sur une bande littorale d’Hendaye à Hossegor en passant par Biarritz et Bayonne avant de s’arrêter dans le village d’Urt.IMG_1561
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Des résidences familiales, des institutions d’enseignement tracent une cartographie de lieux connus et célèbres ou discrets et méconnus. Ces lieux ont fait l’objet d’études, de notes, d’observations qui ont alimenté ou documenté les biobliographies de Roland Barthes. En 2015, lors des manifestations du centenaire de sa naissance, en Aquitaine, de nombreuses productions et travaux ont mis à jour des aspects liés à ce territoire familial.

Notre contribution se situe localement sur un parcours familier des auteurs et de Roland Barthes. Trajet commenté par ses soins dans le texte publié par l’Humanité en 1977 sous le titre  La lumière du Sud-Ouest. Un texte singulier dans l’oeuvre de Barthes, il y évoque en effet dans un style littéraire inusité des souvenirs intimes à travers ses sensations.

Ce walkscape hommage à la mémoire de Barthes commence là où Bayonne fini le long de l’Adour vers les Landes.

Point de départ : Moulin de Bacheforès
Ce moulin à marée construit en 1642, sur la rive droite de l’Adour à Bayonne, est l’un des derniers témoins d’une technique originale. Il se compose de trois paires de meules à grains, entraînées par des roues à augets horizontales. Il fonctionne sur les mouvements de la marée. L’étang se remplit à marée montante puis se vide à marée descendante à l’ouverture des vannes qui entraînent les meules.
Point d’arrivée : cimetière d’Urt.
Village situé à une quinzaine de kilomètres à l’est de Bayonne,  dans la province basque du Labourd, il jouxte le département des Landes.  Henriette Barthes s’y installera dans les années 60, dans la maison Carboué. Elle y  accueillera ses enfants jusqu’à son décés en 1977. Enterrée au cimetière d’Urt, situé non loin de sa maison, son fil Roland sera inhumé dans le même caveau à son décès en 1980.

Le bâtiment qui était en cours de construction lors de notre parcours, abrite une médiathèque, une cantine et des locaux associatifs. Il est implanté sur le site de l’ancienne médiathèque Roland Barthes. Il est ouvert depuis novembre 2016.

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Ce parcours se déroule aujourd’hui en majeure partie le long de l’Adour sur la D74. Une voie mixte vélos-piétons permet de marcher en toute sécurité, à l’exception de quelques passages non aménageables du fait de l’étroitesse de la voie.

Photos du parcours par Patrick Laforet

Compter 3h pour parcourir les 15km en toute tranquillité.

 

La lumière du Sud-Ouest

Les Barthes avec Roland, un walkscape hommage à Roland Barthes. Né à Cherbourg, Roland Barthes était par sa famille paternelle attaché au Sud-Ouest, il en a détaillé les raisons dans un texte d’écrivain publié en 1977 dans l’Humanité et réédité à moult reprises. Ce texte intitulé « La lumière du Sud-Ouest » nous a guidés dans notre parcours par la départementale 74, des bords de l’Adour au sortir de Bayonne jusqu’ au cimetière d’Urt où il repose avec sa mère.

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Aujourd’hui, 17 juillet, il fait un temps splendide. Assis sur le banc, clignant de l’œil, par jeu, comme font les enfants, je vois une marguerite du jardin, toutes proportions bouleversées, s’aplatir sur la prairie d’en face, de l’autre côté de la route.

Elle se conduit, cette route, comme une rivière paisible; parcourue de temps en temps par un vélo-moteur ou un tracteur (ce sont là, maintenant, les vrais bruits de la campagne, finalement non moins poétiques que le chant des oiseaux : étant rares, ils font ressortir le silence de la nature et lui impriment la marque discrète d’une activité humaine), la route s’en va irriguer tout un quartier lointain du village. Car ce village, quoique modeste, a ses quartiers excentriques. Le village, en France, n’est-il pas toujours un espace contradictoire ? Restreint, centré, il s’en va pourtant très loin ; le mien, très classique, n’a qu’une place, une église, une boulangerie, une pharmacie et deux épiceries (je devrais dire, aujourd’hui, deux self-services) ; mais il a aussi, sorte de caprice qui déjoue les lois apparentes de la géographie humaine, deux coiffeurs et deux médecins. La France, pays de la mesure ? Disons plutôt — et cela à tous les échelons de la vie nationale — pays des proportions complexes.

De la même façon, mon Sud-Ouest est extensible, comme ces images qui changent de sens selon le niveau de perception où je décide de les saisir. Je connais ainsi, subjectivement, trois Sud- Ouest.

Le premier, très vaste (un quart de la France), c’est un sentiment tenace de solidarité qui, instinctivement, me le désigne (car je suis loin de l’avoir visité dans son entier) : toute nouvelle qui me vient de cet espace me touche d’une façon personnelle. A y réfléchir, il me semble que l’unité de ce grand Sud-Ouest, c’est pour moi la langue : non pas le dialecte (car je ne connais aucune langue d’Oc) ; mais l’accent, parce que, sans doute, l’accent du Sud-Ouest a formé les modèles d’intonation qui ont marqué ma première enfance. Cet accent gascon (au sens large) se distingue pour moi de l’autre accent méridional, celui du Midi méditerranéen ; celui-là, dans la France d’aujourd’hui, a quelque chose de triomphant : tout un folklore cinématographique (Raimu, Fernandel), publicitaire (huiles, citrons) et touristique, le soutient ; l’accent du Sud-Ouest (peut-être plus lourd, moins chantant) n’a pas ces lettres de modernité ; il n’a, pour s’illustrer, que les interviews des rugbymen. Moi-même, je n’ai pas d’accent ; de mon enfance, il me reste cependant un « méridionalisme » : je dis « socializme », et non « socialisme » (qui sait, cela fait peut-être deux socialismes ?).

Mon second Sud-Ouest n’est pas une région ; c’est seulement une ligne, un trajet vécu. Lorsque, venant de Paris en auto (j’ai fait mille fois ce voyage), je dépasse Angoulême, un signal m’avertit que j’ai franchi le seuil de la maison et que j’entre dans le pays de mon enfance ; un bosquet de pins sur le côté, un palmier dans la cour d’une maison, une certaine hauteur des nuages qui donne au terrain la mobilité d’un visage. Commence alors la grande lumière du Sud-Ouest, noble et subtile tout à la fois ; jamais grise, jamais basse (même lorsque le soleil ne luit pas), c’est une lumière-espace, définie moins par les couleurs dont elle affecte les choses (comme dans l’autre Midi) que par la qualité éminemment habitable qu’elle donne à la terre. Je ne trouve pas d’autre moyen que de dire : c’est une lumière lumineuse. Il faut la voir, cette lumière (je dirais presque : l’entendre, tant elle est musicale), à l’automne, qui est la saison souveraine de ce pays ; liquide, rayonnante, déchirante puisque c’est la dernière belle lumière de l’année, illuminant chaque chose dans sa différence (le Sud-Ouest est le pays des micro -climats), elle préserve ce pays de toute vulgarité, de toute grégarité, le rend impropre au tourisme facile et révèle son aristocratie profonde (ce n’est pas une question de classe mais de caractère). A dire cela d’une façon aussi élogieuse, sans doute un scrupule me prend : n’y a-t-il jamais de moments ingrats, dans ce temps du Sud-Ouest ? Certes, mais pour moi, ce ne sont pas les moments de pluie ou d’orage (pourtant fréquents) ; ce ne sont même pas les moments où le ciel est gris ; les accidents de la lumière, ici, me semble-t-il, n’engendrent aucun spleen ; ils n’affectent pas l’« âme », mais seulement le corps, parfois empoissé d’humidité, saoulé de chlorophylle, ou alangui, exténué par le vent d’Espagne qui fait les Pyrénées toutes proches et violettes : sentiment ambigu, dont la fatigue a finalement quelque chose de délicieux, comme il arrive chaque fois que c’est mon corps (et non mon regard) qui est troublé.

Mon troisième Sud-Ouest est encore plus réduit : c’est la ville où j’ai passé mon enfance, puis mes vacances d’adolescent (Bayonne), c’est le village où je reviens chaque année, c’est le trajet qui unit l’une et l’autre et que j’ai parcouru tant de fois, pour aller acheter à la ville des cigares ou de la papeterie, ou à la gare chercher un ami. J’ai le choix entre plusieurs routes ; l’une, plus longue, passe par l’intérieur des terres, traverse un paysage métissé de Béarn et de Pays basque ; une autre, délicieuse route de campagne, suit la crête des coteaux qui dominent l’Adour ; de l’autre côté du fleuve, je vois un banc continu d’arbres, sombres dans le lointain : ce sont les pins des Landes ; une troisième route, toute récente (elle date de cette année), file le long de l’Adour, sur sa rive gauche : aucun intérêt, sinon la rapidité du trajet, et parfois, dans une échappée, le fleuve, très large, très doux, piqué des petites voiles blanches d’un club nautique. Mais la route que je préfère et dont je me donne souvent volontairement le plaisir, c’est celle qui suit la rive droite de l’Adour ; c’est un ancien chemin de halage, jalonné de fermes et de belles maisons. Je l’aime sans doute pour son naturel, ce dosage de noblesse et de familiarité qui est propre au Sud-Ouest ; on pourrait dire que, contrairement à sa rivale de l’autre rive, c’est encore une vraie route, non une voie fonctionnelle de communication, mais quelque chose comme une expérience complexe, où prennent place en même temps un spectacle continu (l’Adour est un très beau fleuve, méconnu), et le souvenir d’une pratique ancestrale, celle de la marche, de la pénétration lente et comme rythmée du paysage, qui prend dès lors d’autres proportions ; on rejoint ici ce qui a été dit au début, et qui est au fond le pouvoir qu’a ce pays de déjouer l’immobilité figée des cartes postales : ne cherchez pas trop à photographier : pour juger, pour aimer, il faut venir et rester, de façon à pouvoir parcourir toute la moire des lieux, des saisons, des temps, des lumières.

On me dira : vous ne parlez que du temps qu’il fait, d’impressions vaguement esthétiques, en tout cas purement subjectives. Mais les hommes, les rapports, les industries, les commerces, les problèmes ? Quoique simple résident, ne percevez-vous rien de tout cela ? — J’entre dans ces régions de la réalité à ma manière, c’est-à-dire avec mon corps ; et mon corps, c’est mon enfance, telle que l’histoire l’a faite. Cette histoire m’a donné une jeunesse provinciale, méridionale, bourgeoise. Pour moi, ces trois composantes sont indistinctes ; la bourgeoisie, c’est pour moi la province, et la province, c’est Bayonne ; la campagne (de mon enfance), c’est toujours l’arrière-pays bayonnais, réseau d’excursions, de visites et de récits. Ainsi, à l’âge où la mémoire se forme, n’ai-je pris des « grandes réalités » que la sensation qu’elles me procuraient : des odeurs, des fatigues, des sons de voix, des courses, des lumières, tout ce qui, du réel, est en quelque sorte irresponsable et n’a d’autre sens que de former plus tard le souvenir du temps perdu (tout autre fut mon enfance parisienne : pleine de difficultés matérielles, elle eut, si l’on peut dire, l’abstraction sévère de la pauvreté, et du Paris de cette époque, je n’ai guère d’« impressions »). Si je parle de ce Sud-Ouest tel que le souvenir le réfracte en moi, c’est que je crois à la formule de Joubert : « II ne faut pas s’exprimer comme on sent, mais comme on se souvient. »

Ces insignifiances sont donc comme les portes d’entrée de cette vaste région dont s’occupent le savoir sociologique et l’analyse politique. Rien, par exemple, n’a plus d’importance dans mon souvenir que les odeurs de ce quartier ancien, entre Nive et Adour, qu’on appelle le petit-Bayonne : tous les objets du petit commerce s’y mêlaient pour composer une fragrance inimitable : la corde des sandales (on ne dit pas ici des « espadrilles ») travaillée par de vieux Basques, le chocolat, l’huile espagnole, l’air confiné des boutiques obscures et des rues étroites, le papier vieilli des livres de la bibliothèque municipale, tout cela fonctionnait comme la formule chimique d’un commerce disparu (encore que ce quartier garde un peu de ce charme ancien), ou plus exactement, fonctionne aujourd’hui comme la formule de cette disparition. Par l’odeur, c’est le changement même d’un type de consommation que je saisis : les sandales (à la semelle tristement doublée de caoutchouc) ne sont plus artisanales, le chocolat et l’huile s’achètent hors la ville, dans un supermarché. Finies les odeurs, comme si, paradoxalement, les progrès de la pollution urbaine chassaient les parfums ménagers, comme si la « pureté » était une forme perfide de la pollution.

Autre induction : j’ai connu, dans mon enfance, bien des familles de la bourgeoisie bayonnaise (le Bayonne de cette époque avait quelque chose d’assez balzacien) ; j’ai connu leurs habitudes, leurs rites, leurs conversations, leur mode de vie. Cette bourgeoisie libérale était bourrée de préjugés, non de capitaux ; il y avait une sorte de distorsion entre l’idéologie de cette classe (franchement réactionnaire) et son statut économique (parfois tragique). Cette distorsion n’est jamais retenue par l’analyse sociologique ou politique, qui fonctionne comme une grosse passoire et laisse fuir les « subtilités » de la dialectique sociale. Or, ces subtilités — ou ces paradoxes de l’Histoire — , même si je ne savais pas les formuler, je les sentais : je « lisais » déjà le Sud-Ouest, je parcourais le texte qui va de la lumière d’un paysage, de la lourdeur d’une journée alanguie sous le vent d’Espagne, à tout un type de discours, social et provincial. Car « lire > un pays, c’est d’abord le percevoir selon le corps et la mémoire, selon la mémoire du corps. Je crois que c’est à ce vestibule du savoir et de l’analyse qu’est assigné l’écrivain : plus conscient que compétent, conscient des interstices mêmes de la compétence. C’est pourquoi l’enfance est la voie royale par laquelle nous connaissons le mieux un pays. Au fond, il n’est Pays que de l’enfance.

* Paru dans L’Humanité du 10 septembre 1977. Ré-édition Le Seuil.

Goxokissime

C’est l’intime qui veut parler en moi, faire entendre son cri, face à la généralité, à la science. Le Bruissement de la langue. Essais critiques 4 par Roland Barthes.

L’époque des séjours à Urt commence dans les années 60, Henriette Barthes quitte la villa Etchetoa, à Hendaye devenue trop touristique. Elle achète la maison Carboué (la maison du charbonnier, en gascon), à Urt.  A compter de 1968, Roland Barthes y séjournera tous les étés et durant les vacances scolaires, « le délice de ces matinées à U. : le soleil, la maison, les roses, le silence, la musique, le café, le travail, la quiétude insexuelle, la vacance des agressions ».  Il y trouve une quiétude et une tranquillité bercées par la douce présence de sa mère, jusqu’au décès de celle-ci le 25 octobre 1977 qui bouleversera durablement le reste de la vie de son fils.

Villa Les Sirènes à Biarritz

La Villa Les Sirènes à Biarritz où résida la famille Barthes au début de la Seconde Guerre mondiale. RB réformé, échappe à la mobilisation et devient professeur à Biarritz.

Maison Etchetoa à Hendaye-Henriette

La villa Etchetoa à Hendaye que vendit Henriette, la mère de Roland avant de s’installer à Urt.

maison Carboué vue par RBLa maison Carboué à Urt, photo publiée par l’auteur dans Roland Barthes par Roland Barthes.

Dans la maison d’Urt, Barthes a reconstitué son espace de travail à l’identique de la rue Servandoni. II s’acclimate d’autant mieux au village qu’il s’y est fait quelques amis. Ce retour sur les terres de l’enfance le comble, pour preuve le récit qu’en fait l’écrivain Roland Barthes. Dans le texte littéraire sobrement intitulé La lumière du Sud-Ouest, Barthes laisse libre cours à ses souvenirs dans un récit intime et poétique dans lequel affleurent les émotions esthétiques, les souvenirs qui forgent le corps. Barthes s’incarne physiquement dans un paysage matriciel. Un environnement d’odeurs, de saveurs et d’accents nimbés d’une lumière lumineuse. Et là, tout d’un coup il avoue son impuissance à décrire. Lui, le sémiologue, le critique aux mots précis jusqu’à la préciosité, l’auteur au vocabulaire savant, le spécialiste de la rhétorique, écrit : Je ne trouve pas d’autre moyen que de dire : c’est une lumière lumineuse. Cette hyperbole illumine le texte, Barthes laisse place à Roland, le petit garçon qui a grandi à l’ombre de sa mère. La lumière inonde les Barthes, l’eau et la lumière, pas le soleil et la mer. Pour nommer cette différence, il agglutinera basque et latin inventant un mot capable de décrire le sentiment qu’il éprouvait, sur ce territoire, d’une existence protégée : goxokissime.

Enfant je m’étais fait une retraite à moi, cabane et belvédère, au palier supérieur d’un escalier extérieur, sur le jardin : j’y lisais, écrivais, collais des papillons, bricolais ; cela s’appelait (basque+latin) gochokissime. In « Grand fichier », 1 mai 1978.

A noter que Barthes n’utilise pas la graphie basque du mot racine goxo mais la graphie phonétique. La graphie basque permet d’identifier à l’origine du néologisme le terme goxoki, qui signifie douceur enveloppante.

Barthes était plus basque à Paris qu’à Urt. Il en a surpris plus d’un en arborant fièrement, autour du jardin du Luxembourg, son béret basque. Fabrice Luchini, raconte volontiers sa surprise lorsqu’ il avait découvert pendu à une patère, rue Servandoni, un béret. « C’est normal (d’avoir un béret), je suis Basque » lui avait expliqué Barthes.

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La littérature ne permet pas de marcher, mais elle permet de respirer concède Roland Barthes dans Essais critiques -1964. Le fait littéraire permet de dispenser un souffle dans un monde asphyxié par le signifiant. Quelques sept ans auparavant, il notait à propos de la marche dans Mythologies-1957: Marcher est peut-être – mythologiquement – le geste le plus trivial, donc le plus humain. Tout rêve, toute image idéale, toute promotion sociale suppriment d’abord les jambes, que ce soit par le portrait ou par l’auto.

Dans Roland Barthes par Roland Barthes, sous le classement J’aime, nous retiendrons qu’il aime …marcher en sandales le soir sur des petites routes du Sud-Ouest, le coude de l’Adour vu de la maison du docteur L.,…. Il notera avec ironie, dans La lumière du Sud-Ouest,  que les espadrilles chères aux touristes se nomment ici sandales.

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A cette époque, je ne fréquentais pas souvent les rives de l’Adour et j’ignorais cette proximité géographique. Pourtant, les occasions de croiser Roland Barthes ne manquaient pourtant pas, que ce soit chez Cazenave à Bayonne devant un chocolat mousseux, devant un fronton lors d’une partie de pelote, à l’Abbaye de Bellocq pour acheter des fromages de brebis ou sur le banc face à l’Adour devant la Galupe, table qu’il appréciait. Le patron ayant reconnu le bon vivant qui savait apprécier sa cuisine et prenait plaisir à sélectionner avec lui quelques flacons de vins fins. Ou encore le croiser dans sa coccinelle rouge entre Urt et Bayonne,  dans ce Sud-Ouest où il pouvait se saouler de chlorophylle.

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Cazenave sous les arceaux de Bayonne,
son chocolat mousseux a contribué à son succès.

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L’Abbaye de Bellocq commercialise un fromage de chèvre apprécié.

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Sur les rives de l’Adour, ce restaurant réputé, accueillait souvent Roland Barthes ami de Christian Parra. Ce chef étoilé, disparu en 2015, était célèbre pour ses recettes de boudin noir, de saumon de l’Adour et de ventrèche de thon.

Texte Jacques Clayssen

Les Barthes

Mettre nos pas dans le sillage des roues de l’auto de Roland Barthes pour effectuer son trajet préféré entre Urt et Bayonne, c’est parcourir dans un temps long un parcours effectué par l’auteur au volant de sa décapotable, les cheveux au vent quand le temps le permettait.

Il achète au début des années 1960 une Volkswagen, il sera propriétaire d’une Coccinelle décapotable de couleur rouge. Il aimait conduire. S’il descendait de Paris à Urt, comme on dit dans le Sud-Ouest, à l’époque le voyage nécessitait une douzaine d’heures. Il descendait très souvent en auto, puis la fatigue et son emploi du temps lui firent préférer le train ou l’avion. Il laissa l’auto à Urt pour ses périples au Pays Basque, sur les deux versants des Pyrénées.

Roland Barthes avait le choix entre trois itinéraires pour rejoindre la maison Carboué à Urt depuis Bayonne. Deux longent l’Adour, chacun par une rive, le troisième passe par les hauteurs loin du fleuve. Dans le texte La lumière du Sud-Ouest, RB précise son choix «Mais la route que je préfère et dont je me donne souvent volontairement le plaisir, c’est celle qui suit la rive droite de l’Adour ; c’est un ancien chemin de halage, jalonné de fermes et de belles maisons. Je l’aime sans doute pour son naturel, ce dosage de noblesse et de familiarité qui est propre au Sud-Ouest ; on pourrait dire que, contrairement à sa rivale de l’autre rive, c’est encore une vraie route, non une voie fonctionnelle de communication, mais quelque chose comme une expérience complexe, où prennent place en même temps un spectacle continu (l’Adour est un très beau fleuve, méconnu), et le souvenir d’une pratique ancestrale, celle de la marche, de la pénétration lente et comme rythmée du paysage, qui prend dès lors d’autres proportions ; on rejoint ici ce qui a été dit au début, et qui est au fond le pouvoir qu’a ce pays de déjouer l’immobilité figée des cartes postales : ne cherchez pas trop à photographier : pour juger, pour aimer, il faut venir et rester, de façon à pouvoir parcourir toute la moire des lieux, des saisons, des temps, des lumières. ». Dans l’ouvrage de référence écrit par Tiphaine Samoyault (1), celle-ci se trompe de route en s’engageant sur la départementale 261, alors que Roland Barthes indique clairement préférer la départementale 74 sur la rive droite, chemin jalonné de fermes et de belles maisons qui lui apparaît, comme il l’écrit dans La lumière du Sud-Ouest : une expérience complexe. Ce sera donc sur la route des Barthes que nous marcherons, pour une pénétration lente et comme rythmée du paysage,  qui prend dès lors d’autres proportions.

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L’homonymie est-elle un indice justifiant le choix ou une affinité élective qui ne manque pas d’interpeller?

Roland Barthes étudia, lors d’un séminaire sur le « Vivre ensemble au Collège de France » en 1976, la capacité des sociétés humaines à inventer des noms propres et forgea à cette occasion un néologisme : « l’onomatogénèse » (la création de nom, du grec onoma). Il ouvre ainsi une perspective vers une ethnologie historique ; puisque des noms de famille sont des noms de lieux ou des surnoms. On se souviendra qu’il a développé une étude onomastique dans le Degré zéro de l’écriture, Barthes y prend son nom comme exemple : une barthe, dans une langue celto-ibère, est une prairie périodiquement inondée. Barthes se souvient aussi avoir vu, enfant, dans un journal local, un article sur « La grande misère des barthes », relatant les désordres occasionnés par la trop faible ou trop forte montée des eaux. Mais, la route des Barthes, qu’il parcourt, longe un fleuve mieux maîtrisé même si le risque persiste. J’entre dans ces régions de la réalité à ma manière, c’est-à-dire avec mon corps ; et mon corps, c’est mon enfance… la campagne (de mon enfance), c’est toujours l’arrière l’arrière-pays bayonnais, réseau d’excursions, de visites et de récits.

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Le couple St Barthélémy-Barthes fonctionne sur une racine commune [Barthe], mais l’association géographique des deux toponymes n’est pas unique puisqu’elle se redouble dans l’arc antillais l’île et l’archipel associés : Saint Barthelemy / St Barth. L’apocope de Barthélémy ayant donné le nom familier utilisé par les îliens.

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La Barthe, désigne des terres inondables de la vallée de l’Adour. L’Office de tourisme des Landes explique : « façonnées par les crues millénaires de l’Adour, les Barthes, mi-eau, mi-terre, représentent un milieu original d’une très grande richesse ». La route longe une digue-talus la protégeant, ainsi que les terres alentour des inondations dues à la montée des eaux principalement quand les marées d’équinoxe se conjuguent avec la fonte des neiges. Moment critique durant lequel l’Adour voit son débit et son niveau augmenter. De la route en voiture, le fleuve n’est visible que dans les intervalles laissés dans la digue pour des appontements ou depuis les ponts qui jalonnent la route pour enjamber les esteys.

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Les aménagements hydrauliques des barthes ont été réalisés au XVIIème siècle par des ingénieurs hollandais. Les eaux du coteau et les esteys sont canalisées par des canaux de traverse vers l’Adour. Le mot gascon estey désigne des cours d’eau à sec lors de la marée basse. Sur l’Adour, les plus hautes marées se font sentir jusqu’à Dax, à soixante kilomètres de l’embouchure, aussi les esteys sont équipés à leur débouché de portes à flots ou à clapets, laissant s’écouler les eaux vers le fleuve, mais se refermant à marée montante. Hors des saisons de hautes eaux, l’Adour s’écoule lentement presque au niveau de la route. Le flot changeant de direction avec les marées, à marée descendante le fleuve charrie vers l’océan les débris forestiers de ses rives pyrénéennes. Entre Bayonne et Urt deux îles, sur l’une d’elles, l’île de Berens, une demeure et sa chapelle bordées de grands arbres. La route suit les méandres de l’Adour, la bâti ancien empiète sur la chaussée contraignant la route à éviter les coins des fermes dont les plus anciennes dates du XVIIIème siècle, mais aussi de belles propriétés, dont le château de Montpellier, une maison de style espagnol, des maisons de maître accompagnées de leur corps de ferme alternent avec des prairies inondables. Ce bâti a du cachet et l’on comprend que Roland Barthes préfère cette rive à la rive gauche plus efficace pour relier Bayonne, mais dont les abords présentent moins d’attrait.

Roland Barthes avait confié lors d’une interview sur France Culture qu’il n’aimait pas trop marcher. La découverte pédestre de son parcours automobile préféré pour joindre Bayonne à Urt favorise une revue détaillée de l’environnement, mais aussi un point de vue à hauteur d’homme. Assis en auto, même décapotable le regard butte sur les haies et la digue ne livrent que de fugitives lignes de fuite.

La distinction entre paysages habitables et paysages visitables catégorise les paysages dont la distinction tient à la qualité de la lumière-espace qui dispense une qualité éminemment habitable à la terre qui acquiert ainsi le pouvoir de déjouer l’immobilité figée des cartes postales. Ce trajet des Barthes fait figure de modèle de paysage habitable, pourtant quelques années plus tard dans La Chambre Claire, l’auteur revient sur sa définition du paysage habitable en prenant pour exemple une photo de l’Alhambra. Réalisée par Charles Clifford dans les années 1850, cette image n’est pas sans évoquer la Villa Saint-Jean sur les bords de l’Adour, dont le souvenir du style hispanisant marqué pourrait avoir orienté le choix de Roland Barthes. D’autant que la légende « C’est là que je voudrais vivre… » est interrogée par le texte ci-dessous :

« Pour moi, les photographies de paysages (urbains ou campagnards) doivent être habitables, et non visitables. Ce désir d’habitation, si je l’observe bien en moi-même n’est ni onirique (je ne rêve pas d’un site extravagant) ni empirique ; il est fantasmatique, relève d’un sorte de voyance qui semble me porter en avant dans un temps utopique, ou me reporter en arrière, je ne sais où de moi-même (…) »… » La Chambre Claire- 1980- p.66-68

La tentation est grande de localiser ce je ne sais où de moi-même comme une réminiscence des bords de l’Adour. Et j’y succombe.

Quand il rentrait en fin d’après-midi à Urt, par la Départementale 74, il pouvait lire sur le cadran solaire de la Villa St-Jean : « Je ne marque que les beaux soirs ». Le cadran solaire ne peut marquer les heures de fin de journée que si le soleil brille assez tard dans la soirée. L’évidence poétique de cette assertion ne résume pas le sens littéral de ce tracé par la lumière, qui à l’instar des racines grecques du mot photographie « peindre avec la lumière » décrit un état naturel de la photo, inscription instantanée, sans mémoire. Dans ce contexte seul les « beaux » instants sont marqués, sans la lumière la marque n’apparaît pas, le « beau » fonctionne ici comme condition de la marque, du tracé. Ce « beau » météorologique peut aussi marquer un point final, le beau soir de la vie. Cet aphorisme éclaire d’une lumière particulière ce parcours qui lui est dédié.

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La villa et son cadran solaire éléments remarquables de ce parcours n’ont pu échapper à Roland Barthes malgré l’attention que requiert, à cet endroit, la route qui s’enlace sur l’angle de la villa, avant de filer vers le fronton de St Barthélémy, daté 1951 et orné d’un blason. Encore une image, sans texte, un tracé au trait figurant son propre décor.

Le fronton, support du blason dessiné y figurant, cette mise en abyme condense les éléments constitutifs du paysage dans lequel il s’inscrit : le fleuve, les roseaux, un arbre et l’église de St Barthélémy que l’on découvre plus loin perchée sur une butte.

Il ne s’agit pas d’un sentier pédestre mais bien d’une route, parfois bordée de platanes taillés suivants des règles variées qui donnent aux troncs des allures surprenantes, drôles ou inquiétantes. Le platane, repère identitaire des barthes de l’Adour, dispense non seulement son ombrage en été, mais il fournit son bois aux riverains. Ces platanes aux troncs tourmentés portent les marques des tailles répétées tout au long de leur croissance. Cette pratique, appelée trogne, consiste à couper le tronc ou les branches maîtresses à un niveau plus ou moins élevé, ce qui provoque un renflement au sommet du tronc qui supporte un taillis de branches. La trogne permet d’assurer une production de bois régulière pour le chauffage ou la construction sans détruire l’arbre. La drôle de trogne des platanes porte le nom de abarburu au pays basque.

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Le pont d’Urt, construction Eiffel, enjambe l’Adour. Premier pont depuis Bayonne, le suivant se situe à Peyrehorade à vingt kilomètres en amont. De ce pont doté d’un passage piéton, en aval du tablier et isolé de la chaussée,  le marcheur découvre l’Adour dans toute sa largeur et le village d’Urt perché sur sa colline. La petite gare, le passage à niveau, la rive droite à hauteur de St Laurent-de-Gosse, l’Aran petit affluent qui jouxte l’Adour d’un côté ; le restaurant la Galupe et le Château de Montpellier en aval composent ce paysage que l’on découvre en montant par le sentier qui, après une volée de marches, débouche sur la place d’Urt.

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Château de Montpellier vue du pont

propriété Lartigue

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(1) Roland Barthes, Tiphaine Samoyault.- éd. Seuil-2015

Texte et photos Jacques Clayssen

Urt, pied-à-terre

De 1972 à 1973, devant des étudiants curieux, intervenaient successivement à l’université de Bordeaux III Julia Kristeva, Philippe Sollers et Roland Barthes. Nous étions quelques étudiants en Lettres Modernes entassés dans une salle de cours.

Alors que je travaillais à la librairie La Hune à la fin des années 70, sous la responsabilité de Jacques Bertoin, Roland Barthes passait souvent en voisin. Ne racontait-on pas à l’époque que la librairie était là pour permettre aux clients de choisir entre le Flore et les Deux Magots, lui avait choisi Le Flore. Ce jour-là Barthes cherchait un exemplaire de La Chartreuse de Parme. En édition de poche, précise-t-il, c’est pour travailler.

Il en avait besoin m’explique-t-il pour préparer une conférence qu’il devait donner à Milan la semaine suivante. Il s’agissait comme je l’apprendrai plus tard d’une intervention sur Stendhal et l’Italie qu’il avait intitulée « On échoue toujours à̀ parler de ce qu’on aime ».

Puis, nous avons échangé à propos de la photo. La Chambre Claire venait de paraître suscitant débats et polémiques. L’ouvrage marquait un tournant dans le monde de la photo, il succédait à la publication en français de Sur la photographie (1) ; six essais, écrits entre 1973 et 1977 par Susan Sontag, amie de Roland Barthes. Notre échange se prolongeait, des clients nous interrompaient, d’autres manifestaient leur impatience. Alors, il m’a suggéré un rendez-vous le lundi 25. Nous avons convenu qu’il me rejoindrait à la librairie, à la fin de mon service, pour poursuivre nos échanges autour d’une table.

Je passais un week-end dans l’impatience de cette rencontre proposée avec cette délicate amabilité dont il savait faire preuve.

J’ai attendu en vain. Roland Barthes n’est jamais venu. Je n’ai appris que le mardi qu’il avait été hospitalisé suite à un accident dont les conséquences devaient lui coûter la vie un mois plus tard.

Il sera enterré au cimetière d’Urt avec Henriette, sa mère bien aimée

« Là-bas, je ne me rappelle que la pluie battante, folle, violente, et le vent glacé qui nous enveloppa, resserrés comme une petite troupe aux abois, et le spectacle immémorial du cercueil qu’on descendait dans la fosse.» se souviendra son ami Éric Marty

Ma mère est décédée dans une maison de retraite d’Urt le 27 mars 2012. Barthes s’est éteint le 26 mars 1980, il sera inhumé quelques jours plus tard.

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Coïncidences et hasards de la vie. Marcher sur cette route aimée par Barthes, s’immerger dans son paysage, partager ses points de vue, regarder à travers ses descriptions et ses sensations, autant de raisons pour métamorphoser ce parcours en pèlerinage. De l’enfance au cimetière, un chemin de vie en quelques kilomètres pour éprouver de tout son être qu’Au fond, il n’est de Pays que de l’enfance.

Note :

(1)       Sur la photographie, Susan Sontag.- éd. Seuil-Fiction & Cie-1979

Texte Jacques Clayssen

Bâton/Mémoire – Les Barthes avec Roland

« Marcher est peut-être – mythologiquement – le geste le plus trivial, donc le plus humain », écrivait Roland Barthes.

Le bâton-mémoire se fait ici portrait d’un homme avec des évocations territoriales : le maïs des Landes, les couleurs du drapeau basque. Le sigle stylisé de la marque de son auto, réminiscence des Mythologies. La bière espagnole pour les escapades au-delà des Pyrénées. Le damier livré à notre imagination s’enroule autour d’un portrait de l’auteur adolescent.

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Adour mon amour

_H9A1650_DxOPaysage de rien, ou de peu, la promenade préférée de Roland Barthes ressemble à un chemin de croix dont on aurait enlevé les stations et dont il ne resterait que la trace de l’ombre sur les murs. Territoire vide et vaguement mélancolique au premier abord, les prairies se suivent et se ressemblent, uniformes, sans aspérités, désespérément plates et sans relief, bordées par le fleuve et sa platitude tranquille dont l’eau s’écoule ou, première surprise, parfois remonte avec la marée. L’Adour est un petit Danube dont le flot s’inverse tranquillement et ce phénomène se perçoit difficilement selon la marée, le vent, la saison, la lumière, bref demande du temps, de l’observation et une attention flottante suffisamment forte pour déceler le décalage du cours qui remonte la pente naturelle au lieu de la descendre, légère bizarrerie dans le paysage.

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Succession morne des étendues herbeuses, quelques reliefs au loin dans les forêts dispersées, un air de Sibérie au printemps, de l’eau partout, sous jacente, dont le bruit ne quitte jamais le visiteur, réseau de canaux anciens qui drainent sans cesse un envahissement régulier. La terre n’est pas vraiment la terre ici, elle ne sert qu’à écouler de l’eau, souvent en surnombre, le territoire est transitoire, en attente d’une arrivée toujours imprévue, comme un membre de la famille qui débarque toujours à l’improviste et du coup tombe parfois au mauvais moment, invité non-désiré mais dont on garde la chambre prête parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver, la neige peut fondre, la pluie tomber, le fleuve gonfler et l’invitée se répandre dans ce territoire toujours prêt à absorber un surplus, territoire toujours recommencé, réinventé, à la végétation rapide et envahissante.

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Dénuement spectaculaire où justement le moindre signe prend un éclat sans précédent, dans cette absence de choses le vide devient un écrin pour le petit, l’insignifiant que l’on ne regarde plus, l’inaperçu permanent, le détour dans le rien devient un éclat perçant pour les petites choses, les petits signes que nous adresse la réalité, le territoire devient une forme de méditation pour sémiologue stressé et occupé de millions de sollicitations visuelles, d’analyses mythologiques et de chambres claires. Le dénuement est reposant, paisible, toujours disponible, machine à laver permanente et bienveillante, passer dans ce territoire c’est remettre les compteurs à zéro, se débarrasser du superflu, de la profusion et de l’inutilement présent à l’esprit, et s’offrir quelques instants d’éternité au passage.

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La ponctuation, le « punctum » prend ici tout son sens, le chemin est jalonné de petits points au reliefs forts et délicats, très marqués, presque trop présents et qui viennent rompre une tranquillité visuelle charmante aux douces tonalités exotiques ou campagnardes. Un vrai repos du guerrier après la bataille perpétuelle de la surcharge, du baroque des paysages urbains modernistes. Enfin il ne se passe plus rien, juste une circulation dans un espace en creux, un entre-deux solitaire où rien ne distrait, rien ne perturbe, sauf la courbe d’un arbre, d’un roseau, les légères inflexions de la route ou la tache de couleur de quelques marguerites.

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Le temps aussi s’y est arrêté dans un style désuet, daté, propret, un petit monde de nains de jardins sympathiques où s’empilent les références, longuement accumulées au milieu de cette sorte de grenier stylistique, du vintage férocement brutalise à l’hacienda mexicaine, le tout enchâssé dans le fameux décor rural à la vibration bordélique, plein de machines, de poules et d’animaux, de déchets divers éparpillés selon une logique obscure mais persistante. De même que le fleuve inverse son cours selon les caprices des marées, le temps lui même par endroits se contracte et offre de splendides raccourcis, de belles coincidences dans un joyeux n’importe quoi, surprise toujours renouvelée du parcours.

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Le seul signe religieux de cette promenade se dresse avec élégance au milieu du parcours, reprenant la forme baroque de la figure de Dieu, sans les ornements, sans la préciosité, sans l’ostentation des ors de l’église, sans le cadre sacralisant, toujours le dénuement, simple rupture visuelle entre le plat et le vertical, ornée malgré tout d’une fine dentelle de grillage, vague réminiscence respectueuse, sur laquelle viennent se fracasser les balles du jeu collectif de la région. L’adresse a remplacé la dévotion mais sert toujours de ciment communautaire, nouvelle religion païenne partagée avec l’ancienne, égalité du fronton et de l’église.

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Paysage squelettique dans lequel peut se déployer sans frein, sans obstacle et sans distraction, la fameuse lumière du sud-ouest si chère à Roland Barthes, qui envahit, jour après jour, ce territoire incertain. Paysage dont la seule  fonction est de porter la lumière du ciel, de recevoir ses rayons et vibrer dans le dénuement des courtes oscillations de la couleur, miroir sans tain sur la beauté de la terre et des marécages, des nuages et du vide.

Texte et Photos Patrick Laforet

Hors-Circuits +1

Un an après la première édition, nous avons repris le parcours Pantin-Le Bourget. En effet, dès la mise en place de Hors circuits, nous avions envisagé de suivre les évolutions de son environnement.Une marche permet de découvrir un état du parcours figé à l’instant du passage, remettre ses pas dans les pas de l’année précédente révèle les mutations infimes ou massives d’un environnement en continuelle évolution.

Jacques Clayssen, relevé des observations notées en septembre 2015

De la gentrification de Pantin aux évolutions du site aéroportuaire du Bourget, en passant par les constructions, réhabilitations , aménagements et dégradations de l’espace public, nous découvrons comment la nature estompe les entraves à l’implantation des populations précaires, comment des espaces occupés par des bidonvilles sont aujourd’hui rendus inaccessibles après avoir été vidé de leurs habitants.

Des immeubles aux façades miroitantes se dressent en lieu et place de pavillons, un hyper O’Marché frais ouvre sur 4800 m² à la Courneuve, il occupe le rez-de-chaussée d’un parking de 750 places sur 3 niveaux. Ces façades équipées de gigantesques panneaux lumineux affichent des prix compétitifs en continu.

Les empierrements se sont incrustés dans le sol et les herbes folles masquent les fossés de défense, la tour de l’Etoile est en cours de réhabilitation de même que des bâtiments de la cité. Le stade a bénéficié d’une réfection des bâtiments japonisants et des courts de tennis ont été restaurés. Le jardin des Vertus exposent sa luxuriance et le temple de Shivan est en travaux d’agrandissement. Les changements ont des rythmes différents suivants les communes et le type de zone traversé. Dans l’ensemble, les espaces ont été nettoyés, dans tous les sens du terme. Rendez-vous dans un an pour la suite.

 

 

Retour à Pantin par Patrick Laforet

Retrouvailles avec un vieil ami : le parcours Hors-Circuits, anniversaire sans bougies mais avec émotion. Rien ne change sauf de micro-variations : la ville se construit, les légumes poussent et meurent dans les jardins ouvriers, les tags se délitent doucement pour accéder au statut de fresque primitive, la pluie érode lentement le béton abandonné, quelques fleurs de plastique rythment la vie des autoroutes et ses drames invisibles, le paysage reste triste, tout va bien, pas de surprises, à l’année prochaine.

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Table ronde au Mac Val-2015

Une table ronde animée par Sabine Chardonnet-Darmaillacq, architecte DPLG, docteur en urbanisme et enseignant-chercheur à l‘Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, impliquée dans de nombreuses recherches-actions sur la marche, réunissait le 12 septembre au MacVal les participants autour du thème « La marche comme nouvelle forme d’exploration des territoires ».

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Hors Circuits, parcours anniversaire!

Comme annoncé, nous proposons le premier circuit anniversaire de « Hors- circuits ». Mais la météo nous a obligé à annuler le parcours du Dimanche 13 septembre à 14h

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Arles 2015 : Blind Spot / Point Aveugle

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LOGOARLES2La singularité de ce walkscape réside dans deux facteurs dérogeant aux règles habituelles de cette pratique artistique. Sachant que le walkscape est défini par le groupe Stalker comme « … une affaire de marche, de promenade, de flânerie, conçues comme une architecturation du paysage. La promenade comme forme artistique autonome, comme acte primaire dans la transformation symbolique du  territoire, comme instrument esthétique de connaissance et transformation physique de l’espace ‘négocié’, convertie en intervention urbaine. »

En effet, le lieu proposé, la voie sous le tablier du pont de la Nationale 113 sur le Rhône, présente la particularité d’être une voie pédestre et cyclable dans un caisson de béton éclairé par une grille zénithale située entre les 2 x 2 voies de la circulation des véhicules sur le tablier du pont. Cette construction est décrite dans les études comme un passage intérieur construit sous les chaussées principales. Nous y proposons un parcours partant du chantier de la Fondation Luma, jusqu’au passage inférieur du pont Ballarin, se poursuivant par une boucle effectuée sur l’autre rive avant de repartir à travers la friche industrielle SNCF vers le pont de la D35A pour regagner le centre-ville et la fameuse place du Forum.

Les véhicules motorisés bénéficient d’une circulation à l’air libre ; avec vue sur le fleuve, alors que les adeptes de la marche et du vélo sont relégués dans un caisson de béton. Ce parcours aérien sous la chaussée met l’utilisateur dans une situation d’enfermement. Seule la grille zénithale offre une échappée du regard vers le ciel. Les vues latérales sur le fleuve sont occultées sur toute la longueur du passage. Ce dispositif inscrit le projet de walkscape dans un environnement singulier qui rend le passant invisible dans un paysage occulté. Il faut ici prendre en considération ces caractéristiques du parcours, pour comprendre l’intérêt de ce lieu.

L’invisibilité du lieu lui-même est vérifiable par une simple requête image sur un moteur de recherche. Même Google ne retourne qu’une occurrence, avec une vue prise par un cyclo-touriste. Cette absence d’image confirme une négation du lieu dont l’enfermement impose son inexistence visuelle. Un lieu quasiment sans représentation, un parcours occultant la vue. Sur la base de ces deux spécificités le walkscape trouve un terrain d’exploration inattendu, dont l’étude devrait soulever des questionnements atypiques.

Photos : Patrick Laforet/ Texte : Jacques Clayssen

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