La publication du n°30 de la revue « Les carnets du paysage » dédié à John Brinckerhoff Jackson a précédé l’ouverture de l’exposition « Notes sur l’asphalte, une Amérique mobile et précaire, 1950-1990 » au Pavillon Populaire, à Montpellier.
L’exposition présente près de deux cents photographies de six chercheurs américains dont la réputation scientifique, dans les domaines de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage, est acquise sur le continent américain : Richard Longstreth, Donald Appleyard, Chester Liebs, John Brinckerhoff Jackson, Allan Jacobs et David Lowenthal. De 1950 et 1990, ils ont parcouru les routes des Etats-Unis et immortalisé les paysages urbains ou ruraux.
John Brinckerhoff Jackson (1909-1996), historien et théoricien du paysage américain, se définissait lui-même comme « une sorte de touriste professionnel », explorant les territoires. Bien que né à Dinard et élevé principalement en Europe, ce personnage majeur de l’étude des paysages n’avait pas en France la notoriété attachée à son nom.
Ses conceptions des paysages et ses approches sur le terrain ne correspondaient en rien aux pratiques et traditions universitaires. Il avait fondé et dirigé pendant 17 ans la revue « Landscape » qui publia les textes du gotha de l’architecture et de l’urbanisme. Bien qu’enseignant dans de prestigieuses universités américaines, l’homme se considérait comme un amateur éclairé. Motard, il parcourait les contrées pour y photographier en ektachrome les signaux faibles de la présence humaine et les impacts de la mobilité humaine. Auteur de quelques 5000 photos documentant ses recherches, il utilisait la photo comme note, même si parfois il dessinait les paysages qu’il observait avec une acuité rare.
John B. Jackson plaçait ses observations sous le régime des « sceneries » et de « l’hodologie » plutôt que des « landscapes » et « walkscapes ».
Il insiste dans ses notes sur ces choix. Le paysage est ce qui est produit quand une société entreprend de modifier son environnement à des fins de survie ; alors que scenery désigne ce que nous allons voir et apprécier.
Gilles Deleuze, dans son cours sur la Vérité et le temps, s’interroge pour répondre par une synthèse performante « Qu’est qu’un espace hodologique ? C’est un espace vécu, dynamique, défini par des chemins – d’où son nom – des buts, des obstacles ou des résistances, des retours, bref, par une distribution de centres de forces. » c’est ce qui caractérise l’approche de Jackson, les tensions humaines et les interactions avec les lieux. Il préférait se préoccuper des similarités que des différences.
Abondamment illustré, Les carnets du paysage brossent le portrait d’une vie multiple. Photographe au talent affirmé, Jackson compose les scènes en centrant son sujet, il ne descendait pas de toujours de moto pour saisir rapidement des images d’une réflexion in situ dont on repère les spécificités dans des corpus photographiques ultérieurs. Les textes de son ami Chris Wilson, de Gilles A. Tigerghien et de Jordi Balesta expliquent ce qui singularise la démarche de Jackson. Ces conférences clefs sur paysage et environnement, paysage habité et hodologie offrent aux lecteurs un aperçu des réflexions qui allaient ouvrir la voie aux landscape studies.

J. B. Jackson. Chapel of San Antonio de Cieneguilla in La Cienega-New Mexico-1982
Pour les lecteurs qui s’intéressent à la pratique photographique de Jackson, ils devront se reporter au texte de Jordi Ballesta, spécialiste de l’œuvre photographique de Jackson, par ailleurs co-commissaire de l’exposition de Montpellier avec Camille Fallet, publié dans la revue L’Espace géographique 2016/3, sous l’intitulé « John Brinckerhoff Jackson, au sein des paysages ordinaires. Recherches de terrain et pratiques photographiques amateurs. »