De l’usage de la photographie par le Sentier Métropolitain du Grand Paris

“Les Sentiers Métropolitains inventent la ville de demain. Ils métamorphosent une métropole en reliant tous ses territoires et en les éclairant d’une lumière nouvelle.”

Thierry Van de Wyngaert, Président de l’Académie d’Architecture

C’est une infrastructure pédestre qui permet une mobilité piétonne à l’échelle métropolitaine. C’est un équipement culturel au service du territoire, une plate-forme rassemblant des communautés de curiosités, valorisant des initiatives locales, assemblant des patrimoines culturels et naturels. Ce « centre culturel à ciel ouvert » ouvre un voyage, assemble des récits et crée un nouvel espace public. Il révélera les coulisses, les histoires et les monuments ordinaires et inconnus de la métropole. Il traversera des espaces méconnus du Très Grand Paris. Il racontera un territoire en transformation, un grand organisme entre ville et nature et révélera notre patrimoine métropolitain commun. Le Sentier Métropolitain du Grand Paris veut constituer un lien, assembler des récits et révéler un territoire. Extrait document Le Voyage Métropolitain

Guidé par les membres du « Sentier métropolitain du Grand Paris », le repérage se fait de deux manières. Une marche collective, ouverte au public, est organisée pour créer un parcours. Une seconde équipe est en charge de « l’éditorialisation » du parcours.  Dénommée « caravane », celle-ci est composée d’illustrateurs, écrivains, photographes, journalistes dont le travail consiste à élaborer un guide. 

Référence : Les Echos Par Lamia BarbotCaroline d’Avout (Rédactrice photo)Publié le 29 avr. 2017 

Si l’on considère avec Francesco Careri que « Dans les villes d’aujourd’hui, qui se transforment rapidement, marcher et franchir les frontières est devenu le seul moyen de reconstruire les tissus à partir des fragments urbains séparés dans lesquels nous vivons. La marche est devenue l’instrument esthétique et scientifique permettant de reconstruire la carte du processus de ces transformations, une action cognitive capable d’accueillir également les amnésias urbains que nous retirons de manière inattendue de nos cartes mentales parce que nous ne les reconnaissons pas comme une ville. »

Francesco Careri in La marche comme un art civique

La photographie tend à stabiliser une réalité disséminée aux rythmes multiples. Les bords du cadre, ses frontières figent cette réalité qui les dépasse. La photo gèle l’instant, le saisit dans une césure fragmentaire temporelle.

Elle contracte dans un rythme unique, pose, instantané ce moment critique ou cet instant décisif, elle représente « La marche de l’histoire à travers un temps homogène et vide » écrit Walter Benjamin, dans Thèses sur la philosophie de l’histoire.

Dans notre démonstration, nous ne montrerons pas l’ensemble des séquences dont elles participent, ceci étant conforme à l’usage qui est fait des images sélectionnées pour l’étude. En effet, ces images sont utilisées isolements dans les publications on line ou en print des Sentiers Métropolitains et des divers canaux de communications.

Les photographies présentées s’inscrivent dans le cadre d’un témoignage photographique sur une randonnée à la butte d’Orgemont à Argenteuil. Pardon, «Ce n’est pas de la randonnée, ce sont des marches urbaines», nuance Vianney Delourme, qui les organise avec son association Enlarge your Paris
Va donc pour marche urbaine dont les photos retenues se situent  entre des photographies d’arrivée sur le lieu, procession ascensionnelle et descentionnelle pour quitter la butte.

Toute marche en groupe obéit aux canons d’un tel exercice qu’il soit laïque, religieux ou militaire à savoir une procession d’individus qui avance en groupe ou en grappes quand ce n’est pas en file indienne quand la configuration des lieux l’impose. La procession publique est suivie dans un deuxième temps par une caravane composée d’illustrateurs, écrivains, photographes, journalistes dont le travail consiste à élaborer un guide. De la procession à la caravane, une idée de « nomadisme » complète le vocabulaire, en y ajoutant une note que l’on pourra interpréter comme un défilé de saltimbanques ou de pionniers sur les chemins de la découverte.

photo Jéromîne Derigny

Activité grégaire, les processionnaires composent une communauté menée par un ou des guides. Les images illustrant les marches montrent des chenilles humaines s’effilant de dos dans le paysage. Les pauses/poses donnant lieu parfois à des illustrations dont la référence religieuse n’est pas exempte.

Photo : Marie Genel

La photo utilisée par les documents d’Enlarge your Paris ou pour l’Art des sentiers métropolitains est une photo de Florence Joubert qui a été publiée sous cadrage natif en mode [paysage] et recadrée en format [portait]. Nous verrons pourquoi cette double présentation dans la suite de notre analyse.

Photo : Florence Joubert

Or, que voit-on dans l’image, de Florence Joubert, choisie pour résumer (à contre-courant du travail de narration du sentier du Grand Paris) Paris? Précisément la photographie d’un groupe constitué par une pause, et qui se fige devant le panorama. On y voit les participants du groupe disséminés sur une butte certains arrêtés, d’autres assis ou en mouvement, et les écarts entre eux. Un fait cependant importe plus encore : le fait que les membres soient tous de dos (dans l’édition [portrait], dans l’édition [paysage] une personne sur la gauche tourne le dos au paysage, alors que sur la droite une autre personne marche parallèlement au panorama). C’est qu’on ne peut pas photographier le regard qui advient alors pour chacun. Deux personnes photographient une vue hors champ sur la gauche de l’image. C’est également l’assomption de cette photographie comme mise en scène.

Les deux personnes en train de photographier utilisent des appareils numériques. Ces appareils (smartphones ou appareils de photo) présentent la particularité de rendre visible l’image sur un écran. Cette visibilité de l’image cadrée ne l’était pas avec la photographie argentique, qu’à la discrétion du photographe sous le voile de la chambre photographique. Pour le reste le viseur monoculaire était un système individuel, dont l’accès à l’image n’était pas partageable.

Trois plans horizontaux :

  • Un sol herbeux
  • Un front de personnages
  • Un panorama en surplomb (nimbé d’une brume de pollution, lui-même subdivisé en un premier plan pavillonnaire auquel succède les tours de la Défense)

Les personnages sont comme situés derrière un quatrième plan qui sépare cette réalité artistique d’un reste. Or, ce reste est précisément là où nous sommes, nous spectateurs. A notre regard la fiction rejoint la réalité, puisque l’espace s’ouvre à nous, il n’est pas caché derrière des figures qui nous feraient face. Elle la rejoint aussi par le fait que l’instant est proprement mis en scène: l’écart est comme organisé, même si cette organisation est latente : c’est la construction de la ruine positive du collectif. Dans la version [portrait] le recadrage vertical isole la ligne de dos, en réduisant le champ de l’image. Devant cette ruine, nous comme reste de l’oeuvre pouvons imaginer la salvation qui peut venir avec ces territoires et ces actions.


                           La-Seine-Rouen-1955©-Henri-Cartier-Bresson-_-Magnum-Photos

Ainsi, cette photo de Henri Cartier Bresson présente toutes les caractéristiques requises pour venir en miroir des photographies que nous analysons dans cette présentation. Le point de vue en surplomb, l’herbe et le chemin, les personnages, ici assis, attentif aux commentaires de celui qui regarde le paysage et ses ponts. La composition dynamique met l’accent sur le paysage, lisible et identifiable. Le lien entre les personnages et la ville, le fleuve et les ponts est magnifié par la composition. A partir de cette image matricielle le décryptage des intentions des éditeurs dans les choix opérés pour illustrer les documents des Sentiers Métropolitains met en lumière leur position sur le rapport du chemin à la ville.

La composition de l’image, répond à la règle d’or du maître français, à savoir la règle des tiers qui consiste à placer les éléments clef de l’image sur les lignes qui séparent les tiers verticaux et horizontaux, voire sur les intersections entre ces lignes, afin de répartir harmonieusement le contenu de l’image entre ces tiers. Le principe étant 2/3 de sol ou de paysage pour 1/3 de ciel ou l’inverse. Le parti-pris adopté montre l’intention du photographe, sur quoi a-t-il voulu mettre l’accent.

A ce sujet, Heidegger prend l’exemple d’un pont. « ’Léger et puissant’, le pont s’élance au-dessus du fleuve. Il ne relie pas seulement les deux rives déjà existantes. C’est le passage du pont qui seul fait ressortir les deux rives comme rives. […] Avec les rives, le pont amène au fleuve l’une et l’autre étendue de leurs arrière-pays. Il unit le fleuve, les rives et le pays dans un mutuel voisinage. […] Les ponts conduisent de façons variées. Le pont de la ville relie le quartier du château à la place de la cathédrale, le pont sur le fleuve devant le chef-lieu achemine voitures et attelages vers les villages des alentours. Au-dessus du petit cours d’eau, le vieux pont de pierre sans apparence donne passage au char de la moisson, des champs vers le village, et porte la charretée de bois du chemin rural à la grand-route. Le pont de l’autostrade est pris dans le réseau des communications lointaines, de celles qui calculent et qui doivent être aussi rapides que possible. […] « Le pont, à sa manière, rassemble auprès de lui la terre et le ciel, les divins et les mortels » in Essais et conférences Martin Heidegger 1951 (Conférence prononcée au mois d’août 1951 à Darmstadt) Gallimard.

La lecture de ces photographies et leurs usages affiche des indices sur la nature du projet. La décorrélation marcheur-ville mise en place par les photos illustre la vocation touristique d’un projet présenté comme un « centre culturel à ciel ouvert ». Ces parcours trop longs pour des déplacements quotidiens ne présentent aucun intérêt pratique pour les habitants. Ils s’inscrivent dans de l’activité de loisirs pour les nouveaux habitants des résidences immobilières qui repousseront les plus défavorisés hors des zones proches des gares du Grand Paris Express.

L’appropriation des sentiers par une population homogène assurera moins une cohésion territoriale qu’une communauté de classe.

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Etude sur la randonnée pédestre

Pratiquants

Volumes

En 2016, la France compte environ 16 millions d’adeptes de la randonnée pédestre

35 % des Français âgés de 15 à 70 ans déclarent avoir pratiqué au moins une fois la randonnée pédestre au cours des 12 derniers mois. En somme, ce sont environ 16 millions de randonneurs français qui arpentent les sentiers littoraux, de plaine et de montagne. Pour autant, bien que particulièrement nombreux à s’être essayé au moins une fois à l’activité, les randonneurs ne sont que 35 % à marcher régulièrement tout au long de l’année, ce qui représente en ordre de grandeur environ 5,5 millions de randonneurs réguliers. Finalement, près d’un tiers des randonneurs interrogés déclare pratiquer au moins une fois par semaine.

Sur une échelle sociale à trois niveaux (catégories populaires, moyennes et supérieures), le randonneur français est à 48 % issu des catégories populaires [1]. Les pratiquants de randonnée pédestre sont généralement peu diplômés. En effet, 48 % d’entre eux ont un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat. 33 % sont diplômés de l’université ou équivalent. Notons enfin que les randonneurs français sont 52 % à déclarer ne pas avoir des parents sportifs.

Note

[1]La construction de cette échelle à trois niveaux a été réalisée en regroupant différentes modalités de réponse à la question des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS). Ouvrier, chauffeur, employé, agent ou personnel de service ont été regroupés dans la catégorie « populaire ». Agriculteur exploitant, artisan, commerçant, chef d’entreprise, professions intermédiaires ont été regroupés dans la catégorie « moyenne ». Enfin, cadre, profession intellectuelle supérieure, professions libérales représentent la catégorie supérieure.


Addenda

« c’est dans la défection des communautés que l’on peut faire surgir l’incomplétude de toute communauté de nature ou de nation, de culture ou de classe, et rendre sa dignité de témoin à cet exemple qui est l’envers de l’artiste, ou plutôt son versant malheureux : le prolétaire ou, aujourd’hui en Occident, le  »travailleur immigré » 

Référence : Jean Borreil, « Le vagabond de l’universel », in La raison nomade, p96.

La possibilité de ne pas se comprendre, découverte dans le fait artistique, relève bien de la possibilité de ne pas être une communauté : le commun que la langue maternelle aurait si bien dit n’a pas existé. L’artiste comme le travailleur immigré sont des figures du témoignage de cette réalité critique parce qu’ils vivent tous de la réalité sur ses bords. Finalement, l’expérience d’artiste reprend à son compte cette question : « que se passe-t-il […] lorsque au pont de la fable heideggerienne qui lie le quartier du château à la place de la cathédrale, on oppose la déliaison de celui qui, n’étant pas propriétaire légitime de la ville, couche sous le pont? ». Ce qui se passe, c’est précisément qu’on ne peut plus penser la ville, et ce qu’elle symbolise, l’unité spatiale et à travers elle nationale, comme une totalité continue qui dans l’histoire serait perpétuelle. Il faut alors la penser comme une impossibilité, et à la place penser et pratiquer les possibles qui peuvent la traverser. 

Référence : Jean Borreil, « Le vagabond de l’universel », in La raison nomade, p82, commentant Martin Heidegger, Bâtir,habiter, penser 

des nécessités de déplacement : la frontalité des immeubles ne se traverse pas de la même manière ni aussi aisément que même la clôture du champ.

PhotoPaysage

Débattre du projet de paysage par la photographie, tel est le sous-titre explicite de cet ouvrage conçu sous la direction de Frédéric Pousin -architecte DPLG, est docteur de l’EHESS et habilité à diriger des recherches. Directeur de recherche au CNRS au sein de l’UMR 3329 Architecture, urbanisme, société (AUSser), dont les travaux portent sur le paysage urbain et le rôle du visuel dans la construction des savoirs.

Des textes ou interventions de 18 chercheurs, photographes, paysagistes réunis dans ce livre  aboutissement d’un projet de recherche collectif mené sur trois ans, Photopaysage édité par Les Productions du Effa évalue les rôles joués par la photographie au sein des fabriques du paysage.

Lors de la présentation à la librairie Volume, Frédéric Pousin s’est attaché à préciser le terme clef du livre, à savoir projet de paysage.  Terme qui correspond à l’anglais landscape architecture.

Frédéric Pousin

Il est question du rapport que l’architecture du paysage entretient avec la photographie dans un périmètre d’étude englobant la gestion des grands espaces jusqu’aux espaces publics urbains, y compris les Observatoires photographiques des parcs nationaux.

de droite à gauche : F.Pousin, A.Petzold, M-H.Loze, S. Keravel

Une première partie réunit des essais dont un texte de Tim Davis portant sur le rôle de la photographie dans le développement des parcs nationaux américains. Alors que Chris Wilson éclaire le rôle des écrits de J.B. Jackson, dont l’influence est toujours actuelle, dans lesquels John Brinckerhoff Jackson  pose les fondamentaux de la relation paysage et photographie dès 1951 dans sa revue Landscape.

Laure Olin examine les moyens de monstration des images. Dans son essai sur la pratique de l’architecture paysagère américaine, 1950-2000, l’auteur dresse un inventaire des publications et des moyens de production et de diffusion des photos. Le trio appareil 24×36, diapositive et projecteur de diapositives occupe alors une place prépondérante qui donne un effet vintage .


La deuxième partie
présente les actes d’une table-ronde entre photographes et paysagistes autour de leur collaboration.

Le livre essaie de porter un work in progress, dira Sonia Keravel, avant d’ajouter que les duos paysagistes-photographes se fondent sur des relations durables établies sur des rapports amicaux. Le paysagiste cherche un regard d’auteur susceptible d’amener une approche différenciée.

La problématique de la photographie ne se résume pas à la commande, elle doit aussi donner à penser.

Marie-Hélène Loze observe que lors de ces échanges, si la photo est au service du projet d’aménagement, chaque corpus photographique est une part d’une multiplicité d’approches. La photo peut constituer un déclencheur d’échanges entre les acteurs, témoigner de la temporalité des projets ou encore illustrer les réalisations.

L’Atelier Marguerit explicite dans son document sur le Lauragais ce qui caractérise ce type de projet : La démarche du plan paysage n’est pas la production d’un “album photos”, teinté de nostalgie, mais une réflexion sur l’émergence des nouveaux enjeux de paysage. Notre rôle est d’accompagner une évolution, afin que la rencontre entre le territoire, les acteurs génère un projet de paysage en rapport avec notre passé.

La troisième partie expose cinq portfolios illustrant des projets urbains et ruraux tant en France qu’à l’étranger.

Lors de son intervention, Alexandre Petzold a expliqué sa démarche. Il a poétiquement établi un parallèle entre le développement de la photo et l’évolution de la nature, en montrant comment deux photos d’un lieu du chantier montraient un tapis végétal verdissant une ancienne zone de terre meuble. Il revendique une fidélité à ces lieux sur lesquels il intervient en trois étapes: Imprégnation, appropriation, restitution.

Alexandre Petzold

 

Le livre a été introduit, le 23 mai,  par Françoise Arnold pour Les Productions de EFFA comme un objet fabriqué avec des moyens inhabituels pour ce type d’ouvrage.

Françoise Arnold

En effet, l’ouvrage a fait l’objet de soins particuliers. Chacune des trois sections est imprimée sur un papier adapté à la thématique. Papier mat décliné dans une gamme de grège pour la publication des essais abondamment illustrés, le même papier en bleu pour la table-ronde et enfin un papier couché brillant pour les portfolios.  Le tout servi par une maquette claire, dans une typographie facilitant la lecture, avec des encarts et des titrages permettant de hiérarchiser les informations. Autant d’atout pour offrir aux institutions, aux professionnels chercheurs, paysagistes, architectes, aménageurs, photographes et aux passionnés d’images et de nature, un ensemble de qualité tant pour les textes que pour les documents d’illustration ou les portfolios des photographes.

Aujourd’hui d’importants bouleversements technologiques modifient les pratiques. Le numérique a supplanté l’ektachrome, les vidéoprojecteurs ont mis au placard les projecteurs de diapositives, les tablettes permettent un nomadisme des présentations sur écran, les montages sur ordinateur et les logiciels de traitement d’images transforment les photographes en magicien, les moyens de prises de vue aérienne permettent, avec les drones, d’accéder facilement à la « vision de l’oiseau » et last but not the least, le timelapse compresse le temps.

Autant de perspectives d’études pour les équipes. La mutation des paysages s’accompagne d’une évolution des moyens de production et de post-production dont les effets restent à analyser.

Table des matières
• Jalons pour une approche interculturelle. Frédéric Pousin
• Nouvelles perspectives sur la photographie des parcs nationaux américains. Tim Davis
• L’année 1994. Une décennie de missions photographiques au sein des institutions de l’aménagement du territoire. Raphaële Bertho
• J. B. Jackson, la photographie et l’essor des études du paysage culturel. Chris Wilson
• Ordre et ambiguïté. Le paysage urbain dans Landscape, le magazine de J. B. Jackson. Bruno Notteboom
• Voir, c’est croire/Les apparences sont trompeuses. La photographie dans la pratique de l’architecture paysagère américaine, 1950–2000. Laurie Olin
• Les discours photographiques de Gilles Clément. Frédéric Pousin
• Du photoréalisme au post-photographique, les paysages imaginés du Bureau Bas Smets. Marie-Madeleine Ozdoba
• Quand la photographie se mêle du projet de paysage. Gérard Dufresne et Alain Marguerit : trente années de collaboration. Sonia Keravel
• Après Strand, anatomie d’un projet photographique. Franck Michel 

• Exposer, publier, communiquer sur le projet de paysage par la photographie : table ronde autour des photographes Alexandre Petzold, Édith Roux, Geoffroy Mathieu, Bertrand Stofleth et des paysagistes Pascale Hannetel, Valérie Kauffmann, Catherine Mosbach ; avec Marie-Hélène Loze, Raphaële Bertho, Sonia Keravel, Cristina Ros et Frédéric Pousin.

• Portfolios
Alexandre Petzold : Le parc du Peuple de l’herbe
Édith Roux : Scalo Farini
Geoffroy Mathieu : Le principe de ruralité
Bertrand Stofleth : Rhodanie
Debora Hunter : Taos, Nouveau-Mexique

Vente en librairie spécialisée, prix 29€

Contact :

Les Productions du Effa
56 rue des Vignoles
75020 Paris

editions@lesproductionsdueffa.com

 

 

 

L’effet Burma-Shave et autres dispositifs

Les panneaux publicitaires occultent le paysage, suivant les réglementations propres à chaque Etat, leur installation à foison sur les bas-côtés des routes et autoroutes sollicite l’attention des automobilistes, cyclistes et piétons. Les supports de toutes tailles vantent des offres commerciales.  Des créatifs et des artistes ont décidé de mettre à profit l’efficacité du panneau d’affichage en la détournant à des fins environnementales. L’idée étant de valoriser le paysage à travers les supports qui le masque.

L’effet Burma-Shave

La méthode de publicité connue sous le nom de Burma-Shave, compagnie de crème à raser qui a initialement utilisé ce dispositif, repose sur le mouvement du spectateur. Il s’agit dans ce cas de publicité autoroutière dont la lecture du message n’est accessible qu’aux automobilistes se déplaçant devant une succession de panneaux.

En 1925 Allan Odell, fils de Clinton le propriétaire de la marque, invente le concept des enseignes séquentielles pour vendre son produit.

La série de panneaux Burma-Shave est apparue pour la première fois sur l’autoroute US Highway 65 près de Lakeville, au Minnesota, en 1926, et est restée une importante composante publicitaire jusqu’en 1963 dans la plupart des États contigus. Sur la première série les automobilistes pouvaient lire : Cheer up, face – the war is over! Burma-Shave.

Certains Etats de l’Union n’ont pas été dotés du système, soit à cause d’un trafic insuffisant, comme au Nouveau-Mexique, dans l’Arizona et le Nevada, soit comme le Massachusetts à cause de l’abondance de la végétation le long des routes.

Le dispositif se composait généralement de six petites enseignes consécutives affichées le long des autoroutes, espacées pour permettre une lecture séquentielle par les automobilistes. Le dernier panneau affichait en général le nom du produit. Les panneaux ont été produits à l’origine dans deux combinaisons de couleurs: rouge et blanc et orange et noir, durant une courte période. Des panneaux blanc sur bleu ont été mis en place dans le Dakota du Sud, la couleur rouge étant réservées aux panneaux routiers.

Chacun dans les voitures tentaient de deviner le contenu de ces poèmes des bas-côtés, dont les exemples illustrent la forme (1) :

Shaving brushes/You’ll son see’em/On a shelf/In some museum /Burla-Shave

If you/Don’t know/whose signs/These far ;you can’t have/driven very far/Burma-Shave

Cette utilisation de série de panneaux de petits formats, dont chaque ensemble constituait un message commercial, était une approche réussie de publicité routière adaptée aux vitesses peu élevées des véhicules de l’époque, attirant l’attention des automobilistes qui étaient curieux de découvrir ces messages. À mesure que le système des Interstates s’est développé à la fin des années 1950 et que la vitesse des véhicules a augmenté, il est devenu plus difficile de capter l’attention des automobilistes avec des panneaux de petites tailles.

Suite à des reventes et à l’inadaptation du système aux vitesses de déplacement, la marque déclina jusqu’à disparaitre définitivement des bords de route. Mais le souvenir reste vivant à travers des musées et des sites protégés qui conservent la mémoire de ce système astucieux.

A history of the Burma-Vita Company, écrite par Frank Rowsome Jr. et illustré par Carl Rose, édité chez Stephen Greene Press en 1963.

L’effet Burma Shave a inspiré des déclinaisons artistiques le long des routes, avec des installations adaptées à la circulation automobile actuelle.

Jennifer Bolande – Desert X

Aux USA, une artiste du nom de Jennifer Bolande a conçu une installation pour la manifestation Desert X, une exposition organisée par des artistes établis et émergents dans la vallée de la Coachella et son paysage désertique.

Les voitures circulant sur la voie nommée Gene Autry, entre l’Interstate 10 et Vista Chino à Palm Springs, rencontrent l’installation Visible Distance/Second Sight  (2), une expérience cinématographique animée par une séquence de photographies de montagnes, aux formats précisément étudiés, placée sur des panneaux d’affichage. Ces images ont été parfaitement alignées sur leur arrière-plan, donc – vu d’une position unique le long de la route – le rectangle du panneau d’affichage est raccord avec l’environnement qui lui sert de fond de décor naturel.

Les billboards de Jennifer Bolande recouvrent les deux éléments suivants : le support de publicité commerciale qui lui-même masque le paysage et la photographie du paysage qui montre la partie masquée.

« Pour le conducteur, il y a une sorte d’oscillation d’attention entre l’image et la réalité, ce qui m’intéresse vraiment », dit Jennifer. « Je pense que la plupart d’entre nous sont plus habitués à regarder des images de la nature que la nature elle-même.

J’aime la façon dont le projet attire l’attention sur le cadrage de la réalité et fournit également une sorte d’évasion du cadre. Vous pouvez seulement apercevoir le premier panneau d’affichage du coin de l’œil, le second que vous voyez par rapport au paysage, et le troisième que vous attendez avec impatience et qui peut voir les horizons s’aligner. Mais parce que vous ne pouvez pas arrêter, vous devez le laisser passer. Alors c’est juste un souvenir, mais le paysage sans cadre est toujours là, juste devant toi.  »

En lieu et place d’une publicité, Jennifer Bolande expose une image du paysage masqué en jouant sur les échelles entre l’image et le paysage, massif montagneux qui clôt l’horizon. De ce rapport entre le billboard support d’un fragment agrandi et le paysage réel dans son étendue, un point de vue unique permet à l’automobiliste de réaliser la coïncidence des lignes de crêtes qui assureront la continuité paysagère.

Brian Kanes – Healing Tool

En 2015, pour son projet Healing Tool, l’artiste Brian Kanes achète de l’espace publicitaire sur des panneaux géants au croisement de deux autoroutes dans le Massachusetts aux Etats-Unis. Il souhaite ainsi alléger temporairement la pression des messages publicitaires en présentant des images de nature.

L’intitulé de son installation Healing Tool est le nom de l’outil de Photoshop qui permet de corriger une image. Ces panneaux numériques permettent de les intégrer dans leur environnement, grâce à la diffusion d’images du paysage évoluant en fonction de la période de la journée. En journée, le panneau affiche des images de la nature environnante et quand vient la nuit des photos en haute définition de la Lune et même de la voie lactée les remplacent, permettant de contempler la voûte céleste, rendue invisible par la pollution lumineuse. Suite à une polémique sur les réseaux sociaux entre Jennifer Bolande et Brian Kane, ce dernier a déclaré « C’est une pâle copie de mon travail original de 2015, à l’exception que mon oeuvre était meilleure, puisqu’elle était digitale, permettant ainsi aux images d’évoluer selon l’heure de la journée et fonctionnait la nuit. »

Si les deux oeuvres ont en commun un détournement des panneaux publicitaires au profit d’une attention au paysage, il n’y a pas de place pour une polémique, les deux réalisations traitent le sujet chacune à leur manière.

Autres dispositifs cinétiques

Parmi les solutions d’affichage dynamique, notons les panneaux à lamelles horizontales, de type Tri-vision ou à défilement qui permettent de montrer plusieurs images dans un même cadre. Leur capacité narrative a donné lieu à des réalisations graphiques, même si la préférence semble donner aux panneaux juxtaposés pour des jeux visuels.

 

Bucarest 2012- Photo François Duconseille

Billboard Outdoor

Marqueur du paysage américain, le billboard développe, sur une longueur minimum de 15 mètres, des affiches à l’échelle du territoire et adaptées à la circulation automobile. La lisibilité est fonction de la taille par rapport à la distance de la route. Affichage commercial donnant lieu à de multiples traitements, les billboards accueillent aussi les visiteurs dans de nombreux Etats, avec des mises en scène paysagères.

 

Ciel! le cadre

Le cadre des panneaux publicitaires interroge l’environnement. Le panneau vide ou évidé offre aux créatifs et aux artistes de multiples possibilités dont les exemples ci-dessous montrent quelques réussites remarquables. Dans ces exemples, le support ne masque pas, il cadre une part de ciel. Le cycle journalier et la météo offrent ainsi un fond variable aux messages.

Outdoor advertisment créé par Saatchi & Saatchi, Vietnam pour Pacific Airlines.

Y&R Auckland et la société néo-zélandaise Metservice ont créé ce cadre d’affichage simulant la page web du service météo, comme preuve de l’exactitude des données du site.

Le cadre fixe le point de vue à un moment précis du positionnement de l’automobiliste.

Pour promouvoir la marque de couleurs pour cheveux Koleston, l’agence Leo Burnett a conçu un panneau évidé au niveau de la chevelure du modèle. Une idée lumineuse. En fonction du lever ou du coucher du soleil, la couleur des cheveux change selon les variations du ciel. La couleur naturelle…

Le spectateur est assigné à une place précise qui seule offrira le point de vue conforme à l’intention. Dans ces cas, le spectateur est invité à découvrir son positionnement sur lequel il devra rester dans une posture statique. En situation de mobilité, la vue, fugitive, est conditionnée par la vitesse de déplacement.

Le Lead Pencil Studio, installé à Seattle, dirigé par Daniel Mihalyo et Annie Han, a conçu une imposante structure tubulaire pour créer l’espace négatif d’un panneau d’affichage. Il s’agit d’une installation nommée Non-Sign et située près de Vancouver, à la frontière du Canada et des Etats-Unis. Daniel Mihalyo explique le concept: Empruntant l’efficacité des panneaux d’affichage pour détourner l’attention du paysage … cette percée ouverte en permanence entre les nations ne sert qu’à définir une vision claire de l’évolution des conditions atmosphériques au-delà… C’est un endroit vraiment remarquable – une vasière, divisée en deux par la frontière – mais parce que c’est une zone de sécurité, il est difficile d’apprécier l’environnement. »

Neuf mois d’installation, pour cette commande du programme Art in Architecture de General Services Administration (GSA), qui consacre une petite partie (0,5%) des coûts de construction de tous les projets fédéraux à l’amélioration des œuvres d’art, dans le but d’ennoblir l’espace public et de promouvoir les artistes américains

photos Ian Gill pour Lead Pencil Studio

détails de l’installation

Interagir avec l’urbain

OX mixe les styles des mouvements d’avant-garde avec l’univers visuel commercial.

Membre du collectif “Les Frères Ripoulin” célèbre pour avoir eu entre autres comme membres Pierre Huyghe, Claude Closky et Jean Faucheur. Ox décide, dès les années 80, de travailler dans l’espace public.

« Ces espaces d’affichage publicitaire sont comme d’immenses fenêtres, des tableaux surdimensionnés, suspendus dans la ville », dit OX

« Dans mon travail il ne s’agit pas de décorer la ville, mais plutôt de créer un tout petit moment qui est juste un petit peu différent; il s’agit de s’éloigner des relations du slogan ainsi que de l’idée de la vente afin de les intégrer encore plus dans le moment. Il ne s’agit pas de provoquer la chute de la publicité. » déclarait-il dans un entretien pour ARTE creative. En extérieur, il réalise des collages prenant en compte l’environnement et la saisonnalité qui interagissent  avec l’oeuvre.

L’anamorphose dans la ville

Des artistes comme l’italien Felice Varini travaille sur des formes spectaculaires puisqu’il utilise comme support, les lieux et les architectures des espaces sur lesquels il intervient. Ses interventions à l’échelle des bâtiments, des rues utilisent la technique de l’anamorphose qui permet de recomposer une forme à partir d’un point de vue unique. Pour aider au bon point de vue, l’artiste marque physiquement le point précis depuis lequel le spectateur obtiendra la vue ajustée de l’anamorphose.

Felice Varini- Saint Nazaire. Anamorphose de triangles dans le cadre d’Estuaire

En France, Georges Rousse travaille aussi sur l’anamorphose. S’il utilise uniquement la photographie pour fixer son œuvre de l’unique point de vue de son appareil photo, Georges Rousse est avant tout peintre.

Cette maison isolée au milieu d’immondices a été peinte et photographiée par l’artiste à Séoul en 2000. Le cercle parfait que nous voyons, n’existe que depuis l’endroit précis où Georges Rousse a fixé son objectif.  Un décalage, aussi faible soit-il, dévoilerait le travail d’ajustement du cercle sur les décrochés de la façade.  Le point de vue unique assigné au spectateur par l’artiste est ici attesté par la photo qui fixe un état précaire du bâti.

Olé toro !

La silhouette de taureau, familière aux Espagnols et aux touristes, a été conçue pour le groupe Osborne par le directeur artistique et chef de studio de l’agence Azor, Manuel Prieto, en 1956.

dessin original de Manuel Prieto

La première silhouette en bois a été placée sur la route Madrid-Burgos et après quelques changements, en 1961 le taureau désormais fabriqué en tôle passe des 40 m2 initiaux à 150 m2.

Ces caractéristiques sont impressionnantes : il mesure 14 mètres de haut et pèse 4 tonnes.  Il nécessite 1 000 boulons pour l’assemblage et 76 litres de peinture noire. Le nom de la marque a majoritairement disparu et la référence au produit n’est plus une référence pour les jeunes générations qui ne consomment plus de finos de Jerez, dans les botellon, ces samedis soirs arrosés.

La bête est à la mesure du paysage. Sa taille imposante est la conséquence d’une loi imposant aux panneaux publicitaires une distance d’au moins 125 mètres de la chaussée. La silhouette du taureau se dresse donc sur des promontoires, figure symbolique de l’Espagne. Image familière des bords de route, la silhouette du taureau Osborne a perdu son message de marque au profit d’une image symbolique dont la notoriété en a fait un élément d’intérêt esthétique et culturel reconnue depuis 1997.

Pourtant ce marqueur territorial n’est pas accepté dans toutes les régions loin s’en faut. S’il existe 91 taureaux Osborne en Espagne, leur répartition géographique sur le territoire espagnol est fonction des positions des différentes provinces à l’égard de Madrid. Ainsi la Cantabrie, la Catalogne, Ceuta et la région de Murcie les ont refusés. D’autres province n’ont qu’un exemplaire : les îles Baléares, les Canaries, Melilla, la Navarre et le Pays basque, alors que l’Andalousie en a vingt-trois.

L’imposante figure du taureau de Manuel Prieto n’a pas seulement réussi à s’imposer dans le cadre du paysage, mais est devenue une référence majeure dans la conception graphique et la publicité au niveau international. Son intégration dans le paysage fonctionne moins comme publicité que comme figure emblématique d’un animal culturellement attaché à la Péninsule Ibérique. Loin d’occulter son environnement, cette silhouette inscrit l’animal dans le territoire.

Jeu d’échelle urbaine

A l’occasion des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro en 2016, l’artiste français JR installe dans la ville la présence physique d’athlètes. Ici, le soudanais Mohamed Younes Idriss, spécialiste du saut en hauteur, s’impose en haut d’un immeuble alors qu’il n’est présent qu’en image. En effet, il n’était pas sélectionné pour les Jeux. A l’échelle urbaine, le surdimensionnement de l’humain s’impose pour s’intégrer dans un rapport visuel dans lequel l’humain domine le décor.

JR-Jeux Olympiques 2016-Rio de Janeiro-Mohamed Younes Idriss,  originaire du Soudan-non sélectionné

Art vs affiche

La relation à l’art passe par les figures de Raymond Hains et de Jacques Villeglé qui ont travaillé sur la lacération des affichages publics. En accrochant aux cimaises des galeries et des musées leurs oeuvres respectives, les deux artistes ont inscrit l’affiche comme oeuvre picturale. Les messages  réduits en lambeaux de couches superposées illustrent la précarité de ces affiches conçues pour retenir notre regard en oblitérant ou en égayant, suivant les lieux, leur environnement.

L’affichage représente un important secteur économique qui a fait la fortune dans chaque pays concernés des acteurs de ce marché mondial. L’affiche commerciale, politique ou informationnelle reste un vecteur essentiel par son impact visuel et sa capacité à investir tous les formats, de la pancarte dans les manifs aux gigantesques billboards.  Composante inévitable du paysage qu’il soit urbain ou rural, l’affiche gène, séduit, masque ou révèle. Autorisés ou interdits, les supports et leurs affiches  s’inscrivent souvent comme élément masquant du paysage et parfois comme révélateur de leur environnement. En France le texte le plus affiché est probablement celui qui rappelle la loi.

L’actualité cinématographique de la rentrée 2018 affiche un film américain réalisé par Martin McDonagh « Billboards, outside Ebbing », dont le sujet porte sur l’utilisation de 3 panneaux d’affichage plus ou moins abandonnés. Lire l’article de Florence Berthier

Notes :

-(1) voir http://fiftiesweb.com/pop/burma-shave-1/

-(2) voir https://www.desertx.org/jennifer-bolande/

 

 

Les points de vue d’Hervé Bernard

Le parcours d’Hervé Bernard est à la fois technique, physiologique et culturel, comme le montre son dernier livre intitulé Regard sur l’image, ces trois regards sont indissociables pour faire et comprendre les images. Doté d’un solide bagage technique, Hervé Bernard accorde une place importante à la littérature et à la philosophie.

Regard sur l’image tient tout autant de la thèse illustrée que d’une somme de connaissances encyclopédiques. Cet ouvrage autoédité présente toutes les caractéristiques d’une réalisation soigneuse tant pour la qualité de sa maquette que par l’attention portée à la clarté du texte.

Editer à compte d’auteur contraint à assumer les conséquences d’une absence d’éditeur pour critiquer et alléger les textes de digressions non indispensables, mais aussi des moyens financiers qui limitent l’accès aux droits de reproduction des illustrations.

Dans sa préface Peter Knapp,  le célèbre graphiste, directeur artistique, photographe et plasticien suisse, salue l’entreprise en connaisseur.

Ce livre de 350 pages se décompose en trois parties. La première, consacrée à la photographie, la seconde est dédiée à la vision alors que la troisième interroge la perception.

Dès le titre, Hervé Bernard impose un choix, l’emploi des termes au singulier Regard sur l’image alors que chaque section va présenter différents regards et qu’il sera question des images, fixes ou animées, montées, argentiques ou numériques, mais aussi de peintures. L’auteur s’employant dans chacune des trois sections à présenter les implications sémantiques, techniques, physiologiques et esthétiques de son sujet. Le titre donne à penser que le regard singulier se veut omniscient et l’image générique. L’auteur livre ses points de vue, il s’agit de son regard illustré par ses photographies.

Hervé Bernard s’attache à préciser la signification du mot image, avec ce souci constant de ne pas utiliser le « jargon pseudo-sémantique «  dénoncé par Peter Knapp dans sa préface, mais aussi de synthétiser des idées qui ont donné lieu à d’importantes controverses au cours des siècles. Les débats sont éludés, si ce choix facilite l’accès aux présentations des problématiques exposées, il faut de solides connaissances pour décrypter les options retenues par l’auteur.

Alors que la sélection des références culturelles et théoriques renvoie à des auteurs et des textes qui ne reflètent pas la diversité de la recherche dans sa vivante actualité, les références physiologiques et techniques correspondent à un état de l’art plus actuel. L’auteur met à portée des lecteurs des concepts élaborés, on peut regretter qu’il n’explicite pas ses choix en informant ses lecteurs des débats passionnés qui ont émaillé les théories de l’image.

Le sujet est des plus complexes. En effet, La notion générique d’image qui est employée ici pour définir le statut de la photographie, est traitée comme un objet du savoir ayant ses experts et susceptible d’expertise, ce qui ouvre le champ de la discussion.

Par exemple, André Gunthert, maître de conférence à l’École des hautes études en sciences sociales, où il occupe la chaire d’histoire visuelle, expliquait lors d’une intervention intitulée de quoi la photographie est-elle le nom ? qui ne figure pas dans le livre d’Hervé Bernard, un parti-pris étymologique différent de celui traditionnellement utilisé « Pourtant, l’étymologie ne remplace pas l’histoire. Et le mot qui le montre le mieux n’est autre que le terme «photographie», construction savante issue du grec, forgée dès 1839 par l’astronome John Herschel pour caractériser le procédé négatif-positif du pionnier anglais William Fox Talbot, que chacun croit pouvoir interpréter logiquement comme «écriture par la lumière» (photos = lumière, graphie = écriture).

Or, contrairement à la famille de mots qui exploite le suffixe «graphe» pour désigner l’écriture ou la transcription (orthographe, autographe, télégraphe, etc.), le terme «photographie» renvoie à l’univers des arts graphiques, où cette racine désigne la production des formes visuelles, et plus précisément les techniques de reproduction multiple par impression, comme la xylographie, la lithographie ou la sérigraphie.

La photographie n’est donc nullement perçue comme une forme d’écriture (sur le modèle du télégraphe), mais comme un outil de reproduction à partir d’un original (comme la lithographie). »

Cette analyse ouvre d’autres perspectives à nombre de raisonnement fondés sur la relation écriture-photographie. L’activité critique est inséparable du savoir technique, indissociable de l’analyse des conditions historiques de la production des images.
Dans la première partie sur la photographie, les différents chapitres abordent les problématiques spécifiques à la photographie. Si les illustrations sont commentées, les auteurs ne sont pas mentionnés, il faudra se reporter à la table des illustrations pour les identifier. Ce choix peut s’expliquer par le fait que la quasi-totalité des photos sont de l’auteur. Pour Hervé Bernard pratique de la photo et compétences théoriques sont indissociables, ce qui lui permet de mettre à disposition de ces lecteurs la boîte à outils indispensable à ceux qui souhaitent maîtriser toutes les composantes de la prise vue.

La deuxième partie traite de la perception visuelle. Les phénomènes liés à la vision expliquent les aberrations et illusions dont notre système visuel peut-être victime : «  l’œil ne voit pas des phénomènes qui existent » page 96  alors que « l’œil voit des phénomènes qui n’existent pas «  page 107. La primauté de la vue dans notre société mérite d’en comprendre les fonctionnements physiologiques et les traitements cognitifs.

La troisième partie traite de la perception culturelle de l’image. Une présentation des similitudes des religions du Livre n’établit pas les fondements de la crise qui a opposé les iconophiles et les iconoclastes. Les deux premières querelles iconoclastes, survenues dans l’Empire byzantin en 754 sous le règne de Constantin V, puis cinquante ans plus tard à la mort de l’impératrice Irène. Dans cette partie, l’auteur aborde le sujet de la photo numérique et sa prolifération.

Regard dur l’image, un livre pour ceux qui s’interrogent sur la photographie, de la prise en main de l’appareil au résultat en parcourant la technique, la physiologie et la théorie.

Le livre a obtenu le Prix de l’Académie de la Couleur en 2016.

Regard sur l’image 350 pages, impression quadrichromie, 150 illustrations. Préface Peter Knapp, Prix public : 50 € ttc, Format 21 x 28 cm. EAN 13 ou ISBN 9 78953 66590 12 En vente sur le site : http://www.regard-surlimage.com/regard-sur-limage-la-table-des.html