Un littoral en formes

Seeing is forgetting the name of the thing one sees [Voir, c’est oublié le nom de ce que l’on voit]. Robert Irwin

Proposition de lecture de cette portion de côte à travers des affinités, des contiguïtés visuelles, des proximités évocatrices. Lors de la Promenade, des formes repérables évoquent pour les promeneurs avertis des similitudes avec des références artistiques. Reste aussi, comme nous le verrons, les traces d’une intervention artistique ayant eu lieu lors de précédentes biennales.

Des équivalences visuelles…

avec l’Art Minimal… 

Les digues, les jetées, les épis en rochers d’ophite de Souraïde et Ainhoa ou en blocs de béton laitier tentent d’opposer à l’océan leur inertie d’enrochement lourd. Ces brise-lames conçus pour résister aux éléments même déchaînés connaissent des fortunes diverses. Leurs énormes blocs basculent parfois dans la mer sous les coups de boutoir des vagues ou l’effet de la houle.

Les plages d’Anglet, délimitées par ces épis devenus parties prenantes de ce paysage littoral, composent avec ces avancées que les promeneurs empruntent à leurs risques et périls malgré les interdictions.

La tentation est grande d’avancer dans la mer, protégé par ces énormes blocs, pour aller outre mer. De là, un point de vue donnant la sensation d’être seul face aux éléments, avec la possibilité de laisser derrière soi la plage, de se situer à la proue du navire terre.

En focalisant l’attention sur les blocs nous découvrons un monde aux formes variées. Des rochers d’ophite taillés à la dynamite, dont les masses répondent aux exigences des calculs, aux blocs de béton rainurés aux formes étudiées pour résister à la houle. Ces cubes de béton rainurés, affichent un poids de 24 à 32 tonnes suivant les emplacements.

Si en géométrie l’hexaèdre est un polyèdre à 6 faces, il existe de multiple hexaèdre cependant il n’existe qu’un seul hexaèdre régulier: le cube. Il est un des 5 solides de Platon, composé de 6 faces, 12 arêtes et 8 sommets.

Objet mathématique en trois dimensions, le cube occupe une place majeure dans le domaine artistique. Figure caractéristique de l’Art Minimal, de nombreuses œuvres s’articulent autour du cube. De Sol LeWitt à  Robert Morris en passant par Rafael Soto, Michelangelo Pistoletto, Eve Hesse et Tony Smith, ces artistes ont choisi de l’explorer sous différents aspects. Et la série des Rochers carrés de Kader Attia, prix Marcel Duchamp 2016.

et avec Daniel Buren

Les tentes rayées, mais il en est ainsi de beaucoup de rayures tant la prégnance d’une œuvre empruntant un motif de toiles a su s’imposer, ne manquent pas se rappeler comme des réminiscences de Daniel Buren.

Restes de l’œuvre de Claire Forgeot

L’épi de la plage du Club présente des roches aux couleurs passées. Les plus avertis et les habitués savent que ces peintures témoignent du travail de l’artiste Claire Forgeot lors de la 2ème Biennale en 2007. A l’origine l’artiste avait retenu des couleurs vives : rose fuchsia, rouge piment, jaune citron, vert chlorophylle, et du bleu marin qui ont résisté jusqu’à aujourd’hui, même si les couleurs sont « délavées ».

Le rocher support de peinture s’inscrit dans une longue tradition. Des sites népalais aux rochers peints, en 1984 par l’artiste belge Jean Vérame, dans le sud marocain, dispersés sur environ 5 km.

« Seven Magic Mountains », d’Ugo Rondinone est située à 20 minutes de Las Vegas, dans le désert du Nevada, cette oeuvre monumentale s’intègre au paysage désertique. Ces énormes rochers trouvés sur place sont peints et disposés en équilibre, plus ou moins précaire. Leur disposition apparaît soit alignée soit chaotique selon l’angle de vue.

Bunkers pour graffeurs

Les bunkers d’Anglet servent de support aux graffeurs, en production libre ou organisé par l’Udan Graffiti Jam. L’édition 2016 de l’UGJ a donné lieu à une œuvre sur l’enrochement.

Les lectures littorales se construisent pour chacun à travers ses propres références, alors que les œuvres des Biennales d’ Art Contemporain appartiennent aux propositions des commissaires. Saluons Anglet d’avoir opté pour une manifestation ambitieuse à l’écart des circuits traditionnels de l’art. Dans un contexte budgétaire tendu, ce choix exigeant de questionnement du monde par les artistes est à souligner. D’autant que l’époque semble incliner vers une fermeture des centres d’art et  des élus imposant leurs goûts ou leurs intérêts.

Texte Jacques Clayssen