L’école nationale des Beaux-Arts de Paris, consacre une précieuse exposition à l’écrivain suisse Robert Walser. Intitulée « Grosse kleine Welt/Grand petit monde », le cercle des amateurs de l’auteur suisse de langue allemande a jusqu’au 6 janvier 2019, pour la découvrir.
Il faut avoir lu les textes de Robert Walser (1878-1956) pour savoir à quel point son oeuvre de vagabond du minuscule, d’explorateur du fugitif plonge ses lecteurs dans un monde d’observations et de sensations en communion avec l’hypersensibilité de l’auteur à son environnement.
On pourrait résumer sa vie en trois mots : écrire, marcher et disparaître. Il oscillera entre l’essentiel et le dérisoire, deux pôles dont la primauté de l’un ou de l’autre le pousseront à un internement souhaité, puis plus tard contraint.
Miniaturiste de l’interminable, il a noirci tous les supports à sa disposition d’une écriture microscopique que l’on a prise longtemps pour un alphabet inventé. La vue des « Microgrammes » dans l’exposition des Beaux -Arts aspire le lecteur dans un univers où le minuscule devient l’image de l’interminable.
Robert Walser a sa vie durant quêté obsessionnellement à travers ses promenades la transformation du temps en espace.
Ce marcheur perpétuel « der Tourengeher » a livré dans un texte de 1917, intitulé « Der Spaziergang », en français La Promenade des descriptions attentives du Seeland qu’il sillonne durant trois ans. Dans cette région suisse du Lac de Bienne, il va ériger la promenade en style et modèle de vie. Il mêlera humour et amour du détail pour dresser un autel littéraire à la nature et aux paysages qu’il découvre lors de ses excursions.
» Un matin, l’envie me prenant de faire une promenade, je mis le chapeau sur la tête et, en courant, quittai le cabinet de travail ou de fantasmagorie pour dévaler l’escalier et me précipiter dans la rue. »
Ensuite, dans l’entretien qu’il a avec M. le Président de la haute commission fiscale. Ce dernier s’exclame :
« – Mais on vous voit toujours en train de vous promener ! – La promenade, répliquai-je, m’est indispensable pour me donner de la vivacité et maintenir mes liens avec le monde, sans l’expérience sensible duquel je ne pourrais ni écrire la moitié de la première lettre d’une ligne, ni rédiger un poème, en vers ou en prose. Sans la promenade, je serais mort et j’aurais été contraint depuis longtemps d’abandonner mon métier, que j’aime passionnément. Sans promenade et sans collecte de faits, je serais incapable d’écrire le moindre compte rendu, ni davantage un article, sans parler d’écrire une nouvelle. Sans promenade, je ne pourrais recueillir ni études, ni observations. Un homme aussi subtil et éclairé que vous comprendra cela immédiatement. […] Une promenade me sert professionnellement, mais en même temps elle me réjouit personnellement ; elle me réconforte, me ravit, me requinque, elle est une jouissance, mais qui en même temps a le don de m’aiguillonner et de m’inciter à poursuivre mon travail, en m’offrant de nombreux objets plus ou moins significatifs qu’ensuite, rentré chez moi, j’élaborerai avec zèle.[…] » La suite de la même veine, entraîne le lecteur dans une argumentation exubérante des bienfaits de la promenade.
Si Robert Musil et Franz Kafka comptaient parmi ses admirateurs, Arnaud Claass note dans l’avant-propos du livre qu’il a consacré à Robert Frank, aux éditions Filigranes, que le célèbre photographe d’origine suisse ne voyage jamais sans un livre de son compatriote Robert Walser dans ses bagages.
Un soir de Noël 1956, il sortit de l’hôpital pour une promenade qu’il savait probablement sans retour. Il fut découvert mort dans la neige, à l’âge de soixante-dix-huit ans.
« La Promenade » est éditée chez Gallimard, dans plusieurs collections. Ce texte est aussi paru dans le recueil « Seeland », aux éditions ZOE poche.
Sous la houlette de Jean de Loisy, l’équipe du Palais de Tokyo présente une exposition de 16 oeuvres dans les bosquets, les allées, les bassins et les places des jardins de Versailles, jusqu’au 7 janvier.
«Nous étions en hiver. Une journée splendide. Les perspectives, les branches des arbres, les statues étaient dessinées par ce crayon que l’air pur et glacé sait finement tailler.» ainsi débute la réflexion sur la proposition de promenade poétique dans les aménagements de Le Nôtre, selon Jean de Loisy.
Céline Minard est l’auteur du texte du catalogue Voyage d’Hiver.
L’auteur y présente les créations, sur les thèmes de la promenade et des transformations de la nature en hiver, de douze artistes qui ont chacun investi les jardins du château de Versailles. Elle propose une fiction intitulée Grenouilles en grands manteaux en complément du projet artistique.
Une occasion de se laisser guider dans ce qui est l’un des plus grands musées de la statuaire en plein air. Seize artistes contemporains ajoutent leurs oeuvres à celle des créateurs auxquels Louis XIV avait confié l’ornementation des jardins. Ils ont conçu, en dialogue avec les organisateurs, une dramaturgie qui conduit le visiteur de l’un à l’autre des bosquets, ces étranges salons végétaux, selon une progression émotionnelle calculée, jouant avec les significations historiques ou mythologiques de chacun des lieux.
Sculptures, installations sonores, tableaux, drapés, reflets, oxydations, glaciations sont quelques-unes des techniques utilisées pour transformer la flânerie du visiteur en une expérience personnelle qui lui rende perceptibles les mutations de la nature, de la gloire de l’automne à la minéralisation orgueilleuse de l’hiver. C’est cette correspondance entre temps cosmique et temps humain que le titre souligne, puisque Voyage d’hiver rappelle évidemment la poignante méditation de Schubert sur ce thème.
Une déambulation, sous une lumière différente, de la flamboyance automnale à la grisaille mélancolique de l’hiver, en sens inverse des promenades royales pour découvrir des oeuvres actuelles dans des espaces aménagés par André Le Nôtre, en conversation à travers leurs dimensions poétiques et ludiques, dans un échange où trouvent place les illusions d’optique, les troubles perceptifs que provoquent les mises en scène de la nature dans les salons verts.
Sites remarquables
Le bosquet des Bains d’Apollon actuel date du règne de Louis XVI et fut aménagé entre 1778 et 1781. À son emplacement, Le Nôtre avait d’abord créé, vers 1670, le pittoresque bosquet du Marais, dont la principale décoration consistait en un bassin bordé de roseaux de métal peints au naturel et orné en son centre d’un arbre de métal crachant de l’eau.
En 1705, ce bosquet plein de fantaisie disparaît pour laisser la place aux groupes d’Apollon servi par les nymphes et des Chevaux du Soleil que Jules Hardouin-Mansart place sous des baldaquins de plomb doré et sur des socles bordés par un bassin. La partie ouest du bosquet est aménagée sous Louis XV pour le dauphin. Les deux parties du bosquet sont totalement modifiées sous Louis XVI et le peintre Hubert Robert y conçoit un jardin à l’anglaise dont le centre est occupé par un lac que domine un immense rocher factice agrémenté de cascades et creusé d’une grotte dans laquelle est installé le groupe d’Apollon, tandis que les deux groupes des Chevaux du Soleil sont placés de part et d’autre.
La fontaine de l’Encelade fut exécutée en plomb par Gaspard Marsy entre 1675 et 1677. Le sujet en est emprunté à l’histoire de la chute des Titans, ensevelis sous les rochers de l’Olympe par les dieux qu’ils avaient voulu détrôner.
Le sculpteur a représenté le géant Encelade à demi englouti sous un amoncèlement rocheux, luttant contre la mort et dont la souffrance se traduit par le puissant jet qui s’échappe de sa bouche, comme un cri. Le dessin du bosquet, dont le pourtour est scandé par des pavillons de treillage reliés par des berceaux, a été totalement modifié en 1706 par Jules Hardouin-Mansart qui transforme cet espace fermé en carrefour ouvert en supprimant les treillages, les petits bassins et la dénivellation d’origine. Un programme de restauration mené de 1992 à 1998 a permis de restituer à ce bosquet son aspect d’origine.
Construite à partir de 1685 par Jules Hardouin-Mansart, la Colonnade a remplacé un bosquet créé par Le Nôtre en 1679 : le bosquet des Sources. Péristyle circulaire de plus de quarante mètres de diamètre, l’ouvrage s’appuie sur trente-deux pilastres servant de contreforts aux arcades que soutiennent trente-deux colonnes ioniques.
Les pilastres sont tous en marbre du Languedoc tandis que les colonnes alternent entre marbre bleu turquin, brèche violette et marbre du Languedoc. Cette discrète polychromie contribue à faire ressortir la blancheur du marbre de Carrare employé pour les arcades et les vases de la corniche. Le décor sculpté des écoinçons, réalisé entre 1685 et 1687 par les sculpteurs Coysevox, Le Hongre, Tuby, Mazière, Leconte, Granier et Vigier, représente des Amours s’adonnant à la musique ou à des jeux champêtres. Sous vingt-huit des trente-deux arcades, dont les clés d’arc sont ornées de masques de divinités marines ou agrestes, des fontaines jaillissantes se déversent dans une goulotte qui entoure le péristyle. Au centre, le bassin d’origine a été remplacé dès 1696 par le groupe de Girardon, L’Enlèvement de Proserpine par Pluton.
Le bosquet de la Salle de Bal est le dernier bosquet que Le Nôtre aménagea dans les jardins. Les travaux, commencés en 1680, s’achevèrent en 1685.
Le Grand Dauphin, fils de Louis XIV, y donna un grand souper pour son inauguration. Le bosquet est traité comme un amphithéâtre de verdure. Au centre, l’arène avait été dotée d’un îlot ceinturé d’un canal à deux niveaux et accessible par quatre petits ponts. Cet îlot, destiné à la danse, fut supprimé par Jules Hardouin-Mansart en 1707. Le Nôtre utilisa habilement l’importante déclivité provoquée par les rampes du parterre de Latone pour concevoir une grande cascade – la seule de Versailles – qui occupe tout le côté oriental de l’amphithéâtre. Cette cascade à huit degrés est scandée de rampes de marbre. L’ensemble a reçu un décor de pierres de meulière et de coquillages, auquel s’ajoutent de grands guéridons et des vases de plomb doré. Les gradins destinés aux spectateurs sont soulignés par des buis taillés.
(les descriptions des 4 sites sont extraites de http://www.chateauversailles.fr/decouvrir/domaine/jardins/bosquets#bosquets-sud)
Le parcours
Voyage d’hiver promet de transformer la flânerie du visiteur en une expérience personnelle qui lui rende perceptible les mutations de la nature, de la gloire de l’automne à la minéralisation orgueilleuse de l’hiver . Jean de Loisy
Les oeuvres
1-Marguerite HumeauBosquet de l’Arc de Triomphe
RIDDLES, un sphinx qui protège la Terre de l’Humanité
L’oeuvre de Marguerite Humeau s’articule autour de récits fondateurs : l’origine de l’humanité, l’apparition du langage, la naissance du sentiment amoureux ou encore l’origine de la guerre. Ses oeuvres sont élaborées à partir d’un dialogue avec des ingénieurs en robotique, des paléontologues, des biologistes, etc. que l’artiste mêle à des récits de science-fiction.
Chacune fait intervenir un protagoniste principal ; une créature hybride, à la fois chimère, spectre et cyborg.
2-David Altmejd Bosquet des Trois Fontaines
L’oeil, le Souffle
Fruit d’un intérêt pour la biologie autant que pour la mythologie, l’oeuvre de David Altmejd mêle l’univers scientifique à celui des traditions animistes et des légendes anciennes. Il invente des mythes ; chaque série de sculptures pouvant être considérée comme l’allégorie d’un moment-clé de la création du monde.
3-John GiornoBosquet des Bains d’Apollon
Let it come let it GO
‘We gave a party for the Gods ans the Gods all came’
Personnage iconique des premiers films d’Andy Warhol, John Giorno s’inspire de la libre appropriation des images du Pop Art et capture sur le vif la langue populaire des publicités, de la télévision, des journaux et de la rue. Dans la lignée de la Beat Generation, il renouvelle le genre de la « poésie trouvée » et oeuvre pour rendre la poésie ouverte à tous.
4-Dominique PetitgandBosquet du Dauphin
Depuis 1992, Dominique Petitgand réalise des pièces sonores. Des oeuvres où les voix, les bruits, les atmosphères musicales et les silences, construisent par le biais du montage des micro-univers. L’ambiguïté subsiste en permanence entre un principe de réalité (l’enregistrement de paroles) et une projection dans des « récits et paysages mentaux », des histoires en creux, en devenir, qui n’appartiennent qu’à l’auditeur.
5-Mark MandersBosquet de l’Etoile
Dry Clay head
Mark Manders poursuit depuis 1986 un projet intitulé Self-portrait as a Building. Il s’agit de réaliser un autoportrait dans l’espace avec des objets, en mêlant des éléments architecturaux et des références iconographiques aussi savantes qu’éclectiques ; mêlant l’antiquité grecque à la peinture flamande, la renaissance italienne à l’art brut.
6-Jean-Marie AppriouBosquet de l’Obélisque
les saisons
Le travail de Jean-Marie Appriou s’inscrit dans un aller – retour entre l’observation et le laboratoire en atelier. Il s’inspire desmatériaux et de leurs réactions pour construire une trame narrative et symbolique. Malgré le savoir-faire acquis au fil des productions, il souhaite cultiver l’expérimentation, testant ainsi des procédés non conventionnels.
7-Cameron Jamie Bosquet de l’Encelade
extrait de la série Spine Station
Cameron Jamie s’interroge sur la manière dont se manifeste la force rémanente avec laquelle les légendes anciennes continuent de structurer notre imaginaire. Sa pratique est partagée entre plusieurs médiums, la vidéo, le dessin et la sculpture.
8-Hicham BerradaBosquet des Dômes
Matrice minérale
Matrice minérale -détail
Hicham Berrada compose ses installations comme autant de tableaux vivants. Il provoque dans ses oeuvres des réactions chimiques de manière à rendre perceptibles les métamorphoses discrètes – parfois microscopiques – de la nature.
9-Ugo RondinoneChar d’Apollon
The Sun
Ugo Rondinone parcourt le spectre des émotions qui jalonnent toute existence humaine, provoquant chez le spectateur autant l’enchantement que la mélancolie. L’ensemble de son oeuvre est alimenté par une méditation sur la nature et le cycle de la vie ; la vanité de toute existence ainsi que la répétition d’instants magiques et presque hors du temps.
10-Sheila HicksBosquet de la Colonnade
Prospérine en chrysalide
Sheila Hicks, artiste intéressée par l’ethnographie, s’inspire des pratiques de tissage de diverses cultures, des techniques traditionnelles aux productions industrielles.
11-Tomás SaracenoJardin du Roi
Cloud cities
Tomás Saraceno s’inspire des toiles d’araignées pour imaginer des architectures utopiques flottant dans les airs. Chaque sculpture offre une modélisation d’un idéal de vie. Son renversement des lois de la gravité fait disparaître frontières et territoires. Il explore les possibilités inexploitées de la nature en cherchant parmi les modes non-humains d’action et de communication.
12-Anita MolineroBassin du Miroir
Floraison pour Nollopa
Anita Molinero privilégie l’énergie du geste et de l’improvisation tout en revenant sans cesse aux fondamentaux de la sculpture : le poids et la masse, le plein et le vide, le socle, le volume, etc. Composant ses premières sculptures avec des objets et des matériaux de récupération, elle choisit par la suite d’apporter aux formes la puissance de l’irréversibilité du geste. Elle adopte pour cela le plastique et une série de matériaux toxiques qu’elle coupe, brûle, lacère, sculpte.
13-Oliver BeerBosquet de la Girandole
Accord/Tacet
À travers une perspective acoustique, les oeuvres d’Oliver Beer révèlent la musicalité innée du monde physique et construisent de nouvelles formes de narration et de composition musicale. Sa double formation, en composition musicale et en arts plastiques, l’a amené à s’intéresser très tôt à la relation qui existe entre le son et l’espace, en particulier à travers la voix et l’architecture.
14-Louise SartorAllée du Labyrinthe
« C’est estre fou que n’aimer rien »
Louise Sartor réalise des séries de peintures à la gouache de très petit format sur des supports sans qualité et particulièrement fragiles : pages de papier journal déchirées, boîte d’oeufs, etc. Les motifs sont inspirés de photographies reprenant des scènes du quotidien.
15-Rick OwensBosquet de la Reine
Untitled
Rick Owens est un designer et créateur de mode ancré dans le mouvement minimaliste et « antifashion » des années 1990. Décrivant son travail comme « la rencontre entre Frankenstein et Garbo, tombant amoureux dans un bar SM », il est considéré, depuis la création de son label en 1994, comme l’une des figures les plus radicales et controversées de la mode.
16-Stéphane ThidetBosquet de la Salle de Bal
Bruit Blanc
Stéphane Thidet crée des univers ordinaires au sein desquels s’opèrent des décalages, des pas de côté, nous offrant une vision distordue et poétique de la réalité. S’appuyant sur des situations de la vie courante, sur des signes appartenant à la mémoire collective comme sur les soubresauts de l’histoire, ses oeuvres suggèrent une fiction non accessible mais perceptible, qui confronte le spectateur à une « mise en péril des choses ».
Quatre fontaines historiques donnent au jardin un mouvement giratoire qui suit le rythme des saisons. « Voyage d’hiver » accompagne pour trois mois ces métamorphoses en proposant une promenade méditative au coeur du parc qui bascule doucement dans le froid et le gel.
Accès gratuit tous les mardis aux dimanches de 10h à 17h (sauf les 22, 24, 27 et 28 octobre de 9h à 19h, les 29 et 31 octobre de 9h à 17h30). L’accès aux jardins est payant les jours de Jardins Musicaux et de Grandes Eaux Musicales les mardis 24 et 31 ainsi que le vendredi 27, le samedi 28 et les dimanches 22 et 29 octobre.
Le parcours « Dans les pas de Delacroix » relève d’une démarche différente des propositions précédentes. Il s’en distingue à plusieurs titres :
les parcours sont ici des promenades historiques aménagées au XIXème siècle
l’objet des promenades outre la marche réside dans l’immersion au sein de paysages arpentés par Eugène de Delacroix
Le peintre confronté, pour la première fois, aux montagnes s’interroge sur les représentations de ces motifs reliefs.
En 1845, Eugène Delacroix suit une cure aux Eaux-Bonnes dans les Pyrénées, pour soigner une laryngite tuberculeuse. Des aquarelles et croquis de son séjour paraissent dispersées à travers des feuillets, alors que son carnet dit « des Pyrénées » classé « trésor national » en 2003 est acquis l’année suivante par le Louvre. Il appartient à une série de 27 albums apparus en 1864 lors de la vente de l’atelier du peintre.
Le carnet a fait l’objet d’une publication en fac-similé dans un coffret comprenant une étude savante de Marie-Pierre Salé, conservateur en chef au département des Arts graphiques du Louvre, reconnue comme une des grandes spécialistes françaises de l’art du dessin au XIXe siècle.
Ce coffret a motivé un déplacement sur place pour découvrir le cadre dans lequel Delacroix s’était promené et voir les paysages qu’il avait dessinés. L’étude de Marie-Pierre Salé documente avec précision le séjour du peintre, sa lecture satisfera tous ceux qui souhaitent approfondir le sujet. (1)
Les Eaux-Bonnes
Les Eaux-Bonnes, petite station thermale des Pyrénées-Atlantiques, a connu une vie trépidante au XIXème siècle. Delacroix s’y installe, du 22 juillet au 14 août 1845, après un éprouvant voyage en diligence depuis Bordeaux, où il a visité son frère. La station très fréquentée n’a pas encore était transformée par Mlle de Montijo, qui en épousant Napoléon III deviendra impératrice des Français. Il faudra attendre 1861 pour que les travaux dotent les Eaux-Bonnes des équipements que nous lui connaissons aujourd’hui.
Ainsi, lorsque Delacroix s’installe, les aménagements publics sont sommaires, comme en témoigne Adolphe Moreau dans Itinéraire de Pau aux Eaux-Bonnes et aux Eaux-Chaudes édité par Vignancour à Pau en 1841 :
Au centre du Jardin Anglais, on a jeté un pont sur le torrent : ce passage sert d’entrée au Chemin Horizontal, dont la tête mène aussi à la Promenade Gramont. Vous ne serez pas sans vous étonner de voir ce terrain auquel la nature a tout prodigué, verdure, ombrage, eau, n’être pour ainsi dire qu’un affreux cloaque, dans une partie duquel il faut marcher avec une extrême précaution. Quand on compare l’état d’abandon dans lequel on le laisse avec le soin apporté au bien-être dans les hôtels où vous logez, on a lieu d’être surpris.
Cette description donne une idée de la situation. Quand on visite les Eaux-Bonnes aujourd’hui, on l’imagine mal sans son casino, le Jardin Anglais aménagé et arboré, et l’Hôtel des Princes tels que nous le découvrons, même si ce dernier est actuellement en attente de réhabilitation.
Destination prisée, la station ossaloise accueille une colonie comme en atteste le Mémorial des Pyrénées dans son édition du 27 juillet 1845 :
« On peut voir sur la promenade Eugène Delacroix, Paul Huet, Camille Roqueplan, Pehr Wickenberg et Eugène Deveria s’embrasser cordialement et témoigner du bonheur qu’ils avaient à se revoir. »
Le chroniqueur de l’époque se garde d’évoquer le désarroi de Delacroix face aux curistes, familles en goguette qui occupent leurs journées entre soins et fêtes nocturnes. Lui qui est tracassé par ses chantiers parisiens, du Palais Bourbon et du Luxembourg comme il l’écrit à Frédéric Villot le 5 août 1845.
Les Prom’s
Seules quelques promenades offrent aux curistes de 1845 des opportunités pour marcher sur des parcours aménagés.
Eugène Delacroix les empruntera pour découvrir les panoramas et apprécier les points de fuite sur la Vallée d’Ossau :
par la route qui longe le Valentin on accède à la cascade du Gros Hêtre
Chacune permet de découvrir un versant de la vallée. Ces promenades toujours accessibles ne présentent pas de difficulté particulière. De la promenade Horizontale, la plus célèbre car sans dénivelé à la promenade Eynard pour découvrir le charmant belvédère dénommé Butte au trésor.
Jacques Le Gall, Maître de conférence en langue et littérature française à l’Université de Pau et des pays de l’Adour, rappelle que Delacroix, comme ses confrères peintres, offrit une aquarelle à une loterie organisée pour financer l’aménagement de la fin de la Promenade Horizontale. On connaît par l’article paru alors dans le Mémorial des Pyrénées le nom du gagnant : M. de Plaisance. Mais on ignore le titre et le devenir de cette aquarelle. (2)
« Le pays est magnifique. C’est la montagne dans toute sa majesté. Il y a vraiment à chaque pas, à chaque détour de sentier des sites ravissants : ayez avec cela les pieds de chèvre pour escalader les montées, et vous avez la jouissance complète du pays. » lettre à Frédéric Villot-26 juillet 1845
Le peintre prend la plume le 26 juillet pour narrer à son ami Pierret son impression sur son lieu de cure :
J’ai eu toutes les difficultés du monde à me loger; on vous offre à votre arrivée des trous à ne pas mettre des animaux […] Je me suis vu d’abord ici dans un véritable guêpier. On trouve aux eaux une foule de gens qu’on ne voit jamais à Paris; et moi qui fuis les conversations, surtout les conversations oiseuses, je me voyais d’avance assassiné. Il faut donc une certaine adresse pour éluder les rencontres, et c’est fort difficile dans un endroit qui est fait comme un entonnoir et où on est par conséquent les uns sur les autres.
Dans son abondant courrier, le peintre insiste auprès de ses correspondants sur la vie animée et bruyante de personnes venues pour se soigner. Les mondanités l’insupportent. La cure, prescrite pour traiter une affection laryngée persistante, rythme ses journées.
Arrivé sous une météo clémente, son séjour connaîtra des passages pluvieux abondants. Le site l’impressionne, il voit pour la première fois des montagnes. Pics, névés, cascades, prairies, forêts, guides et autochtones mobilisent toute son attention.
« Le vrai peintre est celui chez qui l’imagination parle avant tout »
Eugène Delacroix, Journal- 12 octobre 1853
La question de la taille du panorama s’impose d’emblée : « la beauté de cette nature des Pyrénées n’est pas de celles qu’on peut espérer rendre avec la peinture d’une manière heureuse. Tout cela est trop gigantesque et on ne sait par où commencer au milieu de ces masses et de ces multitudes de détails. » lettre à Gaultron-5 août 1845
Le folklore des vêtements locaux, les us et coutumes pyrénéennes retiennent son intérêt, il apprécie les vêtements des femmes. Il croque des figures, des détails vestimentaires, des attitudes, autant d’instantanés du quotidien dont le carnet témoigne.
Il marche à l’écart de la foule des curistes qu’il fuit. Il prend un guide, s’installe avec son carnet, ses crayons dans les sous-bois, face aux cascades et esquisse des vues cadrées sur lesquelles il note en clair les couleurs de référence. Dominante des variétés de vert. Dans sa chambre d’hôtel, il ajoute des rehauts d’aquarelle. Le papier du carnet supporte la transparence de l’aquarelle, jamais de gouache qui « bouche ». La dilution à l’eau, de cette peinture facile à mettre en oeuvre en déplacement, lui convient pour réaliser les esquisses auxquelles il pourra de retour dans son atelier parisien se référer pour les grandes toiles et les décors.
La méthode de travail de Delacroix se divise en deux phases distinctes : il réalise in situ des dessins qu’il annote pour préciser les couleurs ou des détails; ensuite, de retour dans son atelier parisien il recompose le paysage en donnant à sa mémoire et son imagination la place nécessaire pour ne pas recopier la nature comme le fait la photographie et les peintres dont il critique la pratique.
Dès son arrivée sur place, Delacroix écrit des lettres dans lesquelles il ne manque pas de manifester son enthousiasme pour le site :
« La nature est ici très belle ; on est jusqu’au cou dans les montagnes et les effets en sont magnifiques” lettre à L. Riesener, le 25 juillet.
La montagne a longtemps inspiré la crainte, comme l’a montré Alain Corbin dans « Une Histoire du silence » (3) et l’on trouve de nombreux témoignages de cette «orophobie » dans la peinture, la cantonnant à l’arrière-plan, en fond de décor, malgré son caractère imposant. Il faudra attendre le milieu du XVIIIe siècle, lorsque des hommes plus téméraires s’aventureront sur les sommets et en reviendront enthousiastes, pour que la montagne devienne un thème pictural de premier plan.
La photographie n’est pas étrangère à l’intérêt suscité par ces motifs reliefs. On connaît la curiosité de la Delacroix pour la photographie. Parmi les premiers inscrits à la Société Française de Photographie, il reste défiant envers des pratiques et des usages de la photo. Mais il est convaincu par son aspect « aide-mémoire ». La photographie permettra dès ses débuts de montrer au public des sujets qu’ils découvriront pour la première fois. Dans le contexte de l’époque peu de personnes avaient eu l’occasion de découvrir les montagnes et leurs sommets.
« Les tableaux de M. Delacroix, cette année, sont, comme nous le disions, des esquisses, mot qui éveille mal à propos l’idée d’une ébauche à terminer. Ce n’est pas ainsi qu’on doit l’entendre : dans ces petites toiles se rencontre tout ce que l’auteur a cherché, une impression vive, un effet juste et saisissant. Francis Wey “Salon de 1847 (3e article)”, Le Courrier français, 11 avril 1847
Delacroix et la photographie
« Jusqu’ici, cet art à la machine ne nous rendu qu’un détestable service il nous gâte les chefs d’oeuvre, sans nous satisfaire complètement. » Delacroix-Journal, 1853
Eugène Durieu est une figure marquante des débuts de la photographie en France. Il participe activement à la mise en place de la Mission héliographique. Il s’implique aussi dans la Société héliographiqueet il est le premier président de la Société française de photographie, fondée le . La même année, sa collaboration avec Eugène Delacroix est un fait acquis. Il réalisa sur les indications du peintre une série de photographies de modèles nus.
Sans préjuger des rivalités entre peinture et photographie, Delacroix se documente et s’intéresse de près à l’essor de la photographie. Il était réticent dans son rapport à l’image photographique, on sait qu’il demanda, sans succès, la destruction de ses portraits photographiques qui ne répondait pas à sa conception de la représentation. « Je suis effrayé du résultat, c’est une triste effigie, au nom du ciel ne laissez pas subsister le résultat de ce moment-ci » écrit-il à Nadar, à propos du portrait ci-dessous.
Pour sa documentation personnelle, il collectionne des reproductions d’œuvres d’art. Il note dans son Journal le 1er septembre 1859 : « les photographies qui saisissent davantage sont celles où l’imperfection même du procédé pour rendre d’une manière absolue laisse certaines lacunes, certains repos pour l’oeil ». S’il ne pratique pas lui-même la photo, il confie à Durieu la réalisation des clichés. Il définit pour cela un cahier des charges lui permettant d’obtenir des photos « vagues » dépouillées de tous les attributs pittoresques qui ornaient les images commerciales, très en vogue dans les ateliers de peintre.
Son correspondant d’Arras, le peintre Constant Dutilleux nous livre un précieux témoignage sur les séances de prises de vue qu’organisait Delacroix :
« Je possède un album composé de poses de modèles, hommes et femmes, qui furent indiquées par lui, saisies sous ses yeux par l’objectif… Phénomène incroyable! Le choix de la nature, l’attitude, la distribution de la lumière, la torsion des membres sont si singuliers, si voulus qu’on dirait de beaucoup de ces épreuves qu’elles ont été prises d’après les originaux du même maître. L’artiste est en quelque sorte souverain maître de la machine et de la matière. Le rayonnement de l’idéal qu’il portait en lui transformait en héros vaincus et rêveurs, nymphes nerveuses et pantelantes des modèles à 3 francs la séance. »
Notes de Constant Dutilleux, papiers Burty-Paris-Bibliothèque Doucet-Institut d’art et d’archéologie.
Nu féminin sur un divan, E.Durieu-1854
Delacroix, Odalisque-1857
En 1853, dans les colonnes de La Lumière, le rédacteur en chef Ernest Lacan tente « trois esquisses physiologiques » du photographe : « le photographe proprement dit », c’est le professionnel, qui produit « les images fidèles d’un gendarme, d’une première communiante, d’un monsieur de qualité douteuse, de deux ou trois familles groupées tendrement, le sourire aux lèvres, dans des attitudes plus ou moins gracieuses et engageantes ». « Le photographe artiste est celui qui, ayant consacré sa vie à l’étude d’un art, comme la peinture, l’architecture, la gravure, etc., a vu dans la photographie un moyen nouveau de traduire ses impressions, d’imiter la nature dans sa poésie, sa richesse et sa beauté, et de reproduire les chefs-d’œuvre que le génie humain a semé sur terre ». « Le photographe amateur, pour nous, c’est l’homme qui, par amour de l’art, s’est passionné pour la photographie, comme il se serait passionné pour la peinture, la sculpture ou la musique, qui en a fait une étude sérieuse, raisonnée, intelligente ». Textes réunis par le Musée français de la photographie de Bièvres.
La querelle du paragone 2.0.
Marco Collareta, professeur d’Histoire de l’art à l’Université de Pise, décrit l’origine de ce conflit entre les arts dans un article intitulé : Nouvelles études sur le paragone entre les arts. (4)
[Le mot italien paragone est entré en force dans le langage de la critique d’art moderne à partir de 1817. Cette année-là, lorsque Guglielmo Manzi fit imprimer pour la première fois le Trattato della pittura de Léonard de Vinci tel qu’il nous a été transmis par le Codex Vaticanus Urbinas 1270, il intitula la première partie de ce texte capital « Paragone di pittura, poesia, musica e scultura », partie consacrée justement à une comparaison systématique entre la peinture et les autres arts. Il n’est pas difficile de déceler, dans un tel choix éditorial, l’ombre portée d’une branche de la philosophie encore très récente à l’époque, à savoir l’esthétique. La conception de l’art qu’elle tentait alors d’élucider reposait sur une classification rigoureuse des différentes disciplines artistiques…] Marco Collareta
Le terme paragone (comparer) désigne dans ce cas un exercice de comparaison des arts, dans lequel les protagonistes débattent des attributs de leur art.
Eugène Delacroix bénéficie des connaissances scientifiques du XIXème siècle riche de découvertes : des traités des couleurs, en 1864, Eugène Chevreul publie Des couleurs et de leurs applications aux arts industriels, livre dans lequel il répertorie 14400 tonalités chromatiques des colorants naturels ou artificiels à la photographie dont les optiques et la chimie évoluent constamment, en passant par la mise sur le marché des tubes de peinture à bouchon vissé.
M. E. Chevreul The Principles of Harmony and Contrast of Colours London, 1860
Delacroix dans son Journal évoque à plusieurs reprises les différences entre les arts, comparant la peinture aux autres expressions artistiques :
La peinture, entre autres avantages, a celui d’être plus discrète : le tableau le plus gigantesque se voit en un instant. Si les parties qu’il renferme ou certaines parties attirent l’admiration, à la bonne heure : on peut s’y complaire, plus longtemps même que sur un morceau de musique. Mais si le morceau vous paraît médiocre, il suffit de tourner la tête pour échapper à l’ennui… – 11 mars 1849
Vous voyez votre tableau d’un coup d’oeil; dans votre manuscrit, vous ne voyez pas même la page entière, c’est-à-dire, vous ne pouvez pas l’embrasser tout entière par l’esprit… – 21 juillet 1850
De nombreuses citations du Journal de Delacroix sont recensées et étudiés par Hubert Damish dans La peinture en écharpe (5)
Mais Delacroix n’ignorait pas que la photographie s’inscrivait dans l’esprit de ses contemporains en concurrente de la peinture. Selon Gaston Tissandier qui rapporte l’anecdote dans Les Merveilles de la photographie, Paris, 1874, p. 62 : « Paul Delaroche a vu Daguerre, il lui a arraché des mains une plaque impressionnée par la lumière. Il la montre partout en s’écriant : “La peinture est morte à dater de ce jour”. » Même si la phrase ne fut probablement pas prononcée telle quelle, elle reflète une inquiétude répandue dans les milieux artistiques dès 1839.
Mais la montagne résiste à sa représentation, il écrit à Frédéric Villot, le 5 août 1845 : « J’admire par moments mais je ne peux rien en faire. D’abord le gigantesque de tout cela déconcerte. Il n’y a pas de papier assez grand pour donner l’idée des masses et les détails sont si nombreux qu’il n’est pas de patience qui puisse en triompher. »
Le peintre retient deux points de résistance, le rapport de taille et par conséquence la taille du carnet (12,5×20,3) inappropriée, à ce premier point technique s’ajoute le temps, non pas du séjour mais d’exécution pour restituer les détails. La patience la plus extrême n’y suffirait pas.
La photographie permettra de dépasser ces deux obstacles. La taille des chambres photographiques emportées pour les prises de vue montagnardes autorisent de grands tirages avec un luxe de détails que le progrès des optiques rend avec précision. Mais à cette même époque les photographes utilisent le collodion humide. Ils doivent emporter un laboratoire ambulant pour le développement des plaques sur place. Les photographes se devaient d’être tout à la fois de solide montagnard et des photographes motivés car ils partaient en expédition avec environ deux cent cinquante kilos de matériel.
» Une photographie est toujours plus saisissante qu’une description, si complète et si détaillée qu’elle soit : elle apporte au débat un témoignage d’une valeur incontestable ; fixe l’histoire si intéressante des torrents et des travaux de toute sorte qu’on y exécute ; fournit le moyen de conserver la physionomie vraie de la montagne aux diverses phases de sa restauration. » écrivent Fabien Benardeau et Henri Labbé, dans leur Notice sur le rôle et l’emploi de la photographie dans le service du reboisement, en 1886.
L’histoire de la photographie pyrénéenne a retenu le nom de Paul Jeuffrain, qui en 1850 réalise le premier cliché à Cauterets. Mais cette première image n’a pas été conservée. Ce sera donc à un anglais installé à Pau, dès 1853, que reviendra le titre d’inventeur de la photographie dans les Pyrénées. Son nom : Farnham Maxwell-Lyte. Il a ouvert la voie à de nombreux photographes dont Eugène Trutat qui photographiera la montagne de 1880 à 1920.
Pyrénées, par Maxwell-Lyte, 1860
L’aquarelle et la photo constituent deux aide-mémoires , des « traces » qui permettront au peintre de s’y référer dans ses peintures.
Les carnets d’aquarelle ou de dessin requiert un temps de présence et d’observation long. Une présence sur le site et une habileté manuelle. Il s’agit moins dans l’usage actuel d’une réalisation artistique finalisée que d’aide-mémoires. De nombreux adeptes perpétuent cette tradition bien vivante malgré la déferlante de pratiques photographiques. On observe différentes variantes parmi les usagers de la prise de vues, du travail à la chambre photographique au smartphone en passant par toutes les déclinaisons de l’argentique au numérique. Le temps raccourci, le savoir-faire technique relayé par les automatismes offrent à tout un chacun le loisir de s’adonner sans limite à la photo « souvenir ». Quant aux références esthétiques, elles se résument soit à l’auto-référence soit à des emprunts aux codes de la peinture.
Denis Diderot s’interroge et répond à la question « Pourquoi une belle esquisse nous plaît-elle plus qu’un beau tableau? C’est qu’il y a plus de vie, moins de forme. A mesure qu’on introduit les formes, la vie disparaît… » Salon de 1767
Delacroix interrompt la rédaction de son Journal durant cette période, seuls les échanges épistolaires documentent son séjour.
(1) Eugène Delacroix- Carnet « des Pyrénées »- 2 volumes : fac-similé et étude de Marie-Pierre Salé sous coffret- Louvre éditions-2016
(2) in la Revue Pyrénées publie dans le n°268, octobre 2016 un article signé Jacques Le Gall : Quand Eugène Delacroix dessinait et peignait en vallée d’Ossau qui analyse la composition du carnet et éclaire le séjour de Delacroix avec des références érudites. A commander à : revue Pyrénées- B.P. 204 – 64002 Pau Cedex
(3) Alain Corbin, Histoire du silence : de la Renaissance à nos jours. éd Albin Michel 2016
(4) Perspective, 1 | 2015, 153-160.
(5) Hubert Damish- La peinture en écharpe. éd. Klincksieck 2010
L’association Démarches propose deux walkscapes dont l’intitulé « Promenade » définit littéralement le lieu de marche : la promenade Victor Mendiboure à Anglet. Cette promenade fréquentée par une importante population composée de locaux, de joggeurs et de nombreux touristes dont le flux continue ne tarit jamais, en période estivale. En empruntant ce parcours quasi rectiligne défini par les aménageurs, nous pourrons vérifier la problématique pointée par Alain Corbin, suivant laquelle : Le paysage n’existe pas en lui-même. Il résulte d’une lecture comme tout système d’appréciation. Mais le véritable problème se situe entre l’éprouvé et le dit. In entretien entre Alain Corbin et Véronique Nahoum-Grappe publié dans la revue La Mètis, que dirigeait alors Maryline Desbiolles (nº 1 « Le Littoral », janvier 1990).
Sur cette Promenade balisée le marcheur emprunte une voie aménagée dont les revêtements varient suivant les époques au gré des restaurations et des initiatives visant à séduire le marcheur en installant, par exemple, des promontoires surplombant la plage.
Cheminant entre les verts des plantations, des pelouses et du green du golf d’un côté et les différentes qualités de sable, d’or fin à l’ocre des graviers de l’autre côté avant que l’océan n’ajoute sa palette aux marées. La Promenade s’immisce entre ces ambiances colorées mettant le marcheur sur une lisière neutre. Le terrain de la marche appartient à l’espace aménagé, celui que l’on appelle espace vert par opposition à la plage espace naturel vers l’océan.
Espace public desservant les plages, entrecoupé d’accès perpendiculaires reliant les plages et les parkings, dont un tunnel sous la dune, cette liaison entre La Barre et la Chambre d’Amour fonctionne comme axe de déplacement pédestre, lieu de déambulation.
A l’image des sentiers douaniers, la promenade épouse la ligne de côte ici quasi rectiligne.
Cette portion de côte porte les stigmates des erreurs d’aménagement et de l’érosion naturelle dont les traces effacées à la suite d’un cycle de construction/déconstruction/reconstruction gardent en mémoire les empreintes du passé.
Ces témoignages d’une histoire mouvementée se lisent dans des signes généralement faibles pour un observateur non-averti. Le touriste de passage ne percevra rien de ce passé. Le vacancier fidèle à la station pourra noter les indices les plus visibles de mutation du paysage. Les autochtones gardent le souvenir des événements les plus marquants de leur vivant.
Les histoires littorales placent en premier les événements naturels. Les phénomènes liés aux érosions éoliennes et marines et aux tempêtes. Le réchauffement climatique favorise probablement la fréquence et la puissance des phénomènes météorologiques. La liste des noms des principales tempêtes qui ont sévi sur le littoral aquitain marquent autant d’épisodes violents : « Klaus », « Lothar », « Martin », « Xynthia », « Dirk », « Hercules », « Petra », « Qumeira », « Ruth », « Ulla », « Christine », « Ruzica », « Susanna ». A la suite de quoi, le littoral aquitain, qui était sur un recul de 3 à 6 mètres par an, a perdu 20 mètres en un mois et demi en 2014.
Anglet, station balnéaire du Pays Basque, au bout de la Côte d’Argent, dans le golfe de Gascogne. Connue des surfeurs pour la variété de ses vagues, Anglet est surnommée « la petite Californie ».
La promenade pédestre de 4,5 km, en front de mer, longe les 11 plages d’Anglet, de la Chambre d’Amour à La Barre.
Sans difficulté particulière, la promenade Mendiboure est équipée de bancs, de points d’eau, de toilettes gratuites. Elle est jalonnée de nombreux lieux de restauration et rafraîchissement. Un balisage piéton éclaire les promeneurs le soir.
Le point départ se situe sur la plate-forme d’observation du Parc écologique Izadia
La ligne 10 dessert toutes les plages d’Anglet, de La Barre à la Chambre d’Amour. Une fréquence plus importante sera instaurée pour la période estivale.
Incendie à Anglet, jeudi 30 juillet 2020, dans la forêt de Chiberta.
Attisé par le vent l’incendie s’est déclaré vers 18 heures dans la forêt de Chiberta à Anglet, une zone boisée de 250 hectares. Des dizaines d’habitations ont été évacuées. 165 d’hectares de pinède ont brûlé et les flammes ont atteint le parc écologique Izadia.
Situé à l’embouchure du fleuve Adour, ce parc de 14 hectares qui « recèle les derniers vestiges des milieux arrière dunaires du littoral sableux angloy » et abrite plusieurs espèces végétales et animales avait été restauré au début des années 2000. Il accueillait depuis une dizaine d’années le public pour des visites pédagogiques.
Extrait de La République des Pyrénées, publié le 20 août 2020 in La République des Pyrénées
Claude Olive, maire d’Anglet, veut désormais se tourner vers l’avenir.
Evoquant le parc Izadia, détruit par les flammes, l’élu angloy indique que « Nous régénérerons Izadia, sans rien soustraire de ses spécificités, de sa richesse florale et animale, de ses exigences environnementales. Nous doterons ce parc d’un nouvel édifice, qui sera un signal d’intégration au paysage, en même temps qu’un exemple vivant des nouvelles techniques de construction durables, d’expérimentation de procédés innovants. Nous ferons d’Izadia une référence, un témoignage de notre engagement écologique. »
« Nous mobiliserons les compétences, nous trouverons les financements, nous convaincrons les partenaires, parce que nous défendons un bien commun ancré dans notre histoire et notre capital paysager. L’accablement sera passager, le besoin d’action et de réussite nous fera relever la tête, la perspective d’un enjeu essentiel nous galvanisera, la fierté d’être des Angloys actifs et volontaires sera notre guide pour gagner ce nouveau pari. Ensemble nous ferons à nouveau briller notre devise « Mar e Pignada per m’aida » » indique enfin Claude Olive.
Implosion, frôlements et paradoxes
Promenons-nous dans le vide pendant que le chaos n’y est pas. La promenade Victor Mendiboure agit comme ces étranges attracteurs qui règnent dans le chaos, intégrant des millions d’événements dans un système de représentation dynamique et fluide. Le long ruban de béton trace une frontière à l’intérieur de la frontière qu’est le littoral : tout s’y déverse dans un désordre apparent, usages sociaux, représentations du monde, cultes religieux, pratiques hygiénistes, etc… tout ce mouvement provoque des frôlements inattendus, des chocs de particules et des correspondances surprenantes et mystérieuses dans une sorte de gigantesque implosion lente et paresseuse.
Tout est dans tout, bien sûr, mais plus spécialement dans ce lieu collectif et public où tout peut arriver, se côtoyer ou simplement se juxtaposer dans un ensemble proche du bouquet final d’un feu d’artifice. Le grand écart est particulièrement visible à la période estivale pendant laquelle le système acquiert une vitesse de rotation extraordinaire mettant en relation des éléments franchement disparates et paradoxaux.
Comme tout espace de mélange et de brassage, il se présente de manière minimaliste, un vide un peu irrégulier entre le balnéaire et le un peu moins balnéaire. Dans la conception du monde décrite par Alain Corbin, le littoral est la trace du doigt de Dieu pour empêcher le chaos (l’océan/déluge) d’envahir à nouveau la terre, la promenade est la trace dans la trace qui sépare le littoral en deux lieux distincts arbitrairement. Barrière symbolique d’un contrôle du chaos, son existence est la preuve de la domination du désordre dangereux qui la borde, donnant au paysage une note paisible et distanciée.
Nord/Sud
Au Nord se tient la zone de l’Adour, zone d’échouage importante où le fleuve redistribue tout ce qu’il a pu arracher à d’autres paysages, bois, végétaux, déchets divers et colorés, quelques restes d’animaux, pour recomposer un territoire parfois violent et catastrophique. Le sable s’y dépose en masse, est avalé par la drague permanente et déposé au bord des plages pour éviter leur disparition. Ensuite la promenade longe quelques restes de la seconde guerre mondiale, qui semble ici plus irréelle que jamais, restes envahis des gestes colorés des tagueurs, nouveau code esthétique indispensable au jeunisme balnéaire.
A gauche s’étend la nature originelle de marais, enchâssée dans des contours précis et délimités, autre forme de chaos sous la forme du miasme et de l’indécis, du mouvant et du sombre, terrain de la canne, la plante d’origine des marais qui toujours revient, années après années, dès que la surveillance se relâche.
A droite du Nord au Sud s’étend le royaume de l’eau, le pays des turbulences, terrain de jeux des surfeurs qui, justement, aiment les turbulences sans cesse renouvelées de la rencontre entre le dynamique et le stable. Ici le balnéaire n’est pas simple entre les baïnes, les courants, et les vagues puissantes la baignade n’est jamais sure, rarement dénuée de dangers, la plage est semée de panneaux de danger, d’interdictions, de conseils et finit par ressembler à une rocade d’autoroute vaguement hostile.
Plus loin, de nouveau quelques bunkers, tout aussi tagués et enfin l’espace ordonné du golf, ses ondulations de verdure courte traversée par le bruit sec des balles, encore quelques pelouses et arrivée sur des bâtiments après avoir longé l’ancien terrain d’aviation qui revient lentement à un état non piétiné, à la prairie originelle. Restaurants, terrasses, bars, magasins, béton partout jusqu’à la Chambre d’Amour, dernière plage avant la falaise, où trône le fameux paquebot architectural qui boucle la promenade d’une austérité toute seventies.
Galerie Impossible d’être exhaustif ou documentaire dans une telle masse d’événements, de rencontres, de croisements, donc quelques dyptiques photographiques au fonctionnement visuel associatif et parfois ténu après un démarrage nocturne et solitaire. Bonne déambulation.
Un bâton gai et festif comme une bamboche en bord de plage. Parure modeste des congés à la mer, entre campings et chichis, entre golf et plateau de fruits de mer, entre surf et vagues, entre filles et garçons et autres combinaisons de corps à corps. Bimbeloterie silencieuse, souvenir pour les yeux qui ouvre les oreilles ivres de rire et de musique. Sur le bambou littoral s’accumule une foule synthétique, symbole de l’esprit balnéaire d’un rêve pastel au milieu des chatoiements colorés des rébus en plastique animés d’une langueur estivale.