À mi-chemin entre Le Mans et Alençon, le village de Piacé (350 habitants) abrite une histoire singulière : celle d’un rêve architectural porté par Le Corbusier et Norbert Bézard. Leur projet de « ferme radieuse » et de « village coopératif », resté à l’état de plan depuis les années 30, a pourtant semé les graines d’une aventure culturelle inattendue.
Le village s’étend le long de la D338 sur un axe rectiligne en contrebas des collines.
De cette utopie inachevée est né un centre d’art contemporain et de design, dédié à la réflexion sur le rôle des campagnes dans le paysage culturel actuel. Ce lieu hybride, à la fois espace de recherche et de création, s’inscrit dans le sillage du postulat de Le Corbusier : « Pour urbaniser les villes, il faut aménager les campagnes. »
Ce projet proposait une réorganisation des campagnes autour de principes modernistes, mêlant fonctionnalité, esthétique et vie collective.
Un territoire investi par l’art
Portés par l’énergie de Nicolas Hérisson, de son frère Benoît, de leur famille et de leurs amis, un ancien moulin et ses dépendances ont été réhabilités pour accueillir ce projet. Mais l’initiative ne s’est pas arrêtée aux murs du centre, il invite à penser autrement les campagnes, à travers l’art, le design et l’architecture. C’est un lieu de rencontre entre mémoire utopique et création contemporaine, où se dessine une ruralité réinventée.
Le centre d’art développe cette réflexion à travers des expositions, résidences et installations qui interrogent la place de l’art dans les territoires ruraux. Il accueille régulièrement des artistes, architectes et designers pour créer des œuvres in situ, souvent en lien avec le paysage, les matériaux locaux ou les enjeux sociaux du monde rural. Un parcours artistique a été imaginé, disséminant une soixantaine d’œuvres dans l’espace public, les fermes, les ruelles, les champs… et aussi des propriétés privées.
Cette implantation partagée transforme le village en galerie à ciel ouvert, où l’art contemporain dialogue avec le quotidien rural. Elle favorise une appropriation vivante et collective du patrimoine artistique, comme en témoignent les rencontres spontanées avec des villageois disponibles et chaleureux, toujours prêts à orienter les visiteurs.
Le Moulin, portail Stephane Vigny, Lilian Bourgeat ParpaingBaie de Jean Prouvé et Le Corbusier baie archiveRoland Wank-UK100Tétrodons A.U.A-1973Bulle 6 coques blanche de Jean-Benjamin ManevalBulle 6 coques métal de Jean-Benjamin MalevalStructure intérieure Bulle 6 coques métal de Jean-Benjamin Maneval voiture en osier, Christian Ragot, 2012.
A voir les maisons bulles six coques de Jean-Benjamin Maneval derrière le moulin. En face se trouve l’espace d’interprétation du projet de Le Corbusier et Bézard qui héberge aussi une voiture en osier, autre expression utopique de l’architecte, construite pour Piacé le radieux par Christian Ragot, en 2012. « Les artistes nous offrent chaque année de nouvelles œuvres qui rejoignent le parcours gratuit ouvert toute l’année dans tout le village voire, comme cette année, jusqu’à Beaumont-sur-Sarthe, qui expose notre cône géant de signalisation », sourit Nicolas Hérisson. [ouest France, aout 2025]
Jean Bonichon-Grotte de nezRivet/Bouroullec-LincolnStephane Vigny-Big StumpLilian Bourgeat-ECôneKenji Harai-La vache
Une visite qui comblera les curieux, amateurs ou professionnels. La diversité des propositions, dans un cadre rural aux charmes certains, devrait satisfaire les marcheurs. Le parcours riche de 60 installations nécessite de disposer de temps. Il est recommandé d’anticiper le déplacement en réservant sa visite et en prévoyant si besoin hébergement et restauration aux alentours.
Association Piacé le radieux Bézard – Le Corbusier Moulin de Blaireau Rue de l’église 72170 Piacé
…l’homme est un animal qui marche, qui voyage. Il est avant tout homo viator.
Le terme Homo Viator signifie en latin « l’homme en chemin », ou tout simplement le pèlerin. Cette image est parfois utilisée en philosophie pour définir l’être humain comme un être toujours en devenir, « en route vers », tendu vers un idéal ou à la poursuite de ses désirs. Cf. Gabriel Marcel
… D’où mon idée de proposer à la communauté analytique le concept d’une nouvelle pulsion, la cinquième, la pulsion viatorique, celle-là même que le pédiatre vérifie à la naissance du bébé, en même temps que la succion, le réflexe de marche, support à venir de la pulsion viatorique et qui, à mes yeux représente la figure paradigmatique du désir humain. Gérard Haddad in Le voyage, figure du désir
Marche-performance- Rue de Lille
« Nous croyons penser avec notre cerveau. Moi, je pense avec mes pieds, c’est là seulement que je rencontre quelque chose de dur. »
Lacan J., « Conférence au Massachusetts Institute of Technology, 2 décembre 1975 », Scilicet 6/7, novembre 1976, p. 60.
Depuis le 5 de la rue de Lille, point de départ des participants réunis devant la plaque commémorative, les marcheurs portent soit un nœud papillon, un col roulé, une chemise blanche, suivant sa préférence.
Il portait alors des chemises ou des tuniques, sans col, sans cravate non plus ; et le nœud papillon qui avait surveillé mes premiers pas avait disparu depuis longtemps, remplacé par le col roulé, puis par ce type de col, ou d’absence de col, sur ce type de chemise blanche, aux boutons maintenant cachés… in Lacan, 5 rue de Lille. Jean-Guy Godin
Jacques Lacan apparaissait. Il était d’une élégance rare, habillé d’une chemise en soie rose et d’un complet gris, toujours avec un noeud papillon qu’il changeait souvent, chaussé de splendides mocassins noirs. Son abondante chevelure noire légèrement grisonnante rejetée en arrière. Aspects méconnus de Jacques Lacan in le blog de Roland Jaccard
Ceux qui auront opté pour le noeud papillon participent à un double hommage à la figure de Jacques Lacan. D’une part, il constitue un signe de reconnaissance autour d’un attribut vestimentaire qu’il a souvent porté ; d’autre part, dans son intervention au Congrès de Rome en 74, Lacan déclare : « Que ce soit ces ronds du noeud borroméen, ce n’est quand même pas une raison non plus pour nous y prendre le pied. Ce n’est pas ça que j’appelle penser avec ses pieds. » in La Troisième, il précise : « Si vous pouvez penser avec les peauciers du front, vous pouvez aussi penser avec les pieds. Eh bien, c’est là que je voudrais que ça entre – puisque, après tout, l’imaginaire, le symbolique et le réel, c’est fait pour que, ceux de cet attroupement qui me suivent, ça les aide à frayer le chemin de l’analyse. »
Bande-son
« … les craquements du parquet que la moquette n’arrivait plus à étouffer ; les pas vifs de Gloria, le clop-tchop-tchip-tchip des pas de Lacan. » témoignage de Jean-Guy Godin, in 5 rue de Lille
Les marcheurs entament la marche en file indienne sur le trottoir de gauche vers Orsay [ flèche bleue ]. Ceux qui le souhaitent peuvent dessiner un « nœud » avec leur trace GPS, pour d’obtenir cette trace, il conviendra de suivre un parcours précis. A mi-parcours, les marcheurs devront traverser la rue en ayant pris soin de dessiner une figure rectangulaire pour représenter le pont de fixation du nœud papillon [ carré vert ]. Ensuite les marcheurs reprendront leur marche en file indienne sur le trottoir de droite jusqu’à l’angle de la rue….
Le retour s’effectuera en sens inverse [ flèche noire ] dans les mêmes conditions. Voir dessin ci-dessous :
1-Proposition « La Déambulation » rue de Lille
Le groupe se met en marche avec des variantes possibles :
Un pas de deux
Un pas d’eux deux
Un pas deux 2
Déambulation entre le n°1 et le n°31
Quelques éléments historiques concernant des adresses ayant un lien avec Jacques Lacan :
3. logement de Jacques Lacan
adresse indéfinie : L’écrivain et poète, chef de file du mouvement Dada, Tristan Tzara (1896-1963), habita et est mort ici.
5. cabinet de Jacques Lacan
8. restaurant La Calèche
19. (plaque) « Max Ernst, peintre, sculpteur, poète, né le 2 avril 1891 en Allemagne à Brühl, a vécu Dans cette maison de 1962 à sa mort le 1er avril 1976. »
immeuble dans lequel Christine Deviers-Joncour recevait Roland Dumas, qui y résidait souvent. comme en atteste de nombreux témoins de cette affaire connu sous le nom d’affaire Dumas.
D’autre part, le psychanalyste Daniel André, qui résidait au 19, rue de Lille, fut impliqué comme ami de Mme Deviers-Joncour
23 : Karl Marx y habita de novembre 1846 à mars 1847
25. Association Lacanienne Internationale
2-Proposition « La Traversée « rue de Lille
A la séance courte, le parcours court s’impose comme expérience spatio-temporelle praticable dans des conditions permettant aux marcheurs de réaliser un parcours réduit.
Traversée entre le n°5 et le n° 8
Contexte :
« La rue de Lille – avec sa notoriété, Lacan avait annexé toute la rue – était très fréquentée – En outre sa clientèle multiple, une autre population la visitait pour des motifs mondains ou privés, l’entretien d’un commerce agréable ou simplement nécessaire. «
In Jacques Lacan, 5 rue de Lille- Jean-Guy Godin.
Postures et déplacements
immobile face plaque commémorative sur le mur du n°5
rotation 180° -une fois par la droite, puis par la gauche à partir de la position initiale-
marche jusqu’au bord du trottoir
marche sur la chaussée en prenant l’axe (angle 45°) vers le n°8
arrêt au pied du trottoir
monter sur le trottoir
face vitrine restaurant La Calèche
rotation 180° -une fois par la droite, puis par la gauche à partir de la position initiale-
Porter son regard vers la plaque commémorative sur le mur du n°5
Le marcheur s’imprègne des lieux, nature des murs, des sols, de l’ambiance de la rue.
Il interroge le pourquoi de sa présence hic et nunc.
Marcher en se remémorant des éléments liés aux pratiques et usages de Lacan sur cette fraction de rue.
Le témoignage de Philippe Sollers
« je vais au 5, rue de Lille et je tombe sur l’adresse de Lacan, qui, on le sait, a exercé là, de 1940 à sa mort (en 1981), son très éprouvant métier de psychanalyste. Si le divan de Lacan pouvait parler, il mettrait en crise toute l’industrie romanesque et ses millions de livres pour rien. Cette adresse m’est familière. Bien que jamais allongé chez lui, c’est là que j’allais le chercher, certains soirs, pour dîner en sa compagnie à La Calèche, le restaurant d’en face. Le 5, c’était la promesse d’un plaisir. Mais le 5 rue de Lille (et c’est là que le temps se met à parler à voix basse) était aussi l’adresse d’un certain Darasse, le banquier d’Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, lorsqu’il venait toucher la pension que lui envoyait son père depuis Montevideo (Darasse était en affaires avec ce pays lointain). […] C’est au même banquier Darasse que Ducasse, le 12 mars 1870 (il meurt en novembre, à l’âge de 24 ans et demi, pendant le siège allemand de Paris), annonce que sa méthode a complètement changé après l’échec des Chants de Maldoror, pour dans Poésies I et II, donc) chanter exclusivement “l’espoir, l’espérance, le calme, le bonheur, le devoir”.»
Quand il sortait de son cabinet, après ses séances, vers 19 h 30, 20 heures, on allait en face de chez lui, dîner, comme ça, rapidement…
Au restaurant La Calèche ?
À La Calèche, c’est ça. On buvait du champagne rosé dont il m’arrosait très gentiment… Et là la conversation était libre, elle pouvait sauter d’un sujet à l’autre et c’était très agréable. Je crois que je le détendais.
Propos recueillis par Sophie Barrau, le 15 juin 2001 Lacan même, Navarin, 2005
Puis, dans un entretien avec Nathalie Crom en 2009 au Centre Pompidou, Sollers reformulera ses rencontres en ces termes :
Lacan, qui était un grand ami, habitait au 5, rue de Lille – juste à côté de chez Max Ernst. J’allais chez lui le chercher à la fin de la journée pour aller dîner juste en face, à La Calèche. Il poussait de grands soupirs : il avait entendu des conneries romanesques, c’est-à-dire névrotiques, toute la journée, et il n’en pouvait plus. C’est ainsi qu’il gagnait son argent, et il avait des billets plein les poches parce qu’il se faisait payer rigoureusement – drôle de type ! C’est très romanesque, la vie de Lacan. Les gens venaient chez lui payer en analyse ce qu’ils ne savaient pas qu’ils disaient, et moi, j’y allais pour avoir un dîner gratuit ; cela n’est-il pas romanesque ?
Roland Dumas qui s’était installé au 19, chez Christine Deviers-Joncour, relate avec gourmandise ses rendez-vous avec Lacan à La Calèche
Il m’invitait à déjeuner pour manger du caviar. Il me téléphonait vers midi et me demandait invariablement :
« Roland, que faites-vous pour le déjeuner? »
J’étais débordé par des dossiers urgents mais ne voulais manquer cette rencontre sous aucun prétexte. Je bredouillais :
« Rien de particulier.
Vous ne voudriez pas qu’on « se » mange une « p’tite boîte? »
Il habitait au 3 rue de Lille, et son cabinet était au 5. Une plaque, ainsi rédigée, rappelle au passant d’aujourd’hui que c’était l’adresse de son cabinet : « Jacques Lacan (1901-1981) pratiqua ici la psychanalyse de 1941 à sa mort. » Nous n’avions qu’à traverser la rue pour nous retrouver à La Calèche, un petit restaurant où il avait ses habitudes et sa table réservée au fond de l’établissement. Il passait, impérial, devant les convives qui faisaient mine de ne pas le reconnaître. On s’installait. Le serveur venait ou ne venait pas. Quand Lacan en avait assez d’attendre, il se mettait à pousser un hurlement qui mettait la salle en émoi. Le serveur arrivait affolé : « Tout de suite, monsieur le professeur! » Et de rappliquer en urgence avec excuses, caviar et vodka.
Julia Kristeva évoque aussi une rencontre avec Lacan à la Calèche
Nous avons dîné ensemble à la Calèche, son restaurant habituel, et s’est immédiatement installée entre nous une très forte proximité fondée sur un respect réciproque. A la sortie du restaurant Lacan m’a demandé quel était le prénom de mon père. Je lui ai dit qu’il s’appelait Stoyan (variante bulgare de Stéphane), un « signifiant » dont mon père s’amusait à faire remonter l’étymologie à la racine latine « sto-stare » : « il tient ». Lacan s’est arrêté, contempla quelques longues minutes la lune, et finit par me dire: «Je vois que cela tient ». Je me souviendrai toujours de son regard, curieux, enveloppant et très respectueux. Finalement, je n’ai jamais fait l’interview, mais les échanges se sont poursuivis.
Extrait de l’article consacré à Françoise Giroud, lors de la publication des Leçons particulières en Livre de poche. De ce hasard chronologique a dépendu le destin de L’Express. 23 août 2001
De 1963 à 1967, quatre fois par semaine, Françoise Giroud franchit le seuil du 5, rue de Lille, l’adresse qui, à l’époque, aimante autant qu’elle effraie. A raison de 400 séances d’une vingtaine de minutes, Françoise Giroud, en s’allongeant sur le divan du psychanalyste le plus idolâtré et le plus critiqué, va réapprendre à tenir debout. «Grâce à lui, j’ai pris conscience que je marchais le pied droit dans ma chaussure gauche et le pied gauche dans ma chaussure droite», dit-elle. Image frappante qui aide à savoir pourquoi l’on trébuche.
Dans Le Monde du 12 juillet 2020, Arielle Dombasle raconte « Un ami de mon grand-père habitait ici [5,rue de Lille], il racontait que Lacan s’arrêtait chaque fois pendant vingt minutes devant le grand miroir de l’escalier pour se regarder »
Novembre1951 : Jacques Lacan invite Enrique Pichon-Rivièreà dîner au 5 rue de Lille, et lui réserve une surprise. par Gustavo Freda, Psychanalyste, membre de l’école de la Cause Freudienne de Paris.
Psychiatre et psychanalyste argentin d’origine suisse (1907-1977), fondateur du freudisme en Argentine, Enrique Pichon-Rivière a été l’un des fondateurs de l’Association psychanalytique argentine en 1942. Clinicien et enseignant novateur, il crée, en 1959, l’École de psychologie sociale. Ses travaux et son enseignement témoignent du lien entre les deux voies d’implantation de la psychanalyse en Argentine : la voie culturelle et la voie thérapeutique.
E. Pichon-Rivière était un passionné de Rimbaud, de Baudelaire mais surtout d’Isidore Ducasse, à qui il consacra de nombreux écrits. Fasciné par ce personnage et le mystère qui l’entourait, captivé par ce jeune homme dont il ne connaissait pas le portrait (aucune photo de lui n’existait à l’époque), il profite d’un voyage à Paris, où il doit participer à un congrès, pour enquêter sur les derniers pas du poète uruguayen. Nous sommes en 1951 et le congrès en question est la XIVe Conférence des psychanalystes de langue française durant laquelle il retrouvera Lacan, avec qui il partage le programme 2 et qui l’invitera à dîner le soir même… lui réservant une surprise.
Et (c’est là le point le plus savoureux), lorsque Lacan lui remet sa carte pour qu’il sache où se rendre, E. Pichon-Rivière de rétorquer : « Mais, hier matin j’étais à cette adresse ! » Alors, pourquoi E. Pichon-Rivière s’était-il déplacé fin octobre 1951 au 5 rue de Lille? Parce qu’outre l’adresse du cabinet du docteur Lacan, le 5 de la rue de Lille était aussi la résidence du banquier Darasse, homme d’affaires en lien avec l’Uruguay, qui servait d’intermédiaire financier entre Isidore Ducasse et son père, et qui versait au fils une pension mensuelle et lui accordait des fonds destinés à financer la publication – à compte d’auteur – de ses œuvres. ( voir Philippe Sollers, Les voyageurs du temps, . Voici donc notre E. Pichon-Rivière, revenant le soir à la même adresse qu’il avait quittée la veille, frustré de ne pas avoir pu nourrir son dossier, ni sur Isidore Ducasse, ni sur le banquier Darasse. Sauf que si la balade matinale fut infructueuse, celle du soir s’avéra généreuse : la surprise que Lacan lui avait « réservée » était la présence, parmi les convives, de TristanTzara, grand connaisseur du poète maudit sur qui ils échangeront la soirée durant ! Lacan connaissait-il la passion vouée au Comte de Lautréamont par E. Pichon-Rivière ? Ce dernier, lors d’un éloquent et affectueux témoignage à l’égard de Lacan, répond par l’affirmative.
Texte publié par L’École de la Cause freudienne | « La Cause Du Désir » 2017/3 N° 97 | pages 165 à 166
La rue de Lille se termine à l’ouest par la Gare d’Orsay, aujourd’hui Musée, les trains à destination d’Orléans partaient de cette gare jusqu’en 1939. Orléans, ville où le grand-père paternel de Lacan exerçait dans le vinaigre.
A l’est, la rue permet de rejoindre le quartier St Germain que Lacan fréquentait entre autres pour ses librairies et ses cafés. Entre la librairie La Hune et Le Divan, Lacan fréquentait, de préférence, la librairie qui ne commercialisait pas les éditions pirates de ses séminaires.
Les Deux Magots, le Flore et Lipp un trio de brasseries entre lesquels se dispersaient au grè des affinités et des désamours les acteurs de la scène germanopratine.
« La pratique de Lacan était très corporelle, il travaillait comme un sculpteur, au couteau, comme on le disait au café Les deux magots, où l’on se retrouvait parfois nombreux, après les séances auprès de lui… » Jean-Jacques Moscovitz, Membre fondateur en 1986 de Psychanalyse Actuelle.Membre d’Espace Analytique.
Être là, quand ça marche?
« La promenade comme forme artistique autonome, comme acte primaire dans la transformation symbolique du territoire, comme instrument esthétique de connaissance et transformation physique de l’espace ‘négocié’, convertie en intervention urbaine. » écrit le groupe Stalker dont l’objectif est de révéler l’espace en le « pratiquant » à travers un certain nombre d’actions dont la marche et diverses installations … Stalker est un laboratoire d’art urbain, créé en 1995, à Rome, référence historique de Démarches.
Jean-Pierre Brazs partage ses activités entre installation, dessin, photographie et écriture. Après avoir conçu depuis 1995 de nombreuses « interventions paysagères » éphémères ou pérennes son activité artistique se développe depuis 2009 à partir de fictions institutionnelles : le Centre de recherche sur les faits picturaux, puis la Manufacture des roches du futur, donnant lieu à des expositions, des installations, des conférences, des publications. Entre 2015 et 2017, dans le cadre de son projet L’hypothèse de l’île, il s’est déclaré en résidence d’artiste fictive dans une île imaginaire.
Ses œuvres sont présentes dans de nombreuses collections publiques dont le Fonds national d’art contemporain, le Musée de Grenoble, le Musée d’histoire contemporaine ou le Musée du paysage de Verbania, Italie.
La démarche de Jean-Pierre Brazs La proposition de J.P Brazs s’inscrit naturellement dans l’esprit de « Démarches ». Un parcours qui tisse un récit chronologique de ses travaux sur le thème de la lecture-écriture des paysages. Ces « coutures » raboutent différentes temporalités, elles définissent la continuité de ses diverses productions, sur la thématique paysagère. Entre le scientifique et le chaman, il artialise les domaines qu’il investit en nous donnant à découvrir, à travers son regard, les parts visibles et invisibles de la terre. Il gratte la croûte terrestre avec le savoir d’un déchiffreur averti qui en décrypte les signes. En cela son travail participe de cette « tresse narrative » fondement de Démarches.
Ancré dans l’art rupestre par ses recherches et son travail sur les rochers, ce corpus de travaux de Jean-Pierre Brazs s’inscrit aussi dans le système de pensée corrélative à l’oeuvre dans la Chine antique. Pensée qui place les montagnes et les pierres dans une relation où si les pierres participent aux pouvoirs de la montagne, c’est moins pour leur ressemblance apparente que parce qu’elles constituent des microcosmes, animés par les forces qui créèrent les monts et les sommets.
Carole Fritz, chargé de recherche au CNRS au Centre de Recherche et d’Etude pour l’Art Préhistorique indique que « C’est difficile d’en parler sans rentrer dans l’interprétation. Mais l’anthropologie démontre depuis très longtemps qu’il n’existe pas de société sans mythes. Je ne vois pas pourquoi le paléolithique dérogerait à la règle. Dans les sociétés, ce sont les mythes qui régissent l’organisation sociale, la pensée. Le problème c’est que nous n’avons pas d’ethnographie qui accompagne cela : on fouille des poubelles et on regarde des dessins ; c’est très difficile de reconstituer un mythe à partir de ça.« Jean-Pierre Brazs nous invite à découvrir ses reconstitutions qui sont autant de reconstructions interprétatives. « Ne connaît-on pas assez exactement le caractère d’un homme lorsqu’on entend […] qu’il considère toute roche brute comme un témoin du passé, avide de parler, vénérable pour lui dès son enfance… » Friedrich Nietzche in Humain, trop humain.
Cartes des parcours de Salève et de Barjac
Vers le chemin des pierres plantées
Texte et illustrations Jean-Pierre Brazs
Mes « interventions paysagères » passées (depuis 1995) étaient issues d’une expérience physique et visuelle avec un lieu « déjà là », composé du substrat géomorphologique, des présences et des rythmes végétaux et animaux et du « fabriqué avant » par les hommes. Étaient alors convoqués (de façon très braudélienne) des cycles aux amplitudes multiples, depuis les grands cycles géologiques aux cycles nocturnes diurnes, en passant par les cycles historiques ou ceux modeste d’une vie humaine. Me préoccupant aussi d’un « au-delà » du lieu, je cherchai à l’interroger et en quelque sorte à l’élargir, dans le sens où je souhaitai tisser des liens avec des références extérieures au lieu lui-même dans l’espace et le temps. Dans le prolongement de ces expériences, je me suis intéressé ensuite aux parcours qui peuvent relier des lieux, constituant en quelque sorte des « lieux – réseaux ». Les cheminements, se construisent comme des récits, il n’est donc pas étonnant de trouver sur les sols ou les parois de modestes « écritures » volontaires ou fortuites. Depuis quelques années je les collecte pour les décomposer ensuite en multiples fragments, persuadé qu’une langue pouvait y être à l’œuvre et qu’il suffirait d’y puiser des syllabes visuelles pour écrire la suite d’un récit ébauché. Me souvenant d’un projet que j’avais anciennement nommé « lieux-dits », j’ai donné à ces récits graphiques le nom de « dits ». Le « chemin de mégalithes » et les « pierres plantées » existent réellement à proximité de mon nouvel atelier à Barjac dans le Gard, que j’occupe depuis l’été 2019. L’intrigante garrigue encourage à la rêverie et je ne puis m’empêcher de convoquer parfois des paysages imaginaires. En des lieux si particuliers le sol transpirerait des bruits du monde.
*
17 09 18 La randonnée de ce jour au sommet du Mont Salève a été décisive. Ce massif, géologiquement jurassien, situé en Haute-Savoie, domine la ville de Genève. Il a toujours été abondamment occupé et parcouru, par les hommes comme par les animaux. Il a été dès le IIe siècle après J.-C. le lieu d’une petite métallurgie. Je me suis intéressé à des traces minimes, à des pierres simplement déplacées, à des relations parfois étranges entre l’arbre et la pierre.
18 09 18 En fin d’après-midi, en m’arrêtant à l’un des sommets du mont Salève et en tournant le dos à la vue panoramique sur les massifs des Alpes, j’ai aperçu des allées et venues d’hommes et de femmes transportant des branches de toutes tailles vers les hauteurs du pâturage habité de pierres éparses et d’arbres rabougris. La tombée du jour est propice à la tenue de feux nouveaux dans les petites enceintes de pierres des foyers anciens dispersés sur le sommet. Je salue donc les pourvoyeuses des flammes, les vétérans de l’étincelle, les brandonneurs et brandonneuses de toutes saisons.
19 09 18 J’ai engagé un travail d’inventaire des nombreuses traces de foyers récemment utilisés, abandonnés ou en attente de réutilisation.
26 09 18 Mon projet d’intervention avec et sur le mont Salève le constitue à la fois en topos et en oloé (les « espaces élastiques où lire où écrire », d’Anne Savelli) Le lieu choisi n’est pas un thème ou un support, mais il est à l’œuvre, c’est-à-dire qu’il est mis au travail.
28 09 18 Dans les rochers de Faverges, (ancien site d’extraction de minerais de fer et de petite métallurgie ; « Faverges », du latin fabrica : la forge) on peut à la fois se hisser en grimpant et être reliés aux entrailles de la terre. Les foyers sont à proximité des passages et de cavités. A partir d’un plan topo utilisé par les varappeurs j’ai pu définir cinq zones : Dans la partie basse du site (donnant sur une prairie) : La zone des grands rochers gravés / La zone du « grand foyer » / La zone du passage étroit Dans la partie haute du site : la clairière (dans laquelle se trouvent de nombreux foyers) Entre ces deux zones : des rochers, dans lesquels on peut circuler et qui parfois forment des grottes
01 10 18
Début d’inventaire des tracés à la peinture bleue sur les rochers de Faverges. Ils indiquent les passages à utiliser pour les amateurs de varappe. Le mot « varappe », créé en 1883, provient du nom d’un des couloirs d’escalade du mont Salève.
varappe n.f.rég.Suisse ESC. GÉOGR. ALP. « couloir rocheux » – In Ga[1970]. Compl.TLF (mêmes réf., ø texte) 1883 – Origine du mot varapper. – On nous demande d’où vient le terme varapper, appliqué quelquefois dans les récits d’excursions en<montagne. (…) Revenons à l’origine du terme varapper. Nous la trouvons, sous la signature de L. WANNER, dans l’Écho des Alpes (1883,p. 248), organe des Sections romandes du Club Alpin Suisse. Ce nom de Varappe est tiré de certains couloirs du Salève, situés entre la Grande Gorge et le Coin. Ces couloirs qui, à première vue, semblent être inaccessibles, sont parcourus fréquemment par quelques Clubistes genevois qui estiment qu’il faut demander à la montagne autre chose que la marche et que, pour retirer tout le bien des courses alpestres, il faut que tout le corps travaille et non les jambes seulement. Cette manie de rechercher ce qui passe parmi la plupart de nos collègues pour des casse-cou, leur a fait donner le surnom de « Varappeux » età leur bande celui de « Varappe ».
09 10 18 J’ai poursuivi l’exploration des rochers et découvert de nouvelles inscriptions. Je suis maintenant en mesure d’en faire un inventaire complet. Certaines se trouvent à proximité directe d’un « feu ». D’autres à l’entrée d’un passage ». D’autres encore sont cachées dans des « grottes ». Des figures humaines ou simiesques sont gravées sur des parois verticales. Des enfants barbouillés du noir des charbons de bois, m’ont prévenu de la présence de « monstres » dans les cavités rocheuses, ajoutant, en courant vers l’entrée de la petite grotte, que rien ne pouvait les effrayer.
05 11 18 Les sommets du mont Salève sont vraiment des territoires nourriciers. J’y ai récolté quelques écritures : signes, traces et quelques étrangetés qui pourront alimenter un travail purement graphique (qui m’occupera cet hiver, alors que le Salève sera couvert de neige)
07.11.18 J’ai retrouvé des notes publiées en 1983 à l’occasion d’un projet consacré aux espaces urbains intitulé « LIEUX DITS » produit par le Centre d’action culturelle de Montbéliard. (Aujourd’hui je ne formulerai pas les choses de la même façon) ERRE : manière d’avancer, de marcher. ERRER : s’écarter de la vérité, aller de côté et d’autre, au hasard, à l’aventure. IMAGES = ERREUR ? L’errance c’est de n’avoir pas lieu ? ERRATA : chose où l’on a erré. ERRATIQUE : qui n’est pas fixe. Les roches erratiques ont été transportées par les anciens glaciers à une grande distance de leur point d’origine. ERREUR : acte de l’esprit qui tient pour vrai ce qui est faux et inversement ; jugement, faits psychiques qui en résultent.« Les ténèbres de l’ignorancevalent mieux que la fausse lumière de l’erreur » (Rousseau).
12.11.18 Je suis retourné inspecter les rochers de Faverges. Temps géologique, historique et actuel s’y conjuguent. J’ai pu collecter différentes roches sidérolithiques. (Les rochers de Faverges sont formés d’une roche blanchâtre, rougeâtre à jaunâtre, constituée uniquement de grains millimétriques de quartz. Cette roche correspond au « grès sidérolithique » : « grès » en raison de l’abondance des grains de quartz et « sidérolithique » à cause de leur teneur en oxydes et hydroxydes fer. L’aspect de cette roche est dit saccharoïde, car sa texture rappelle celle du sucre. Ils se sont déposés, il y a une quarantaine de millions d’années, dans des fissures et des cavités creusées dans un plateau calcaire légèrement bombé, à l’emplacement du futur Salève, alors que le climat était tropical à désertique).
J’ai retrouvé des scories datant des anciennes activités sidérurgiques au Mont Salève. (Entre le Ve et le VIe siècle, et le XIe et le XIIIe siècle selon l’étude en 2017 de J. Sesiano de l’Université de Genève).
J’ai rendu visite à mon « grand foyer ». C’est le plus spectaculaire du Mont Salève. Il utilise une cuvette naturelle dans les rochers, attenante à une sombre anfractuosité. La fumée a noirci la roche ; sur les parois abondent signes gravés et tracés au charbon de bois. C’est dans cette terrible béance que j’ai découvert une litière soigneusement préparée avec des branches de sapins recouvertes d’une épaisse couche de feuilles mortes. À côté du foyer des branches ont été soigneusement posés contre la paroi rocheuse. Il me faut donc imaginer une personne (ou un couple) à la tombée du jour, allumant un feu et passant une partie de la nuit (la nuit entière peut-être) dans ce lieu directement ouvert sur les entrailles de la terre.
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Il m’est arrivé de penser que la « réalité » ne serait qu’un mycélium enfoui et le dessin une façon de gratter le sol des apparences.
Qu’y a-t-il donc sous terre ? Quelque chose qui repose, attend, s’enfonce ou se soulève, ou se déploie, s’accumule, se concrétionne peut-être, ou se désarticule et s’éparpille ? Ce ne serait pas un monde inversé, ni symétrique, ni le germe de ce qui éclot à l’air libre, ni un monde racinaire, ni un chaos informe, ni des restes enfouis, ni notre monde livré à la décomposition ; quelque chose qui renonce ou qui espère, qui à la fois nourrit le dessus et en absorbe la substance. Partout dans le monde existent des danses en rond. Le pilou kanak, se déroulait en grandes spirales de pieds et de bambou, frappant fortement le sol dans l’obscurité totale de la nuit. On peut imaginer que le bruit était si fort, l’onde transmise à la terre si particulière, que parfois le monde du dessous pouvait répondre, que les danseurs ne pouvaient s’arrêter de frapper le sol qu’à l’épuisement de leurs forces, qu’ils frappaient de plus en plus fort, de peur de ne plus entendre que le bruit de la terre.
Il est différentes manières d’entendre les bruits du monde. Il faut pour cela se trouver à des endroits particuliers et aux moments qui conviennent. Les foyers du mont Salève se répartissent en différents points hauts d’où la vue sur le massif alpin est bien dégagée et à proximité de rochers ouverts sur les entrailles de la terre : ils témoigneraient dans ce cas non pas de la volonté de voir, mais d’entendre. Pourquoi sinon s’obstiner à réalimenter régulièrement certains foyers, et à chaque fois s’assurer que le feu soit bien étouffé en le recouvrant des pierres qu’on avait d’abord organisées en cercle pour le contenir. Pourquoi aussi, sur certains rochers préservant d’étroits passages, de basses galeries et de petites « grottes », graver ou dessiner des visages effrayants (ou effrayés), parfois simplement des yeux, sinon pour signaler que dans ces cavités pourraient résonner des chants, des paroles ou des cris, sonorités anciennes prisonnières des plis de la terre.
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Le « chemin de mégalithes » et les « pierres plantées » existent réellement à proximité de mon nouvel atelier à Barjac dans le Gard. « Depuis l’office de tourisme de Barjac, prendre la direction Orgnac puis à gauche, rue Salavas … bifurquez à droite Grand-Rue Jean-Moulin qui débouche place de la croix blanche … prendre la rue Chevalier Lavaure … passer devant l’école publique et aller tout droit. Place Dr-Roque, prenez en face la rue Chevalier-Lavaure… prendre à gauche le circuit du PR 23 et le vieux chemin du Mazert … couper la D176. Poursuivez en face, sur un chemin pierreux. … Prendre à gauche la route goudronnée … De cette portion de route vous apercevez au loin sur la gauche les bâtiments de la propriété de l’artiste Anselm Kiefer ainsi que quelques œuvres… Prenez à gauche à la rencontre de la piste forestière. Au Clos-du-Prince, prenez à droite vers l’Aven d’Orgnac pour déboucher devant le dolmen des Gigantes … suivre les rectangles jaunes, pour parvenir au dolmen de la Devèze… rejoignez l’aven des Cristaux. Prenez à droite pour déboucher aux dolmens de Serre-de Fabre et rejoignez la maison Forestière … »
Au-delà de l’éloquence pratique des topoguides, l’intrigante garrigue encourage à la rêverie et je ne puis m’empêcher d’y convoquer des paysages chimériques. Comme dans les rochers de Faverges, en des lieux si particuliers le sol transpirerait des bruits du monde et les mégalithes seraient gravés de traces imaginaires.
Au commencement, en 1980, la publication Chemins d’eau aux Éditions Maritimes & d’Outre-Mer, débute une série d’ouvrages qui vont s’égrener sur une vingtaine de titres. Parmi ceux-ci, ajoutons au premier titre : Zones en 1985 et La clôture en 2001 qui narrent déjà des aventures pédestres de Jean Rolin sur le territoire hexagonal.
Sa dernière parution, « Le Pont de Bezons », aux éditions P.O.L, relate les expéditions de l’écrivain le long de la Seine. Un roman de regards pour immersion sensitive dans le décor des berges. Un flot de sensations évocatrices.
Les récits de marche de Jean Rolin naissent de projets aux contours imprécis et d’une envergure disproportionnée pour être réalisables : Dans le cas du Pont de Bezons, le projet consiste « à mener sur les berges de la Seine, entre Melun et Mantes des reconnaissances aléatoires, au fil des saisons, dans un désordre voulu ».
Son objet est le presque rien, assister à un lever de soleil sur le Pont de Bezons. Un pont sur la Seine fondu dans la banalité d’un décor de banlieue, mais dont la description permet à force de digressions de retisser la trame entière de notre présent, et tout un passé avec lui. Dans une chronologie établie pour conférer aux lieux une épaisseur temporelle dont la saisonnalité recompose le cadre.
Le pont avant sa restructuration en 2009
Guillaume Thouroude (écrivain voyageur et chercheur en littérature) dans La démarche ambulatoire de Jean Rolin : un écrivain voyageur au débouché des mouvements littéraires du XXe siècle, écrit :
[Un voyageur n’est rien sans les territoires déterminés sur lesquels il exerce ses déplacements, ses séjours et ses dispositifs. Jean Rolin, plus que tout autre auteur, définit un territoire avant d’écrire et se tient à son projet de départ, que celui-ci soit fructueux ou pas, qu’il soit réalisable ou pas. Ce qui compte, dans les textes de Rolin, ce n’est pas la faisabilité de tel ou tel projet, et encore moins sa réussite, que le fait d’avoir parcouru et quasiment épuisé un territoire, un trajet ou une dimension géographique à travers un dispositif textuel déterminé.]
Comme il les définit lui-même dans Terminal Frigo, les voyages brossent une « autobiographie subliminale ».
Jean Rolin• Crédit : Hélène Bamberger
Guillaume Thouroude, rappelle les contraintes d’existence des récits fixées par l’auteur pour [Zones, voyage autour de Paris obéissant à des règles telles que dormir chaque soir dans un hôtel différent, et ne jamais emprunter deux fois la même ligne de transport en commun. [Alors que] La Clôture, de son côté, impose au narrateur-performer de se mettre en orbite sur un segment précis du boulevard périphérique. Le résultat littéraire, ou en tout cas le contenu du récit, est entièrement redevable de ce qui se passe, ou pas, dans le cadre factuel défini. La réception de ces textes les détermine comme récits de voyage et non comme roman, ou pour le dire plus précisément, comme textes factuels de géographie.]
De la fermeture d’un fast-food à un crépuscule de banlieue, « Le Pont de Bezons » dévoile les trésors enfouis sous la banalité des apparences qui occulte notre attention. Le spectaculaire n’a pas de place dans ces dépotoirs qui recueillent les témoins d’un passé en décomposition. Les signaux visuels et les odeurs forment un duo de marqueurs de sensations. Attentif aux modifications des parcours, Jean Rolin note l’acharnement des communes à rendre les terrains vagues inutilisables pour les gens du voyage. De profonds sillons sont creusés si bien qu’à chacun de ses passages l’auteur ne manque pas de relever la prolifération de ces cicatrices de terre. Comme chacun peut le constater lors de marche dans les marges urbaines.
Le pont après restructuration- Photo publiée par Herlin Chane-kuen
Si Céline, Maupassant et Madame de Sévigné apparaissent dans le récit comme témoins d’une autre histoire des lieux, Gustave Caillebotte s’immisce dans un décor lié aux débuts de l’industrie aéronautique. A ces noms célèbres s’ajouteront des personnes sorties de l’anonymat par le hasard des rencontres, plus nombre de communautés, clubs et congrégations qui viennent à point nommé habiter le récit.
Vue de l’Hotel où s’installe l’auteur pour assister au lever du jour sur le pont
L’auteur, par la précision topographique et temporelle de l’organisation de son récit, nous offre avec brio les sensations les plus infimes que peut connaître le marcheur quand il est attentif à son environnement. Une démarche partagée par ceux qui sont réceptifs aux signaux faibles et qui décryptent avec une acuité particulière leur environnement.
Un livre-manifeste pour une démarche littéraire
Le Pont de Bezons, Jean Rolin- éditions P.O.L 2020 – prix : 19€
Werner Herzog, cinéaste reconnu pour affronter des situations extrêmes, a parcouru une partie de la planète à pied. Coutumier de longues marches jusqu’à l’épuisement, il entend conjurer l’effondrement de la civilisation, thème récurrent de ses films, mais aussi affronter la mort. En 1974, Werner Herzog a 32 ans. Il a déjà réalisé Aguirre et L’Enigme de Kaspar Hauser vient tout juste de sortir.
«Marcher nous fait sortir de nos habitudes modernes. Je fais mes films à pied. C’est en marchant que fonctionne le mieux mon univers imaginaire.» (1)
« Ce que marcher peut faire mal. » (2)
Certainement que pour le cinéaste, l’attrait pour l’absurde et la folie va de pair avec une esthétique des grands espaces et des paysages saisissants, d’où le récit de son voyage à pied Sur le chemin des glaces (Vom Gehen im Eis), Munich-Paris du 23 novembre au 14 décembre 1974, dont le texte incarne son auteur au point que la lecture de ce récit brosse un portrait saisissant de Werner Herzog, marcheur de l’extrême.
Quand le samedi 23 novembre 1974, Werner Herzog apprend par téléphone que son amie Lotte Eisner est gravement malade. Il est tellement bouleversé par la nouvelle qu’il décide sur le champ de la rejoindre à Paris. Pour lui, Lotte Eisner ne peut pas disparaître, car écrit-il « Le cinéma allemand ne peut pas encore se passer d’elle, nous ne devons pas la laisser mourir. J’ai pris une veste, une boussole, un sac marin et les affaires indispensables. Mes bottes étaient tellement solides, tellement neuves, qu’elles m’inspiraient confiance. Je me mis en route pour Paris par le plus court chemin, avec la certitude qu’elle vivrait si j’allais à elle à pied. Et puis, j’avais envie de me retrouver seul ». Ce journal de marche témoigne de la force de l’amitié d’un homme, dont la mise en marche implacable vers son amie aurait une fonction quasi magique de vaincre la mort.
Lotte Eisner avec Werner Herzog
Près de neuf cents kilomètres les séparent. Il ira à pied, décidant qu’elle devrait attendre son arrivée pour partir. Herzog décida de faire le voyage en ligne droite, avec une boussole. Cela impliquait d’abandonner les routes et les autoroutes et d’entrer dans les forêts, les montagnes et les rivières, ainsi que les contraintes liées aux clôtures, aux propriétés privées et aux lieux isolés. Et tout cela sous un hiver de fortes pluies, de boue et de neige. Pour lui, si ce n’était pas un vrai sacrifice, cela n’en valait pas la peine.
Jour après jour, il va tenir un carnet de voyage dans lequel il notera son état d’esprit, son état physique et psychologique.
“Quand j’arriverai à Paris, elle sera en vie. Il ne peut pas en être autrement, cela ne se peut pas. Elle n’a pas le droit de mourir. Plus tard, peut-être, quand nous le lui permettrons.” Et en effet Lotte Eisner décèdera le 25 novembre 1983 soit neuf ans après que Werner Herzog soit arrivé à Paris.
À travers cette marche qui anime de bout en bout le récit, Herzog nous réapprend à voir ce sur quoi notre œil glisse, indifférent. Tout ici est mouvement : chemins, fleuve, oiseaux, arbres, pluie, neige. Narration mais aussi témoignage d’un homme qui nous fait partager tour à tour ses moments d’exaltation, d’épuisement, de plénitude.
Dans une interview pour la revue Hors-Champ en 2004 il répondait à des questions sur la marche.
La marche est-elle quelque part liée à votre démarche de travail ?
Werner Herzog : Je voyage souvent à pieds. Bien sûr dans ces conditions il arrive que j’aie tout un roman ou un match de foot qui se déroule dans ma tête. Oui je vois alors beaucoup de choses apparaître.
HC : Qu’est-ce qui vous intéresse tant dans la marche ? Est-ce un moyen d’atteindre un autre état physique ou mental ?
WH : Il n’est pas nécessaire pour moi de marcher pour initier un projet. Mais il faut que je m’explique, je ne suis pas un « backpacker » et je ne suis pas quelqu’un qui fait du jogging ou de la randonnée, ni qui se déplace toujours à pieds comme avant le temps des automobiles. Je suis paresseux comme tout le monde. Je marche pour des raisons très spécifiques. Quand quelque chose est important, alors oui, je marche. J’ai marché de Munich à Paris parce que Dr. Lotte Eisner était mourante à Paris.
…/…
Pour Herzog, marcher est un acte d’opposition, non seulement à la culture statique des villes
qu’il traverse, mais bien à la mort elle-même. Tant qu’il est en mouvement, en transit, il ne peut pas être immobilisé, ce qui signifie qu’il reste en vie. En 1984, il a marché 2500 km le long de la frontière allemande, pour comprendre la division du pays.
« … je ne parle pas de marche à pied per se. Je parle de voyage à pied. Je ne peux me justifier que par cette maxime : le monde se révèle à ceux qui voyagent à pied. « (3)
Werner Herzog s’investit sans retenu dans des choix, des décisions, qui transmutent la mortalité moins en état d’être qu’en état d’esprit. Cela nous ramène à l’intention, magique ou non, de la promenade elle-même. Ainsi les questions
Marcher sur la glace est un témoignage écrit entre espoir et douleur physique. l’auteur s’en explique dans une interview (4) :
Je n’aime pas marcher comme ça, pour rien. Même pas pour le plaisir de marcher. Je ne marche que si j’ai une raison particulière de le faire. Une raison intense, existentielle. Quand je marche, je vois vraiment le monde et les gens avec leurs histoires, leurs rêves. C’est un peu difficile à expliquer. En fait, on ne peut vraiment parler de cela qu’avec quelqu’un qui voyage aussi à pied. Cela crée une sorte de connexion assez profonde. Mais je dirais en substance que le monde se révèle à ceux qui voyagent à pied. L’homme se révèle, la nature, les paysages… Le monde se révèle ainsi d’une façon vraiment très profonde. Rien de ce que vous pouvez apprendre à l’école ne vous en apprendra autant que de voyager à pied. …/… On est très vulnérable quand on marche comme je le fais. On doit trouver un abri pour la nuit et il m’arrive parfois d’entrer dans des villas inoccupées et de m’installer pour dormir, voire même pour vider une bouteille que j’ai trouvée à la cave. Je ne le fais d’ailleurs que lorsque les conditions sont extrêmes, en hiver, lorsqu’il y a de l’orage, de la neige… Ça m’est arrivé en Forêt-Noire ou dans les Vosges : il faisait déjà nuit et le prochain village était peut-être à 10 kilomètres. Je n’avais pas d’autre choix que de m’abriter dans un de ces chalets de vacances. J’y pénétrais grâce à de petites pinces chirurgicales que j’avais avec moi et qui me permettent d’ouvrir n’importe quelle serrure. Je laisse toujours un mot pour remercier. J’estime qu’il s’agit d’un droit naturel. Je suis certain que si des policiers me trouvaient là, tout ce qu’ils feraient, ce serait de m’apporter du thé chaud…
Herzog a non seulement recherché le chemin le plus difficile, mais aussi vécu l’expérience d’un vagabond.
« Quand je marche, c’est un bison qui marche. Quand je m’arrête, c’est une montagne qui se repose ».
Ce journal de marche ne se résume pas à un livre décrivant le contexte d’un voyage long et difficile, mais une introspection dans l’esprit de son auteur, qui semble parfois voir le monde comme si c’était la première fois, se sentir seul, très seul et étranger à ce qu’il voit se passe sur les côtés de son chemin ardu.
Est / Ouest (d’après Sur le chemin des Glaces, W. Herzog)
« Tant de choses passent dans le cerveau de celui qui marche. Le cerveau : un ouragan »
Ce n’est pas seulement une promenade extérieure mais un exil intérieur.
Le promeneur ignore parfois si ce qu’il voit est là ou dans sa conscience. Parfois, la route évoque des images de son passé, parfois, il recrée des situations que nous ignorons s’il les imagine, si elles appartiennent à sa vie antérieure ou si elles se produisent réellement sous ses yeux. La ligne de démarcation entre la description pure et dure et le récit onirique, presque délirant parfois, est si diffuse qu’il est presque impossible de la discerner.
Une semaine avant d’arriver à Paris, il écrit : La route la plus désolée qui soit, en direction de Domrémy, je ne marche plus comme il faut, je me laisse dériver. La chute vers l’avant, je la transforme en marche.
Les derniers mots, écrits après sa rencontre avec Lotte Eisner à Paris, le libère de son contrat avec la mort « Samedi 14h12. Il me reste à ajouter ceci :je suis allé voir la Eisnerin, elle était encore fatiguée et marquée par la maladie. Quelqu’un lui avait sûrement annoncé au téléphone que j’étais venu à pied, je ne voulais pas lui dire. J’étais gêné et j’ai posé mes jambes endolories sur un deuxième siège qu’elle avait poussé vers moi. Dans ma gêne, un mot me traversa l’esprit et, comme la situation était déjà étrange, je le lui dit. Ensemble, lui dis-je, nous ferons cuire un feu et nous arrêterons les poissons. Alors elle me regarda avec un fin sourire et comme elle savait que j’étais de ceux qui marchent, et partant sans défense, elle m’a compris. Pendant un bref instant tout de finesse, quelque chose de doux traversa mon corps exténué. Je lui dis : ouvrez la fenêtre, depuis quelques jours, je sais voler. »
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Document sonore : Quarante ans plus tard, Guillaume Leingre a fait le voyage pour France Culture, dans les mêmes conditions, muni, non pas d’un carnet de notes, mais d’un Nagra. Partir à la rencontre des paysages, des gens (rares), des souvenirs de cinéma…, voire du vide . Un voyage sonore qui tient autant de la réalité que du rêve.
Document court-métrage : Werner Herzog eats his shoes En 1979, Werner Herzog a fait le pari avec le jeune cinéaste Errol Morris que si Morris terminait un film sur les cimetières pour animaux de compagnie, Herzog mangerait sa chaussure. Morris a ensuite filmé Gates of Heaven afin que Herzog tienne sa promesse. Les Blank, cinéaste vivant et travaillant à El Cerrito, en Californie a filmé la scène. Dans ce court-métrage intitulé Werner Herzog eats his shoes, on voit le réalisateur qui tout en mangeant la chaussure bouillie, dialogue sur le cinéma, l’art et la vie. Pour qu’elle soit comestible et plus agréable au goût, sa chaussure a été bouillie avec de l’ail, des herbes et du bouillon pendant cinq heures. Cependant il n’a pas mangé la semelle expliquant qu’on ne mange pas les os du poulet…
Herzog goûte un morceau de sa chaussure. Photo Nick Allen. Courtesy Les Blank.
Les Blank (né en 1935) est un cinéaste vivant et travaillant à El Cerrito, en Californie. Il a fondé Flower Films en 1967 et a réalisé et produit des films sur des sujets aussi divers que l’ail, les grands importateurs de thé et les femmes aux dents creuses. Werner Herzog mange sa chaussure est montré avec l’aimable autorisation de Les Blank et Flower Films. Pour plus d’informations sur d’autres films de Les Blank, visitez: www.lesblank.com.
« Notre civilisation n’a pas les images adéquates« , disait jadis Herzog, notamment dans le court métrage de Les Blank, Werner Herzog, qui mange sa chaussure. « Sans images adéquates, nous mourrons comme des dinosaures. »
«Sur le chemin des glaces», de Werner Herzog, POL – également disponible dans la Petite Bibliothèque Payot / Voyageurs, 9,75 euros.
Notes
(1) Autoportrait, 1986.
(2) sauf autres mentions, les citations sont extraites du livre « Sur le Chemin des glaces » de Werner Herzog
(3) Werner Herzog, Interview de Rocco Castoro pour Vice Magazine, France, Octobre 2009
(4) Duval, Patrick, pour Libération, 17 décembre 2008.
Alors qu’il n’a que 20 ans, Jean-Sébastien Bach entreprend un voyage à pied de plus de 400 km. Parti de Arnstatd, il marchera jusqu’à Lübeck pour rencontrer le plus grand organiste d’Europe du Nord : Dietrich Buxtehude. Voilà tout ce que l’on sait de cet épisode, décisif pour Bach. Dans le roman La rencontre de Lübeck (1), le musicologue Gilles Cantagrel imagine les échanges amicaux et musicaux entre les deux plus grands compositeurs de l’époque baroque en Allemagne.
cartographie association EOL, créée à l’automne 1993, l’Association a pour objet l’acquisition d’un orgue, son agrandissement, sa mise en valeur par l’organisation de concerts et de spectacles, son utilisation sur les plans culturel et liturgique, l’entretien et la gestion de l’instrument.
En 1705, Jean-Sébastien Bach se rend à Lübeck pour écouter le plus grand compositeur allemand de son temps, Dietrich Buxtehude, âgé de 68 ans. Ce voyage, il le fait à pied : plus de quatre cents kilomètres aller, et autant au retour. Parti pour trente jours, il est resté absent quatre mois. Aucun témoignage ne permet de savoir ce qui s’est passé à Lübeck. On peut imaginer que l’influence de Buxtehude est si primordiale sur le génie de Bach qu’il s’est forcément produit là quelque chose d’essentiel, une transmission essentielle. Gilles Cantagrel, grand connaisseur des œuvres des deux musiciens, des documents anciens et du contexte historique, raconte ce qui a pu se passer, dans un livre intitulé La rencontre de Lübeck.
Il est admis par les historiens que Bach aurait emprunté la vieille route du sel, une route commerciale très fréquentée traversant le nord de l’Allemagne et utilisée depuis l’époque médiévale. Il n’était pas inhabituel à l’époque que les gens effectuent de longs déplacements à pied.
Le parcours de la route du sel s’étend sur environ cent kilomètres entre la vieille ville millénaire du sel, Lüneburg et la ville hanséatique de Lübeck, accès à la mer Baltique. Cette voie traverse Lauenburg an der Elbe et Mölln, la ville de Till l’Espiègle.
Alte_Salzstrasse_Breitenfelde
Pour le tricentenaire de la mort de Buxtehude des musiciens, chanteurs et organistes ont emprunté le même trajet à pied, par étapes de 25 kilomètres. Ils improvisaient des concerts dans les villes-étapes, allant à la rencontre des cantors locaux et bénéficiant parfois de l’hébergement chez l’habitant, comme le fit probablement Jean-Sébastien Bach en son temps.
Benjamin François, producteur à Radio France, contribue à la réalisation du feuilleton-atelier de création radiophonique « Sur les pas de Bach », 465 km de randonnée musicale entre Arnstadt et Lübeck pour les 300 ans de la rencontre entre Bach et Buxtehude, il explique dans un article du Monde (2) « Bach a fait le trajet à pied pour échapper aux droits de douanes exorbitants en diligence. Mais nous avons découvert, en marchant, que la rencontre avec le maître illustre n’a pas dû représenter le seul attrait du voyage. La marche nous met en harmonie avec les paysages traversés, c’est une ascèse intérieure, une reconstruction. Bach s’est « trouvé » en marchant ; il en est revenu changé. »
L’itinéraire précis n’étant pas documenté, le parcours a été imaginé sur la base d’éléments biographiques du célèbre musicien « Etape à Erfurt, chez sa soeur et à Mühlhausen chez l’ami Wender, facteur de l’orgue d’Arnstadt. Mais ensuite, a-t-il traversé le massif du Harz ? Je pense que oui. Est-il passé par Nordhausen, Wernigerrode et surtout Wolfenbüttel, qui conservait la mémoire du plus grand musicien protestant, Michael Praetorius ? La fin est claire : la route du sel à partir de Uelzen, Lüneburg, Lauenburg jusqu’à Lübeck. »
Marienkirche- Lübeck
Si l’on ne sait pas exactement ce qui s’est passé lorsque Bach est arrivé à Lübeck, il est certain que le voyage porté ses fruits, même si le jeune organiste d’Arnstadt a été évincé de son poste suite à sa trop longue absence. Parti pour un mois, il ne reviendra que quatre mois plus tard, au grand dam de ses employeurs. Il rentre à pied, reprenant le long chemin la tête pleine des enseignements et des découvertes musicales acquises auprès du maître de Lübeck.
Arnstadt-Bachkirche
Marcher sur les traces du futur Cantor de Leipzig ne peut qu’ajouter du sel au parcours.
« Dieu peut remercier Bach, parce que Bach est la preuve de l’existence de Dieu ».
Emil Cioran in Syllogismes de l’amertume.
Document sonore, écouter l’émission de Priscille Lafitte : « Quand Bach rencontre Buxtehude » sur : canalacademie pour entendre Gilles Cantagrel détailler l’histoire de cette rencontre.
HL_Damals__Marienkirche_Mittelschiff_nach_Westen. Orgue de l’église Ste Marie de Lübeck avant sa destruction en 1942.
Pas après pas, ville après ville, cet itinéraire est une invitation à suivre les traces de Jean-Sébastien Bach, par la découverte de l’homme et de son œuvre pléthorique, qui compte plus de mille compositions incarnant le couronnement de la musique baroque. Depuis Eisenach, sa ville natale, jusqu’à Leipzig, où il produisit ses plus grands chefs-d’œuvre, en passant par Weimar, Arnstadt et Gotha, ce voyage sera jalonné de concerts qui rendront vivant le musicien dans les lieux historiques qu’il a connus.
Notes :
-(1) Gilles Cantagrel, La rencontre de Lübeck. ed: Desclée de Brouwer. 2015
Trois tendances actuelles liées à la pratique de la marche. Derrière ces mots, des activités et des moyens prenant en ligne de compte respectivement le bien-être, l’écologie, la sécurité.
La Sylvothérapie
Les bienfaits de la promenade en forêt ne sont plus à démontrer, mais la pratique de la Sylvothérapie ajoute une dimension nouvelle à l’agrément de la promenade.
Contrairement à ce que véhiculent des interprétations erronées, il est inutile d’enlacer les arbres. L’attitude et le comportement sont primordiaux, il s’agit pour le promeneur d’être présent en mobilisant ses sens. Un couple d’heures de marche dans un bois produit des effets bénéfiques durant environ une semaine, principalement sur le système immunitaire.
Dans leur ouvrage « Les pouvoirs guérisseurs de la forêt » aux éditions Solar, Héctor GarcÍa et Francesc Miralles expliquent les processus à l’œuvre, ce qu’ils détaillent dans une interview, de la manière suivante « Au-delà du calme et de l’équilibre que nous apporte la campagne, lieu où notre corps et notre esprit ralentissent leurs rythmes, les arbres agissent sur l’organisme par le biais des phytoncides, des molécules qu’ils diffusent dans l’air pour se défendre contre les bactéries et les champignons, et que l’homme absorbe par la peau et les voies respiratoires. Cet effet se remarque aussi dans les parcs des villes. Tous les végétaux ont une action positive. Certains sont cependant plus puissants que d’autres. Les cyprès diffusent ainsi la plus grande quantité de phytoncides. Et plus la densité d’arbres est grande, plus les bénéfices sont importants. » En s’appuyant sur des références à la fois scientifiques et philosophiques (du shintoïsme aux écrits des penseurs modernes) et en s’inspirant de l’art de vivre japonais (le yugen, le wabi-sabi, la sagesse des maîtres zen), les deux auteurs nous livrent toutes les clés pour pratiquer le shinrin yoku au quotidien et vivre en harmonie.
Le Plogging
Ce néologisme est la contraction du mot « ramasser » en suédois plocka upp et de « jogging », à la racine le verbe anglais to jog qui signifie sautiller, remuer, secouer, ce mot intraduisible en français désigne la pratique de la course à pied à faible allure, envisagée comme un plaisir, et particulièrement bénéfique pour le rythme cardiaque, le maintien de la ligne et l’équilibre nerveux.
Le plogging désigne une activité en passe de changer une activité individuelle en comportement utile à la collectivité puisque tout en parcourant un lieu à petites foulées, le ploggeur en profite pour y éliminer les détritus.
Séance de course à pied et de ramassage de déchets pour les membres de la Run Eco Team dans le parc de Procé à Nantes. Photo Theophile Trossat pour Le Monde
« Il y a une façon de ramasser. Il faut plier les genoux pour ne pas se blesser, ce qui permet aussi de se muscler les cuisses, enseigne Danielle Tramond, bénévole qui organise cette opération en partenariat avec l’association Run Eco Team, comme le raconte Le Monde dans un article consacré au sujet. Cette pratique nécessite le respect de règles comportementales pour éviter les risques. Le ploggeur ne collecte ni le verre brisé ni les produits chimiques, il ne se substitue pas aux agents de la propreté publique, il intervient en complément sur des parcours souillés. Un acte dont l’utilité se heurte aux aprioris liés aux dégoûts que peuvent provoquer des déchets ou des objets à usage intime.
Cette activité dérivée du jogging y ajoute la pratique du fractionné à chaque fois que l’on s’arrête et que l’on repart, on muscle ses abdos en se penchant et ses bras en portant le sac de déchets récoltés.
Depuis ses débuts, l’application mobile qui a pour slogan « 1 run = 1 déchet » comptabilise non seulement les kilomètres parcourus mais aussi les quantités de détritus récoltés.
Les ploggeurs entretiennent leur santé et protègent la nature, tout en luttant contre la pollution et en participant au respect de leur cadre de vie.
Le Geotraceur
Les randonneurs ont à leur disposition une panoplie de dispositifs adaptés à leurs pratique, du traceur GPS à la balise de détresse personnelle (PLB) en passant par l’émetteur de localisation d’urgence (ELT), autant de moyens connectés dont les fonctionnalités répondent à des besoins particuliers.
Le temps de précieux conseils dispensaient dans les offices de tourisme est révolu pour beaucoup. Les cartes papier, Michelin ou IGN ont encore leurs adeptes, mais les applications pour smartphones (iOS ou Android) les remplacent avantageusement.
Chacun peut le vérifier avec la version de base d’iPHign en téléchargement gratuit. Elle permet d’accéder à toutes les cartes gratuitement pendant 7 jours calendaires (jours où l’application est utilisée). Ensuite, l’abonnement au Géoportail, à 14,99 €/an en accès illimité est comparable au prix d’une carte papier. Sachant que les cartes iGN non topographiques restent accessibles même sans abonnement.
Une large gamme de produits sont à disposition pour vous aider à choisir l’IGN propose un comparateur qui vous permettra de vous doter de l’équipement le plus adapté à vos besoins.
Le parcours artistique d’Alain Snyers questionne l’art action, les gestes dans l’espace public, les processus de communication par l’image et les manoeuvres artistiques engagées dans l’urbanité. Membre du groupe Untel, Alain Snyers a développé une activité artistique personnelle foisonnante comme en témoigne sa dernière publication chez L’Harmattan : Le récit d’une œuvre 1975-2015.
C’est en Belgique sur les communes de Woluwe-St-Pierre et Woluwe-St-Lambert qu’il a articulé un projet original de promenade urbaine. Dans le cadre de la manifestation Alphabetvilles pour La Langue Française en Fête, Alain Snyers a coordonné un ensemble d’événements à travers un parcours composé de 4 circuits urbains autour d’un personnage imaginaire Pierre Lambert.
« Sur les traces de Pierre Lambert- par son biographe autoproclamé Alain Snyers », l’artiste nous convie à une visite des sites fréquentés par son personnage. De succulents textes décrivent à travers les âges de la vie du personnage les différents lieux de cette géographie bien réelle revisitée par les facétieux détails de son histoire.
Le document de présentation explique l’opération : L’axe principal d’ALPHABETVILLES est la réalisation d’un décor urbain de mots « Sur les traces de Pierre Lambert », un parcours traversera le territoire des deux communes en reliant 26 “stations” correspondant aux 26 lettres de l’alphabet. A chaque étape, une lettre « grand format » servira de fil rouge pour raconter l’histoire de ce personnage imaginaire, Pierre Lambert, qui aurait vécu dans les deux communes. Le parcours sera notamment fléché par des panneaux signalétiques détournés par l’artiste Alain Snyers.
Une découverte urbaine par une marche décalée qui confère une existence imaginaire à des lieux d’intérêts locaux. Les acteurs associatifs et des collectifs d’artistes contribuent à la diversité de la manifestation qui s’est déroulée du 18 au 26 mars 2017. Le projet agrège un ensemble de propositions qui de la carte avec parodies publicitaires aux panneaux d’affichage utilise tous les attributs de la communication événementielle urbaine.
Fondée en 2010, la Biennale de Belleville est le fruit d’une rencontre entre ce quartier de l’Est
parisien et un groupe de commissaires, de critiques d’art et d’artistes.
Jouant sur l’absence de lieu central pour en faire un de ses points de force, la Biennale de
Belleville se déploie du Pavillon carré de Baudouin au belvédère de la rue Piat, de la rue de
Belleville pour s’étirer davantage vers l’Est de Paris.
Reposant sur un principe de mixité des lieux et de variété des interventions, la Biennale allie
ainsi performances déambulatoires et expositions collectives.
Depuis deux éditions, la Biennale de Belleville dessine de nouveaux itinéraires et met en
place des manières originales d’appréhender l’art contemporain.
A cette occasion DéMarches proposera Hors-Circuits, un walkscape urbain de Pantin au Bourget en passant par Bobigny.
WalkScape proposé parl’association DéMarches Auteurs : Clayssen/Laforet Biennale de Belleville / Septembre –octobre 2014
Les territoires actuels sont inventés : ils sont exhumés et créés, dans un même mouvement, dans la foulée. C’est en ce sens que traverser ces espaces aboutit aussi à les produire. : il n’y a pas de regard à l’état sauvage qui permette de les saisir à nu, mais une intrication du donné et du projeté, du donné et du plaqué, du déjà là et du fabriqué, de la découverte et de la production, et par conséquent de la traversée des territoires actuels et de leur création. La traversée est invention. Thierry Davila in Marcher, Créer.
Deux météorites mondialisées du milieu artistique international sont tombées au beau milieu du chaos de la banlieue parisienne, les galeries Thaddaeus Ropac à Pantin et Gagosian au Bourget. Deux objets culturels sortis de leur contexte habituel, il était intéressant de voir ce qu’il y a dans l’interstice, de parcourir le territoire entre les deux cratères, d’examiner quel lien peut exister à la fois entre les deux et au milieu des deux. Voyage donc dans l’entre-deux, quel paysage s’y déploie, y a t il quelque chose à voir ou rien ou si peu ? Quels signaux faibles, où en est l’entropie dans ce hors-circuit, quel paysage peut-on construire sur ce vide, cette absence de mythe, cette vacance de la Disneylisation millimétrée du monde ?
Hors-circuits – temps de parcours et infos déplacement
0’00 ‘’ Galerie Thaddaeus Ropac, Avenue Général Leclerc, Pantin 1
6’30’’ Château d’eau, entrée du cimetière (urinoir à gauche de l’entrée)
Ensuite prendre Av. des Platanes (vers les cyprès) puis à droite
26’00’’ Avenue de la Zone à gauche
Sortie à droite Avenue Jean-Jaurès
Fort d’Aubervilliers
Zingaro (métro)
38’45’’ à droite sur le parking, Avenue de la Division Leclerc
57’50’’ Parc Départemental des sports de Paris Seine St Denis
(urinoir dans bâtiment à gauche de l’entrée)
1h00’ Sortie Parc des sports prendre à droite promenade Django Reinhardt tout droit jusqu’à la rue de l’Etoile.
Dans la rue de l’Etoile prendre la 1ère rue à droite, rue de l’Amicale qui longe l’arrière du terrain de l’ancienne gare de Bobigny jusqu’à la rue Gustave Moreau sur la droite (Chapelle de l’Etoile)
1h22’ Emprunter le pont routier
1h30’ Carrefour Repiquet (champ de pierres )
Traverser le terrain de jeux,
Sortie à gauche vers tunnel de Bobigny sortie n°221
1h42’30’’ traverser vers la gauche dans l’axe de la passerelle Julian Grimau prendre le tunnel pour sortir à gauche rue Diderot
2h00’’ Mur de soutènement en pierres sous grillages
Retourner vers la passerelle Julian Grimau
Suivre la rue Julian Grimau au bout tourner à gauche rue de la Courneuve puis à droite rue Jean-Pierre Timbaud (panneau Drancy à gauche)
Prendre à droite l’Avenue Vaillant Couturier (temple indien sur le trottoir de gauche en allant vers Le Bourget).
2h30’ commune du Bourget (sur la droite l’ancien cinéma Aviatic)
Suivre l’avenue de la Division Leclerc
Passer au-dessus de l’autoroute et prendre à gauche le long des bâtiments de la zone aéroportuaire
3h10’ Aéroport du Bourget (Musée de l’air et de l’espace)
Sortir pour traverser la nationale
vers la Cité Germain Dorel, au Blanc Mesnil
Puis retour le long des pistes jusqu’à la rue de Stockholm vers la Galerie Larry Gagosian 2
3h45 Fin du parcours
Retour vers Paris arrêt bus n° 350 devant l’aéroport
Les points de vue sont les aspérités remarquables du paysage créé par le walkscape. Ouvrages, bâtiments, végétation, curiosités, ce sont eux qui donnent le La, la couleur du parcours et sa tonalité, le rythme et la structure des récits engendrés par la marche.
15Km entre les galeries Ropac et Gagosian en milieu urbain de basse densité
Un parcours d’environ 15 Km avec un départ à Pantin, au pied de la galerie Thaddaeus Ropac, autour de la station de métro Quatre Chemins, vaste hangar sophistiqué, en direction de l’aéroport du Bourget, au milieu des friches industrielles plus ou moins reconverties, d’un grand cimetière, de parkings sauvages, de jardins ouvriers, d’une cité perdue mais classée, des fantômes de la Shoah, de zones de transit et d’un ouvrage d’art autoroutier sans égal, de temples colorés enfouis dans la jungle urbaine, de pistes d’envol, d’une autre cité oubliée dans les plis de l’histoire et pour finir dans la re-visitation industrielle précieuse de la galerie Gagosian en lisière de l’aéroport.
« Lisières & Climats de Bourgogne », un parcours dans un vignoble d’exception. Démarches a été sollicité par Bernard Utudjian, directeur de la Galerie Polaris et initiateur d’un événement dont l’intitulé « Une partie de campagne » évoquera Guy de Maupassant pour les lecteurs, Jean Renoir pour les cinéphiles et pour les galeristes et collectionneurs, une invitation estivale. Un événement que l’on rejoint en se déplaçant dans des lieux qui bien que éloignés du Marais parisien doivent disposer au moins d’une galerie et d’espaces disponibles pour accueillir des expositions à la demande d’un commanditaire sur place.
« Une partie de campagne » est l’occasion de découvrir en présence des galeristes et des artistes des œuvres inédites. Après la Bretagne -Locquirec et St Briac, l’Aquitaine -St Emilion, cette année sera bourguignonne. Châteaux, Domaines, caveau, salle du Conseil Municipal de Chassagne-Montrachet accueilleront les expositions le temps d’un weekend avec un objectif : partir à la découverte de la création contemporaine entre professionnels, collectionneurs, amateurs et curieux de l’art, dans un cadre dont le savoir-faire a conduit le vignoble à la reconnaissance internationale de l’UNESCO. Une occasion de visiter aussi les oeuvres de l’antenne du FRAC-Bourgogne à Chagny.
Jacques Clayssen et Patrick Laforet, auteurs de parcours, ont été invités par Bernard Utudjian à proposer une marche de type walkscape (la marche comme pratique esthétique) entre Chassagne-Montrachet et Chagny. Marcher sur une terre qui vaut de l’or, entre des vignes qui produisent les nectars les plus précieux, voilà la commande confiée à l’association Démarches.
Un walkscape associé à un parcours d’art contemporain à suivre du 11 au 12 juin à Chassagne-Montrachet.
Démarrage du walkscape, départ de la fameuse galerie Thadhaeus Ropac, repaire des collectionneurs mondiaux de l’art, luxe, calme et volupté. Ensuite poursuite dans le rien de la banlieue, détails, petits signes, déréliction parfois, surprises affectueuses, parkings, cartes, tags partout, jusqu’aux champs de pierres conceptuels du rond-point Riquet.
Suite du parcours. Le Rien s’étend et parfois se rétrécit. Des jeux, du végétal, de la chapelle, des tags encore et partout jusqu’à la démesure pharaonique du tunnel de Bobigny, passage au-dessus des voies ferrées, mauvaise ambiance, spectres blancs de la Shoa à drancy, temple millénaire et arrivée à l’aéroport du Bourget.
Le bâton est associé à l’humanité depuis ses débuts, il en a accompagné toutes les évolutions et s’est diversifié dans un grand nombre d’usages : aide à la marche, arme guerrière, signe de pouvoir ou instrument de chasse. Outil polyvalent, il a pris des formes esthétiques très diverses et souvent très codées, chaque culture ayants ses bâtons décorés, gravés, sculptés, peints ou ornés, aux significations précises et la plupart du temps rituelles. La pratique du WalkScape se devait de rendre hommage à ce compagnon fidèle des marcheurs, des pèlerins et le bâton s’est imposé comme élément de mémoire, autre forme de récit et d’écriture destinée à rendre compte de chaque œuvre, symbolique douce de l’esprit d’un parcours, à la limite de la sculpture, de l’installation et de l’objet fétiche.
Le bâton-mémoire est orné de parures et de signes le liant exclusivement à un walkscape. Il est support des attributs symboliques ou littéraux d’un chemin, d’une voie. Le bâton-mémoire, participe de la tresse narrative à l’œuvre dans le walkscape. Ce bâton condense sur sa partie haute les éléments d’une histoire à travers des objets issus pour une part d’association d’idées, d’affinités électives, d’évocations et d’autre part d’objets témoins collectés sur le parcours, dont le statut de reliquat leur confère une aura singulière. Le bâton-mémoire, objet narratif qui à travers sa composition offre à chacun un support à l’imaginaire. Il évoque et convoque tout à la fois des points de vue propres à chacun selon la connaissance ou l’expérience qu’il a du walkscape et ses référents culturels.
Œuvres d’imagination, ces sculptures, éléments en volume ou ces tableaux en relief suivant la perception de chacun, racontent l’histoire d’un parcours mental restituant un parcours physiquement réalisé et éprouvé lors d’un walkscape. De forme cylindrique, le bâton une fois pris en main, déroule sous toutes ses faces une figuration enlacée à sa forme à l’instar du bâton d’Asclépios autour duquel s’entoure la couleuvre. Le bâton-mémoire s’impose par son inscription dans le champ de la marche comme l’accompagnateur traditionnel du marcheur. Au titre d’emblème de la marche, le bâton-mémoire constitue le support naturel d’une matérialisation de l’expérience esthétique de celle-ci.
Ci-dessous quelques exemples historiques ou contemporains, de l’exposition des bâtons des pèlerins de Saint Jacques de Compostelle aux foires anglo-saxonnes de walking sticks en passant par les ateliers d’enfants autour de cet objet et également les réalisations de DéMarches pour ses WalkScapes, décrites plus complètement dans le cadre de chaque parcours.
DOUG WHITE from Natomas brought his hand-painted walking sticks to sell at the Craft Fair in downtown Placerville Sunday. The sticks are made from willow branches. Democrat photo by Krysten Kellum
Un walkscape, dédié à la mémoire de Roland Barthes, sur les traces d’un parcours entre Bayonne et Urt qu’il appréciait. Le célèbre sémiologue et critique appartenait à une famille dont les domiciles se déplaçaient au fil des événements sur une bande littorale d’Hendaye à Hossegor en passant par Biarritz et Bayonne avant de s’arrêter dans le village d’Urt.
Des résidences familiales, des institutions d’enseignement tracent une cartographie de lieux connus et célèbres ou discrets et méconnus. Ces lieux ont fait l’objet d’études, de notes, d’observations qui ont alimenté ou documenté les biobliographies de Roland Barthes. En 2015, lors des manifestations du centenaire de sa naissance, en Aquitaine, de nombreuses productions et travaux ont mis à jour des aspects liés à ce territoire familial.
Notre contribution se situe localement sur un parcours familier des auteurs et de Roland Barthes. Trajet commenté par ses soins dans le texte publié par l’Humanité en 1977 sous le titre La lumière du Sud-Ouest. Un texte singulier dans l’oeuvre de Barthes, il y évoque en effet dans un style littéraire inusité des souvenirs intimes à travers ses sensations.
Ce walkscape hommage à la mémoire de Barthes commence là où Bayonne fini le long de l’Adour vers les Landes.
Point de départ : Moulin de Bacheforès Ce moulin à marée construit en 1642, sur la rive droite de l’Adour à Bayonne, est l’un des derniers témoins d’une technique originale. Il se compose de trois paires de meules à grains, entraînées par des roues à augets horizontales. Il fonctionne sur les mouvements de la marée. L’étang se remplit à marée montante puis se vide à marée descendante à l’ouverture des vannes qui entraînent les meules. Point d’arrivée : cimetière d’Urt. Village situé à une quinzaine de kilomètres à l’est de Bayonne, dans la province basque du Labourd, il jouxte le département des Landes. Henriette Barthes s’y installera dans les années 60, dans la maison Carboué. Elle y accueillera ses enfants jusqu’à son décés en 1977. Enterrée au cimetière d’Urt, situé non loin de sa maison, son fil Roland sera inhumé dans le même caveau à son décès en 1980.
Le bâtiment qui était en cours de construction lors de notre parcours, abrite une médiathèque, une cantine et des locaux associatifs. Il est implanté sur le site de l’ancienne médiathèque Roland Barthes. Il est ouvert depuis novembre 2016.
Ce parcours se déroule aujourd’hui en majeure partie le long de l’Adour sur la D74. Une voie mixte vélos-piétons permet de marcher en toute sécurité, à l’exception de quelques passages non aménageables du fait de l’étroitesse de la voie.
Photos du parcours par Patrick Laforet
Compter 3h pour parcourir les 15km en toute tranquillité.
Les Barthes avec Roland, un walkscape hommage à Roland Barthes. Né à Cherbourg, Roland Barthes était par sa famille paternelle attaché au Sud-Ouest, il en a détaillé les raisons dans un texte d’écrivain publié en 1977 dans l’Humanité et réédité à moult reprises. Ce texte intitulé « La lumière du Sud-Ouest » nous a guidés dans notre parcours par la départementale 74, des bords de l’Adour au sortir de Bayonne jusqu’ au cimetière d’Urt où il repose avec sa mère.
Aujourd’hui, 17 juillet, il fait un temps splendide. Assis sur le banc, clignant de l’œil, par jeu, comme font les enfants, je vois une marguerite du jardin, toutes proportions bouleversées, s’aplatir sur la prairie d’en face, de l’autre côté de la route.
Elle se conduit, cette route, comme une rivière paisible; parcourue de temps en temps par un vélo-moteur ou un tracteur (ce sont là, maintenant, les vrais bruits de la campagne, finalement non moins poétiques que le chant des oiseaux : étant rares, ils font ressortir le silence de la nature et lui impriment la marque discrète d’une activité humaine), la route s’en va irriguer tout un quartier lointain du village. Car ce village, quoique modeste, a ses quartiers excentriques. Le village, en France, n’est-il pas toujours un espace contradictoire ? Restreint, centré, il s’en va pourtant très loin ; le mien, très classique, n’a qu’une place, une église, une boulangerie, une pharmacie et deux épiceries (je devrais dire, aujourd’hui, deux self-services) ; mais il a aussi, sorte de caprice qui déjoue les lois apparentes de la géographie humaine, deux coiffeurs et deux médecins. La France, pays de la mesure ? Disons plutôt — et cela à tous les échelons de la vie nationale — pays des proportions complexes.
De la même façon, mon Sud-Ouest est extensible, comme ces images qui changent de sens selon le niveau de perception où je décide de les saisir. Je connais ainsi, subjectivement, trois Sud- Ouest.
Le premier, très vaste (un quart de la France), c’est un sentiment tenace de solidarité qui, instinctivement, me le désigne (car je suis loin de l’avoir visité dans son entier) : toute nouvelle qui me vient de cet espace me touche d’une façon personnelle. A y réfléchir, il me semble que l’unité de ce grand Sud-Ouest, c’est pour moi la langue : non pas le dialecte (car je ne connais aucune langue d’Oc) ; mais l’accent, parce que, sans doute, l’accent du Sud-Ouest a formé les modèles d’intonation qui ont marqué ma première enfance. Cet accent gascon (au sens large) se distingue pour moi de l’autre accent méridional, celui du Midi méditerranéen ; celui-là, dans la France d’aujourd’hui, a quelque chose de triomphant : tout un folklore cinématographique (Raimu, Fernandel), publicitaire (huiles, citrons) et touristique, le soutient ; l’accent du Sud-Ouest (peut-être plus lourd, moins chantant) n’a pas ces lettres de modernité ; il n’a, pour s’illustrer, que les interviews des rugbymen. Moi-même, je n’ai pas d’accent ; de mon enfance, il me reste cependant un « méridionalisme » : je dis « socializme », et non « socialisme » (qui sait, cela fait peut-être deux socialismes ?).
Mon second Sud-Ouest n’est pas une région ; c’est seulement une ligne, un trajet vécu. Lorsque, venant de Paris en auto (j’ai fait mille fois ce voyage), je dépasse Angoulême, un signal m’avertit que j’ai franchi le seuil de la maison et que j’entre dans le pays de mon enfance ; un bosquet de pins sur le côté, un palmier dans la cour d’une maison, une certaine hauteur des nuages qui donne au terrain la mobilité d’un visage. Commence alors la grande lumière du Sud-Ouest, noble et subtile tout à la fois ; jamais grise, jamais basse (même lorsque le soleil ne luit pas), c’est une lumière-espace, définie moins par les couleurs dont elle affecte les choses (comme dans l’autre Midi) que par la qualité éminemment habitable qu’elle donne à la terre. Je ne trouve pas d’autre moyen que de dire : c’est une lumière lumineuse. Il faut la voir, cette lumière (je dirais presque : l’entendre, tant elle est musicale), à l’automne, qui est la saison souveraine de ce pays ; liquide, rayonnante, déchirante puisque c’est la dernière belle lumière de l’année, illuminant chaque chose dans sa différence (le Sud-Ouest est le pays des micro -climats), elle préserve ce pays de toute vulgarité, de toute grégarité, le rend impropre au tourisme facile et révèle son aristocratie profonde (ce n’est pas une question de classe mais de caractère). A dire cela d’une façon aussi élogieuse, sans doute un scrupule me prend : n’y a-t-il jamais de moments ingrats, dans ce temps du Sud-Ouest ? Certes, mais pour moi, ce ne sont pas les moments de pluie ou d’orage (pourtant fréquents) ; ce ne sont même pas les moments où le ciel est gris ; les accidents de la lumière, ici, me semble-t-il, n’engendrent aucun spleen ; ils n’affectent pas l’« âme », mais seulement le corps, parfois empoissé d’humidité, saoulé de chlorophylle, ou alangui, exténué par le vent d’Espagne qui fait les Pyrénées toutes proches et violettes : sentiment ambigu, dont la fatigue a finalement quelque chose de délicieux, comme il arrive chaque fois que c’est mon corps (et non mon regard) qui est troublé.
Mon troisième Sud-Ouest est encore plus réduit : c’est la ville où j’ai passé mon enfance, puis mes vacances d’adolescent (Bayonne), c’est le village où je reviens chaque année, c’est le trajet qui unit l’une et l’autre et que j’ai parcouru tant de fois, pour aller acheter à la ville des cigares ou de la papeterie, ou à la gare chercher un ami. J’ai le choix entre plusieurs routes ; l’une, plus longue, passe par l’intérieur des terres, traverse un paysage métissé de Béarn et de Pays basque ; une autre, délicieuse route de campagne, suit la crête des coteaux qui dominent l’Adour ; de l’autre côté du fleuve, je vois un banc continu d’arbres, sombres dans le lointain : ce sont les pins des Landes ; une troisième route, toute récente (elle date de cette année), file le long de l’Adour, sur sa rive gauche : aucun intérêt, sinon la rapidité du trajet, et parfois, dans une échappée, le fleuve, très large, très doux, piqué des petites voiles blanches d’un club nautique. Mais la route que je préfère et dont je me donne souvent volontairement le plaisir, c’est celle qui suit la rive droite de l’Adour ; c’est un ancien chemin de halage, jalonné de fermes et de belles maisons. Je l’aime sans doute pour son naturel, ce dosage de noblesse et de familiarité qui est propre au Sud-Ouest ; on pourrait dire que, contrairement à sa rivale de l’autre rive, c’est encore une vraie route, non une voie fonctionnelle de communication, mais quelque chose comme une expérience complexe, où prennent place en même temps un spectacle continu (l’Adour est un très beau fleuve, méconnu), et le souvenir d’une pratique ancestrale, celle de la marche, de la pénétration lente et comme rythmée du paysage, qui prend dès lors d’autres proportions ; on rejoint ici ce qui a été dit au début, et qui est au fond le pouvoir qu’a ce pays de déjouer l’immobilité figée des cartes postales : ne cherchez pas trop à photographier : pour juger, pour aimer, il faut venir et rester, de façon à pouvoir parcourir toute la moire des lieux, des saisons, des temps, des lumières.
On me dira : vous ne parlez que du temps qu’il fait, d’impressions vaguement esthétiques, en tout cas purement subjectives. Mais les hommes, les rapports, les industries, les commerces, les problèmes ? Quoique simple résident, ne percevez-vous rien de tout cela ? — J’entre dans ces régions de la réalité à ma manière, c’est-à-dire avec mon corps ; et mon corps, c’est mon enfance, telle que l’histoire l’a faite. Cette histoire m’a donné une jeunesse provinciale, méridionale, bourgeoise. Pour moi, ces trois composantes sont indistinctes ; la bourgeoisie, c’est pour moi la province, et la province, c’est Bayonne ; la campagne (de mon enfance), c’est toujours l’arrière-pays bayonnais, réseau d’excursions, de visites et de récits. Ainsi, à l’âge où la mémoire se forme, n’ai-je pris des « grandes réalités » que la sensation qu’elles me procuraient : des odeurs, des fatigues, des sons de voix, des courses, des lumières, tout ce qui, du réel, est en quelque sorte irresponsable et n’a d’autre sens que de former plus tard le souvenir du temps perdu (tout autre fut mon enfance parisienne : pleine de difficultés matérielles, elle eut, si l’on peut dire, l’abstraction sévère de la pauvreté, et du Paris de cette époque, je n’ai guère d’« impressions »). Si je parle de ce Sud-Ouest tel que le souvenir le réfracte en moi, c’est que je crois à la formule de Joubert : « II ne faut pas s’exprimer comme on sent, mais comme on se souvient. »
Ces insignifiances sont donc comme les portes d’entrée de cette vaste région dont s’occupent le savoir sociologique et l’analyse politique. Rien, par exemple, n’a plus d’importance dans mon souvenir que les odeurs de ce quartier ancien, entre Nive et Adour, qu’on appelle le petit-Bayonne : tous les objets du petit commerce s’y mêlaient pour composer une fragrance inimitable : la corde des sandales (on ne dit pas ici des « espadrilles ») travaillée par de vieux Basques, le chocolat, l’huile espagnole, l’air confiné des boutiques obscures et des rues étroites, le papier vieilli des livres de la bibliothèque municipale, tout cela fonctionnait comme la formule chimique d’un commerce disparu (encore que ce quartier garde un peu de ce charme ancien), ou plus exactement, fonctionne aujourd’hui comme la formule de cette disparition. Par l’odeur, c’est le changement même d’un type de consommation que je saisis : les sandales (à la semelle tristement doublée de caoutchouc) ne sont plus artisanales, le chocolat et l’huile s’achètent hors la ville, dans un supermarché. Finies les odeurs, comme si, paradoxalement, les progrès de la pollution urbaine chassaient les parfums ménagers, comme si la « pureté » était une forme perfide de la pollution.
Autre induction : j’ai connu, dans mon enfance, bien des familles de la bourgeoisie bayonnaise (le Bayonne de cette époque avait quelque chose d’assez balzacien) ; j’ai connu leurs habitudes, leurs rites, leurs conversations, leur mode de vie. Cette bourgeoisie libérale était bourrée de préjugés, non de capitaux ; il y avait une sorte de distorsion entre l’idéologie de cette classe (franchement réactionnaire) et son statut économique (parfois tragique). Cette distorsion n’est jamais retenue par l’analyse sociologique ou politique, qui fonctionne comme une grosse passoire et laisse fuir les « subtilités » de la dialectique sociale. Or, ces subtilités — ou ces paradoxes de l’Histoire — , même si je ne savais pas les formuler, je les sentais : je « lisais » déjà le Sud-Ouest, je parcourais le texte qui va de la lumière d’un paysage, de la lourdeur d’une journée alanguie sous le vent d’Espagne, à tout un type de discours, social et provincial. Car « lire » un pays, c’est d’abord le percevoir selon le corps et la mémoire, selon la mémoire du corps. Je crois que c’est à ce vestibule du savoir et de l’analyse qu’est assigné l’écrivain : plus conscient que compétent, conscient des interstices mêmes de la compétence. C’est pourquoi l’enfance est la voie royale par laquelle nous connaissons le mieux un pays. Au fond, il n’est Pays que de l’enfance.
* Paru dans L’Humanité du 10 septembre 1977. Ré-édition Le Seuil.
C’est l’intime qui veut parler en moi, faire entendre son cri, face à la généralité, à la science. Le Bruissement de la langue. Essais critiques 4 par Roland Barthes.
L’époque des séjours à Urt commence dans les années 60, Henriette Barthes quitte la villa Etchetoa, à Hendaye devenue trop touristique. Elle achète la maison Carboué (la maison du charbonnier, en gascon), à Urt. A compter de 1968, Roland Barthes y séjournera tous les étés et durant les vacances scolaires, « le délice de ces matinées à U. : le soleil, la maison, les roses, le silence, la musique, le café, le travail, la quiétude insexuelle, la vacance des agressions ». Il y trouve une quiétude et une tranquillité bercées par la douce présence de sa mère, jusqu’au décès de celle-ci le 25 octobre 1977 qui bouleversera durablement le reste de la vie de son fils.
La Villa Les Sirènes à Biarritz où résida la famille Barthes au début de la Seconde Guerre mondiale. RB réformé, échappe à la mobilisation et devient professeur à Biarritz.
La villa Etchetoa à Hendaye que vendit Henriette, la mère de Roland avant de s’installer à Urt.
La maison Carboué à Urt, photo publiée par l’auteur dans Roland Barthes par Roland Barthes.
Dans la maison d’Urt, Barthes a reconstitué son espace de travail à l’identique de la rue Servandoni. II s’acclimate d’autant mieux au village qu’il s’y est fait quelques amis. Ce retour sur les terres de l’enfance le comble, pour preuve le récit qu’en fait l’écrivain Roland Barthes. Dans le texte littéraire sobrement intitulé La lumière du Sud-Ouest, Barthes laisse libre cours à ses souvenirs dans un récit intime et poétique dans lequel affleurent les émotions esthétiques, les souvenirs qui forgent le corps. Barthes s’incarne physiquement dans un paysage matriciel. Un environnement d’odeurs, de saveurs et d’accents nimbés d’une lumière lumineuse. Et là, tout d’un coup il avoue son impuissance à décrire. Lui, le sémiologue, le critique aux mots précis jusqu’à la préciosité, l’auteur au vocabulaire savant, le spécialiste de la rhétorique, écrit : Je ne trouve pas d’autre moyen que de dire : c’est une lumière lumineuse. Cette hyperbole illumine le texte, Barthes laisse place à Roland, le petit garçon qui a grandi à l’ombre de sa mère. La lumière inonde les Barthes, l’eau et la lumière, pas le soleil et la mer. Pour nommer cette différence, il agglutinera basque et latin inventant un mot capable de décrire le sentiment qu’il éprouvait, sur ce territoire, d’une existence protégée : goxokissime.
Enfant je m’étais fait une retraite à moi, cabane et belvédère, au palier supérieur d’un escalier extérieur, sur le jardin : j’y lisais, écrivais, collais des papillons, bricolais ; cela s’appelait (basque+latin) gochokissime. In « Grand fichier », 1 mai 1978.
A noter que Barthes n’utilise pas la graphie basque du mot racine goxo mais la graphie phonétique. La graphie basque permet d’identifier à l’origine du néologisme le terme goxoki, qui signifie douceur enveloppante.
Barthes était plus basque à Paris qu’à Urt. Il en a surpris plus d’un en arborant fièrement, autour du jardin du Luxembourg, son béret basque. Fabrice Luchini, raconte volontiers sa surprise lorsqu’ il avait découvert pendu à une patère, rue Servandoni, un béret. « C’est normal (d’avoir un béret), je suis Basque » lui avait expliqué Barthes.
La littérature ne permet pas de marcher, mais elle permet de respirer concède Roland Barthes dans Essais critiques -1964. Le fait littéraire permet de dispenser un souffle dans un monde asphyxié par le signifiant. Quelques sept ans auparavant, il notait à propos de la marche dans Mythologies-1957: Marcher est peut-être – mythologiquement – le geste le plus trivial, donc le plus humain. Tout rêve, toute image idéale, toute promotion sociale suppriment d’abord les jambes, que ce soit par le portrait ou par l’auto.
Dans Roland Barthes par Roland Barthes, sous le classement J’aime, nous retiendrons qu’il aime …marcher en sandales le soir sur des petites routes du Sud-Ouest, le coude de l’Adour vu de la maison du docteur L.,…. Il notera avec ironie, dans La lumière du Sud-Ouest, que les espadrilles chères aux touristes se nomment ici sandales.
A cette époque, je ne fréquentais pas souvent les rives de l’Adour et j’ignorais cette proximité géographique. Pourtant, les occasions de croiser Roland Barthes ne manquaient pourtant pas, que ce soit chez Cazenave à Bayonne devant un chocolat mousseux, devant un fronton lors d’une partie de pelote, à l’Abbaye de Bellocq pour acheter des fromages de brebis ou sur le banc face à l’Adour devant la Galupe, table qu’il appréciait. Le patron ayant reconnu le bon vivant qui savait apprécier sa cuisine et prenait plaisir à sélectionner avec lui quelques flacons de vins fins. Ou encore le croiser dans sa coccinelle rouge entre Urt et Bayonne, dans ce Sud-Ouest où il pouvait se saouler de chlorophylle.
Cazenave sous les arceaux de Bayonne, son chocolat mousseux a contribué à son succès.
L’Abbaye de Bellocq commercialise un fromage de chèvre apprécié.
Sur les rives de l’Adour, ce restaurant réputé, accueillait souvent Roland Barthes ami de Christian Parra. Ce chef étoilé, disparu en 2015, était célèbre pour ses recettes de boudin noir, de saumon de l’Adour et de ventrèche de thon.
Mettre nos pas dans le sillage des roues de l’auto de Roland Barthes pour effectuer son trajet préféré entre Urt et Bayonne, c’est parcourir dans un temps long un parcours effectué par l’auteur au volant de sa décapotable, les cheveux au vent quand le temps le permettait.
Il achète au début des années 1960 une Volkswagen, il sera propriétaire d’une Coccinelle décapotable de couleur rouge. Il aimait conduire. S’il descendait de Paris à Urt, comme on dit dans le Sud-Ouest, à l’époque le voyage nécessitait une douzaine d’heures. Il descendait très souvent en auto, puis la fatigue et son emploi du temps lui firent préférer le train ou l’avion. Il laissa l’auto à Urt pour ses périples au Pays Basque, sur les deux versants des Pyrénées.
Roland Barthes avait le choix entre trois itinéraires pour rejoindre la maison Carboué à Urt depuis Bayonne. Deux longent l’Adour, chacun par une rive, le troisième passe par les hauteurs loin du fleuve. Dans le texte La lumière du Sud-Ouest, RB précise son choix «Mais la route que je préfère et dont je me donne souvent volontairement le plaisir, c’est celle qui suit la rive droite de l’Adour ; c’est un ancien chemin de halage, jalonné de fermes et de belles maisons. Je l’aime sans doute pour son naturel, ce dosage de noblesse et de familiarité qui est propre au Sud-Ouest ; on pourrait dire que, contrairement à sa rivale de l’autre rive, c’est encore une vraie route, non une voie fonctionnelle de communication, mais quelque chose comme une expérience complexe, où prennent place en même temps un spectacle continu (l’Adour est un très beau fleuve, méconnu), et le souvenir d’une pratique ancestrale, celle de la marche, de la pénétration lente et comme rythmée du paysage, qui prend dès lors d’autres proportions ; on rejoint ici ce qui a été dit au début, et qui est au fond le pouvoir qu’a ce pays de déjouer l’immobilité figée des cartes postales : ne cherchez pas trop à photographier : pour juger, pour aimer, il faut venir et rester, de façon à pouvoir parcourir toute la moire des lieux, des saisons, des temps, des lumières. ». Dans l’ouvrage de référence écrit par Tiphaine Samoyault (1), celle-ci se trompe de route en s’engageant sur la départementale 261, alors que Roland Barthes indique clairement préférer la départementale 74 sur la rive droite, chemin jalonné de fermes et de belles maisons qui lui apparaît, comme il l’écrit dans La lumière du Sud-Ouest : une expérience complexe. Ce sera donc sur la route des Barthes que nous marcherons, pour une pénétration lente et comme rythmée du paysage, qui prend dès lors d’autres proportions.
L’homonymie est-elle un indice justifiant le choix ou une affinité élective qui ne manque pas d’interpeller?
Roland Barthes étudia, lors d’un séminaire sur le « Vivre ensemble au Collège de France » en 1976, la capacité des sociétés humaines à inventer des noms propres et forgea à cette occasion un néologisme : « l’onomatogénèse » (la création de nom, du grec onoma). Il ouvre ainsi une perspective vers une ethnologie historique ; puisque des noms de famille sont des noms de lieux ou des surnoms. On se souviendra qu’il a développé une étude onomastique dans le Degré zéro de l’écriture, Barthes y prend son nom comme exemple : une barthe, dans une langue celto-ibère, est une prairie périodiquement inondée. Barthes se souvient aussi avoir vu, enfant, dans un journal local, un article sur « La grande misère des barthes », relatant les désordres occasionnés par la trop faible ou trop forte montée des eaux. Mais, la route des Barthes, qu’il parcourt, longe un fleuve mieux maîtrisé même si le risque persiste. J’entre dans ces régions de la réalité à ma manière, c’est-à-dire avec mon corps ; et mon corps, c’est mon enfance… la campagne (de mon enfance), c’est toujours l’arrière l’arrière-pays bayonnais, réseau d’excursions, de visites et de récits.
Le couple St Barthélémy-Barthes fonctionne sur une racine commune [Barthe], mais l’association géographique des deux toponymes n’est pas unique puisqu’elle se redouble dans l’arc antillais l’île et l’archipel associés : Saint Barthelemy / St Barth. L’apocope de Barthélémy ayant donné le nom familier utilisé par les îliens.
La Barthe, désigne des terres inondables de la vallée de l’Adour. L’Office de tourisme des Landes explique : « façonnées par les crues millénaires de l’Adour, les Barthes, mi-eau, mi-terre, représentent un milieu original d’une très grande richesse ». La route longe une digue-talus la protégeant, ainsi que les terres alentour des inondations dues à la montée des eaux principalement quand les marées d’équinoxe se conjuguent avec la fonte des neiges. Moment critique durant lequel l’Adour voit son débit et son niveau augmenter. De la route en voiture, le fleuve n’est visible que dans les intervalles laissés dans la digue pour des appontements ou depuis les ponts qui jalonnent la route pour enjamber les esteys.
Les aménagements hydrauliques des barthes ont été réalisés au XVIIème siècle par des ingénieurs hollandais. Les eaux du coteau et les esteys sont canalisées par des canaux de traverse vers l’Adour. Le mot gascon estey désigne des cours d’eau à sec lors de la marée basse. Sur l’Adour, les plus hautes marées se font sentir jusqu’à Dax, à soixante kilomètres de l’embouchure, aussi les esteys sont équipés à leur débouché de portes à flots ou à clapets, laissant s’écouler les eaux vers le fleuve, mais se refermant à marée montante. Hors des saisons de hautes eaux, l’Adour s’écoule lentement presque au niveau de la route. Le flot changeant de direction avec les marées, à marée descendante le fleuve charrie vers l’océan les débris forestiers de ses rives pyrénéennes. Entre Bayonne et Urt deux îles, sur l’une d’elles, l’île de Berens, une demeure et sa chapelle bordées de grands arbres. La route suit les méandres de l’Adour, la bâti ancien empiète sur la chaussée contraignant la route à éviter les coins des fermes dont les plus anciennes dates du XVIIIème siècle, mais aussi de belles propriétés, dont le château de Montpellier, une maison de style espagnol, des maisons de maître accompagnées de leur corps de ferme alternent avec des prairies inondables. Ce bâti a du cachet et l’on comprend que Roland Barthes préfère cette rive à la rive gauche plus efficace pour relier Bayonne, mais dont les abords présentent moins d’attrait.
Roland Barthes avait confié lors d’une interview sur France Culture qu’il n’aimait pas trop marcher. La découverte pédestre de son parcours automobile préféré pour joindre Bayonne à Urt favorise une revue détaillée de l’environnement, mais aussi un point de vue à hauteur d’homme. Assis en auto, même décapotable le regard butte sur les haies et la digue ne livrent que de fugitives lignes de fuite.
La distinction entre paysages habitables et paysages visitables catégorise les paysages dont la distinction tient à la qualité de la lumière-espace qui dispense une qualité éminemment habitableà la terre qui acquiert ainsi le pouvoir de déjouer l’immobilité figée des cartes postales. Ce trajet des Barthes fait figure de modèle de paysage habitable, pourtant quelques années plus tard dans La Chambre Claire, l’auteur revient sur sa définition du paysage habitable en prenant pour exemple une photo de l’Alhambra. Réalisée par Charles Clifford dans les années 1850, cette image n’est pas sans évoquer la Villa Saint-Jean sur les bords de l’Adour, dont le souvenir du style hispanisant marqué pourrait avoir orienté le choix de Roland Barthes. D’autant que la légende « C’est là que je voudrais vivre… » est interrogée par le texte ci-dessous :
« Pour moi, les photographies de paysages (urbains ou campagnards) doivent être habitables, et non visitables. Ce désir d’habitation, si je l’observe bien en moi-même n’est ni onirique (je ne rêve pas d’un site extravagant) ni empirique ; il est fantasmatique, relève d’un sorte de voyance qui semble me porter en avant dans un temps utopique, ou me reporter en arrière, je ne sais où de moi-même (…) »… » La Chambre Claire- 1980- p.66-68
La tentation est grande de localiser ce je ne sais où de moi-même comme une réminiscence des bords de l’Adour. Et j’y succombe.
La Villa Saint-Jean, sur la D74
Quand il rentrait en fin d’après-midi à Urt, par la Départementale 74, il pouvait lire sur le cadran solaire de la Villa St-Jean : « Je ne marque que les beaux soirs ». Le cadran solaire ne peut marquer les heures de fin de journée que si le soleil brille assez tard dans la soirée. L’évidence poétique de cette assertion ne résume pas le sens littéral de ce tracé par la lumière, qui à l’instar des racines grecques du mot photographie « peindre avec la lumière » décrit un état naturel de la photo, inscription instantanée, sans mémoire. Dans ce contexte seul les « beaux » instants sont marqués, sans la lumière la marque n’apparaît pas, le « beau » fonctionne ici comme condition de la marque, du tracé. Ce « beau » météorologique peut aussi marquer un point final, le beau soir de la vie. Cet aphorisme éclaire d’une lumière particulière ce parcours qui lui est dédié.
La villa et son cadran solaire éléments remarquables de ce parcours n’ont pu échapper à Roland Barthes malgré l’attention que requiert, à cet endroit, la route qui s’enlace sur l’angle de la villa, avant de filer vers le fronton de St Barthélémy, daté 1951 et orné d’un blason. Encore une image, sans texte, un tracé au trait figurant son propre décor.
Le fronton, support du blason dessiné y figurant, cette mise en abyme condense les éléments constitutifs du paysage dans lequel il s’inscrit : le fleuve, les roseaux, un arbre et l’église de St Barthélémy que l’on découvre plus loin perchée sur une butte.
Il ne s’agit pas d’un sentier pédestre mais bien d’une route, parfois bordée de platanes taillés suivants des règles variées qui donnent aux troncs des allures surprenantes, drôles ou inquiétantes. Le platane, repère identitaire des barthes de l’Adour, dispense non seulement son ombrage en été, mais il fournit son bois aux riverains. Ces platanes aux troncs tourmentés portent les marques des tailles répétées tout au long de leur croissance. Cette pratique, appelée trogne, consiste à couper le tronc ou les branches maîtresses à un niveau plus ou moins élevé, ce qui provoque un renflement au sommet du tronc qui supporte un taillis de branches. La trogne permet d’assurer une production de bois régulière pour le chauffage ou la construction sans détruire l’arbre. La drôle de trogne des platanes porte le nom de abarburu au pays basque.
Le pont d’Urt, construction Eiffel, enjambe l’Adour. Premier pont depuis Bayonne, le suivant se situe à Peyrehorade à vingt kilomètres en amont. De ce pont doté d’un passage piéton, en aval du tablier et isolé de la chaussée, le marcheur découvre l’Adour dans toute sa largeur et le village d’Urt perché sur sa colline. La petite gare, le passage à niveau, la rive droite à hauteur de St Laurent-de-Gosse, l’Aran petit affluent qui jouxte l’Adour d’un côté ; le restaurant la Galupe et le Château de Montpellier en aval composent ce paysage que l’on découvre en montant par le sentier qui, après une volée de marches, débouche sur la place d’Urt.
Château de Montpellier vue du pont
propriété Lartigue
(1) Roland Barthes, Tiphaine Samoyault.- éd. Seuil-2015
De 1972 à 1973, devant des étudiants curieux, intervenaient successivement à l’université de Bordeaux III Julia Kristeva, Philippe Sollers et Roland Barthes. Nous étions quelques étudiants en Lettres Modernes entassés dans une salle de cours.
Alors que je travaillais à la librairie La Hune à la fin des années 70, sous la responsabilité de Jacques Bertoin, Roland Barthes passait souvent en voisin. Ne racontait-on pas à l’époque que la librairie était là pour permettre aux clients de choisir entre le Flore et les Deux Magots, lui avait choisi Le Flore. Ce jour-là Barthes cherchait un exemplaire de La Chartreuse de Parme. En édition de poche, précise-t-il, c’est pour travailler.
Il en avait besoin m’explique-t-il pour préparer une conférence qu’il devait donner à Milan la semaine suivante. Il s’agissait comme je l’apprendrai plus tard d’une intervention sur Stendhal et l’Italie qu’il avait intitulée « On échoue toujours à̀ parler de ce qu’on aime ».
Puis, nous avons échangé à propos de la photo. La Chambre Claire venait de paraître suscitant débats et polémiques. L’ouvrage marquait un tournant dans le monde de la photo, il succédait à la publication en français de Sur la photographie (1) ; six essais, écrits entre 1973 et 1977 par Susan Sontag, amie de Roland Barthes. Notre échange se prolongeait, des clients nous interrompaient, d’autres manifestaient leur impatience. Alors, il m’a suggéré un rendez-vous le lundi 25. Nous avons convenu qu’il me rejoindrait à la librairie, à la fin de mon service, pour poursuivre nos échanges autour d’une table.
Je passais un week-end dans l’impatience de cette rencontre proposée avec cette délicate amabilité dont il savait faire preuve.
J’ai attendu en vain. Roland Barthes n’est jamais venu. Je n’ai appris que le mardi qu’il avait été hospitalisé suite à un accident dont les conséquences devaient lui coûter la vie un mois plus tard.
Il sera enterré au cimetière d’Urt avec Henriette, sa mère bien aimée
« Là-bas, je ne me rappelle que la pluie battante, folle, violente, et le vent glacé qui nous enveloppa, resserrés comme une petite troupe aux abois, et le spectacle immémorial du cercueil qu’on descendait dans la fosse.» se souviendra son ami Éric Marty
Ma mère est décédée dans une maison de retraite d’Urt le 27 mars 2012. Barthes s’est éteint le 26 mars 1980, il sera inhumé quelques jours plus tard.
Coïncidences et hasards de la vie. Marcher sur cette route aimée par Barthes, s’immerger dans son paysage, partager ses points de vue, regarder à travers ses descriptions et ses sensations, autant de raisons pour métamorphoser ce parcours en pèlerinage. De l’enfance au cimetière, un chemin de vie en quelques kilomètres pour éprouver de tout son être qu’Au fond,il n’est de Pays que de l’enfance.
Note :
(1) Sur la photographie, Susan Sontag.- éd. Seuil-Fiction & Cie-1979
« Marcher est peut-être – mythologiquement – le geste le plus trivial, donc le plus humain », écrivait Roland Barthes.
Le bâton-mémoire se fait ici portrait d’un homme avec des évocations territoriales : le maïs des Landes, les couleurs du drapeau basque. Le sigle stylisé de la marque de son auto, réminiscence des Mythologies. La bière espagnole pour les escapades au-delà des Pyrénées. Le damier livré à notre imagination s’enroule autour d’un portrait de l’auteur adolescent.
Paysage de rien, ou de peu, la promenade préférée de Roland Barthes ressemble à un chemin de croix dont on aurait enlevé les stations et dont il ne resterait que la trace de l’ombre sur les murs. Territoire vide et vaguement mélancolique au premier abord, les prairies se suivent et se ressemblent, uniformes, sans aspérités, désespérément plates et sans relief, bordées par le fleuve et sa platitude tranquille dont l’eau s’écoule ou, première surprise, parfois remonte avec la marée. L’Adour est un petit Danube dont le flot s’inverse tranquillement et ce phénomène se perçoit difficilement selon la marée, le vent, la saison, la lumière, bref demande du temps, de l’observation et une attention flottante suffisamment forte pour déceler le décalage du cours qui remonte la pente naturelle au lieu de la descendre, légère bizarrerie dans le paysage.
Succession morne des étendues herbeuses, quelques reliefs au loin dans les forêts dispersées, un air de Sibérie au printemps, de l’eau partout, sous jacente, dont le bruit ne quitte jamais le visiteur, réseau de canaux anciens qui drainent sans cesse un envahissement régulier. La terre n’est pas vraiment la terre ici, elle ne sert qu’à écouler de l’eau, souvent en surnombre, le territoire est transitoire, en attente d’une arrivée toujours imprévue, comme un membre de la famille qui débarque toujours à l’improviste et du coup tombe parfois au mauvais moment, invité non-désiré mais dont on garde la chambre prête parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver, la neige peut fondre, la pluie tomber, le fleuve gonfler et l’invitée se répandre dans ce territoire toujours prêt à absorber un surplus, territoire toujours recommencé, réinventé, à la végétation rapide et envahissante.
Dénuement spectaculaire où justement le moindre signe prend un éclat sans précédent, dans cette absence de choses le vide devient un écrin pour le petit, l’insignifiant que l’on ne regarde plus, l’inaperçu permanent, le détour dans le rien devient un éclat perçant pour les petites choses, les petits signes que nous adresse la réalité, le territoire devient une forme de méditation pour sémiologue stressé et occupé de millions de sollicitations visuelles, d’analyses mythologiques et de chambres claires. Le dénuement est reposant, paisible, toujours disponible, machine à laver permanente et bienveillante, passer dans ce territoire c’est remettre les compteurs à zéro, se débarrasser du superflu, de la profusion et de l’inutilement présent à l’esprit, et s’offrir quelques instants d’éternité au passage.
La ponctuation, le « punctum » prend ici tout son sens, le chemin est jalonné de petits points au reliefs forts et délicats, très marqués, presque trop présents et qui viennent rompre une tranquillité visuelle charmante aux douces tonalités exotiques ou campagnardes. Un vrai repos du guerrier après la bataille perpétuelle de la surcharge, du baroque des paysages urbains modernistes. Enfin il ne se passe plus rien, juste une circulation dans un espace en creux, un entre-deux solitaire où rien ne distrait, rien ne perturbe, sauf la courbe d’un arbre, d’un roseau, les légères inflexions de la route ou la tache de couleur de quelques marguerites.
Le temps aussi s’y est arrêté dans un style désuet, daté, propret, un petit monde de nains de jardins sympathiques où s’empilent les références, longuement accumulées au milieu de cette sorte de grenier stylistique, du vintage férocement brutalise à l’hacienda mexicaine, le tout enchâssé dans le fameux décor rural à la vibration bordélique, plein de machines, de poules et d’animaux, de déchets divers éparpillés selon une logique obscure mais persistante. De même que le fleuve inverse son cours selon les caprices des marées, le temps lui même par endroits se contracte et offre de splendides raccourcis, de belles coincidences dans un joyeux n’importe quoi, surprise toujours renouvelée du parcours.
Le seul signe religieux de cette promenade se dresse avec élégance au milieu du parcours, reprenant la forme baroque de la figure de Dieu, sans les ornements, sans la préciosité, sans l’ostentation des ors de l’église, sans le cadre sacralisant, toujours le dénuement, simple rupture visuelle entre le plat et le vertical, ornée malgré tout d’une fine dentelle de grillage, vague réminiscence respectueuse, sur laquelle viennent se fracasser les balles du jeu collectif de la région. L’adresse a remplacé la dévotion mais sert toujours de ciment communautaire, nouvelle religion païenne partagée avec l’ancienne, égalité du fronton et de l’église.
Paysage squelettique dans lequel peut se déployer sans frein, sans obstacle et sans distraction, la fameuse lumière du sud-ouest si chère à Roland Barthes, qui envahit, jour après jour, ce territoire incertain. Paysage dont la seule fonction est de porter la lumière du ciel, de recevoir ses rayons et vibrer dans le dénuement des courtes oscillations de la couleur, miroir sans tain sur la beauté de la terre et des marécages, des nuages et du vide.
Un an après la première édition, nous avons repris le parcours Pantin-Le Bourget. En effet, dès la mise en place de Hors circuits, nous avions envisagé de suivre les évolutions de son environnement.Une marche permet de découvrir un état du parcours figé à l’instant du passage, remettre ses pas dans les pas de l’année précédente révèle les mutations infimes ou massives d’un environnement en continuelle évolution.
Jacques Clayssen, relevé des observations notées en septembre 2015
De la gentrification de Pantin aux évolutions du site aéroportuaire du Bourget, en passant par les constructions, réhabilitations , aménagements et dégradations de l’espace public, nous découvrons comment la nature estompe les entraves à l’implantation des populations précaires, comment des espaces occupés par des bidonvilles sont aujourd’hui rendus inaccessibles après avoir été vidé de leurs habitants.
Des immeubles aux façades miroitantes se dressent en lieu et place de pavillons, un hyper O’Marché frais ouvre sur 4800 m² à la Courneuve, il occupe le rez-de-chaussée d’un parking de 750 places sur 3 niveaux. Ces façades équipées de gigantesques panneaux lumineux affichent des prix compétitifs en continu.
Les empierrements se sont incrustés dans le sol et les herbes folles masquent les fossés de défense, la tour de l’Etoile est en cours de réhabilitation de même que des bâtiments de la cité. Le stade a bénéficié d’une réfection des bâtiments japonisants et des courts de tennis ont été restaurés. Le jardin des Vertus exposent sa luxuriance et le temple de Shivan est en travaux d’agrandissement. Les changements ont des rythmes différents suivants les communes et le type de zone traversé. Dans l’ensemble, les espaces ont été nettoyés, dans tous les sens du terme. Rendez-vous dans un an pour la suite.
Retour à Pantin par Patrick Laforet
Retrouvailles avec un vieil ami : le parcours Hors-Circuits, anniversaire sans bougies mais avec émotion. Rien ne change sauf de micro-variations : la ville se construit, les légumes poussent et meurent dans les jardins ouvriers, les tags se délitent doucement pour accéder au statut de fresque primitive, la pluie érode lentement le béton abandonné, quelques fleurs de plastique rythment la vie des autoroutes et ses drames invisibles, le paysage reste triste, tout va bien, pas de surprises, à l’année prochaine.
Une table ronde animée par Sabine Chardonnet-Darmaillacq, architecte DPLG, docteur en urbanisme et enseignant-chercheur à l‘Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, impliquée dans de nombreuses recherches-actions sur la marche, réunissait le 12 septembre au MacVal les participants autour du thème « La marche comme nouvelle forme d’exploration des territoires ».
Comme annoncé, nous proposons le premier circuit anniversaire de « Hors- circuits ».Mais la météo nous a obligé à annuler le parcours du Dimanche 13 septembre à 14h
La singularité de ce walkscape réside dans deux facteurs dérogeant aux règles habituelles de cette pratique artistique. Sachant que le walkscape est défini par le groupe Stalker comme « … une affaire de marche, de promenade, de flânerie, conçues comme une architecturation du paysage. La promenade comme forme artistique autonome, comme acte primaire dans la transformation symbolique du territoire, comme instrument esthétique de connaissance et transformation physique de l’espace ‘négocié’, convertie en intervention urbaine. »
En effet, le lieu proposé, la voie sous le tablier du pont de la Nationale 113 sur le Rhône, présente la particularité d’être une voie pédestre et cyclable dans un caisson de béton éclairé par une grille zénithale située entre les 2 x 2 voies de la circulation des véhicules sur le tablier du pont. Cette construction est décrite dans les études comme un passage intérieur construit sous les chaussées principales. Nous y proposons un parcours partant du chantier de la Fondation Luma, jusqu’au passage inférieur du pont Ballarin, se poursuivant par une boucle effectuée sur l’autre rive avant de repartir à travers la friche industrielle SNCF vers le pont de la D35A pour regagner le centre-ville et la fameuse place du Forum.
Les véhicules motorisés bénéficient d’une circulation à l’air libre ; avec vue sur le fleuve, alors que les adeptes de la marche et du vélo sont relégués dans un caisson de béton. Ce parcours aérien sous la chaussée met l’utilisateur dans une situation d’enfermement. Seule la grille zénithale offre une échappée du regard vers le ciel. Les vues latérales sur le fleuve sont occultées sur toute la longueur du passage. Ce dispositif inscrit le projet de walkscape dans un environnement singulier qui rend le passant invisible dans un paysage occulté. Il faut ici prendre en considération ces caractéristiques du parcours, pour comprendre l’intérêt de ce lieu.
L’invisibilité du lieu lui-même est vérifiable par une simple requête image sur un moteur de recherche. Même Google ne retourne qu’une occurrence, avec une vue prise par un cyclo-touriste. Cette absence d’image confirme une négation du lieu dont l’enfermement impose son inexistence visuelle. Un lieu quasiment sans représentation, un parcours occultant la vue. Sur la base de ces deux spécificités le walkscape trouve un terrain d’exploration inattendu, dont l’étude devrait soulever des questionnements atypiques.
Photos : Patrick Laforet/ Texte : Jacques Clayssen
Temps de parcours : environ 1h30 Niveau : trajet facile, pas de difficulté
Le parcours commence sur l’avenue Victor Hugo au niveau de la brasserie Les Ateliers, prendre le chemin du Dr Zamenoff et suivre la voie ferrée désaffectée en longeant le chemin Marcel Sembat. Poursuivre jusqu’à l’autoroute, passer sur le pont et prendre à droite la rue Jean Charcot en longeant le canal. Au bout de cette rue, passer sous la D35 et traverser le terrain vague, ensuite remonter par l’Allée de la Nouvelle Ecluse. Prendre ensuite à droite l’allée de la 1ere Division Française Libre, passer devant le Musée Départemental Arles Antique et continuer dans l’avenue Jean Monnet. Arrivée au pont Ballarin, passer dessous et remonter par l’escalier et entrer dans le pont. Une fois la traversée terminée, à la sortie prendre l’escalier à droite, descendre et traverser la route, entrer dans la friche SNCF. La traverser et suivre le quai Trinquetaille. Remonter sur le pont de la D35A, traverser et suivre l’avenue du Maréchal Leclerc, à gauche suivre la rue de la République et dépasser la mairie par la droite, à gauche suivre le Plan de la Cour et à droite dans la rue du Palais, et voilà la Place du Forum, vous êtes arrivés.
Un parcours simple et facile, d’environ une heure et demie, qui part de la Fondation Luma, descend le long de la voie ferrée désaffectée, passe au-dessus de l’autoroute et ensuite longe les rives du canal jusqu’au pont Ballarin. Là un escalier ou une rampe d’accès vous mèneront dans cet univers indescriptible des dessous de la circulation routière pour atteindre l’autre rive. En traversant la friche industrielle sur la droite du pont vous rejoindrez la D35A et remonterez dans la ville pour rejoindre la mairie, que vous dépasserez sur la droite pour arriver à la fameuse Place du Forum, lieu de tous les débats, rendez-vous, tractations et cafés pour vous rafraîchir.
PREMIERE PARTIE De la Fondation au Pont Ballarin
DEUXIEME PARTIE La traversée du Pont Ballarin
TROISIEME PARTIE Du Pont Ballarin à la Place du Forum
Photographier une traversée invisible n’est pas chose courante, essai photographique évolutif aujourd’hui centré sur le pont, son dénuement et la rusticité des lumières qui le ponctuent, entre le clair-obscur et la manière noire en gravure.
Le pays des rencontres
Une pincée de pastis parce que le soleil y coule à flots et un coquillage parce que la mer est sa campagne, une pellicule bien sûr parce que l’argentique y fut roi consacré, des toros, du rouge, du sang, du noir pour le cuir luisant dans l’arène, Lénine parce que c’est un bastion rouge, une besace contenant un « espion », un des premiers appareils numérique vendu dans les tabacs comme un gadget portant la révolution digitale, une carte mémoire car il ne faut rien oublier, la mort est présente dans ce pays dur et austère, froid comme du métal malgré la chaleur des étés, et un tapis rouge, ou presque, car tous les festivals ont leur tapis précieux, leurs gloires et leurs stars, tout cela sur une canne, végétal emblématique du sud, des rizières et des canaux, des zones humides et de leurs recoins sombres.
En écho aux paysages de la côte aquitaine, les textes de Henry D. Thoreau et le film de Sean Penn, Into the Wild, se sont imposés à nous, modifiant notre appréhension de cet environnement support d’images mais aussi de mode de vie. Des espaces où la liberté trouve son sens.
Un horizon lointain, des points de vue s’estompant sous les effets des vents de sable, des embruns ou de l’air brûlant de l’été, des mirages, une bande-son composée par le vent, les vagues, les mouettes et les cris des baigneurs.
Dans ce milieu naturel à la lisière de la terre et de la mer, sur ces plages estivales où éclosent les amours de vacances, comment ne pas aussi se remémorer des travaux de Paul-Armand Gette, artiste des zones fragiles, à la limite de la décence et de l’indécence, aux confins de l’Art, de la Science et des évolutions adolescentes. Ce wildscape trouve son origine dans le goût partagé par les auteurs pour la côte landaise, avec ses vagues puissantes, ses baïnes dangereuses et ses dunes soumises à des phénomènes météos violents qui modifient la configuration du littoral au gré des tempêtes et des grandes marées.
De longue date nos séjours sur le littoral aquitain nous ont permis de parcourir les plages en toutes saisons et par tous les temps.
Situation
Pour ce wildscape, nous avons retenu un parcours situé entre Capbreton et Labenne, précisément sur le site dit de la Pointe bordé à l’ouest par l’Océan Atlantique et à l’est par la rivière « le Boudigau ». Ce site présente la caractéristique unique de regrouper tous les milieux littoraux caractéristiques de la côte sableuse aquitaine : une forêt de protection, transition entre la forêt littorale et le massif dunaire. Ce massif étant lui-même composé d’une dune blanche et d’une dune grise.
Côte Aquitaine, sur les communes de Capbreton et de Labenne.
Parcours : 7,95km Temps de parcours : 3h48mn
Nombre de pas : 12 691
Rien ne remplace l’expérience sensible. Ce parcours vous prendra quelques heures de marche et vous mènera de la forêt landaise au bord de l’océan, puis vous ramènera à votre point de départ par une autre partie de la forêt. Ce site particulier est en fait un voyage dans le temps qui vous fera découvrir les diverses couches de cette « fausse nature » inventée et construite par l’homme.
Quelques conseils pratiques : en été il peut faire très chaud, donc emmenez de l’eau et protégez vous du soleil, les demi-saisons sont parfois pluvieuses, voire très pluvieuses, et en hiver les tempêtes peuvent être violentes, donc renseignez vous avant de partir. Pour la partie plage, selon les coefficients de marée, la force du vent, la mer peut remonter jusqu’au bord des dunes et vous barrer le passage, là encore prévoyez votre timing. Sur la plage, si vous n’êtes pas familier des vagues landaises et de leur force sournoise, ne vous baignez pas, les courants sont traîtres et puissants malgré un aspect paisible et la plage est sauvage, c’est à dire non-surveillée.
Première partie
La forêt
C’est la première zone tampon entre la partie aménagée de la côte et la rudesse de l’océan. Il y fait frais en été, les sentiers sont entretenus et balisés, le sol est un mélange de sable et de terre et selon les saisons quelques belles fleurs s’épanouissent.
Deuxième partie
Les dunes
Deuxième zone tampon, qui protège la forêt qui protège la campagne. La végétation disparaît, sous la force du vent et la sécheresse. La première partie de la dune est en pente et se termine de manière abrupte sur la plage. La plante emblématique de la dune est l’oyat.
Troisième partie
La plage
La frontière entre l’océan et la terre est ventée, large, couverte de déchets, organiques ou industriels, les surfeurs y construisent des cabanes avec les bois flottés, la croustille est tentante (voir article connexe). Les célèbres vagues de la côte landaise sont là, parfois gigantesques et impressionnantes, toujours splendides et dangereuses. C’est ici, au croisement de la dune et de la plage que se situe notre petit mémorial sauvage.
Quatrième partie
Rond-point du retour
Petit passage par la civilisation, en été poste de secours et bistroquets et point d’eau. Vous longerez quelques bâtiments anciens et abandonnés, mais gardés, attention aux youkis aboyeurs, avant de replonger dans la forêt.
Cinqième partie
Le bayou
Au retour vous longerez pendant un moment le petit cours d’eau « le boudigau » qui à la saison des pluies a tendance à déborder de son lit et transforme la forêt en une sorte de bayou chaotique.
Voilà, c’est fini, vous avez normalement perdu environ 350 calories et parcouru un paysage unique, voyagé dans le temps, ramassé de splendides déchets plastiques sur la plage dont vous ferez de splendides bracelets en souvenir de ce WildScape.
Ce sera dans les œuvres de Paul-Armand Gette que ce wildscape trouvera ses sources artistiques. En effet, la plage, la lisière et la végétation sont avec les petites filles les thèmes de l’œuvre singulière de Paul-Armand Gette, artiste contemporain né en 1927 qui reste un explorateur de l’équivoque et de l’ambiguïté par son activité maintenue à la lisière des domaines scientifiques et artistiques. Mais aussi à la lisière des genres et des techniques mises en oeuvre et des lieux investigués. En entretenant une polysémie dans les explications et les spécialisations des savoirs, il place la lisière comme lieu privilégié d’émancipation et de création, ce qui est a priori paradoxal.
Approche descriptive d’une plage exposée au Centre Culturel Suédois en 1972 est une mise en scène soumise à des codes et des méthodes scientifiques, selon le regard porté par l’artiste Paul-Armand Gette sur le paysage littoral. Plutôt qu’au paysage lui-même, ce sont les diverses manières de le représenter qui intéressent l’artiste. La plage a été l’un de ses lieux privilégiés car elle décrit une zone intermédiaire, un entre-deux, entre l’étendue de la lisière maritime et le commencement d’un paysage aménagé. Le concept de lisière, thématique majeure de l’œuvre de Paul-Armand Gette, trouve dans cette géographie une illustration adéquate.
La végétation de la côte landaise s’inscrit dans la nomenclature binominale établie par Carl Von Linné. L’artiste Paul-Armand Gette réalise le 29 novembre 1975, à l’Université Paris 10 une lecture-performance La nomenclature binaire-Hommage à Carl von Linné. Durant cette lecture-performance d’une liste de 5 945 noms de plantes à fleurs, extraits du Species Plantarum (1753) du botaniste suédois. De 8h à 18h Paul-Armand Gette a lu sans discontinuer les noms des plantes. La liste devient de fait un dispositif d’exposition, au sein de l’Université, en un hommage au scientifique botaniste Linné.
En 1976, à l’occasion de l’exposition Identité/Identifications au CAPC de Bordeaux, Jean-Paul Gette répondait à ma question : Dans ce travail (la Plage) vous mettez en évidence des végétaux et des animaux que le public peut voir, mais ne sait, généralement pas nommer. Vous touchez là à une particularité de mon travail qui peut être particulièrement irritante pour le public. Je tiens à désamorcer tout de suite cette irritation, la nomination d’éléments figurant sur une photographie, toujours lisible bien que peu soucieuse de perfection technique, cherche à créer un décalage, à faire varier l’angle de vision habituel. Dans le cas de mon travail intitulé La plage, le nom de la plage est mentionné et c’est d’une plage particulière qu’il s’agit, mais le public projette sa propre vision de la plage ou des plages qu’il connait sur l’image présentée et synthétise. L’image fonctionne comme support du fait que j’élimine le pittoresque. De toute façon le public ne lit pas dans le détail ; la précision crée un flou. Je pense et j’espère qu’il en est ainsi que le spectateur se trouve tout à fait libre de superposer sa vision à la mienne.
Lisières. A la traditionnelle lisière forestière s’ajoute la lisière maritime, frontière entre la mer et le sable. A la lisière mouvante de la mer, l’estran présente un sable variant de sec à trempé suivant les heures des marées. Lisière confuse parfois ourlée d’une écume abondante. Le sac et le ressac incessant des vagues gomme toutes les traces et empreintes et détruit les châteaux de sable construits sur l’estran.
Sols. Une marche de la forêt à la mer offre des sensations variées. En forêt le sentier reste ferme sous le pied, mais un écart dans le sous-bois et le pied comme sur un tapis éprouve une sensation de moelleux. Le sol sablonneux couvert de fougères et d’aiguilles de pins est aéré par cette végétation. Au sortir de la forêt, la lette, cette dune grise composée de sable, d’humus et d’un tissu végétal ras et rare reste ferme sous le pied jusqu’à la dune où le pied s’enfonce dans le sable sec aux grains très fins. Sur la plage les grains de sable évoluent parfois jusqu’à devenir des graviers. Suivant son degré d’imprégnation d’eau de mer, le pied s’enfonce plus ou moins et la résistance spongieuse du sable mouillé rend l’effort de marche plus intense.
Végétaux. De la lande à la mer, du vertical à l’horizontal, la végétation construit des perspectives. Ces paysages plantés superposent différentes strates témoignant du travail des hommes. Combat contre l’érosion éolienne toujours recommencé. Modifications des sites historiques par des plantations visant à assainir, à drainer, à fixer.
La dune : gourbet (Oyat), chiendent des sables (Agropyron), euphorbe maritime (Euphorbia paralias L.), panicaut de mer (Eryngium maritimum), liseron des sables (Calystegia soldanella), épervière laineuse (Hieracium lanatum), astragale de Bayonne (Stragalus boeticus L.), silène de Thore (Equisetopsida Caryophyllales), diotis maritime (Equisetopsida Asterales), carex des sables (Carex arenaria), oeillet des dunes (Dianthus gallicus), immortelle des dunes (Helichrysum stoechas), alysson des sables (Alyssum loiseleurii)… La forêt et la forêt galerie : chêne-liège (Quercus suber L.), pin maritime (Pinus pinaster),aulnes (Alnus), chêne pédonculé (Quercus robur), chêne tauzin (Quercus pyrenaica), hêtre (Fagus sylvatica), robinier (Robinia pseudoacacia), noisetier (Corylus L.), aubépine (Crataegus). Sur les rives : fougère (Filicophyta), iris des marais (Iris pseudacorus), scolopendre (Asplenium scolopendrium var. scolopendrium), hépatique (Hepatica triloba), … Les bruyères : bruyère callune (Calluna vulgaris), bruyère cendrée (Erica cinerea), hélianthème à gouttes (Tuberaria guttata), hélianthème faux alysson (Cistus lasianthus), ajonc d’Europe (Ulex europaeus), genêt à balai (Cytisus scoparius), … Les parasites : processionnaire du pin (Thaumetopoea pityocampa), apocrite (Apocrita), …
La coustille est une coutume ancienne toujours pratiquée par les nostalgiques et les artistes de tout bord qui redonnent vie aux bois flottés et aux objets plastiques détournés de leur état de rebus. Cette tradition perdure, il n’est pas rare de croiser des personnes charriant des sacs remplis de bois ou de déchets divers. Après les marées on peut observer des habitués marchant tête baissée en quête de merveilles, promenades intéressées, gestes vertueux de recyclage, poésie du bois flotté, à chacun sa raison.
Lors de ce wildscape, nous n’avons pas failli à la tradition, nous avancions sur la plage les yeux fixés sur les lignes de marée pour ramasser quantité de morceaux de plastique, genre bâtonnets de sucette et de cotons tiges de toutes les couleurs.
Aujourd’hui la mer charrie, sur ce qu’il reste de grève, des dizaines de milliers de déchets qui s’entassent. Certaines plages présentent des espaces submergés de débris divers, l’estran prend des apparences de zone sinistrée. Paysage apocalyptique d’enchevêtrements de détritus mêlant déchets hospitaliers, objets tombés ou jetés des bateaux, débris de chantiers et fortunes de mer.
Aux déchets endogènes, bois et cadavres d’animaux s’ajoutent la pollution exogène provenant des activités humaines, pêches, bateaux, décharges littorales non conformes. L’association Surfrider dresse un bilan éloquent :
– 206 kg de déchets plastiques sont déversés chaque seconde dans les océans – Sur les 100 millions de tonnes de plastique produites chaque année, 10% finissent dans les océans – 1 million d’oiseaux et 100 000 tortues de mer meurent chaque année après ingestion ou enchevêtrement dans les déchets plastiques – 5% seulement du plastique produit est recyclé
Un lourd bilan pour des sites fragiles. Aujourd’hui, les communes nettoient les plages à coup de pelleteuses et de bulldozers qui dessinent sur le sable de gigantesques arabesques d’empreintes des pneumatiques. Cette chorégraphie d’engins à l’instar des « sand artists » s’efface au gré des marées, la plage retrouve alors son sable vierge jusqu’aux prochaines empreintes.
La prise de vue sur la plage s’apparente à une forme de coustille photographique. Le prélèvement d’images constitue un témoignage visuel d’un état du site.
L’invitation à la marche que prônait Henry D. Thoreau se situait dans un contexte naturel très différent du notre. La marche pour lui constituait un bain de régénération, un retour à un état vierge, apaisant et purificateur, dans une nature considérée comme vierge, non polluée par l’homme et ses activités et permettait de retrouver une harmonie perdue. Ce qu’on appelle « la nature » était à son époque plus naturelle que maintenant, moins marquée par les activités de l’homme, moins travaillée, moins exploitée mais également moins entretenue.
En vous promenant dans notre parcours, en arrivant sur la plage vous ne pourrez manquer de remarquer la présence massive de déchets, qui ne font pas de ce paysage un paysage dit naturel. Pour nous, le naturel est toujours vierge, les plages doivent être désertes, pures de tout déchet, le sable doit s’étaler à l’infini sans obstacle.
La côte sauvage est située juste en face du fameux Gouf du golf de Gascogne, profonde cicatrice intérieure du golfe, qui descend jusqu’à 3000 mètres et vient finir juste à Capbreton, au bord de la plage. Ce qui explique les cadavres de grands animaux marins parfois présents sur la plage et la répartition des nombreux courants qui transportent une masse impressionnante de déchets, estimée à 50 millions de tonnes. Du coup, le paysage prend un aspect relativement apocalyptique, surtout après de grandes tempêtes qui rapportent de grandes quantités de déchets organiques, bois, végétation, cadavres d’animaux dont profite tout un monde de charognards et d’insectes.
Larmes de sirènes et Chupa Chups
Le plastique constitue l’essentiel de l’autre partie des déchets et ponctue le paysage de ses couleurs vives, transformant la plage en décharge sauvage et lieu de nombreuses et nouvelles légendes. Par exemple le sable se couvre de milliers de petites perles de plastique translucides, brillantes au soleil, petits bijoux « naturel » puisque ramassés dans un endroit sauvage. La légende leur a attribué le nom poétique de larmes de sirènes ce qui est beaucoup plus intéressant que la réalité, en fait ce sont des composants bruts pour l’industrie de transformation, une sorte de matière première. L’autre légende attribue la présence de milliers de petits bâtonnets de couleur au naufrage d’un gigantesque cargo chargé de sucettes espagnoles, les Chupa Chups, qui aurait régalé des générations de poissons en fondant doucement dans l’eau avant de s’échouer sur ces plages. La réalité est plus prosaïque: ce sont des restes de coton-tiges, suffisamment petits pour passer les grilles des stations d’épuration.
Le nouveau sauvage
Les clichés ont la vie dure et pour nous une plage naturelle se doit d’être propre, vierge, pure de traces de l’homme. Les collectivités locales l’ont bien compris, qui, en saison touristique, gardent le paysage propre à coup de bulldozers et pelleteuses géantes. La gestion du déchets génère toute une activité qui va de la récupération du matériel de pêche pour l’envoyer solidairement aux pêcheurs africains, à la maintenance biologique des espèces animales, dont la survie est souvent menacée par ces petits bouts de couleurs vives, en passant par la coustille (voir article connexe). Le déchet est même depuis peu honoré en tant que tel, vers la fin février dans la commune de Boucau, ce qui signe, avec humour et intelligence, l’inversion du paradigme visuel de la nature : c’est aujourd’hui la présence du déchet qui est devenue « naturelle » et son absence qui signe la présence de l’homme. Le « sauvage » contemporain est maintenant synonyme d’abandon, de pollution, de chaos, de laisser-aller, tant l’emprise de l’humanité sur son territoire est devenue massive.
La tresse narrative du walkscape se constitue par le maillage établi entre différents moyens de production qu’ils soient textuel, photographique, sonore, vidéo ou multimédia. Aux moyens techniques que sont l’appareil de photo, la caméra et le magnétophone s’ajoute le texte aujourd’hui saisi numériquement mais qui peut aussi passer par une version manuscrite. La main organon pro organon selon Aristote, c’est-à-dire instrument de tous les instruments.
Les empreintes que nous diffusons ici relèvent d’une technique ancestrale : le frottage. Ces prélèvements in situ nécessitent un support papier, un crayon ou un embossoir. Le frottage, par un geste de la main, a pour avantage de mettre en évidence un travail de texture. Max Ernst a développé cette pratique dans le champ des arts plastiques.
L’obscure graphie
Ici, la lumière ne joue aucun rôle, seule la main est à l’oeuvre. Il s’agit du relevé d’une texture de la matière par frottage. Cette « révélation » sur le papier d’une image décalquée de son support fonctionne à l’identique d’une photographie à laquelle on aurait substitué le geste de la main à l’effet de la lumière. Ni chimie de l’argentique, ni pixel du numérique, ni optique, ni temps de pose, uniquement le mouvement de la main dotée d’un outil de frottage pour obtenir une image négative de la surface reproduite.
Image du relief ou relief négatif directement sur le papier. Le papier en contact direct avec son support en restitue les aspérités et les bosselages. Cette « empreinte » matérialise un décalque de son support. Sa définition, sa précision résultent de la précision du frottage et de la qualité du papier choisi. Des similitudes avec l’image photographique certes, mais la rusticité du procédé lui confère une aura particulière, ici pas de distance entre le sujet et son plan de reproduction. Le support restitue la forme sous la pression. Durant l’opération le négatif apparait au fur et à mesure à la surface décalquée. Empreinte négative au crayon sur du papier opaque ou embossage du papier calque, les supports à l’instar de l’image photographique se déclinent en négatif papier ou en transparent.
Sur la plage, le sable présente tous les avantages d’un support modelable et traçable sur lequel l’action des marées joue comme une gomme pour effacer les empreintes. Nos empreintes de pas, mais aussi celles des animaux et des différents engins qui circulent pour le nettoiement ou la surveillance. Par ce moyen, la tresse narrative s’enrichit d’un témoignage sur les matières que la photographie documente sans relief et sans contact avec les matériaux.
Prélèvements sur calque / Blockhaus béton
Patrick Laforet
La captation par frottage est une tentative magique de voler un bout du lieu, d’en capturer l’esprit et de le ramener en lieu sûr. C’est un piège, un piège parfait, à taille réelle, sans intermédiaire, immédiat, ludique, qui rejoint le fantasme de Borges sur la carte qui est à la taille du territoire. Le frottage est un retour en arrière à une des techniques les plus primitive, les plus primaire, de représentation du monde. Une sorte de pré-photographie d’avant la lumière, quand le monde était obscur et in-captable et que la caméra-piège n’avait pas encore été imaginée. Technique frustre, rudimentaire mais efficace avec un papier un peu solide et un bon charbon de bois.
Il s’agit là de photographier avec les doigts, avec la main, de révéler une image latente dans le monde, de fabriquer une relique véritable, comme si le paysage émettait une lumière noire, et de l’enfermer dans un support fragile, volatile mais subtil, presque intouchable sous peine de disparition. Le frottage graphique se propose comme une icône, assez proche de la logique du Saint-Suaire, mais sans la dimension religieuse, juste un morceau d’un paysage qui se met à dériver dans le monde.
La deuxième partie de l’hommage de ce wildscape est rendue au film de Sean Penn « Into the wild », basé sur le roman de Jon Krakauer, qui conte l’histoire d’un jeune homme qui, après avoir tout donné, quitte le monde contemporain pour les lointaines contrées sauvages de l’Alaska où il connaît une fin tragique et meurt au bout de quelques mois. Le film est un récit initiatique qui se termine dans le Bus 142 (1), la dernière demeure de Christopher Mc Candless, lui même devenu l’objet d’un culte tenace. De nombreux jeunes gens s’y rendent régulièrement chaque année pour suivre le rituel, aux mêmes risques que ceux de leur modèle, ce qui pose des problèmes à la commune de Fairbanks, nombreux sauvetages et surveillance difficile. L’endroit est particulièrement isolé et dangereux mais le mythe s’est installé.
DéMarches a choisi de rendre une modeste contribution à cette initiation en déposant un petit mémorial dans une autre nature, moins abrupte certes mais tout aussi « wild » afin de connecter cette recherche contemporaine avec un écrit plus ancien, le livre « Marcher » de Henry D. Thoreau, très présent dans les idéaux du jeune homme et référence incontournable de la culture américaine sur l’idée de nature.
Le Bus 142 / Fairbanks / Alaska
Nature et harmonie
La conception de la nature qui imprègne les deux récits est très précise et intemporelle : la nature est vierge de l’influence de l’homme, donc régénérante et tonique. La civilisation représente une forme de pollution dont il faut s’éloigner, régulièrement ou définitivement, sous peine de vivre une vie qui n’en est pas une. La religiosité diffuse de la culture américaine imprègne cette conception, la forme du paradis reste accessible, ici et maintenant, sans délai et sans médiation, à condition de « vivre bien », selon des préceptes naturalistes et de respecter une distance certaine avec le monde des vivants, la société et ses contraintes. La soif d’absolu du jeune Mc Candless le conduit dans le récit à une forme d’impasse, la nature se révèle beaucoup plus revêche que prévu, impitoyable et totalement indifférente à son sort, malgré son amour. La transfiguration du candidat ne se réalise pas et reste sur un constat d’échec amer et glacé de la fusion dans l’harmonie universelle.
D’une génération l’autre
Ce constat d’échec est à rapprocher d’un autre récit initiatique, lui aussi sous forme de film, de la génération précédente : le film « More » de Barbet Schroeder daté de 1969, dont la trame et les enjeux sont très proches et la conclusion identique : la mort du jeune initié. Les deux récits annoncent la recherche d’un nouveau paradigme dans le rapport au monde, éternel problème de la jeunesse. Dans « More » le nouveau paradigme s’installe dans la recherche d’une forme d’hédonisme, le soleil, la drogue, l’amour, lié à une recherche de la sensation absolue, dans le deuxième la recherche s’est déplacée, au vu de l’échec de la première, sur une notion plus ancienne, plus floue, moins imagée, celle de l’harmonie naturaliste, paradis non artificiel.
Les deux constats d’échec successifs peuvent donner une image sombre des possibilités contemporaines d’échapper à la triste condition humaine, mais ne sont en fait que des signaux des dangers qui attendent celui qui se lance dans la quête d’absolu. L’endroit du premier récit, Ibiza, est devenu la capitale mondiale de la « fête », les jeunes générations ont évité le piège annoncé et s’amusent par milliers sur les plages de sable chaud et dans les méga-structures musicales. Bien sûr il est toujours considéré comme plus élégant de mourir pour ses idées que de continuer à vivre les deux pieds dans le monde, cela fait partie des légendes modernes qui privilégient l’aspect « comète » des grandes figures. Que deviendra l’Alaska dans les prochaines années ?
Texte et Photos Patrick Laforet
Note
(1) actualisation Juin 2020
Alaska : le bus du film « Into the Wild » déplacé pour éviter les accidents à des touristes inexpérimentés
Le bus du film « Into the Wild » attirait trop de touristes inexpérimentés dans une région reculée.
Le bus du film « Into the Wild » de Sean Penn déplacé par un hélicoptère de l’armée le jeudi 18 juin 2020 (Seth Lacount / Alaska Army National Guard)
Un vieux bus des années 40, devenu un lieu de pèlerinage en Alaska pour des aventuriers du monde entier, notamment depuis son apparition dans le film de Sean Penn Into the wild, a été déplacé afin de protéger les randonneurs trop téméraires.
Surnommé le « Magic bus », il était mentionné dans le livre tiré d’une histoire vraie Voyage au bout de la solitude de Jon Krakauer (1996), et figurait sur l’affiche de son adaptation au cinéma en 2007, racontant le périple d’un jeune homme cherchant à fuir la civilisation pour se rapprocher de la nature.
Soulevé par un hélicoptère
Situé au bout du chemin de randonnée Stampede Trail, le bus avait fini par attirer de plus en plus de curieux, pas toujours bien préparés. Entre 2009 et 2017, quinze opérations de secours en lien avec le fameux véhicule ont dû être organisées, selon les autorités locales.
Certains ont même trouvé la mort, comme des voyageurs venus de Suisse et de Biélorussie, en 2010 et 2019, noyés lors d’expéditions pour aller voir le « Magic bus ».
Le bus du film « Into the Wild » de Sean Penn déplacé par un hélicoptère de l’armée le jeudi 18 juin 2020 (Seth Lacount / Alaska Army National Guard)
Jeudi, il a été déplacé de son coin de nature reculé en étant soulevé par un hélicoptère de l’armée, a déclaré la Garde nationale.
Conservé dans un site sécurisé
« Après avoir étudié de près le problème, pesé de nombreux facteurs, et considéré une variété d’alternatives, nous avons décidé qu’il était mieux de déplacer le bus de cet endroit », a déclaré Corri Feige, la commissaire chargée des ressources naturelles pour l’Etat d’Alasaka, à l’extrême nord-est du continent américain.
Il sera conservé pour le moment dans un site sécurisé, jusqu’à ce qu’il soit décidé quoi en faire, a-t-elle précisé. L’une des options est de l’exposer.
Au delà de l’aspect documentaire de la photographie dans la pratique du walkscape, le ressassement du parcours, le retour au même lieu à des heures différentes, dans des conditions météo différentes, la variation des points de vue, constituent l’occasion de dégager des figures fines d’un même territoire. Certaines images finissent par se déposer naturellement comme des représentations de « l’esprit du lieu », parfois franchement décalées, d’autres très imprégnées du territoire. La tentative n’a rien de systématique mais se bâtit au fil du temps, à mesure que se tisse une relation plus profonde avec le territoire.
Les mille et une facettes du même, du semblable, se retrouvent d’une année sur l’autre, au gré des parcours faits et refaits et des changements, parfois massifs, des territoires parcourus, jusqu’à ce que l’anecdote, le pittoresque disparaissent dans les sables du temps. Ici galerie de 2015 et 2014, photos Patrick Laforet.
Double trame sur la côte landaise. Si un observateur porte son regard sur le littoral parallèlement à la mer, il découvre une succession de paysages formées par des bandes de largeurs et de couleurs variées. Du bleu de la mer à l’écume qui dessine une ligne serpentine sur le sable mouillé de la plage, succède du sable blond sec sur lequel s’accumulent des bois flottés et des déchets de toute nature au pied de la dune embryonnaire. Ensuite la ligne de crête de la dune file en bosselé vers l’horizon traçant une fragile frontière entre le front de mer et l’arrière-pays qui vient s’estomper sur la pente terrestre de la dune s’affaissant doucement pour se transformer en une plaine sableuse grise ou lette grise qui s’étale en s’ourlant pour se transformer en un manteau préforestier annonciateur du sol sablonneux boisé, que la forêt de pins maritimes, de chênes lièges et de fougères recouvre de sa palette de vert dressant une barrière verticale entre le littoral mouvant et la plaine aménagée pour la sédentarisation.
Ce même observateur notera que les bandes détrempées, mouillées, sèches se succèdent avec des couleurs du bleu au vert en passant par toutes les nuances du sable dans un ordonnancement continu.
Deux marcheurs effectuent un parcours systématique tracé dans la zone littorale pour observer ce chemin d’est en ouest, allant de l’arrière-pays jusqu’à la mer. Ce transect est matérialisé par un tracé qui chemine à travers les bandes successives que l’observateur a décrites.
Partis de la plaine aménagée, ils vont traverser la forêt, à l’orée de laquelle ils vont déboucher sur une zone moins arborée qui va laisser place à un à-plat ourlet de sable couvert d’humus gris avant d’aborder une longue montée au milieu d’un végétation xérophyte vers la crête dunaire bosselée qui offre une descente plus rapide vers le sable sec encombré de déchets qui une fois traversée offrira sur l’estran un sable d’humide à trempé jusqu’à l’écume des vagues venant mourir sur la lisière mobile de la marée.
Cet état de Nature ne doit pas nous abuser, il résulte d‘aménagements réalisés sous Napoléon III, assèchement des marais et plantation de pins maritimes et de chênes lièges. Sans compter, auparavant, les lourds travaux de dérivement de l’Adour. Jusqu’en 1578, l’Adour se terminait par un delta correspondant au Maremne, autour de son estuaire principal de Capbreton. Son exutoire actuel dans l’Atlantique, entre Anglet d’un côté et Tarnos sur l’autre rive, lui a été donné en 1578. Les travaux titanesques menés par l’ingénieur Louis de Foix s’étalèrent sous le règne d’Henri III de 1572 à 1578.
La côte landaise telle que nous la connaissons aujourd’hui n’est pas contrairement aux apparences l’espace naturel que l’on imagine. Cette lande marécageuse était habitée par des bergers perchés sur des échasses qui menaient une vie pastorale particulièrement rude dans un environnement insalubre. Les échasses apparurent dans les Landes au tout début du XVIII ème siècle. Les bergers Landais les utilisent pour se déplacer dans les très nombreuses zones marécageuses. En effet, la région sableuse présentait en cas d’inondation la particularité d’offrir un sous-sol suffisamment compact pour permettre aux échasses de ne pas s’enfoncer.
Avec la promulgation de la loi du 19 juin 1857 qui impose aux communes des Landes de Gascogne d’assainir et de boiser leurs territoires, les territoires d’élevage se réduisent mettant en péril cette activité pastorale. Cette situation engendra de violents conflits entre les bergers et les forestiers. D’autant que les bergers pratiquaient l’écobuage, prenant ainsi le risque d’incendier la forêt naissante, comme cela se produisit souvent.
La disparition des espaces de pacage au profit de la forêt entraina la disparition des échassiers. Durant les années 20 les derniers éleveurs s’étaient reconvertis en résiniers … Malgré cette restructuration du paysage, chaque année, un quart du littoral recule. L’érosion est un phénomène de grande ampleur, en particulier sur la côte aquitaine. Menacées par l’océan, les communes engagent d’importants travaux d’enrochements et de préservation des dunes. Mais la mer gagne irrémédiablement du terrain.
Aux vastes plages du début du siècle, protégées par une large bande de dunes succèdent un écroulement du front dunaire. L’érosion s’accélère, le trait de côte a reculé cinq fois plus vite lors de tempêtes exceptionnelles anticipant les prévisions à long terme les plus pessimistes.
Des blockhaus basculent dans la mer, des parapentistes s’entraînent aux bords des dunes abruptes, les plages non protégées par des digues ou des jetées changent de configuration au fil des saisons.
La côte que nous pratiquons aujourd’hui se construit à partir de 1786, quand l’ingénieur Nicolas Brémontier commença par fixer le mouvement du sable en établissant une digue de madrier à environ 70 m de la ligne atteinte par les plus hautes mers, on enfonce dans le sol une palissade de madriers contre laquelle le sable s’accumule. En ajustant la hauteur des madriers à l’accumulation du sable, il obtient une dune littorale haute d’une dizaine de mètres formant barrière de protection. Le sable est fixé en surface par des semis d’oyat connu localement sous le vocable gourbet, dont les racines couvrent de grande surface. Nicolas Brémontier fera planter des pins maritimes pour fixer le sable en arrière des dunes et plus en arrière pour couvrir les anciens marais.
Ces dernières années des tempêtes ont durablement impactés le littoral, modifiant la configuration des plages et charriant une masse considérable de déchets. Le samedi 24 janvier 2009, la tempête Klaus traverse le sud-ouest, entraînant d’importants dégâts matériels. Ceci à une période durant laquelle la région récupérait à peine de la tempête Martin de décembre 1999, les sylviculteurs voient à nouveau leurs pins maritimes et autres essences déracinés ou sectionnés. A ces deux tempêtes succèdera en mars 2014, la tempête Christine. Sur les côtes basque et landaise, de nouveaux soumises à des dégâts colossaux, les vagues minent le littoral, faisant reculer les plages de plusieurs mètres.
La question de la Nature est au cœur du film de Sean Penn, Into the wild. Film emmaillé de nombreuses citations, dont celle de Byron extraite de Childe Harold’s Pilgrimage qui apparait dès le début : “There is a pleasure in the pathless woods, There is a rapture on the lonely shore, There is society, where none intrudes, By the deep sea, and music in its roar: I love not man the less, but Nature more,…”(*) qui prend tout son sens sur cette partie du littoral Atlantique.
Ainsi, dès les premières images du film, Sean Penn instille chez le spectateur une idée de Nature idéalisée ; c’est le mythe de la route, en symbiose avec l’environnement qui place Alexander dans la posture d’un Kerouac routard. Toutefois le scénario s’attache à montrer la différence entre le paysage naturel du décor et la fiction de la Nature qui habite le personnage principal du film. A l’instar de la réalité, la Nature n’est pas accueillante pour ceux « born to be – away from the – wild » ! Comme l’avait illustré le récit de Jon Krakauer dans le livre consacré à l’histoire de Christopher McCandless dont le destin tragique est incarné dans l’adaptation cinématographique sous le nom d’Alexander. Si Thoreau et McCandless semblent se faire écho à un siècle d’écart, la place majeure de Thoreau dans la culture américaine ne doit pas faire oublier qu’il fut influencé par le romantisme européen et en particulier le romantisme allemand alors que pour McCandless les influences sont plutôt à chercher du côté des auteurs de la beat generation donc des mouvements de pensées libertaires. Le professeur émérite en études de l’histoire et de l’environnement de l’Université de Santa Barbara Roderick Nash publie en 1967 la première édition de son livre qui fait autorité Wilderness in the American Mind, dans lequel il explique que : « dans wild, l’on trouverait les notions de perdu, incontrôlable, désordonné, confus, et c’est ainsi que l’espace chaotique et sans repères de la forêt finit par être désigné par wilderness »
Mais, c’est au Thoreau de Walden et de la Désobéissance civileque se réfère Alexander, le héros du film. Thoreau qui écrit dans La Désobéissance civile : « Si je suis venu au monde, ce n’est pour le transformer en un lieu où il fasse bon vivre, mais pour y vivre, qu’il soit bon ou mauvais. »
Les premières lignes du fascicule de Henry D.Thoreau, Marcher, posent la conception que l’auteur naturaliste et écrivain engagé se fait de la Nature. Non-conformiste, il tire de ses expériences personnelles son engagement et cherche à toujours faire corps avec ses idées. « Au cours de mon existence, je n’ai rencontré qu’une ou deux personnes qui comprenaient réellement l’art de Marcher, c’est-à-dire de se promener qui pour ainsi dire avaient un génie particulier pour flâner, sauntering…. ». Il analyse l’origine de ce mot qui dans le langage contemporain se définit comme A saunter is not a walk, run, or jog. To saunter is to walk in life. (Se balader, ne signifie pas marcher, courir ou faire du jogging, mais prendre la vie comme elle vient.)
« Qu’est-ce qui parfois rend difficile le choix d’une direction de promenade ? » Question lancinante à laquelle tout marcheur doit répondre, pour nous il s’agit de rejoindre la rive de l’océan à propos duquel Henry D.Thoreau note« L’Atlantique est semblable au Léthé ;… » Mais ce n’est pas l’oubli que nous venons chercher, mais plutôt une nature brute, un espace vivant dont les éléments peuvent atteindre des moments paroxystiques. Mais aussi les couchers de soleil, avec ou sans rayon vert. Des couchers de soleil comme les aime l’auteur « Chaque coucher de soleil que je contemple m’inspire le désir d’aller vers un ouest aussi éloigné et beau que celui dans lequel plonge le soleil. »
(*) Traduction : On trouve le plaisir dans une forêt sans sentiers On trouve le ravissement sur un rivage solitaire On trouve la compagnie là où il n’y a personne Près de la mer qui fait entendre la mélodie de son rugissement Ce n’est pas que j’aime l’homme moins mais je préfère la Nature…
Déchets de plage, coustille, gravure sur bois et stylo, beaucoup de plastique pour un hommage discret aux vieux hippies des bois et à leur bimbeloterie colorée.
Toute nouvelle théorie génère immédiatement de nouvelles représentations et la psychogéographie s’y est très brillamment employée dès ses débuts. Le document fondateur, « La fin de Copenhague », réalisé en 1957 par Guy Debord et Asger Jorn aux éditions Bauhaus Imaginiste, constitue la première tentative et s’impose comme document charnière dans l’histoire du design graphique.
La pensée psychogéographique n’est ni linéaire ni discursive, et il convenait donc de produire un ensemble qui en reprenne les principales caractéristiques : après, selon la légende, une beuverie mémorable, Debord et Jorn vont bouleverser jusqu’à la méthode de production. La feuille d’imprimerie est directement conçue comme un espace unitaire sur lequel Jorn répand ses couleurs et le noir, texte et images, est surimprimé sur le tout (Voir le recto-verso reconstitué ci-dessous)
Une fois les pages remises dans l’ordre de l’imposition nécessaire pour l’impression, des collisions imprévisibles se font entre images, textes et surimpressions, de nouvelles significations, de nouvelles associations, émergent du chaos en gardant intact l’esprit de rupture du départ.
Ce document emblématique marque un tournant dans l’évolution des représentations « cartographiques » et sa dimension unitaire a profondément marqué l’histoire du design : refus de la linéarité, primauté du poétique sur le lisible, globalisation visuelle et cette nouvelle approche a massivement bouleversé les codes de lecture habituels.
Le walkscape et sa pratique sont pour beaucoup influencés par la psychogéographie et demandent donc de nouvelles méthodes, sensibilités, structurations pour rendre compte de leur activité. La longue tradition de déconstruction du lisible et l’accession à de nouveaux codes s’inscrit dans la tradition initiée avec les Chants de Maldoror et poursuivie par Dada, les surréalistes et les lettristes qui ont mis à mal les carcans du langage, y compris celui des images, pour arriver à imposer un nouvel ordre : celui de la subjectivité.
Walkscape et psychogéographie ont beaucoup à voir ensemble, donc retour à un texte fondateur de la psychogéographie, publié dans la revue Les lèvres nues n° 6, à Bruxelles en 1955. Le texte est de Guy Debord, et fonde la critique situationniste de la ville. Dans le vaste projet de l’IS de transformer le monde, la vie, et de lutter contre l’ennui du paysage urbain, le fonctionnalisme général alors dominant et la rationalisation de l’espace, ce texte pose les bases d’une méthode d’analyse urbaine. Retour à une subjectivité assumée et revendiquée, pratique et buts de la « dérive », réintroduction du sentiment dans la cartographie, représentations poétiques, toute la démarche permet un diagnostic territorial nouveau destiné à réenchanter l’urbain, permettre de nouvelles appropriations de l’espace collectif. Basée essentiellement sur la marche, conçue comme une temporalité active, cette méthode n’a rien perdue de son actualité et le walkscape y puise de nombreuses racines. Texte intégral
La passerelle Julian Grimau surplombe le fleuve triste des voies de chemin de fer de la gare de triage de Drancy-Le Bourget où transitent quelques 200000 wagons par an. Bien sûr il n’existe aucun risque, tout est sous contrôle, seulement moins de 10% des wagons transportent des produits toxiques, ce qui en fait quand même 20000, 70% d’hydrocarbures (inflammables), 20% de matières toxiques, explosives, voire radioactives, 10% de chlore ou d’ammoniac. Bien sûr ce n’est pas grave que tout cela se passe en milieu urbain dit dense (environ 40000 personnes) et que le périmètre de sécurité, jamais appliqué, soit de 620 mètres après avoir été fixé dans un premier temps à 2,6 Km pour le risque mortel.
Bien sûr les incidents sont peu nombreux, déraillements de wagons transportant des matières radioactives, fuites de produits, collisions, etc… C’est sans doute ce qui explique la vitalité des associations de riverains et la fameuse absence de dialogue des autorités dites compétentes et l’absence de la moindre décision malgré l’implication d’élus locaux. Sans doute le fameux mur de l’administration.
Donc si vous cherchez le grand frisson, passez sur la passerelle qui relie l’autoroute A86 et l’autre berge des voies, empruntez l’ancien Chemin de La Corneuve. Le spectacle pèse son pesant de produits toxiques : derrière vous le grand sarcophage de béton du tunnel autoroutier, désert, hostile, bruyant, devant vous une grande zone semi-désertique pavillonnaire et quelques cités, entre les deux un tunnel à l’air libre entièrement grillagé, hermétique, peu éclairé en nocturne (déconseillé) et le rythme lent des wagons sur les rails dans vos oreilles, le choc des accrochages, toute une ambiance sonore passionnante qui vaut bien le chant des pinsons.
Le nom de la passerelle, en fait une rue qui se poursuit dans le tissu urbain, vient de la longue tradition des luttes ouvrières locales. Julian Grimau, militant du parti Communiste Espagnol de toujours, après avoir été agent du service de sécurité républicain à Barcelone pendant la guerre, s’exile en Amérique Latine, puis revient en France. En 1959 il est chargé de la direction du parti « intérieur », c’est à dire sur place en Espagne, où il revient clandestinement. Il y sera arrêté quelques années plus tard, sur fond de rivalités internes, torturé, défenestré, en sortira vivant malgré tout et sera finalement fusillé, malgré les nombreuses manifestations en sa faveur et un procès digne des grandes bouffonneries cruelles de l’histoire. De nombreuses rues, avenues, places portent son nom dans la « ceinture rouge » de la périphérie de Paris.
Promenons nous dans les voies !
Sur l’ancienne voie de chemin de fer qui allait jusqu’à l’imprimerie de l’illustration, aujourd’hui désaffectée et transformée en « promenade », plane l’ombre de Django. Les murs servent de tableaux vivants aux expressionnistes du street art local, quelques fleurs plantées à la diable tentent de réchauffer une atmosphère vide et sans grâce, arbres sauvages, herbes folles, le chemin passe au milieu des terrains de sport du parc départemental, la dernière partie longe la fameuse cité de l’Etoile et les anciens docks de stockage de la SNCF pour venir mourir sur des voies toujours en activité proche de la gare de Bobigny. Déconseillé le soir et en tailleur Chanel, population relativement hostile.
La mécanique sauvage La proximité de l’ancienne casse automobile avait progressivement transformé le parking à ciel ouvert de la Courneuve en atelier sauvage de réparations et de vidanges discrètes où venaient s’échouer les voitures diverses et variées qui peuplent la périphérie. Economie souterraine nécessaire, inévitable, mais polluante. Huile noire sur le sol, terre gorgée de parfums lourds, pièces mécaniques tristes et abandonnées, quelques carcasses, chiffons souillés, bitume luisant, toute la poésie malsaine du dépotoir mécanique, le paysage classique du rebut mondial de l’automobile en fin de carrière.
Avec la crise, les garages sauvages prolifèrent – Le Monde daté du 21 avril 2015
Dans les banlieues populaires, des mécanos occasionnels réparent les voitures pour quelques dizaines d’euros.
A l’ombre des arbres, à deux pas de la cité Dourdin, les signes d’activité ne trompent pas : une voiture ou deux montées sur cric, des mallettes d’outils étalées sur le trottoir, des chiffons sales. Dès le jeudi soir, tête dans le moteur ou allongés sous le châssis, les » mécanos en plein air » sont installés dans ce quartier tranquille de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
Tee-shirt sans manche et faux diamant à l’oreille, Eddie (le prénom a été modifié) s’affaire, les clients patientant au volant. A la fin de la soirée, le jeune Antillais sort la bouteille de Jack Daniel’s et quelques gobelets en plastique et monte le son de l’autoradio. L’affaire prend alors des airs de pique-nique arrosé. Des garagistes amateurs comme ce trentenaire, on en trouve désormais un peu partout en région parisienne et dans les cités sensibles de bon nombre de métropoles hexagonales. Une économie de la débrouille qui s’est développée à la faveur de la crise et reste difficile à quantifier car non déclarée.
Dans le » 9-3 « , c’est surtout près de Paris que ces garages à ciel ouvert se sont multipliés. Il suffit de passer le périphérique pour faire réparer son véhicule. A 20 euros le changement de plaquettes de frein ou 30 euros le montage d’un nouveau pot d’échappement, les tarifs sont imbattables. Et tous les travaux sont possibles, tôlerie et peinture comprises.
Entre Aubervilliers et Saint-Denis, malgré les gros blocs de béton installés pour empêcher l’occupation de l’espace derrière les chantiers du campus universitaire Condorcet ou du futur lycée, ces » mécanos sauvages » sont pléthore. Le commerce est bien rodé. Ici, c’est la filière ivoirienne qui recrute : venue du Val-d’Oise ou d’autres villes de Seine-Saint-Denis, la main-d’œuvre embauche près du foyer Adoma ou aux portes d’une société de transports. Réparer les moteurs, faire le gué, déplacer les voitures quand une patrouille de police passe, les tâches sont multiples. Quotidiennement, des camions apportent des voitures de Belgique ou d’Allemagne.
» Une vieille pratique « Un peu plus loin, le long de la nationale 2, à la station de métro Fort-d’Aubervilliers, c’est à l’entrée d’une ancienne casse automobile que des sans-papiers algériens ou des Roms hèlent les voitures pour proposer leurs services de dépannage. Le même phénomène se développe à Stains, Rosny-sous-Bois, Drancy, Dugny, Montfermeil, Neuilly-sur-Marne… Plus ou moins organisés, les garages sauvages squattent les parkings des cités ou des copropriétés, envahissent les petites ruelles peu passantes, s’installent dans les arrière-cours d’anciens ateliers ou sur les esplanades des supermarchés.
On les retrouve aussi dans l’Essonne : à la Grande-Borne, à Grigny, sur le parking du Géant Casino, à Evry, et tout le long de la nationale 20. Et, dans le Val-d’Oise, à Argenteuil, ou, dans les Yvelines, au Val-Fourré (Mantes-la-Jolie). La région parisienne n’est pas la seule touchée. A Marseille, c’est dans les quartiers nord que ces ateliers sauvages prolifèrent, à tel point que Samia Ghali, sénatrice (PS) des Bouches-du-Rhône, veut en faire » sa bataille « : » Avec les huiles usagées répandues partout, les voitures ventouse – longtemps en stationnement – , ça devient invivable. « A Saint-Etienne, la cité Montreynaud comme d’autres quartiers populaires abritent les mêmes activités clandestines. Tout comme à Roubaix, où ils occupent les entrepôts désaffectés.
Cette économie de la bricole n’est pas un phénomène nouveau. Elle a toujours existé dans les quartiers populaires. Ce genre de petits travaux fait partie de la culture d’entraide entre familles. Les billets qui circulent entre deux portières sont souvent le seul salaire de ces mécanos occasionnels. » Se faire une ou deux gâches – travail au noir – au bas de l’immeuble, ça aide la famille « , souligne Nordine Moussa, du Collectif des quartiers populaires de Marseille. » C’est toujours mieux que le chichon « , renchérit Ali Rahni, du Collectif des musulmans de France.
» C’est une vieille pratique mais ça s’accélère avec la crise : ici, la plupart des gens ont une voiture de deuxième ou troisième main qui tombe souvent en panne « , explique Philippe Rio, maire communiste de Grigny. » Il faut faire le tri entre le coup de main pour arrondir les fins de mois et un vrai métier clandestin « , remarque Stéphane Troussel, président (PS) du conseil général de Seine-Saint-Denis.
Artisanaux ou très organisés, ces garages interdits sont connus des autorités publiques mais ces infractions ne sont pas une priorité. A la préfecture de l’Essonne comme à celle du Val-d’Oise, on assume : » Le vrai sujet pour nous, c’est les vols avec violence. « La préfecture de Seine-Saint-Denis y est, elle, plus sensible : » On a beaucoup de signalements « , explique-t-on à Bobigny. Alors, de temps en temps, la police lance une opération pour tenter d’enrayer le phénomène et calmer les plaintes des riverains. Comme ce mercredi 15 avril, quand une trentaine de policiers a envahi le parking de la cité du Clos-Saint-Lazare, à Stains, pour démanteler une activité de mécanique sauvage qui avait pris trop d’ampleur. Résultat : six jeunes hommes venus de différents pays d’Afrique de l’Ouest en garde à vue puis mis en examen pour travail dissimulé, et trois clients pour recours au travail dissimulé. » Ils envahissent le parking tous les jours depuis des années. Ils reviendront… « , se résigne le responsable d’une amicale des locataires.
Les maires, largement démunis, oscillent entre répression et laisser-faire. Pour empêcher ces garages clandestins, les villes les plus touchées multiplient les interdictions de stationnement ou la construction de plots pour condamner certains trottoirs. Elles intensifient les patrouilles de police municipale, amendes à l’appui, comme à Saint-Denis. Mais le commerce ne fait que se déplacer.
Certaines municipalités semblent se résigner, considérant qu’avec la crise ces commerces sont inévitables. » C’est une activité qui répond à un besoin et ne génère pas de délinquance, assure Pierre Quay-Thevenon, directeur de cabinet du maire d’Aubervilliers. Il vaut mieux l’accompagner pour éviter les dérives. « Dans cette commune, comme dans sa voisine, Saint-Denis, on s’interroge sur la création d’un garage solidaire qui permette de réparer sa voiture, moyennant une cotisation modique. Ce qui viderait un peu les rues de ces carcasses et tâches d’huile qui empoisonnent les riverains.
Sylvia Zappi
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A Aubervilliers, la ZAC du Fort prend forme – in Le Monde du 24 septembre 2017
Erigé à la fin des années 1830, le fort d’Aubervilliers est adossé au cimetière de Pantin et bordé par deux axes très passants : les avenues Jean-Jaurès (N2) et de la Division-Leclerc (D27). En 2014, les pouvoirs publics ont décidé de transformer ce secteur délaissé et enclavé de 36 hectares en nouveau quartier. Pour ce faire, ils y ont créé une ZAC (zone d’aménagement concerté). Après une période d’études et de concertation, les travaux vont -débuter d’ici à la fin de l’année sur les 20 hectares du secteur Jean-Jaurès.
» C’est un site complexe, entouré de quartiers avec leurs -dynamiques propres « , explique Camille Vienne-Théry, directrice du projet chez Grand Paris Aménagement. A l’horizon 2020, 900 logements auront été créés, sous la forme d’appartements dans des immeubles de huit étages le long de la N2, et de maisons de ville mitoyennes en cœur d’îlot. La moitié d’entre eux seront destinés au logement social, 60 étant réservés à l’accession aidée, à des tarifs entre 2 700 et 3 000 euros/m2. Le solde rejoindra -le parc privé et devrait être vendu à des tarifs moyens de 3 700 euros/m2. » Une large proportion de logements sera de grande taille, car ce quartier doit permettre à des familles de se loger « , précise Mme Vienne-Théry.
Pour rendre le secteur plus agréable, le -département a lancé des travaux de requalification de l’avenue Jean-Jaurès. D’ici trois ans, la place des voitures y sera réduite, la voirie refaite et les trottoirs seront verdis. Pour insuffler une vie de quartier, une école et 5 000 m2 de commerces de proximité au pied des immeubles seront construits.
Une promenade verte sera aménagée autour des murailles ; elle facilitera la connexion est-ouest du nouveau quartier. Le cœur du fort fera lui aussi l’objet d’une réhabilitation, actuellement en cours de débat. Seule certitude : une place privilégiée sera accordée à la culture, avec le maintien des artistes occupant les bastions et casemates du fort, dont le théâtre équestre Zingaro.
La deuxième phase d’aménagement sera lancée dans quelques années, pour construire 900 logements supplémentaires, dont une large proportion consacrée au parc privé. Une agora centrale accueillera une halle avec des activités culturelles et associatives, ainsi que des équipements sportifs. A l’horizon 2025-2030, une troisième phase de travaux au sud-est achèvera l’ensemble. La gare de la ligne 15 du Grand Paris Express sera connectée avec la station existante Fort-d’Aubervilliers.
Le petit temple de Shivan sur l’avenue Paul Vaillant Couturier signe la présence de la forte communauté tamoule de La Courneuve par ses touches colorées au milieu d’entrepôts lugubres et poussiéreux. Liée à la guerre civile au Sri Lanka dans les années 80, l’arrivée de cette diaspora s’est faite dans des conditions très particulières. En effet l’identité tamoule s’est scindée en deux blocs distincts, l’un se réclamant d’une indianité forte, les tamils de l’Inde du Sud, l’autre d’une origine Sri Lankaise marquée. Cette dernière est arrivée avec souvent un statut de réfugiés politiques et un activisme collectif fort. Par exemple de nombreux candidats tamouls ont été élus aux dernières élections municipales et les associations sont nombreuses et très actives, très implantées localement.
Le temple et La Courneuve
Environ 70 000 personnes constituent une communauté qui s’organise une visibilité dans le paysage français, à travers par exemple la fête de ganesh, organisée tous les ans fin Août à Paris qui est gérée et initiée essentiellement par des tamouls. L’ethnoterritoire de cette diaspora est aujourd’hui installé et reconnu, identifié par le pays d’accueil et valorisé par les qualités entrepreneuriales de ses membres. La fête de Ganesh, 2014
Thierry Davila fait le constat qu’une partie de l’art actuel accorde au déplacement un rôle majeur dans l’invention des œuvres.
« C’est à partir de l’accès aux territoires, avec lui, que peut avoir lieu leur invention. »
L’auteur, conservateur au Mamco de Genève, étudie la question de la mobilité et son traitement par les artistes, à travers la figure de l’homme qui marche, de l’arpenteur. Cette figure prend différentes formes, comme le souligne l’intégralité du titre : le piéton, le pèlerin, le manifestant, le flâneur,… Le livre relate l’histoire de la flânerie et analyse des problématiques qu’elle engendre dans le travail de certains artistes contemporains (réflexions centrées sur Gabriel Orozco, Francis Alÿs et Stalker). Le thème, récurrent dans l’art, de la spatialisation s’étend ici au mouvement et au déplacement, qui deviennent éléments centraux de la création.
Thierry Davila, Marcher, créer, Déplacements, flâneries, dérives, dans l’art de la fin du XXème siècle, Paris,
Editions du Regard, 2002.
Depuis 2001, la Ville de Paris organise «Nuit blanche», chaque premier samedi d’octobre. Initiée par Jean Blaise, expert nantais en matière de tourisme culturel.
Avec Echenoz, l’écriture s’inscrit dans un équilibre subtil entre précision descriptive et ressenti physique de l’expérience vécue.
Sa dernière livraison : Caprice de la reine, se termine sur un texte dont l’intitulé pose d’emblée le motif et le cadre : Trois sandwiches au Bourget. Visites attentives de cette ville de banlieue dont le nom évoque l’aviation. En arpentant les rues de la gare RER, aux bars-tabacs et leurs sandwiches au saucisson sec ou à l’ail et pourquoi pas avec des cornichons, l’auteur croise des passants inquiets ou inquiétants, des équipements délaissés. Après un premier déplacement sur place, il prépare minutieusement son deuxième : Il s’agirait cette fois de préciser le projet, sur deux points : j’ai rapidement opté pour le bar-tabac-brasserie L’Aviatic,(…) ainsi que d’autre part la nature du sandwich : j’ai choisi, sur ce point, le sandwich au saucisson.
L’auteur y retournera une troisième fois pour visiter l’église de Saint Nicolas du Bourget et approfondir sa connaissance des lieux. Jean Echenoz porte une attention particulière à ces lieux modestes qui constituent un environnement devenu invisible aux habitants. S’il plante ce décor de banlieue gris et triste, on est en février, c’est pour s’interroger sur le statut du sandwich au saucisson. Un motif qui interroge avec un humour certain l’évolution d’une société dont les ingrédients culturels tentent de résister face à la mondialisation. Le recueil se termine sur un nom de rue à lire comme un souhait : rue de l’Egalité prolongée.
Caprice de la reine, Jean Echenoz, Editions de Minuit, 128 pages, 2014.
La déportation imprègne le paysage autour du triangle Drancy-Bobigny-Auschwitz. Les convois de la solution finale à partir de 1943 partirent de la gare de Bobigny, aujourd’hui lieu de mémoire.
67000 personnes sont parties du camp de Drancy, ou cité de la Muette, vers le camp d’extermination de Auschwitz-Birkenau en passant d’abord par la gare du Bourget, puis à partir de juillet 1943 par celle de Bobigny. Celle-ci fut utilisée par les ss en charge du génocide pour son isolement et sa discrétion. Située dans un territoire essentiellement maraîcher, peuplée à l’époque de « mal-lotis », elle a vu passer environ un tiers des effectifs de la déportation en France soit 22500 personnes en 21 convois.
La réhabilitation en lieu de mémoire est récente : jusqu’en 2000 elle a servi d’entrepôt de ferraille, ce qui paradoxalement a servi sa conservation. Construite en 1928, elle était reliée au Fort d’Aubervilliers et aux usines alentours, donc celle du magazine l’illustration, et servait également à tous les maraîchers.
Située à deux kilomètres, la cité de la Muette, ou camp de Drancy, avait été conçue sous la présidence de Léon Blum par les architectes Eugène Beaudouin et Marcel Lods. Inachevée en raison de la crise économique, elle servira d’abord de camp de prisonniers. A partir de août 1940 elle sera utilisée pour interner les juifs raflés dans Paris, puis en 1941 de camp d’internement et de transit des Juifs de France vers Auschwitz – Birkenau.
Texte et Photos Patrick Laforet
Actualisation
Lors de la Seconde Guerre mondiale, 22 407 personnes ont été déportées vers le camp d’Auschwitz-Birkenau, depuis la gare de Bobigny, en Seine-Saint-Denis. Ce lieu chargé d’histoire transformé en lieu de mémoire vient d’ouvrir ses portes au public après plusieurs années de travaux.
Depuis le mercredi 18 janvier, 2023, l’ancienne gare de déportation de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a ouvert ses portes au public.
Le groupe italien Stalker, le Master In.Co.Nu. (Université J. Monnet), le Centre Social Occupé Autogéré de Rome EXSNIA, les centres sociaux et les habitants de la Vallée traverseront ensemble, à pied, les mémoires industrielles, les territoires de résistance et de luttes ouvrières, en partageant savoirs et narrations : une école d’habitants nomades, engagés dans une expérience artistique, sociale et citoyenne.
Informations et réservations : audefourel@hotmail.com ou 06 89 64 65 08
Réservations obligatoires pour l’hébergement lors des étapes, nombre de lits limités
Les marches sont ouvertes à tous, sans réservation, selon vos disponibilités
Participation gratuite
Merci de venir aux repas partagés avec une petite spécialité culinaire
Reconstitution historique avant l’heure pour un paysage urbain abandonné au Fort d’Aubervilliers. En attendant les pelleteuses du nouveau quartier à venir, les street artists ont été invités à taguer le terrain vague, les murs, les voitures de l’ancienne casse. Entreprise méritoire et sympathique, idéale pour une promenade encadrée, sans risque, avec vos enfants, dans ce territoire de pré-émeute bien lissé. Les gardiens sont sympathiques et accueillants, l’endroit bien gardé et le café nomade est bon et chaud. Quelques beaux tags, signés façon galerie bobo, le nouveau disneyland du futur est déjà là, à deux pas des « vrais », plus sauvages, plus volatiles, plus urbains, moins codés, qui envahissent les friches proches de Pantin ou de la Courneuve. Apportez vos bombes (de peinture).
« A partir de la courge, l’horizon s’élargit » René Char
L’efficacité, imposée par les exigences de la vie actuelle, se traduit par des choix de modes de déplacement rapides. Même les marcheurs, les piétons cherchent à tracer des chemins réduisant les distances. Ils coupent au plus court, traversant hors des passages protégés, sillonnant pelouses ou espaces verts, en traçant des voies directes. Jugeant que les cheminements aménagés, conçus par les responsables des espaces publics les contraignent à des trajets inefficaces, trop longs, trop pensés comme des parcours de promeneur plus que pour des piétons luttant contre le temps. Ce contre la montre quotidien n’est pas que l’apanage de l’urbain, le péri-urbain est encore plus affecté du fait des distances plus longues, principalement pour accéder aux transports en commun. Quant aux campagnes, elles ne sont pas en reste avec des servitudes conçues pour favoriser la rapidité d’accès. Le tracé le plus direct prime sur tous types de territoire, jusqu’aux riverains des fleuves et des rivières qui luttent contre l’aménagement de servitudes de marchepied réclamé par les promeneurs.
Qui n’a pas suivi ces sillons dans l’herbe ou les pelouses pour rejoindre plus rapidement son but ? La tentation du moindre effort, du temps gagné, du détour inutile ne laissent pas le temps à la nature d’effacer les tracés empruntés par un nombre toujours plus important de marcheurs. Alors qu’il ne s’agit ni d’une affirmation d’indépendance, du type : je marche hors des sentiers battus, ni d’une incivilité revendiquée, mais d’un gain de temps, cette option d’économie de temps semble rarement envisagée par les aménageurs. L’expérience du marcheur propose des alternatives adaptées. L’efficacité voudrait que la simple observation de ces chemins sauvages soit reprise par les aménageurs pour satisfaire les utilisateurs. Il est étonnant que l’on exige une parole, un point de vue de l’usager pour tous les actes commerciaux ou citoyens, que radios et tv traquent la parole, l’avis dans des micros-trottoirs sans fin, que les politiques sollicitent les citoyens à travers forums et réunions participatives, sans que les tracés performants des marcheurs ne soient aménagés suivant le choix des utilisateurs. Le pied du marcheur ne semble pas reconnu comme une expression citoyenne à prendre en compte. Il en va de même pour les pistes cyclables, alors que la mixité urbaine entre piéton et deux roues requiert un minimum de savoir-vivre ensemble pour partager des voies contiguës.
Le walkscape
A l’ opposé de cette attitude, le walkscape 1 réinstaure les pérégrinations, les parcours indirects, les chemins déviants, les errances choisies.
La marche, déplacement doux aux vertus vantées par les organismes de santé, retrouve une place dans les modes de locomotion tant pour ses qualités en phase avec les préoccupations environnementales, que pour ses bienfaits sur le corps et sur l’esprit. Mais aussi, pour la convivialité recherchée des marches en groupe ou encore pour la solitude revendiquée du marcheur se frayant un passage parmi les chenilles humaines en migration estivale sur des chemins saturés.
Le marché et le marcheur
Les chemins de Compostelle n’ont jamais connu autant de succès, de même que les GR, ou les chemins forestiers du Nord de l’Europe.
Ainsi, avant les périodes de grandes transhumances, il faut écouter les vendeurs de chaussures expliquer à une clientèle exigeante sur le confort, la technicité d’une chaussure dont les matériaux, les semelles et le laçage requièrent des compétences et une expertise de haut niveau. Le succès du Gore-Tex 2, matériau magique des équipementiers, connaît des limites qu’il convient de respecter pour ne pas subir les pires désagréments, sans parler des souffrances prédites avec force détails. L’explication sur l’indice Schmerber 3 de 1500 de ce tissu convaincra le marcheur de suivre les conseils éclairés du spécialiste du chausson, de la semelle rigide ou souple, de la chaussette adéquate. En effet, les capacités d’échanges thermiques du Gore-Tex ne sont efficaces que sous certaines conditions de température. Alors que le cuir conserve ses qualités avec une plus grande tolérance. Puis, la question de l’étanchéité entraîne des positions inconciliables entre les randonneurs en zones humides ou ceux habitués à marcher sous des pluies abondantes, chacun défendant son choix argumenté sur des expériences vécues.
L’ego des marcheurs s’étale dans une profusion d’ouvrages relatant les expériences mystico-poético-sportive que le lecteur aura pu suivre en direct live par tweets, par blog avec cartographie active et géolocalisation. Je sais où je marche, ils savent où je suis. Je marche par délégation. La mobiquité 4 me permet d’être en déplacement sur la route tout en restant en contact permanent avec le reste du monde. Le marcheur connecté, une figure jusqu’alors inconnu, apparaît avec l’usage intensif des smartphones et leurs apps spécifiques : podomètres, géolocalisation, cartographie active constituant les incontournables de la mobilité numérique. Sans oublier les adeptes de la GoPro, auto-vidéaste de leurs exploits. GoPro, Be a Hero clame le slogan de la marque, bientôt s’ajoutera le drone pour se filmer dans le paysage et explorer des lieux réputés inaccessibles. Le regard téléporté permettra d’acquérir le point de vue de l’oiseau. Le marcheur connecté, embarquera dans sa marche un équipement technique lui permettant de réaliser en direct et en autonomie ce que les équipes TV d’aujourd’hui suivent pour nous, lors des émissions consacrées aux marcheurs de l’extrême ou aux concurrents prêts à découvrir des mondes inconnus comme le propose une émission de M6.
Le marcheur isolé se marginalisera, figure en voie de disparition transitoire, car à sa solitude physique, il ajoute l’absence de lien de communication. Pourtant, digne représentant d’une pratique humble et fatigante, conquérant de l’inutile, il ne marche que pour porter ses pas là où son regard le guide sans témoin, il est un corps présent au paysage, mais absent socialement. Il disparaît des radars, il découvre sans laisse numérique, il avance sur le chemin. L’étape signe son passage, les étapes scandent son parcours, les parcours intermédiaires l’isolent dans une solitude revendiquée ou subie suivant les accès aux réseaux.
Les pérégrinations s’inscrivent dans le registre plus complexe du parcours en soi. Le but à atteindre, le point d’arrivée ne sont pas des objectifs mais des points d’arrêt de la marche. Le parcours se construit par sérendipité 5. La curiosité guide les pas vers des détours, des cheminements dans les marges, des allers et retours vers des écarts, des impasses.
Le marcheur arrive en nage, ironie de l’effort consenti pour parvenir à ses fins. Marcher nécessite un effort physique sollicitant les membres inférieurs dont principalement les pieds. Objet de toutes les attentions et tous les soins, le pied occupe une place prépondérante dans l’histoire de l’humanité.
L’homme a débuté par le pied. André Leroi-Gourhan
Dès l’Antiquité le pied s’impose autant comme mesure que comme source de mythes. L’énigme du Sphinx, l’un des plus anciens mythes, utilise le pied pour décrire les différents âges de l’homme : Quel est l’être vivant qui se déplace le matin sur quatre pieds, à midi sur deux et le soir sur trois ? ».
Si l’on se souvient que la résolution de l’énigme par Œdipe signe la mort du Sphinx, ce que l’on retient d’Œdipe a généralement trait à la psychanalyse, oubliant que son nom le désigne comme l’homme aux pieds enflés. En effet, l’étymologie de son anthroponyme est issue de la combinaison grecque de la forme verbale οiδέω-ὦ signifiant s’enfler, se gonfler et du mot πούςpied. A sa naissance les pieds d’Œdipe ont été percés et noués ensemble par son père Laïos qui l’abandonne accroché par les pieds sur le mont Cithéron, avant que des bergers ne le recueillent. S’il ne conservera aucune marque physique de cette blessure originelle, son nom en rappellera le souvenir durant toute son existence.
Comme le relève Françoise Yche-Fontanel, enseignante à Montpellier, dans sa communication intitulée : Les boiteux, la boiterie et le pied dans la littérature grecque ancienne, l’abondance des références au pied dans les textes antiques démontre combien le pied, élément primordial de l’être humain, s’impose, avec la marche, comme référents essentiels de la destinée humaine. Retenons chez Euripide l’expression répétée concernant l’image du pied aveugle. Tirésias, dans les Phéniciennes, déclare à sa fille : « tu es l’œil de mon pied aveugle », alors que quelques pages plus loin, c’est Œdipe qui demande le soutien d’un bâton pour son pied aveugle.
La marche, c’est le pied ! Dans cette expression dont l’origine provient de l’argot de pirates. En effet, la mesure du butin, avant partage, s’effectuait à l’aide du pied et ce moment étant un moment de joie partagée, l’exclamation a survécu pour exprimer la satisfaction lors d’un événement. Actuellement le pied, unité de mesure, n’a pas été remplacé par le système métrique dans tous les secteurs. Le pied (foot, pluriel feet en anglais) demeure une unité utilisée dans l’aviation, pour les optiques de cinéma et dans les pays anglo-saxons généralement pour mesurer les longueurs comprises entre 50 cm et 500 m. C’est le cas pour la taille des personnes, les dimensions d’une pièce, d’un bateau ou pour indiquer, sur un panneau, la distance à parcourir à pied. Cette persistance du pied pour ce qui relève de l’humain, de la marche est révélatrice d’une résistance du corps comme mesure dans un monde techniciste.
La marche reste le garant de notre ancrage corporel et charnel dans notre environnement. Ce que confirmera Neil Armstrong, en 1961, quand posant le pied sur la lune, il déclara « That’s one small step for man, one giant leap for mankind ». Le mythe continue.
Notes
1- Walkscape, manière de s’engager dans le paysage, démarche qui permet de percevoir le monde et d’être dans le monde qui participe à l’élaboration d’un certain sens, résultant d’un trajet individuel associant le corps et la pensée.
2- Gore-Tex, marque déposée d’un nouveau genre de tissus techniques permettant de fabriquer des vêtements imperméables et respirants même sous l’eau, des produits qui permettent de confiner les odeurs corporelles humaines, et une version ultra-légère et compressible des vêtements d’extérieur.
3- l’indice Schmerber, unité servant à mesurer l’imperméabilité (1 Schmerber équivaut à 1 colonne d’eau de 1mm). Un tissu qui détient une valeur de 10 000 Schmerber peut donc résister à 10m d’eau. Mesure inventée par Charles Edouard Schmerber (1894-1958), industriel du textile.
4- mobiquité, issu de la contraction des motsmobilitéetubiquité. La mobiquité répond au conceptATAWADAC(AnyTime,AnyWhere,AnyDevice,AnyContent) qui décrit la capacité d’un usager à se connecter à un réseau « n’importe quand, n’importe où, via n’importe quel terminal et pour accéder à n’importe quel contenu ». concept imaginé par Xavier Dalloz, enseignant en économie numérique, consultant et correspondant du CES (Consumer Electronics Show) en France.
5- Sérendipité, Issu de l’anglais serendipity, ce terme, forgé par le collectionneur Horace Walpole en 1754, signifie « don de faire des trouvailles ». C’est la version réactualisée du « quand on ne cherche pas, on trouve ». Savoir tirer parti des circonstances imprévus, garder l’esprit ouvert.
Le rapport entre celui qui arrive et celui qui reste est aussi éternel que la lutte entre le yin et le yang. Aujourd’hui les avant-gardes de la mondialisation et de la paupérisation qui l’accompagne jettent dans le paysage leur nouvelle forme d’occupation du sol et de l’espace. Cela bien entendu ne passe pas très bien auprès des responsables du dit espace. Les techniques se raffinent pour empêcher « l’autre » de s’arrêter et produit parfois de somptueuses œuvres conceptuelles involontaires, comme ces champs de pierres installés pour rendre impossible le squat automobile et caravanier en dehors des clous. L’époque ne supporte plus les trous, les occupants, le moindre interstice devient un problème, pose des questions et demande des solutions, plutôt que d’expulser, empêcher de s’arrêter. Circulez tant que vous voulez mais surtout ne vous arrêtez pas, jamais, nulle part, les trottoirs deviennent suspects, la grille, par un étrange retour du refoulé de l’histoire, devient la métaphore d’une socialité âpre et d’une entropie en augmentation exponentielle. Reste une « œuvre“ sans précédent, intermédiaire contemporain entre le cimetière et l’alignement sacré de Karnak, où la métaphysique le dispute à la surprise. Ouvrez bien vos yeux, passez y au soleil couchant et vous vous retrouverez en plein Kubrick, au début de l’odyssée, quand les singes découvrent la violence, le périphérique proche fournira le bruit des grands fauves.
Prière de regarder les pierres
Jacques Clayssen
Avant de s’engager sous le pont de la nationale 186 les larges trottoirs bordant la rue de Stalingrad, au carrefour Repiquet à Bobigny, ont été parsemés de grosses pierres anti-stationnement. Aménagement urbain déserté par les piétons, ces trottoirs servaient de stationnement à des véhicules de tout gabarit.
L’étrangeté de ce dispositif retient le regard des rares passants qui ont une vue plongeante sur le dispositif depuis les rambardes du pont de la nationale. Ce dispositif scénique permet une vue d’ensemble sur les pierres disposées en quinconces dans un espace inséré entre la ligne de tramway et la nationale.
L’accès piéton reste possible bien que le cheminement soit réduit au minimum sous le pont. Sans être une impasse, il s’agit d’un lieu peu fréquenté par les marcheurs, car ne menant à aucune rue commerçante ou à des lieux d’habitation.
Cette installation de par sa situation, dans un espace restreint dominé par des rambardes, n’est pas sans évoquer une oeuvre de land art. Les références visuelles orientent la nature du regard qu’un passant averti portera sur cet empierrement. Dans l’Empire du Soleil Levant, avant de parler de jardin, les nippons concevaient des espaces aménagés suivant des principes connus comme pratique de « l’art de dresser les pierres » (ishi wo taten koto), ce qui marque dès une époque reculée l’importance et le respect qu’inspirait le minéral dans le jardin. Il faudra attendre l’ère Chōgen, donc l’an 1028, pour que commence la codification connue sous l’intitulé Sakutei Ki, l’art secret des jardins japonais. L’Occident s’est doté de jardins de pierres dont des copies plus au moins inspirées ont proliféré de la Fondation Albert Kahn à Maulévrier dans le Maine et Loire pour ne citer que ces deux extrêmes en France.
Pour les Japonais, c’est la terre qui est sacrée, non le ciel. Dans toutes les villes du monde, c’est encore bien souvent la voiture qui est sacrée, non le piéton. Mais les voitures ventouses et les voitures ne stationnant pas sur des places payantes sont éliminées au profit des pierres, des potelets et des bornes censés protéger les espaces de circulation pédestre ou les dents creuses du tissu urbain.
Autant d’installations susceptibles d’être appropriées par des street artistes, comme le sont les pierres taillées ou les potelets repeints. Dans d’autres cas, comme ici, seul le regard porté sur l’installation peut évoquer une installation artistique. L’organisation et l’agencement de monolithes, de rochers ou de pierres relèvent de l’architecture civile mais aussi militaire. De l’agrément ou du désagrément.
Les pierres s’imposent visuellement comme autant de pièces d’un ensemble minéral dont la naturelle brutalité protège des lieux inoccupés, gardiennes du devenir ou de la conservation d’un vide à préserver. «Les pierres peuvent servir de marqueurs du temps ou de la distance, ou exister comme parties d’une sculpture gigantesque mais anonyme. » Richard Long,Royal West of England Academy, Bristol, 2000.
Francesco Careri Walkscapes Ouvrage culte pour les urbanistes et les architectes, Walkscapes fait de la marche beaucoup plus qu’une simple promenade. Pour Francesco Careri, en effet, l’origine de l’architecture n’est pas à chercher dans les sociétés sédentaires mais dans le monde nomade. L’architecture est d’abord
traversée des espaces : ce que Careri appelle parcours. Ainsi le menhir, point de repère dans l’espace, à la croisée des chemins.
La marche est esthétique, comme la conçoit André Breton pour la place Dauphine. Elle révèle des recoins oubliés, des beautés cachées, la poésie des lieux délaissés.
La marche est politique. En découvrant ces espaces qui sont à la marge et cependant peuplés, elle montre que les frontières spatiales sont aussi des frontières sociales.
Careri s’évade de la ville-événement pour errer dans ce qu’il appelle la Zonzo (la zone, l’espace exclu, à l’abandon, à la marge, inexploré et pourtant vivant). En se laissant porter par la marche, on franchit des frontières invisibles, on recompose une ville nouvelle.
Ce livre passionnera, au-delà des architectes et des plasticiens, ces flâneurs et ces explorateurs qui font de la ville leur terrain de chasse privé.
L’auteur
Francesco Careri, né à Rome en 1966, est cofondateur de Stalker/
Observatoire nomade et chercheur au département d’architecture
de l’université de Rome III, où il dirige le cours d’arts civiques, un
enseignement entièrement itinérant créé pour analyser et interagir avec
les phénomènes émergents de la ville. Depuis 2012, il est directeur
du LAC (Laboratorio Arti Civiche) et du MAAC (Master in Arti
Architettura Città).
La verrue habituelle des paysages contraints. Le piéton est par nature indiscipliné, impatient et ne supporte pas le détour : considéré comme stupide et rebelle par le code, il convient de bien l’encadrer. Ce petit signe vient souvent forcer l’attention du walkscapeur et signale involontairement tous ces endroits magiques où plus rien n’est prévu, ces vides interstitiels où tout peut arriver, y compris le rien et le vide intégral. Derrière le panneau, plus de civilisation, plus de confort, la guerre de tous contre le piéton se déploie, l’aventure est totale, no prisoners derrière l’étendard de l’automobile.
Balzac a 34 ans quand il écrit La théorie de la démarche, qui s’avère être une théorie du mouvement. Balzac livre en filigrane une poétique de l’énergie, il décrypte à partir de la démarche de la condition et du caractère des sujets observés.
Il écrit: « Une pensée (…) si vous l’exprimez dans toute la chaleur prolifique de sa conception, vous la produisez rapidement par un jet plus ou moins heureux, mais empreint, à coup sûr, d’une verve pindarique. C’est Daguerre s’enfermant vingt jours pour faire son admirable tableau de l’île Sainte-Hélène, inspiration toute dantesque.» Son admiration pour Daguerre se doublait d’une « terreur » face à la photographie rapportée avec prudence par Nadar, dans son livre Quand j’étais photographe. On sait que Balzac avait une théorie du portrait, tirée des théories de Gall et de Lavater et dont on trouve l’expression dans ses ouvrages. Il note dans La Théorie de la démarche : N’est−il pas effrayant de penser qu’un observateur profond peut découvrir un vice, un remords, une maladie en voyant un homme en mouvement ?
Une observation sociologique amusée, un genre qui a fait école parmi les observateurs de nos vies actuelles. Ouvrez votre magazine favori, vous y trouverez une rubrique rhabillant les peoples ou décortiquant nos gestes quotidiens.
Nouvelles CuRieuSes ou sinGulièReS d’André Breton : les livres illustrés et les cahiers colorés de l’école marqueront la vie du pape du surréalisme.
André Breton avait quatre ans lorsque ses parents s’installent à Pantin, il passe son enfance dans cette banlieue où il découvre les livres illustrés à l’école maternelle Ste Elisabeth, puis à l’école primaire communale. Deux traces de ce séjour pantinois marquent son œuvre. Dans le « Rêve n°1 » publié dans le n°1 de la Révolution Surréaliste, il écrit :
En dernier lieu je remonte, à Pantin, la route d’Aubervilliers dans la direction de la Mairie lorsque, devant une maison que j’ai habitée, je rejoins un enterrement qui, à ma grande surprise, se dirige dans le sens opposé à celui du Cimetière parisien. Je me trouve bientôt à la hauteur du corbillard. Sur le cercueil un homme d’un certain âge, extrêmement pâle, en grand deuil et coiffé d’un chapeau haut de forme, qui ne peut être que le mort, est assis et, se tournant alternativement à gauche et à droite, rend leur salut aux passants. Le cortège pénètre dans la manufacture d’allumettes.
parcours route d’Aubervilliers -actuellement Av Edouard Vaillant- Mairie de Pantin
Manufacture d’allumettes-Pantin
Hotel de Ville de Pantin
Puis, dans PSTT poème publié dans Clair de Terre, Breton cherche ses homonymes, parmi ceux-ci il relève au cimetière de Pantin : Nord 13-40.…. Breton (E.) mon. funèbr., av. Cimetière Parisien, 23, Pantin.
Complément d’enquête.
Julien Barret, auteur et journaliste, anime des visites qui font le lien entre la littérature et le territoire. Il a fondé le siteAutour de Parisen février 2018, dans l’idée d’explorer la ville sur les traces des artistes et des poètes. Ce site propose différents parcours et ateliers d’écriture dont une balade participative qui se reconstruit et s’élabore chaque fois qu’elle a lieu : une enquête poétique sur l’enfance d’André Breton à Pantin.
Pour retracer l’itinéraire d’André Breton, arrivé à Pantin à 4 ans, Julien Barret, qui a aussi grandi à Pantin, mêle géographie des lieux et des mots, dans une exploration de la langue et du territoire. Une enquête approfondie qui passionnera les lecteurs d’André Breton.
Nouvelles CuRieuSes ou sinGulièReS du poète Isidore Lucien Ducasse : le faux mystère de la tombe d’Isidore Ducasse.
Le verbe passer constitue l’une des actions les plus fréquentes dans les Chants de Maldoror. Action qui se décline dans le fait de traverser l’espace, de se trouver sur le chemin d’autrui. Mystère du passant, Lautréamont définit l’espace comme une zone de traversées dans lequel Maldoror est d’abord celui qui a été vu, comme le note Isabelle Daunais, auteur de La forme d’une ville dans les Chants de Maldoror. Agé de 24 ans, Ducasse décède à Paris, rue du Faubourg Montmartre, le 24 novembre 1870 durant le siège de Paris, alors que le Second Empire s’effondre. Il sera inhumé, le lendemain au cimetière Nord, connu aujourd’hui sous le nom de cimetière Montmartre, dans une concession temporaire de la 35ème division sous le n°9257 du registre de l’époque. Edmond de Goncourt note dans son journal à la date du décès : …Le chiffonnier de notre boulevard qui, dans le moment, fait queue à la Halle pour un gargotier, racontait à Pélagie qu’il achetait, pour son gargotier, les chats à raison de six francs, les rats à raison d’un franc, et la chair de chien à un franc la livre.
Alors commence le mystère de la tombe du célèbre auteur révélé par Soupault et Breton. En effet, le 20 janvier 1871, le corps de Ducasse est déplacé vers une concession désaffectée du cimetière, 49ème division, ligne 27, fosse 6 qui sera reprise par la municipalité en 1880. Emplacement sur lequel ont été construites les rues Lamarck, Carpeaux, Joseph de Maistre et Coysevox. Une version différente veut qu’un obus prussien ait pulvérisé des tombes, dont la sienne. Les restes de ces concessions sont réputés transférés à l’ossuaire de Pantin. Mais il n’existe aucune mention de son nom dans les registres. Une légende vivace perpétue sa présence au Cimetière de Pantin dont les gardiens expliquent, qu’il n’y a aucune trace ni tombe, aux admirateurs de l’auteur des Chants de Maldoror. Deux rues portent son nom aux abords du cimetière parisien l’une à Bobigny, la seconde à Aubervilliers comme pour témoigner d’une mémoire de la présence des restes du Comte.
Nouvelles CuRieuSes ou sinGulièReS de l’assassin Troppmann : sous le Second Empire en déclin, Pantin sera le théâtre d’un crime qui marquera un tournant dans la spectularisation de l’information.
Belleville a été durant soixante ans, tout comme Le Bourget, une commune du canton de Pantin jusqu’à son annexion à Paris en 1860.En annexant ses villages limitrophes, Paris arrive aux portes de Pantin. Dès lors, seule l’enceinte des fortifications sépare les deux villes. Des terres cultivées cèdent la place aux usines qui commencent à s’implanter sur le territoire, alors que les abattoirs et le marché aux bestiaux s’installeront sur les terrains réservés à cet effet à La Villette. Cette urbanisation vise à faciliter la vie de la capitale donnant une nouvelle identité à Pantin qui de bourg rural deviendra ville de banlieue.
C’est dans ce cadre encore rural au matin du 20 septembre 1869, sur le lieu dénommé alors le chemin vert près de ce qui s’appelle aujourd’hui quatre chemins à proximité de la gare de Pantin, que Jean Langlois cultivateur, déterre six cadavres de cinq enfants et de leur mère, un septième corps sera découvert plus tard sur le même terrain. Tous atrocement mutilés. Un premier meurtre commis en Alsace portera à huit le nombre de cadavres dans cette affaire criminelle hors du commun.
L’affaire Troppmann vient de commencer. Le journaliste du Petit Journal relate la découverte des corps des victimes tous issus de la famille Kinck, originaire de Roubaixpar le cultivateur : « Arrivé sur la lisière d’un champ ensemencé de luzerne, il remarque tout à coup une mare de sang. Tremblant, ému, sous le coup d’un sinistre pressentiment, il écarte la terre avec un de ses outils ; il met au jour un foulard. Il fouille encore et bientôt il se trouve en présence du cadavre d’une femme, vêtue encore d’une robe de soie. » . » L’auteur descrimes Jean-Baptiste Troppmann sera condamné à mort le 31 décembre de la même année et guillotiné après rejet des recours le 19 janvier 1870 devant la prison de la Roquette. Il avait 20 ans. Le procès se déroule sur fond de tension avec l’Allemagne, la déclaration de guerre franco-prussienne sera proclamée le 19 juillet 1870.
Enfants victimes du meurtre
A l’époque, le journal satirique L’Eclipse décrit ainsi la scène du crime : à travers la plaine rase tondue, ponctuée çà et là de cheminée d’usines et de bâtisses lourdes, que l’on a baptisé abattoir.
Cette affaire, qui marquera durablement les esprits, reste dans les annales de la presse, de la police et de la justice comme un moment de démesure. L’événement va focaliser l’attention des journaux de l’époque, mais aussi des milieux littéraires. Le terme fait divers employé pour la première fois en 1863, s’impose avec cette affaire hors du commun. Avant la publication du Petit Jornal, cette rubrique se nommait « nouvelles curieuses ou singulières ». Les tirages des journaux explosent, la foule se presse sur les lieux du crime et plus tard devant la guillotine.
Le Petit journal, titre populaire de l’époque, approchera un tirage de 600 000 exemplaires en publiant un feuilleton quotidien qui entretient l’intérêt des lecteurs. 100 000 personnes viennent sur les lieux où se sont installées buvettes et étals de marchands. Tout le monde piétine dans la boue, les familles curieuses s’agglutinent encouragées par l’ensemble de la presse qui mobilise un nombre important de rédacteurs.
Ce fait divers exceptionnel inspire des poèmes, des chansons populaires, mais aussi des auteurs dont Stendhal, Flaubert, Zola, Dumas, Rimbaud et même Victor Hugo alors en exil qui n’assistera pas à l’exécution, contrairement à Tourgueniev, mais qui défendra une position tranchée contre la peine capitale.
Parmi ceux-ci Isidore Ducasse, le Comte de Lautréamont lui-même, cite le nom de Troppmann dans une liste hétéroclite publiée dans Poésie I. Mais dans Poésie II, il revient sur l’affaire en ces termes :
La pensée n’est pas moins claire que le cristal. Une religion, dont les mensonges s’appuient sur elle, peut la troubler quelques minutes, pour parler de ces effets qui durent longtemps. Pour parler de ces effets qui durent peu de temps, un assassinat de huit personnes aux portes d’une capitale, la troublera — c’est certain — jusqu’à la destruction du mal. La pensée ne tarde pas à reprendre sa limpidité.
Isidore Ducasse observe à juste titre que l’affaire disparaitra de la presse, après l’exécution de Jean-Baptiste Troppmann, pour s’emparer du « terrible événement d’Auteuil » à savoir l’assassinat du journaliste Victor Noir par Pierre Bonaparte le 10 janvier 1870, soit exactement neuf jours après la mort de Troppmann. L’inhumation du journaliste de La Marseillaise au Père Lachaise le 12 janvier donna lieu à d’importantes manifestations et à des heurts avec la police devant le Théâtre des Variétés proche du domicile d’Isidore Ducasse.
Le Petit journal 1880
dossier Cour d’assise de la Seine
Document Musée de la Police – Paris Document Musée de la Police – Paris
Tout ici incite à la fête du corps et de l’esprit dans la bonne odeur des gaz d’échappement et la douce musique du tunnel autoroutier. Ici tout est plaisir, enchantement, surprise, vous pouvez vous laisser aller à la joie sportive sans aucune arrière-pensée : le fait que l’aire de jeux soit située au milieu des voies rapides et d’un échangeur, d’un rond-point, que le sous sol vibre continuellement du passage des véhicules sous vos pieds, que le bruit soit parfois assourdissant et que le faux gazon idéalement placé pour amortir vos chutes sur le béton brut n’ait jamais été changé depuis plus personne ne sait quand, tout cela n’a aucune importance, jouez sans entraves pour reprendre un vieux slogan, en plus c’est gratuit et ouvert 24 heures sur 24, et même illuminé la nuit, j’ai bien dit illuminé, par les sympathiques lampadaires au sodium de l’autoroute voisine, dont la qualité d’éclairage et d’atmosphère ne sont plus à vanter.
Limite verticale pour l’arrivée de Hors-Circuits, le walkscape vient se terminer sur le lac tranquille des pistes de l’aéroport du Bourget, bordées de bâtiments industriels parés de blanc, dans une ambiance balnéaire pimpante. Tout le bric à vrac aéronautique s’étale sur les alentours, le musée de l’air et de l’espace offre une magnifique promenade technologique dans l’un des plus vieux rêves de l’humanité. Les business man débarquent du monde entier dans leurs jets privés et un ballet de limousines, les groupes scolaires viennent pique-niquer sur les pistes désertées, l’autoroute murmure à quelques mètres, la cité Germain Dorell étale ses sculptures art-déco de l’autre coté de la nationale, les restaurants préparent les fêtes du soir, vous êtes partout et nul part, juste au bord de plusieurs mondes. La galerie Gagosian en fin de parcours confronte les meilleurs œuvres contemporaines à toute cette agitation tranquille dans un bâtiment discret et sophistiqué. Fin du parcours, reste à repartir avec le bus qui vous ramènera directement à la gare de l’Est après un dernier voyage dans les grands espaces autoroutiers du nord de Paris.
La véritable beauté d’un ouvrage réside d’ailleurs surtout dans sa bonne conception et dans l’harmonie de ses lignes (Charles Bricka, Cours de chemins de fer, professé à l’Ecole nationale des ponts et chaussées, 1894).
Longer le viaduc partiellement couvert de l’A 86 lorsque il enjambe les voies de la gare de triage et du RER permet d’appréhender la beauté d’une courbe de béton dominant les habitations. Sous certaines conditions de lumière les parois s’estompent, le ciel et la couverture d’acier gris se confondent. L’ensemble de béton blanc, d’arches de béton ou d’acier blanc sur l’ouvrage, les bétons structurels gris clairs, les parois acoustiques en aluminium anodisé ton naturel gris clair réfléchissant contribuent à l’élégance, le mot n’est pas trop fort, d’un ouvrage autoroutier dont la courbure comble le regard. On est saisi par la capacité que peut avoir une conception technique de provoquer par l’harmonie de sa réalisation une expérience esthétique réussie.
Edifice de béton doté d’arcs-boutants singuliers, de piliers de soutènement impressionnants, de parements soignés, tout contribue à installer dans ce paysage urbain ce viaduc réduisant au silence les nuisances sonores. Les aménagements des abords prennent parfois des allures de pyramide aztèque offrant des chemins de promenade en surplomb des habitations.
En 2011, la boucle est bouclée Il aura fallu 43 ans pour mener à bien le chantier de cette boucle de 78km située à 6km du périph. Bâtie en milieu urbain, il a fallu construire de nombreux ouvrages d’art et prévoir une protection phonique. A Drancy l’autoroute s’immisce entre le quartier de la rue Diderot, constitué de petits collectifs et de pavillonnaires ayant nécessité des aménagements spécifiques pour agrémenter les dessertes et les abords, et la gare de triage, puis entre un quartier pavillonnaire et la zone industrielle. Ce parcours est donc totalement isolé phoniquement par des murs latéraux et une couverture partielle. L’ouvrage a reçu le « Ruban d’or » 1997.
Le mur du son La photo frontale du mur anti-bruit présente une vue impossible à l’automobiliste habitué à rouler entre ces murs. Mur du silence, mais aussi dans cette configuration écran à trame rectangulaire qui occulte la vue laissant seulement entrevoir les faîtages d’une vie. Etant donné un mur que se passe-t-il derrière ? Deux lampadaires encadrent le toit d’un pavillon, le sommet d’un poteau, la cime de deux arbres et les derniers étages d’un immeuble. Tous ces éléments constitutifs d’une vie citadine se découpent au-dessus du mur. Sur fond de ciel les preuves d’une vie au sol protégée du bruit et de la vue des véhicules, élimination des nuisances pour les habitants, occultation de environnement pour l’automobiliste. L’A86 dans cette partie aérienne s’impose au regard, tel un boyau de béton et de métal. Cette image expose les parois intérieures et une partie de la chaussée à notre regard, comme une indiscrétion. Silence de l’image, silence dans l’image. Absence de véhicule, aucun mouvement, l’écran en majesté dans un camaïeu de gris.
Attention à ne pas confondre avec la Cité des Etoiles, centre spatial soviétique Composante majeure de la « banlieue rouge » de Paris, Bobigny accueillait les locaux du journal «L’Illustration».Le directeur de l’hebdomadaire acquiert, en 1931, trente hectares de terrains maraîchers à Bobigny, sur le site de la Vache-à-l’aise, aujourd’hui haut lieu des fouilles archéologiques balbyniennes, pour y construire ce qui était à l’époque la première imprimerie d’Europe.
Tour à tour Proche du Mouvement Moderne, l’usine composée d’un grand bâtiment en briques de trois étages aux façades horizontales de 141 mètres de long et 90 mètres de large, percées de larges ouvertures, inspirera plusieurs constructions dont la distillerie Cusenier, construite en 1939 à La Courneuve. L’imprimerie s’organise autour d’une cour-jardin et d’une cour couverte de sheds. Une tour de huit étages, haute de 64 mètres et surmontée d’une horloge surdimensionnée, est construite à l’angle sud du bâtiment. Après diverses affectations, les bâtiments abritent aujourd’hui l’Université Paris XIII.
La Promenade Django Reinhardt emprunte le tracé d’une ancienne voie de chemin de fer reliant la gare de Bobigny à l’imprimerie, qui scinde en deux le Parc des sports de Paris Saint-Denis d’une superficie de 50ha, pour relier les bâtiments de l’université à la Cité de l’Etoile. Visuellement les deux lieux ont chacun leur tour. A celle de Paris 13 répond la tour de la Cité de l’Etoile.
L’abbé et l’architecte Emmaüs Habitat est propriétaire gestionnaire de cette cité qui comprend 763 logements sociaux. Son histoire condense à elle seule les espoirs et les erreurs, les difficultés et les atermoiements du logement social.
L’abbé Pierre, figure préférée des Français de son vivant, se fait bâtisseur en créant la société anonyme d’HLM Emmaüs pour bâtir des cités d’urgence. Cette décision fait suite au drame survenue en 1953 qui verra mourir de froid un enfant. C’est en tant que maître d’ouvrage que le célèbre abbé rencontre l’architecte Georges Candilis. Ce dernier réussi à convaincre son commanditaire d’opter pour une solution pérenne. L’architecte propose une architecture très simple, de bâtiments aux caractéristiques plastiques affirmées suivant un plan de masse efficace. Le projet s’inscrit dans un périmètre éloigné du centre constitué d’un tissu urbain de type pavillonnaire. Georges Candilis décide contrairement aux dogmes de la charte d’Athènes de prendre en compte dans son projet ce tissu pavillonnaire préexistant. L’édification de la cité s’inscrit dans le cadre de l’Opération Million, qui imposait pour la construction d’un logement de trois pièces de ne pas dépasser le budget maximum d’un million de francs. Ce qui compte tenu de l’érosion monétaire due à l’inflation, met le pouvoir d’achat de 1 000 000 francs en 1958 à l’équivalent de 1 731 398 euros aujourd’hui.
L’équipe d’architecte (Georges Candilis, Shadrach Woods, Alexis Josic) va bâtir autour d’une tour construite en trèfle des ensembles d’habitations agrémentés de vastes espaces et d’une grande cour. Des jeux d’enfants, des balcons et des façades colorées agrémentaient l’ensemble d’origine.
L’Etoile, un univers en expansion Depuis le temps a passé, l’entretien coûteux et des restructurations hasardeuses ont entraîné une dégradation de la Cité à laquelle s’est ajoutée la paupérisation des habitants. Les résidents ont dû subir les épisodes mouvementés d’une demande classement au « Patrimoine du XXème siècle » qui a engendré d’importants retards à la réhabilitation prévue en 2010. A cette époque, les habitants excédés avaient mis en ligne un clip pour faire valoir leurs droits et leurs espoirs de vivre à nouveau dans des logements décents. Un projet profondément remanié a permis de débloquer la situation pour que les travaux démarrent enfin. En décembre 2013, les habitants de l’Étoile avaient rendez-vous au Cargo pour faire le point sur l’avancement du projet de rénovation urbaine de leur quartier.
Un projet pour une cité plus agréable à vivre, expliquait Le Parisien en novembre 2011, détaillant : un calendrier très étalé. Si les constructions neuves démarreront dès l’année prochaine, le relogement des locataires, lui, va s’étaler entre 2014 et 2017, le temps de finir les différents chantiers. Au total, Emmaüs investit 20 M€ et l’Etat 10 M€, à travers l’Anru (Agence nationale de rénovation urbaine), et la ville entre 800000 € et 1 M€ pour la voirie.
Actuellement des échanges de terrain avec le parc des sports contigu sont en cours pour permettre la construction de nouveaux logements.
A Pantin, un cimetière parisien hors les murs. Mourir à Paris est un casse-tête pour les familles. Le manque de place dans les cimetières pose de tels problèmes que la Ville de Paris a mis en place un plan de reprise, des concessions abandonnées, afin de libérer des emplacements. Lieu jouissant d’une forme d’extra-territorialité sur la commune de Pantin, le cimetière parisien illustre ces espaces absolument autres que Michel Foucault nommait hétérotopies pour les distinguer des utopies.
A Pantin les espaces verts couvrent 114ha, dont 85% sont constitués des stades et du cimetière parisien. Environ un quart de la surface totale du territoire de la commune est occupé par le cimetière qui constitue une enclave au sein de la ville.
Cité-jardin des morts En pénétrant dans cette nécropole, dont les caractéristiques vertigineuses constituent à elles seules un palmarès époustouflant, le visiteur découvre de grandes avenues rectilignes bordées d’arbres suivant un plan en damiers. Les tombes aux architectures et aux agencements spécifiques aux diverses cultures composent avec les espaces consacrés aux victimes civiles et militaires des deux guerres mondiales un ensemble organisé pour des morts d’origines et de conditions variés à l’image de la cité des vivants. D’une superficie de 107 hectares, soit l’équivalent de 100 terrains de football, le cimetière parisien de Pantin est l’un des plus grands d’Europe en activité.
Ouvert le 15 novembre 1886, en 127 ans près d’un million de personnes y ont été enterrées. Il compte près de 150 000 concessions, regroupées dans 217 divisions numérotées de 1 à 163 puis de 201 à 217. Manque donc de 164 à 200. Actuellement, environ 2500 inhumations ont lieu chaque année.
Avec 4,7 Km de mur d’enceinte par 3 m de haut interrompu par deux entrées permanentes desservant 32 km de voies intérieures, autorisées à la circulation, plantées d’une grande variété d’essences. Véritable arboretum de 8 759 arbres dont 7 969 en alignement. Les voies portent les noms des essences qui les bordent : avenues des Chênes Rouges, des Erables Noirs, des Peupliers Argentés, des Mûriers Blancs pour les couleurs et une invitation aux voyages avec des dénominations telles qu’avenues des Noyers d’Amérique, des Platanes d’Orient, des Tilleuls de Hollande, des Marronniers d’Inde, des Noisetiers de Byzance.
Véritable cité-jardin des morts une grande quantité d’arbres sont quasi centenaires. Une flore composée d’une cinquantaine d’espèces s’y développe. Le mur d’enceinte abrite par exemple quelques spécimens d’une espèce caractéristique des murs secs et chauds, la cymbalaire des murailles. Cette plante a scrofulaire était réputée soigner la scrofule : il s’agit d’une maladie purulente des ganglions du cou formant des plaies autrefois dénommée « écrouelles ». Les Rois de France et d’Angleterre avaient le pouvoir de guérir les malades par l’imposition des mains assortie de quelques prières et d’un signe de croix. En fait la scrofulaire a de petites nodosités sur ses racines qui ressemblent vaguement aux glandes engorgées des écrouelles ; de là le nom et la croyance, en vertu de l’idée que les plantes avaient des vertus médicatrices pour les lésions auxquelles elles ressemblaient.
Aujourd’hui, la scrofulaire reste encore utilisée en herboristerie pour diverses affections, pas seulement cutanées. Dans cette classe des scrofulariacées on trouve aussi le Paulownia, arbre familier des espaces publics urbains qu’il colonise avec rapidité.
Le nombre de tombes rend quasi impossible un recensement exhaustif des sépultures malgré le découpage de l’espace en divisions. Chaque division sont composées en général de plus de 20 rangées totalisent une quarantaine de tombes chacune.
Le cimetière offre bien des tentations auxquelles n’ont pas su résister quelques employés indélicats en 2012. Une affaire de trafic d’or et de bijoux volés sur les défunts lors d’exhumations de dépouilles vouées à être transférées dans un autre cimetière a jeté une ombre crapuleuse sur ce lieu de repos pour les morts et de recueillement pour les vivants.
Pourtant la position excentrée du cimetière, rattaché administrativement à Paris, explique le faible nombre de personnalités enterrées, preuve en est la modestie des tombes et l’abandon de certaines. Le promeneur découvrira avec surprise des pierres tombales cassées, des tombes éventrées par l’usure et la mauvaise qualité des matériaux. Ici, pas de dégradations volontaires seulement les effets du temps et une absence d’entretien. Mais l’importance du cimetière a favorisé des attributions erronées, comme celles d’Isidore Ducasse connu sous le pseudonyme de Comte de Lautréamont et de Louise Weber plus connue sous le nom de La Goulue. Le premier dont les ossements n’ont jamais été transférés depuis le cimetière Montmartre comme l’indiquent des récits infondés. Alors que La Goulue y a été enterrée avant d’être transférée au cimetière Montmartre sur décision de Jacques Chirac en 1992, à la demande de l’arrière-petit-fils de Pierre Lazareff, directeur artistique du Moulin Rouge qui avait été une des rares personnes a assisté à son enterrement en 1929.
Les dépouilles de Lautréamont et La Goulue ont été les actrices involontaires d’un faux chassé-croisé entre le cimetière de Montmartre et celui de Pantin
Le blog « restless transplant » constitue une excellente introduction à un nouveau paysage contemporain, par le voyage et son récit en images. Réinvention par la mobilité, le déplacement perpétuel, dans la grande tradition des clochards célestes.
Un nouveau mouvement photographique se fait doucement jour aux Etats Unis, en dehors des galeries et des institutions. De jeunes photographes talentueux partent sur la route, dérivent tranquillement en moto, camper, bus dans le grand tissus naturel-urbain du monde et photographient simplement leur vie au quotidien, dessinant le paysage d’une génération qui bouge, campe, fait des feux de camps, surfe, sur l’eau et la neige, se rencontrent et repartent, mange des choses colorées, porte des vêtements easylife, sortes de nouveaux hippies-techno-cool-concerned curieux et explorateurs, sans destination ni centre, que l’on pourrait croire sortis d’une publicité hyper-segmentée. Rien de nouveau sous le soleil, direz-vous, les précédents sont nombreux et brillants, mais c’est simplement l’air du temps qui se déploie et investit de nouveau des choses déjà explorées, documentées, vécues, avec toute l’arrogance de la redécouverte et du réenchantement, l’éternel retour.
Rien à vendre ni à acheter, « just a living » selon l’expression, quelques moments intimistes, des vagues, des couchers de soleil, des personnages, jeunes, vieux, étrangers, des animaux, toute une tribu en mouvement dans une sorte d’apesanteur palpable, le tout photographié avec une intelligence et une élégance de l’image qui ne se dément jamais : cadrage, simplicité, authenticité, couleurs, sujets, lumières, scènes, tout est beau, chaleureux et sensuel, naturel, ni pose ni pittoresque. Un style d’image très sophistiqué qui se coule dans un naturalisme minimaliste très efficace, jamais rien de trop, jamais de superflu, toujours le bon moment, la bonne lumière, dans une évidence et une discrétion très janséniste.
Paysage d’une nouvelle jeunesse, d’une errance joyeuse et insouciante, qui pourrait tourner à la caricature si la chose ne durait depuis plusieurs années, en-dehors des modes et de la moindre reconnaissance, la vie des bas-cotés, du paysage mobile toujours renouvelé, jamais lassant puisque toujours quitté jour après jour, toujours neuf, surprenant, nouveau, captivant, chatoyant. Le paysage du voyage sans destination, le monde est une (belle) carte postale quand photo et mode de vie deviennent une même écriture, nous sommes tous des images….
Stanley Marsh 3, le millionnaire américain à l’origine de « Cadillac Ranch » est mort. Grâce lui soit rendue d’avoir érigé un des rares « menhirs » de l’époque moderne.
Une société aussi nomade que les Etats Unis avait besoin d’un repère, d’un phare dans la nuit où se retrouver, se rencontrer et de marquer le paysage mythique des routes, voies, autoroutes, subways d’une empreinte collective. Selon Francesco Careri, l’auteur de « Walkscape », les menhirs sont à l’origine de l’architecture, lieux de rencontres à la fois verticale, transcendance mystique, et horizontale, nœuds de communication pédestre dans les sociétés nomades. De ce côté le Cadillac Ranch a bien fonctionné, situé sur le bord d’une route mythique et fréquenté par les bikers et autres vagabonds de la route, régulièrement entretenu, tagué, photographié, il est devenu une icône incontournable du paysage américains, intermédiaire entre le totem, l’aire de repos et l’espace sacré du culte de la voiture. Situé à Amarillo au Texas, créé en 1974 par Chip Lord, Hudson Marquez and Doug Michels, tous fondateurs du non moins mythique AntFarm, il consiste en un alignement de cadillac a demi-enterrées par l’avant et inclinées dans la terre selon le même angle que la pyramide de Giza en Egypte.
Quelques images rares de son installation et de ses fondateurs, et pour terminer une image de son petit frère le « Air Stream Ranch », dont l’existence n’a malheureusement pas eu la même longévité.
La marche, ce déséquilibre rattrapé qui permet à l’homme d’avancer, de se mouvoir dans l’espace, marque le territoire de l’humain. Là où l’homme a marché, le lieu est approprié, dans le sens connu comme propriété du domaine humain. Quand Neil Armstrong laisse une empreinte de pied sur le sol lunaire, l’image devient preuve, la marque de pas y constitue titre d’appropriation. Auparavant, quand Muybridge en 1884 publie Animal Locomotion, c’était déjà l’image photographique qui fournissait les éléments d’une nouvelle compréhension et perception du mouvement et de la marche en particulier. L’empreinte du pied botté de Neil Armstrong relève de la même empreinte que les enquêteurs, les pisteurs, les éclaireurs suivent à la trace. La pointure, la taille du pied, s’impose comme critère d’identification.
Le logo de DéMarches d’une taille de 30 cm se réfère à la mesure anglo-saxonne du pied (feet) soit 0,3048 mètre. Il fonctionne comme référence pour donner l’échelle, à la fois pour la mesure du paysage environnant et pour la mesure du rythme, la cadence. Si le pied donne ici l’échelle de l’humain, c’est qu’il s’agit de la partie du corps qui établit le contact avec le sol, celle qui marque de son empreinte le parcours, la trace sur le chemin.