L’effet Burma-Shave et autres dispositifs

Les panneaux publicitaires occultent le paysage, suivant les réglementations propres à chaque Etat, leur installation à foison sur les bas-côtés des routes et autoroutes sollicite l’attention des automobilistes, cyclistes et piétons. Les supports de toutes tailles vantent des offres commerciales.  Des créatifs et des artistes ont décidé de mettre à profit l’efficacité du panneau d’affichage en la détournant à des fins environnementales. L’idée étant de valoriser le paysage à travers les supports qui le masque.

L’effet Burma-Shave

La méthode de publicité connue sous le nom de Burma-Shave, compagnie de crème à raser qui a initialement utilisé ce dispositif, repose sur le mouvement du spectateur. Il s’agit dans ce cas de publicité autoroutière dont la lecture du message n’est accessible qu’aux automobilistes se déplaçant devant une succession de panneaux.

En 1925 Allan Odell, fils de Clinton le propriétaire de la marque, invente le concept des enseignes séquentielles pour vendre son produit.

La série de panneaux Burma-Shave est apparue pour la première fois sur l’autoroute US Highway 65 près de Lakeville, au Minnesota, en 1926, et est restée une importante composante publicitaire jusqu’en 1963 dans la plupart des États contigus. Sur la première série les automobilistes pouvaient lire : Cheer up, face – the war is over! Burma-Shave.

Certains Etats de l’Union n’ont pas été dotés du système, soit à cause d’un trafic insuffisant, comme au Nouveau-Mexique, dans l’Arizona et le Nevada, soit comme le Massachusetts à cause de l’abondance de la végétation le long des routes.

Le dispositif se composait généralement de six petites enseignes consécutives affichées le long des autoroutes, espacées pour permettre une lecture séquentielle par les automobilistes. Le dernier panneau affichait en général le nom du produit. Les panneaux ont été produits à l’origine dans deux combinaisons de couleurs: rouge et blanc et orange et noir, durant une courte période. Des panneaux blanc sur bleu ont été mis en place dans le Dakota du Sud, la couleur rouge étant réservées aux panneaux routiers.

Chacun dans les voitures tentaient de deviner le contenu de ces poèmes des bas-côtés, dont les exemples illustrent la forme (1) :

Shaving brushes/You’ll son see’em/On a shelf/In some museum /Burla-Shave

If you/Don’t know/whose signs/These far ;you can’t have/driven very far/Burma-Shave

Cette utilisation de série de panneaux de petits formats, dont chaque ensemble constituait un message commercial, était une approche réussie de publicité routière adaptée aux vitesses peu élevées des véhicules de l’époque, attirant l’attention des automobilistes qui étaient curieux de découvrir ces messages. À mesure que le système des Interstates s’est développé à la fin des années 1950 et que la vitesse des véhicules a augmenté, il est devenu plus difficile de capter l’attention des automobilistes avec des panneaux de petites tailles.

Suite à des reventes et à l’inadaptation du système aux vitesses de déplacement, la marque déclina jusqu’à disparaitre définitivement des bords de route. Mais le souvenir reste vivant à travers des musées et des sites protégés qui conservent la mémoire de ce système astucieux.

A history of the Burma-Vita Company, écrite par Frank Rowsome Jr. et illustré par Carl Rose, édité chez Stephen Greene Press en 1963.

L’effet Burma Shave a inspiré des déclinaisons artistiques le long des routes, avec des installations adaptées à la circulation automobile actuelle.

Jennifer Bolande – Desert X

Aux USA, une artiste du nom de Jennifer Bolande a conçu une installation pour la manifestation Desert X, une exposition organisée par des artistes établis et émergents dans la vallée de la Coachella et son paysage désertique.

Les voitures circulant sur la voie nommée Gene Autry, entre l’Interstate 10 et Vista Chino à Palm Springs, rencontrent l’installation Visible Distance/Second Sight  (2), une expérience cinématographique animée par une séquence de photographies de montagnes, aux formats précisément étudiés, placée sur des panneaux d’affichage. Ces images ont été parfaitement alignées sur leur arrière-plan, donc – vu d’une position unique le long de la route – le rectangle du panneau d’affichage est raccord avec l’environnement qui lui sert de fond de décor naturel.

Les billboards de Jennifer Bolande recouvrent les deux éléments suivants : le support de publicité commerciale qui lui-même masque le paysage et la photographie du paysage qui montre la partie masquée.

« Pour le conducteur, il y a une sorte d’oscillation d’attention entre l’image et la réalité, ce qui m’intéresse vraiment », dit Jennifer. « Je pense que la plupart d’entre nous sont plus habitués à regarder des images de la nature que la nature elle-même.

J’aime la façon dont le projet attire l’attention sur le cadrage de la réalité et fournit également une sorte d’évasion du cadre. Vous pouvez seulement apercevoir le premier panneau d’affichage du coin de l’œil, le second que vous voyez par rapport au paysage, et le troisième que vous attendez avec impatience et qui peut voir les horizons s’aligner. Mais parce que vous ne pouvez pas arrêter, vous devez le laisser passer. Alors c’est juste un souvenir, mais le paysage sans cadre est toujours là, juste devant toi.  »

En lieu et place d’une publicité, Jennifer Bolande expose une image du paysage masqué en jouant sur les échelles entre l’image et le paysage, massif montagneux qui clôt l’horizon. De ce rapport entre le billboard support d’un fragment agrandi et le paysage réel dans son étendue, un point de vue unique permet à l’automobiliste de réaliser la coïncidence des lignes de crêtes qui assureront la continuité paysagère.

Brian Kanes – Healing Tool

En 2015, pour son projet Healing Tool, l’artiste Brian Kanes achète de l’espace publicitaire sur des panneaux géants au croisement de deux autoroutes dans le Massachusetts aux Etats-Unis. Il souhaite ainsi alléger temporairement la pression des messages publicitaires en présentant des images de nature.

L’intitulé de son installation Healing Tool est le nom de l’outil de Photoshop qui permet de corriger une image. Ces panneaux numériques permettent de les intégrer dans leur environnement, grâce à la diffusion d’images du paysage évoluant en fonction de la période de la journée. En journée, le panneau affiche des images de la nature environnante et quand vient la nuit des photos en haute définition de la Lune et même de la voie lactée les remplacent, permettant de contempler la voûte céleste, rendue invisible par la pollution lumineuse. Suite à une polémique sur les réseaux sociaux entre Jennifer Bolande et Brian Kane, ce dernier a déclaré « C’est une pâle copie de mon travail original de 2015, à l’exception que mon oeuvre était meilleure, puisqu’elle était digitale, permettant ainsi aux images d’évoluer selon l’heure de la journée et fonctionnait la nuit. »

Si les deux oeuvres ont en commun un détournement des panneaux publicitaires au profit d’une attention au paysage, il n’y a pas de place pour une polémique, les deux réalisations traitent le sujet chacune à leur manière.

Autres dispositifs cinétiques

Parmi les solutions d’affichage dynamique, notons les panneaux à lamelles horizontales, de type Tri-vision ou à défilement qui permettent de montrer plusieurs images dans un même cadre. Leur capacité narrative a donné lieu à des réalisations graphiques, même si la préférence semble donner aux panneaux juxtaposés pour des jeux visuels.

 

Bucarest 2012- Photo François Duconseille

Billboard Outdoor

Marqueur du paysage américain, le billboard développe, sur une longueur minimum de 15 mètres, des affiches à l’échelle du territoire et adaptées à la circulation automobile. La lisibilité est fonction de la taille par rapport à la distance de la route. Affichage commercial donnant lieu à de multiples traitements, les billboards accueillent aussi les visiteurs dans de nombreux Etats, avec des mises en scène paysagères.

 

Ciel! le cadre

Le cadre des panneaux publicitaires interroge l’environnement. Le panneau vide ou évidé offre aux créatifs et aux artistes de multiples possibilités dont les exemples ci-dessous montrent quelques réussites remarquables. Dans ces exemples, le support ne masque pas, il cadre une part de ciel. Le cycle journalier et la météo offrent ainsi un fond variable aux messages.

Outdoor advertisment créé par Saatchi & Saatchi, Vietnam pour Pacific Airlines.

Y&R Auckland et la société néo-zélandaise Metservice ont créé ce cadre d’affichage simulant la page web du service météo, comme preuve de l’exactitude des données du site.

Le cadre fixe le point de vue à un moment précis du positionnement de l’automobiliste.

Pour promouvoir la marque de couleurs pour cheveux Koleston, l’agence Leo Burnett a conçu un panneau évidé au niveau de la chevelure du modèle. Une idée lumineuse. En fonction du lever ou du coucher du soleil, la couleur des cheveux change selon les variations du ciel. La couleur naturelle…

Le spectateur est assigné à une place précise qui seule offrira le point de vue conforme à l’intention. Dans ces cas, le spectateur est invité à découvrir son positionnement sur lequel il devra rester dans une posture statique. En situation de mobilité, la vue, fugitive, est conditionnée par la vitesse de déplacement.

Le Lead Pencil Studio, installé à Seattle, dirigé par Daniel Mihalyo et Annie Han, a conçu une imposante structure tubulaire pour créer l’espace négatif d’un panneau d’affichage. Il s’agit d’une installation nommée Non-Sign et située près de Vancouver, à la frontière du Canada et des Etats-Unis. Daniel Mihalyo explique le concept: Empruntant l’efficacité des panneaux d’affichage pour détourner l’attention du paysage … cette percée ouverte en permanence entre les nations ne sert qu’à définir une vision claire de l’évolution des conditions atmosphériques au-delà… C’est un endroit vraiment remarquable – une vasière, divisée en deux par la frontière – mais parce que c’est une zone de sécurité, il est difficile d’apprécier l’environnement. »

Neuf mois d’installation, pour cette commande du programme Art in Architecture de General Services Administration (GSA), qui consacre une petite partie (0,5%) des coûts de construction de tous les projets fédéraux à l’amélioration des œuvres d’art, dans le but d’ennoblir l’espace public et de promouvoir les artistes américains

photos Ian Gill pour Lead Pencil Studio

détails de l’installation

Interagir avec l’urbain

OX mixe les styles des mouvements d’avant-garde avec l’univers visuel commercial.

Membre du collectif “Les Frères Ripoulin” célèbre pour avoir eu entre autres comme membres Pierre Huyghe, Claude Closky et Jean Faucheur. Ox décide, dès les années 80, de travailler dans l’espace public.

« Ces espaces d’affichage publicitaire sont comme d’immenses fenêtres, des tableaux surdimensionnés, suspendus dans la ville », dit OX

« Dans mon travail il ne s’agit pas de décorer la ville, mais plutôt de créer un tout petit moment qui est juste un petit peu différent; il s’agit de s’éloigner des relations du slogan ainsi que de l’idée de la vente afin de les intégrer encore plus dans le moment. Il ne s’agit pas de provoquer la chute de la publicité. » déclarait-il dans un entretien pour ARTE creative. En extérieur, il réalise des collages prenant en compte l’environnement et la saisonnalité qui interagissent  avec l’oeuvre.

L’anamorphose dans la ville

Des artistes comme l’italien Felice Varini travaille sur des formes spectaculaires puisqu’il utilise comme support, les lieux et les architectures des espaces sur lesquels il intervient. Ses interventions à l’échelle des bâtiments, des rues utilisent la technique de l’anamorphose qui permet de recomposer une forme à partir d’un point de vue unique. Pour aider au bon point de vue, l’artiste marque physiquement le point précis depuis lequel le spectateur obtiendra la vue ajustée de l’anamorphose.

Felice Varini- Saint Nazaire. Anamorphose de triangles dans le cadre d’Estuaire

En France, Georges Rousse travaille aussi sur l’anamorphose. S’il utilise uniquement la photographie pour fixer son œuvre de l’unique point de vue de son appareil photo, Georges Rousse est avant tout peintre.

Cette maison isolée au milieu d’immondices a été peinte et photographiée par l’artiste à Séoul en 2000. Le cercle parfait que nous voyons, n’existe que depuis l’endroit précis où Georges Rousse a fixé son objectif.  Un décalage, aussi faible soit-il, dévoilerait le travail d’ajustement du cercle sur les décrochés de la façade.  Le point de vue unique assigné au spectateur par l’artiste est ici attesté par la photo qui fixe un état précaire du bâti.

Olé toro !

La silhouette de taureau, familière aux Espagnols et aux touristes, a été conçue pour le groupe Osborne par le directeur artistique et chef de studio de l’agence Azor, Manuel Prieto, en 1956.

dessin original de Manuel Prieto

La première silhouette en bois a été placée sur la route Madrid-Burgos et après quelques changements, en 1961 le taureau désormais fabriqué en tôle passe des 40 m2 initiaux à 150 m2.

Ces caractéristiques sont impressionnantes : il mesure 14 mètres de haut et pèse 4 tonnes.  Il nécessite 1 000 boulons pour l’assemblage et 76 litres de peinture noire. Le nom de la marque a majoritairement disparu et la référence au produit n’est plus une référence pour les jeunes générations qui ne consomment plus de finos de Jerez, dans les botellon, ces samedis soirs arrosés.

La bête est à la mesure du paysage. Sa taille imposante est la conséquence d’une loi imposant aux panneaux publicitaires une distance d’au moins 125 mètres de la chaussée. La silhouette du taureau se dresse donc sur des promontoires, figure symbolique de l’Espagne. Image familière des bords de route, la silhouette du taureau Osborne a perdu son message de marque au profit d’une image symbolique dont la notoriété en a fait un élément d’intérêt esthétique et culturel reconnue depuis 1997.

Pourtant ce marqueur territorial n’est pas accepté dans toutes les régions loin s’en faut. S’il existe 91 taureaux Osborne en Espagne, leur répartition géographique sur le territoire espagnol est fonction des positions des différentes provinces à l’égard de Madrid. Ainsi la Cantabrie, la Catalogne, Ceuta et la région de Murcie les ont refusés. D’autres province n’ont qu’un exemplaire : les îles Baléares, les Canaries, Melilla, la Navarre et le Pays basque, alors que l’Andalousie en a vingt-trois.

L’imposante figure du taureau de Manuel Prieto n’a pas seulement réussi à s’imposer dans le cadre du paysage, mais est devenue une référence majeure dans la conception graphique et la publicité au niveau international. Son intégration dans le paysage fonctionne moins comme publicité que comme figure emblématique d’un animal culturellement attaché à la Péninsule Ibérique. Loin d’occulter son environnement, cette silhouette inscrit l’animal dans le territoire.

Jeu d’échelle urbaine

A l’occasion des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro en 2016, l’artiste français JR installe dans la ville la présence physique d’athlètes. Ici, le soudanais Mohamed Younes Idriss, spécialiste du saut en hauteur, s’impose en haut d’un immeuble alors qu’il n’est présent qu’en image. En effet, il n’était pas sélectionné pour les Jeux. A l’échelle urbaine, le surdimensionnement de l’humain s’impose pour s’intégrer dans un rapport visuel dans lequel l’humain domine le décor.

JR-Jeux Olympiques 2016-Rio de Janeiro-Mohamed Younes Idriss,  originaire du Soudan-non sélectionné

Art vs affiche

La relation à l’art passe par les figures de Raymond Hains et de Jacques Villeglé qui ont travaillé sur la lacération des affichages publics. En accrochant aux cimaises des galeries et des musées leurs oeuvres respectives, les deux artistes ont inscrit l’affiche comme oeuvre picturale. Les messages  réduits en lambeaux de couches superposées illustrent la précarité de ces affiches conçues pour retenir notre regard en oblitérant ou en égayant, suivant les lieux, leur environnement.

L’affichage représente un important secteur économique qui a fait la fortune dans chaque pays concernés des acteurs de ce marché mondial. L’affiche commerciale, politique ou informationnelle reste un vecteur essentiel par son impact visuel et sa capacité à investir tous les formats, de la pancarte dans les manifs aux gigantesques billboards.  Composante inévitable du paysage qu’il soit urbain ou rural, l’affiche gène, séduit, masque ou révèle. Autorisés ou interdits, les supports et leurs affiches  s’inscrivent souvent comme élément masquant du paysage et parfois comme révélateur de leur environnement. En France le texte le plus affiché est probablement celui qui rappelle la loi.

L’actualité cinématographique de la rentrée 2018 affiche un film américain réalisé par Martin McDonagh « Billboards, outside Ebbing », dont le sujet porte sur l’utilisation de 3 panneaux d’affichage plus ou moins abandonnés. Lire l’article de Florence Berthier

Notes :

-(1) voir http://fiftiesweb.com/pop/burma-shave-1/

-(2) voir https://www.desertx.org/jennifer-bolande/

 

 

L’art d’être solivagant

Le solivagant est un marcheur qui choisit le vagabondage solitaire.  

La pratique de la marche occupe désormais une place prépondérante dans les activités récréatives de tourisme et de bien-être. De multiples offres utilisent la marche pour « endoctriner » le marcheur en lui vendant découverte du territoire, tissage de lien social, fabrique d’un sentiment d’appartenance, adhésion à un projet d’aménagement de préférence structurant. Un utilitarisme qui implique des marches organisées. Ces marches grégaires donnent lieu à de longues files s’effilochant sur des sentiers où chacun est invité à partager une expérience collective. Les chemins de la foi, les marches contestataires, les visites guidées ont décliné la formule avec succès. Des chemins méconnus, des sentiers peu pratiqués se transforment ainsi, par la grâce des organisateurs, en véritables autoroutes à marcheurs. Objectif considéré comme un succès.

I need to be alone. I need to ponder my shame and my despair in seclusion; I need the sunshine and the paving stones of the streets without companions, without conversation, face to face with myself, with only the music of my heart for company.  – Henry Miller in Tropic of Cancer.

Mais la marche est encore aussi pour certain synonyme d’«ennui». Alors interrogeons-nous, que se passe-t-il si nous revisitons une conception solitaire et regardons comment la marche peut être bénéfique pour vaincre le mal-être, pour améliorer la santé physique et mentale, favoriser une nouvelle conscience de soi?

For my part, I travel not to go anywhere, but to go. – Robert Louis Stevenson
Socialement, nous sommes constamment poussés vers la prochaine opportunité à découvrir au bout de la rue. Souvent, cela signifie que nous quêtons une hypothétique satisfaction, plutôt que d’accepter de vivre dans le présent, nous poursuivons une promesse future toujours hors de portée.  La même problématique s’applique à la marche. Nous marchons de préférence s’il y a un but. Nous marchons vers notre lieu de travail, notre lieu d’étude, de loisirs, ou pour aller vers un objectif qui nous a été assigné. Mais que faire si nous commençons à marcher juste pour notre plaisir personnel? Etre solitaire est un choix, alors que la solitude ne l’est pas. 

Il s’avère que ce vagabondage, contrairement à une opinion répandue, n’est pas une errance stérile mais favorise le bien-être, d’autant plus facilement qu’il s’agit d’une pratique accessible à tout un chacun dans son environnement immédiat.

Finsbury Park North London by Alamy

 

Il n’y a rien de tel que la marche solitaire

Solitude is independence. It had been my wish and with the years I had attained it. It was cold. Oh, cold enough! But it was also still, wonderfully still and vast like the cold stillness of space in which the stars revolve. – Hermann Hesse in Steppenwolf

La marche en solitaire présente des similitudes avec la dérive psychogéographique chère aux situationnistes. La psychogéographie doit s’entendre littéralement comme un point de convergence de la psychologie et de la géographie, concernant la dérive urbaine. Mais le principe posé par Guy Debord peut être élargi à des pratiques périphériques comme le voyage mental, la flânerie ou encore le vagabondage.  Malgré la disparité apparente de ces pratiques, elles agrègent des invariants, dont la marche est l’élément fondamental.

Rex Features

 

Qu’il se nomme marcheur, flâneur ou promeneur, le piéton à une dimension politique  caractéristique de la psychogéographie, l’opposition à l’autorité à laquelle s’adjoint un sens de la provocation pouvant prendre des formes ludiques. La psychogéographie actuelle s’inscrit dans des approches liant une histoire locale à une enquête géographique.

Lors d’une promenade dans notre environnement, nous découvrirons avant tout, que même seul, nous participons de quelque chose qui nous dépasse.

Vous pouvez sur tous les sites, touristiques ou pas, croiser des personnes isolées. Avant que vous n’en ayez conscience, vous serez en phase avec eux. Les «solivagants», un type de personne,  que je vous invite à découvrir. Des errants solitaires avec lesquels vous partagerez des instants et des émotions éphémères, une complicité fugace tant chacun veille à respecter l’Autre.

Le solitaire est un diminutif du sauvage, accepté par la civilisation. -Victor Hugo in L’Homme qui rit

N’attendez rien, gagnez tout

Les événements aussi minuscules soient-ils adviennent quand on s’y attend le moins, et ce sont souvent les meilleures surprises. Cela survient lors de marche sans but – autrement dit de marche méditative.

Si vous venez sans attente, autre que de vous abandonner à votre environnement, je peux vous assurer que vous allez acquérir quelque chose d’intangible, de l’ordre d’une expérience bénéfique.

Not all who wander are lost. -Tolkien in The Lord of the Rings

L’expérience du solivagant, favorise l’acquisition d’une meilleure conscience de soi. Peut-être parce que l’on est plus à l’aise en sa propre compagnie, avec rien d’autre que ses propres pensées pour se guider.

Un homme seul – 2005 – photo : imagineur

On se laisse envahir par une seule pensée – je veux marcher, simplement pour le plaisir de marcher et m’immerger dans mon environnement immédiat.

En anglais Listen & Silent s’épellent avec les mêmes lettres, ce qui est une invitation à combiner écoute et silence.

Christian Marclay- 2005

 

Quand on a une tendance à la rumination mentale, à se perdre dans ses pensées, la pratique de la promenade apprend à être plus en accord avec ses propres pensées et à apprécier le lieu dans lequel on évolue.  Une attitude positive, de la confiance en soi s’acquiert lorsqu’on s’y attend le moins, d’où la nécessité de rester réceptif.

L’habitude de rentrer en moi-même me fit perdre enfin le sentiment et presque le souvenir de mes maux, j’appris ainsi par ma propre expérience que la source du vrai bonheur est en nous. -Jean-Jacques Rousseau in Rêverie d’un promeneur solitaire

Un voyage d’un millier de lieues commence par un simple pas. -Lao Tseu

Si vous choisissez de profiter du moment, choisissez le bonheur hic et nunc, votre esprit peut alors atteindre son vrai potentiel. Si au contraire, vous pensez toujours conditionnellement  « Je serais heureux, si seulement … », vous nourrirez inévitablement votre esprit avec des échecs.

Adopter la position du solivagant dans sa vie (celui d’être à l’aise seul et d’apprécier les sites qui se trouvent sur le chemin que vous rencontrez) constitue un moyen simple d’accomplir un changement positif.

Johanna Obando- The traveller 2013

Essayez, où que vous viviez – n’hésitez pas à enrichir votre expérience en prenant des photos, du café ou du thé, mais faites simplement des promenades, par amour de la marche et appréciez le monde qui vous entoure.

 

Dans les pas de Delacroix

Le parcours « Dans les pas de Delacroix » relève d’une démarche différente des propositions précédentes. Il s’en distingue à plusieurs titres :

  • les parcours sont ici des promenades historiques aménagées au XIXème siècle
  • l’objet des promenades outre la marche réside dans l’immersion au sein de paysages arpentés par Eugène de Delacroix
  • Le peintre confronté, pour la première fois, aux montagnes s’interroge sur les représentations de ces motifs reliefs.

En 1845, Eugène Delacroix suit une cure aux Eaux-Bonnes dans les Pyrénées, pour soigner une  laryngite tuberculeuse. Des aquarelles et croquis de son séjour paraissent dispersées à travers des feuillets, alors que son carnet dit « des Pyrénées » classé « trésor national » en 2003 est acquis l’année suivante par le Louvre. Il appartient à une série de 27 albums apparus en 1864 lors de la vente de l’atelier du peintre.

Le carnet a fait l’objet d’une publication en fac-similé dans un coffret comprenant une étude savante de Marie-Pierre Salé, conservateur en chef au département des Arts graphiques du Louvre, reconnue comme une des grandes spécialistes françaises de l’art du dessin au XIXe siècle.

Ce coffret a motivé un déplacement sur place pour découvrir le cadre dans lequel Delacroix s’était promené et voir les paysages qu’il avait dessinés. L’étude de Marie-Pierre Salé documente avec précision le séjour du peintre, sa lecture satisfera tous ceux qui souhaitent approfondir le sujet. (1)

Les Eaux-Bonnes

Les Eaux-Bonnes, petite station thermale des Pyrénées-Atlantiques, a connu une vie trépidante au XIXème siècle. Delacroix s’y installe, du 22 juillet au 14 août 1845, après un éprouvant voyage en diligence depuis Bordeaux, où il a visité son frère. La station très fréquentée n’a pas encore était transformée par Mlle de Montijo, qui en épousant  Napoléon III deviendra impératrice des Français. Il faudra attendre 1861 pour que les travaux dotent les Eaux-Bonnes des équipements que nous lui connaissons aujourd’hui.

Ainsi, lorsque Delacroix s’installe, les aménagements publics sont sommaires, comme en témoigne Adolphe Moreau dans Itinéraire de Pau aux Eaux-Bonnes et aux Eaux-Chaudes édité par Vignancour à Pau en 1841 :

Au centre du Jardin Anglais, on a jeté un pont sur le torrent : ce passage sert d’entrée au Chemin Horizontal, dont la tête mène aussi à la Promenade Gramont.
Vous ne serez pas sans vous étonner de voir ce terrain auquel la nature a tout prodigué, verdure, ombrage, eau, n’être pour ainsi dire qu’un affreux cloaque, dans une partie duquel il faut marcher avec une extrême précaution. Quand on compare l’état d’abandon dans lequel on le laisse avec le soin apporté au bien-être dans les hôtels où vous logez, on a lieu d’être surpris.

Cette description donne une idée de la situation. Quand on visite les Eaux-Bonnes aujourd’hui, on l’imagine mal sans son casino, le Jardin Anglais aménagé et arboré, et l’Hôtel des Princes tels que nous le découvrons, même si ce dernier est actuellement en attente de réhabilitation.

Destination prisée, la station ossaloise accueille une colonie comme en atteste le Mémorial des Pyrénées dans son édition du 27 juillet 1845 :

« On peut voir sur la promenade Eugène Delacroix, Paul Huet, Camille Roqueplan, Pehr Wickenberg et Eugène Deveria s’embrasser cordialement et témoigner du bonheur qu’ils avaient à se revoir. »

Le chroniqueur de l’époque se garde d’évoquer le désarroi de Delacroix face aux curistes, familles en goguette qui occupent leurs journées entre soins et fêtes nocturnes. Lui qui est tracassé par ses chantiers parisiens, du Palais Bourbon et du Luxembourg comme il l’écrit à Frédéric Villot le 5 août 1845.

Les Prom’s

Seules quelques promenades offrent aux curistes de 1845 des opportunités pour marcher sur des parcours aménagés.

Eugène Delacroix les empruntera pour découvrir les panoramas et apprécier les points de fuite sur la Vallée d’Ossau :

Chacune permet de découvrir un versant de la vallée. Ces promenades toujours accessibles ne présentent pas de difficulté particulière. De la promenade Horizontale, la plus célèbre car sans dénivelé à la promenade Eynard pour découvrir le charmant belvédère dénommé Butte au trésor.

Extrait de Itinéraire de Pau aux Eaux-Bonnes et aux Eaux-Chaudes par Adolphe Moreau.

Jacques Le Gall, Maître de conférence en langue et littérature française à l’Université de Pau et des pays de l’Adour, rappelle que Delacroix, comme ses confrères peintres,  offrit une aquarelle à une loterie organisée pour financer l’aménagement de la fin de la Promenade Horizontale. On connaît par l’article paru alors dans le Mémorial des Pyrénées le nom du gagnant : M. de Plaisance. Mais on ignore le titre et le devenir de cette aquarelle. (2)

« Le pays est magnifique. C’est la montagne dans toute sa majesté. Il y a vraiment à chaque pas, à chaque détour de sentier des sites ravissants : ayez avec cela les pieds de chèvre pour escalader les montées, et vous avez la jouissance complète du pays. » lettre à Frédéric Villot-26 juillet 1845

Le peintre prend la plume le 26 juillet pour narrer à son ami Pierret son impression sur son lieu de cure :

J’ai eu toutes les difficultés du monde à me loger; on vous offre à votre arrivée des trous à ne pas mettre des animaux […] Je me suis vu d’abord ici dans un véritable guêpier. On trouve aux eaux une foule de gens qu’on ne voit jamais à Paris; et moi qui fuis les conversations, surtout les conversations oiseuses, je me voyais d’avance assassiné. Il faut donc une certaine adresse pour éluder les rencontres, et c’est fort difficile dans un endroit qui est fait comme un entonnoir et où on est par conséquent les uns sur les autres.

Dans son abondant courrier, le peintre insiste auprès de ses correspondants sur la vie animée et bruyante de personnes venues pour se soigner. Les mondanités l’insupportent. La cure, prescrite pour traiter une affection laryngée persistante, rythme ses journées.

Arrivé sous une météo clémente, son séjour connaîtra des passages pluvieux abondants. Le site l’impressionne, il voit pour la première fois des montagnes. Pics, névés, cascades, prairies, forêts, guides et autochtones mobilisent toute son attention.

« Le vrai peintre est celui chez qui l’imagination parle avant tout »
Eugène Delacroix, Journal- 12 octobre 1853

La question de la taille du panorama s’impose d’emblée : « la beauté de cette nature des Pyrénées n’est pas de celles qu’on peut espérer rendre avec la peinture d’une manière heureuse. Tout cela est trop gigantesque et on ne sait par où commencer au milieu de ces masses et de ces multitudes de détails. » lettre à Gaultron-5 août 1845

Le folklore des vêtements locaux, les us et coutumes pyrénéennes retiennent son intérêt, il apprécie les vêtements des femmes. Il croque des figures, des détails vestimentaires, des attitudes, autant d’instantanés du quotidien dont le carnet témoigne.

Il marche à l’écart de la foule des curistes qu’il fuit. Il prend un guide, s’installe avec son carnet, ses crayons dans les sous-bois, face aux cascades et esquisse des vues cadrées sur lesquelles il note en clair les couleurs de référence. Dominante des variétés de vert. Dans sa chambre d’hôtel, il ajoute des rehauts d’aquarelle. Le papier du carnet supporte la transparence de l’aquarelle, jamais de gouache qui « bouche ». La dilution à l’eau, de cette peinture facile à mettre en oeuvre en déplacement, lui convient pour réaliser les esquisses auxquelles il pourra de retour dans son atelier parisien se référer pour les grandes toiles et les décors.
La méthode de travail de Delacroix se divise en deux phases distinctes : il réalise in situ des dessins qu’il annote pour préciser les couleurs ou des détails; ensuite, de retour dans son atelier parisien il recompose le paysage en donnant à sa mémoire et son imagination la place nécessaire pour ne pas recopier la nature comme le fait la photographie et les peintres dont il critique la pratique.

Dès son arrivée sur place, Delacroix écrit des lettres dans lesquelles il ne manque pas de manifester son enthousiasme pour le site :

« La nature est ici très belle ; on est jusqu’au cou dans les montagnes et les effets en sont magnifiques”  lettre à L. Riesener, le 25 juillet.

La montagne a longtemps inspiré la crainte, comme l’a montré Alain Corbin dans « Une Histoire du silence » (3) et l’on trouve de nombreux témoignages de cette «orophobie » dans la peinture, la cantonnant à l’arrière-plan, en fond de décor, malgré son caractère imposant. Il faudra attendre le milieu du XVIIIe siècle, lorsque des hommes plus téméraires  s’aventureront sur les sommets et en reviendront enthousiastes, pour que la montagne devienne un thème pictural de premier plan.

La photographie n’est pas étrangère à l’intérêt suscité par ces motifs reliefs. On connaît la curiosité de la Delacroix pour la photographie. Parmi les premiers inscrits à la Société Française de Photographie, il reste défiant envers des pratiques et des usages de la photo. Mais il est convaincu par son aspect « aide-mémoire ». La photographie permettra dès ses débuts de montrer au public des sujets qu’ils découvriront pour la première fois. Dans le contexte de l’époque peu de personnes avaient eu l’occasion de découvrir les montagnes et leurs sommets.

« Les tableaux de M. Delacroix, cette année, sont, comme nous le disions, des esquisses, mot qui éveille mal à propos l’idée d’une ébauche à terminer. Ce n’est pas ainsi qu’on doit l’entendre : dans ces petites toiles se rencontre tout ce que l’auteur a cherché, une impression vive, un effet juste et saisissant. Francis Wey “Salon de 1847 (3e article)”, Le Courrier français, 11 avril 1847

 

Delacroix et la photographie

« Jusqu’ici, cet art à la machine ne nous rendu qu’un détestable service il nous gâte les chefs d’oeuvre, sans nous satisfaire complètement. » Delacroix-Journal, 1853

Eugène Durieu est une figure marquante des débuts de la photographie en France. Il participe activement à la mise en place de la Mission héliographique. Il s’implique aussi dans la Société héliographiqueet il est le premier président de la Société française de photographie,  fondée le .  La même année, sa collaboration avec Eugène Delacroix est un fait acquis. Il réalisa sur les indications du peintre une série de photographies de modèles nus.

Sans préjuger des rivalités entre peinture et photographie, Delacroix se documente et s’intéresse de près à l’essor de la photographie. Il était réticent dans son rapport à l’image photographique, on sait qu’il demanda, sans succès,  la destruction de ses portraits photographiques qui ne répondait pas à sa conception de la représentation. « Je suis effrayé du résultat, c’est une triste effigie, au nom du ciel ne laissez pas subsister le résultat de ce moment-ci » écrit-il à Nadar, à propos du portrait ci-dessous.

Nadar, portrait Eugène Delacroix-1858, papier salé,

Pour sa documentation personnelle, il collectionne des reproductions d’œuvres d’art.  Il note dans son Journal le 1er septembre 1859 : « les photographies qui saisissent davantage sont celles où l’imperfection même du procédé pour rendre d’une manière absolue laisse certaines lacunes, certains repos pour l’oeil ». S’il ne pratique pas lui-même la photo, il confie à Durieu la réalisation des clichés.  Il définit pour cela un cahier des charges lui permettant d’obtenir des photos « vagues » dépouillées de tous les attributs pittoresques qui ornaient les images commerciales, très en vogue dans les ateliers de peintre.

Son correspondant d’Arras, le peintre Constant Dutilleux nous livre un précieux témoignage sur les séances de prises de vue qu’organisait Delacroix :

« Je possède un album composé de poses de modèles, hommes et femmes, qui furent indiquées par lui, saisies sous ses yeux par l’objectif… Phénomène incroyable! Le choix de la nature, l’attitude, la distribution de la lumière, la torsion des membres sont si singuliers, si voulus qu’on dirait de beaucoup de ces épreuves qu’elles ont été prises d’après les originaux du même maître. L’artiste est en quelque sorte souverain maître de la machine et de la matière. Le rayonnement de l’idéal qu’il portait en lui transformait en héros vaincus et rêveurs, nymphes nerveuses et pantelantes des modèles à 3 francs la séance. »
Notes de Constant Dutilleux, papiers Burty-Paris-Bibliothèque Doucet-Institut d’art et d’archéologie.

Nu féminin sur un divan, E.Durieu-1854

Delacroix, Odalisque-1857

En 1853, dans les colonnes de La Lumière, le rédacteur en chef Ernest Lacan tente « trois esquisses physiologiques » du photographe : « le photographe proprement dit », c’est le professionnel, qui produit « les images fidèles d’un gendarme, d’une première communiante, d’un monsieur de qualité douteuse, de deux ou trois familles groupées tendrement, le sourire aux lèvres, dans des attitudes plus ou moins gracieuses et engageantes ». « Le photographe artiste est celui qui, ayant consacré sa vie à l’étude d’un art, comme la peinture, l’architecture, la gravure, etc., a vu dans la photographie un moyen nouveau de traduire ses impressions, d’imiter la nature dans sa poésie, sa richesse et sa beauté, et de reproduire les chefs-d’œuvre que le génie humain a semé sur terre ». « Le photographe amateur, pour nous, c’est l’homme qui, par amour de l’art, s’est passionné pour la photographie, comme il se serait passionné pour la peinture, la sculpture ou la musique, qui en a fait une étude sérieuse, raisonnée, intelligente ».  Textes réunis par le Musée français de la photographie de Bièvres.

La querelle du paragone 2.0.

Marco Collareta, professeur d’Histoire de l’art à l’Université de Pise, décrit l’origine de ce conflit entre les arts dans un article intitulé  : Nouvelles études sur le paragone entre les arts. (4)

[Le mot italien paragone est entré en force dans le langage de la critique d’art moderne à partir de 1817. Cette année-là, lorsque Guglielmo Manzi fit imprimer pour la première fois le Trattato della pittura de Léonard de Vinci tel qu’il nous a été transmis par le Codex Vaticanus Urbinas 1270, il intitula la première partie de ce texte capital « Paragone di pittura, poesia, musica e scultura », partie consacrée justement à une comparaison systématique entre la peinture et les autres arts. Il n’est pas difficile de déceler, dans un tel choix éditorial, l’ombre portée d’une branche de la philosophie encore très récente à l’époque, à savoir l’esthétique. La conception de l’art qu’elle tentait alors d’élucider reposait sur une classification rigoureuse des différentes disciplines artistiques…] Marco Collareta

Le terme paragone  (comparer) désigne dans ce cas un exercice de comparaison des arts, dans lequel les protagonistes débattent des attributs de leur art.

Eugène Delacroix bénéficie des connaissances scientifiques du XIXème siècle riche de découvertes : des traités des couleurs, en 1864, Eugène Chevreul publie Des couleurs et de leurs applications aux arts industriels, livre dans lequel il répertorie 14400 tonalités chromatiques des colorants naturels ou artificiels à la photographie dont les optiques et la chimie évoluent constamment, en passant par la mise sur le marché des tubes de peinture à bouchon vissé.

M. E. Chevreul The Principles of Harmony and Contrast of Colours London, 1860

Delacroix dans son Journal évoque à plusieurs reprises les différences entre les arts, comparant la peinture aux autres expressions artistiques :

La peinture, entre autres avantages, a celui d’être plus discrète : le tableau le plus gigantesque se voit en un instant. Si les parties qu’il renferme ou certaines parties attirent l’admiration, à la bonne heure : on peut s’y complaire, plus longtemps même que sur un morceau de musique. Mais si le morceau vous paraît médiocre, il suffit de tourner la tête pour échapper à l’ennui… – 11 mars 1849

Vous voyez votre tableau d’un coup d’oeil; dans votre manuscrit, vous ne voyez pas même la page entière, c’est-à-dire, vous ne pouvez pas l’embrasser tout entière par l’esprit… – 21 juillet 1850

De nombreuses citations du Journal de Delacroix sont recensées et étudiés par Hubert Damish dans La peinture en écharpe (5)

Mais Delacroix n’ignorait pas que la photographie s’inscrivait dans l’esprit de ses contemporains en concurrente de la peinture. Selon  Gaston Tissandier qui rapporte l’anecdote dans Les Merveilles de la photographie, Paris, 1874, p. 62 : « Paul Delaroche a vu Daguerre, il lui a arraché des mains une plaque impressionnée par la lumière. Il la montre partout en s’écriant : “La peinture est morte à dater de ce jour”. » Même si la phrase ne fut probablement pas prononcée telle quelle, elle reflète une inquiétude répandue dans les milieux artistiques dès 1839.  

Mais la montagne résiste à sa représentation, il écrit à Frédéric Villot, le 5 août 1845 : « J’admire par moments mais je ne peux rien en faire. D’abord le gigantesque de tout cela déconcerte. Il n’y a pas de papier assez grand pour donner l’idée des masses et les détails sont si nombreux qu’il n’est pas de patience qui puisse en triompher. »

Le peintre retient deux points de résistance, le rapport de taille et par conséquence la taille du carnet (12,5×20,3) inappropriée, à ce premier point technique s’ajoute le temps, non pas du séjour mais d’exécution pour restituer les détails. La patience la plus extrême n’y suffirait pas.

La photographie permettra de dépasser ces deux obstacles. La taille des chambres photographiques emportées pour les prises de vue montagnardes autorisent de grands tirages avec un luxe de détails que le progrès des optiques rend avec précision. Mais à cette même époque  les photographes utilisent le collodion humide. Ils doivent emporter un laboratoire ambulant pour le développement des plaques sur place.  Les photographes se devaient d’être tout à la fois de solide montagnard et des photographes motivés car ils partaient en expédition avec environ deux cent cinquante kilos de matériel.

 » Une photographie est toujours plus saisissante qu’une description, si complète et si détaillée qu’elle soit : elle apporte au débat un témoignage d’une valeur incontestable ; fixe l’histoire si intéressante des torrents et des travaux de toute sorte qu’on y exécute ; fournit le moyen de conserver la physionomie vraie de la montagne aux diverses phases de sa restauration. »  écrivent Fabien Benardeau et Henri Labbé,  dans leur Notice sur le rôle et l’emploi de la photographie dans le service du reboisement, en 1886.

L’histoire de la photographie pyrénéenne a retenu le nom de Paul Jeuffrain, qui en 1850 réalise le premier cliché à Cauterets.  Mais cette première image n’a pas été conservée. Ce sera donc à un anglais installé à Pau, dès 1853, que reviendra le titre d’inventeur de la photographie dans les Pyrénées. Son nom : Farnham Maxwell-Lyte. Il a ouvert la voie à de nombreux photographes dont Eugène Trutat qui photographiera la montagne de 1880 à 1920.

Pyrénées, par Maxwell-Lyte, 1860

L’aquarelle et la photo constituent deux aide-mémoires , des « traces » qui permettront au peintre de s’y référer dans ses peintures.

Les carnets d’aquarelle ou de dessin requiert un temps de présence et d’observation long. Une présence sur le site et une habileté manuelle. Il s’agit moins dans l’usage actuel d’une réalisation artistique finalisée que d’aide-mémoires. De nombreux adeptes perpétuent cette tradition bien vivante malgré la déferlante de pratiques photographiques. On observe différentes variantes parmi les usagers de la prise de vues, du travail à la chambre photographique au smartphone en passant par toutes les déclinaisons de l’argentique au numérique. Le temps raccourci, le savoir-faire technique relayé par les automatismes offrent à tout un chacun le loisir de s’adonner sans limite à la photo « souvenir ». Quant aux références esthétiques, elles se résument soit à l’auto-référence soit à des emprunts aux codes de la peinture.

Denis Diderot s’interroge et répond à la question « Pourquoi une belle esquisse nous plaît-elle plus qu’un beau tableau? C’est qu’il y a plus de vie, moins de forme. A mesure qu’on introduit les formes, la vie disparaît… » Salon de 1767

Les Eaux-Bonnes Pratique

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Notes :

Delacroix interrompt la rédaction de son Journal durant cette période, seuls les échanges épistolaires documentent son séjour.

(1) Eugène Delacroix- Carnet « des Pyrénées »- 2 volumes : fac-similé et étude de Marie-Pierre Salé sous coffret- Louvre éditions-2016

(2) in la Revue Pyrénées publie dans le n°268, octobre 2016 un article signé Jacques Le Gall : Quand Eugène Delacroix dessinait et peignait en vallée d’Ossau qui analyse la composition du carnet et éclaire le séjour de Delacroix avec des références érudites. A commander à : revue Pyrénées- B.P. 204 – 64002 Pau Cedex

(3) Alain Corbin, Histoire du silence : de la Renaissance à nos jours. éd Albin Michel 2016

(4)  Perspective, 1 | 2015, 153-160.

(5) Hubert Damish- La peinture en écharpe. éd. Klincksieck 2010

A propos du voyage au Maroc en 1832, consulter :

https://amadalamazigh.press.ma/fr/le-periple-artistique-deugene-delacroix-au-maghreb/

https://citadelles-mazenod.com/product/carnets-de-voyage-au-maghreb-et-en-andalousie-eugene-delacroix/

Tarnos, un cocktail naturel à déguster avec précaution

Aux confins des Landes et du Pays Basque, Tarnos s’étend sur une zone littorale typiquement landaise. Le bleu de l’océan, la blondeur des dunes, le vert de la pinède, les trois couleurs de la palette Aquitaine. Mais prenez garde, regardez où vous mettez les pieds, ici le piéton libéré des contraintes de circulation déambule dans un espace naturel dont il ne soupçonne pas les fragiles richesses. Le cocktail : mer, plage, sable chaud et vacances tend à affranchir des contraintes au profit d’un usage ludique dénué de responsabilité.

L’estivant, le touriste de passage n’exonèrent toutefois pas le résident, le chasseur ou le promeneur du dimanche de ses responsabilités. Le risque anthropique sur un site fragile ne différencie pas les piétinements, il les subit.

Tarnos, Landes © Radio France

Le pied tond ce qu’il foule. Et l’été la foule des estivants envahit ces espaces fragiles que sont les dunes dont le dénuement apparent abrite des espèces rares tant florales qu’animales.

A Tarnos, une vaste zone classée Natura 2000 mixe la plage du Métro réputée pour le surf, une ancienne piste d’aviation et des exclos dédiés à l’étude et à la préservation des espèces. Le toponyme Métro est lié à l’implantation en 1938 d’un centre de vacances réservé aux enfants des employés du métro parisien.

photo d’archives-DR

En 1938, lorsque s’implante le centre de vacances réservé aux enfants des employés du métro parisien, on ne parle pas de la plage du Métro qui n’existera qu’à partir de 1977. Durant la guerre civile espagnole, la commune de Tarnos accueille 150 réfugiés qui sont hébergés dans les locaux de la colonie de vacances du Métro. Il s’agit de l’exode vers la France, connu sous le nom de Retirada. Le centre fermera définitivement le 30 juin 1939. Les réfugiés seront alors transférés vers d’autres camps.

Les colonies de la RATP ont cessé depuis 1995. Tarnos a repris sa part de gestion du littoral, coincé entre un champ de tir hérité de Napoléon III, le port industriel géré par Bayonne, et une zone naturelle classée Natura 2000 depuis 1998. « Cela a été une longue bataille dans les années 80, résume Jacques Vigne, historien local. Il a d’abord fallu se battre pour chasser les entreprises qui venaient extraire du sable de la plage pour en faire des parpaings ! » selon les propos rapportés par Emma Sain-Genez dans un article paru en 2010 dans le quotidien local  Sud-Ouest

Ici, plus particulièrement, le biotope reste fragile : érosion naturelle et érosion anthropique se conjuguent souvent, menaçant la dune du Métro, alors que la  ligne littorale relativement stable bénéficie des effets de la digue. Concernant la dune, il est donc urgent d’agir et, bien avant le Grenelle de l’Environnement, l’Office National des Forêts, fondé en 1966, soucieux de préserver les écosystèmes, se préoccupe à la fois de fixer et de protéger le cordon dunaire qui ourle le massif forestier.

document ONF

Cette protection implique l’information de la population locale déjà sensibilisée par le classement, en 1969, des zones humides du secteur comme site inscrit sous l’appellation « Étangs landais sud ». Quelque 206 ha font en effet déjà l’objet d’un inventaire ZNIEFF (Zones Naturelles d’Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique) qui a pour objectif, depuis 1982, d’identifier et de décrire des secteurs présentant de fortes capacités biologiques et un bon état de conservation. Un site d’intérêt majeur qui, compte tenu de ces éléments, entre tout naturellement dans le réseau Natura 2000 en 2003 et en ZSC (Zones Spéciales de Conservation) visant la conservation des types d’habitats et des espèces animales et végétales en 2006.

La dune c’est du sel, du sable, du vent, des amplitudes hygrométriques et thermiques importantes et des activités anthropiques sur un sol pauvre. Malgré ces difficultés de nombreuses espèces s’y sont implantées. La flore et la faune se répartissent en bandes parallèles à la côte, en fonction des variations des conditions liées à la plus ou moins grande distance de l’océan.

Cette imbrication de zones publiques et d’espaces protégés s’impose d’emblée aux regards des personnes fréquentant ces lieux. De nombreux panneaux affichent des messages pédagogiques ou des interdictions.

Le piétinement détruit les plantes qui fixent le sable : la circulation est donc interdite sur la dune aux piétons, chevaux et engins motorisés.

La prolifération de ces panneaux, dont certains particulièrement vétustes, signe la difficulté pour les responsables de maîtriser un périmètre sur lequel se côtoient vacanciers, promeneurs locaux, chasseurs, animaux domestiques et sauvages sur un sol sablonneux parsemé d’une flore mélangeant espèces invasives et espèces fragiles.

Car fouler du pied entraîne des conséquences, ici le pied écrase. Il suffit de regarder la dune pour constater que rares sont les espaces sans empreintes de pas. On a du mal à imaginer que le piétinement soit aussi important, comme si une foule gigantesque avait marché sur la dune sans épargner le moindre recoin. Probablement qu’aux pas des bipèdes que nous sommes, il faut ajouter les lapins, les chiens et autres quadrupèdes ainsi que les oiseaux, chacun laisse une empreinte dont le sable garde la mémoire.

La végétation végète, les pas détruisent des espèces au profit d’autres. Les plus fragiles disparaissent à force d’écrasement. Alors que les vents, les vêtements, les semelles sèment des variétés invasives qui supplantent les plantes locales. La flore strictement dunaire est constituée, dans le sud des Landes, d’une quarantaine d’espèces. 8 d’entre-elles sont endémiques, 12 sont protégées sur le plan national, plusieurs sont en cours de protection au niveau régional, dont le Lis mathiole -espèce régionale actuellement protégée-et le Silène de thore – une espèce endémique non protégée.

Les espèces adventices représentent au milieu de la flore autochtone, un élément perturbateur, d’autant que des espèces invasives comme l’herbe de la pampa supplantent rapidement les espèces indigènes.  Concernant les invasives, le Baccharis et surtout le Séneçon du Cap (et Herbes de la Pampa) constituent une problématique majeure à Tarnos, qui amène à engager de coûteuses actions.

L’amensalisme est une interaction biologique entre plusieurs partenaires dans laquelle l’interaction se révèle négative en termes de valeur sélective pour l’un des partenaires alors qu’elle est neutre pour l’autre partenaire.

Le piétinement des dunes participe du principe de l’amensalisme. En effet, il induit un coût important pour les espèces indigènes qui disparaissent quand elles sont sensibles au piétinement, alors que ce dernier n’implique ni coût, ni bénéfice pour l’humain qui piétine. Cette interaction a des implications importantes car elle induit une substitution d’espèces. En effet, des plantes sont remplacées par d’autres qui résistent mieux au piétinement.

Les humains entretiennent aussi des relations amensales avec de nombreuses espèces animales ou végétales. Ces dernières peuvent souffrir d’une ou plusieurs activités humaines, telles que la pollution des dunes par les détritus divers abandonnés sur place ou portés par le vent. A l’inverse les vestiges de constructions fournissent un habita à des espèces rares. En effet, certains écosystèmes ont été entièrement créés par l’homme à l’instar de la forêt landaise qui sert d’habitat à une biodiversité sauvage.

On notera dans la partie forestière la présence du chêne-liège, que l’on rencontre également au sein des buissons pré-forestiers. Là, règnent également les aubépines, les troënes, les brandes, mais aussi la Salsepareille d’Europe , connu sous le nom familier de« Herbe aux schtroumpfs ». Elle est associée au chêne-liège, créant avec ses hôtes supports, un véritable enchevêtrement. C’est un sous-arbrisseau lianescent, très rameux qui s’agrippe au moyen de vrilles sur les rameaux des arbustes et arbrisseaux. Elle participe à l’aspect dense des buissons.

En forêt, Le piétinement compacte les sols, détruit la végétation et empêche la repousse de la forêt. Évitez donc de quitter les sentiers : le réseau dense de chemins, et routes forestières fermées à la circulation des voitures, vous permettent largement d’arpenter la forêt.

Les interactions entre végétaux, animaux et hommes s’expriment sur les dunes avec une acuité particulière. La fragilité d’un milieu dont la granularité du sol le rend sensible aux effets de piétinement, mais aussi aux événements éoliens, conjugués à la pauvreté d’une surface découverte offerte aux éléments météorologiques brutaux constituent autant de facteurs de développement pour des formes de vie extrême.

Les exclos protègent les terrains du piétinement pour que les plantes endogènes se développent ou que des semis soient protégés. L’isolement des parcelles découpe la dune en clos entre lesquelles les promeneurs peuvent cheminer. Une clôture type grillage à moutons protège ces exclos des perturbations anthropiques.

Chaque exclos a une surface plus ou moins rectangulaire :

-Tarnos nord: 70 x 80m = 5600m²

-Tarnos sud: 145 x 60m = 8700m²

pour le site de Tarnos [ces expérimentations] ont permis de montrer des effets positifs des exclos sur les populations végétales par une augmentation générale du recouvrement du sable nu:

-des espèces nouvelles en particulier des annuelles et vivaces géophytes ont été recensées sur le protocole de suivi,

-des espèces des dunes semi-fixées à fixées présentent une bonne vitalité (nombreuses plantules) et participent à la fixation du sable nu et à la restauration de la végétation de dune grise tandis que les espèces de dunes mobiles tendent à être remplacées.

-développement et restauration des habitats d’espèces d’intérêt patrimonial (Alyssum loiseleuri, Dianthus gallicus, Silene portensis, Solidao virgaurea macrocarpa…)

Cependant, la végétation de dune grise continue de subir de nombreuses perturbations comme la fréquentation humaine (piétinement, arrachage de piquets-repères) mais elle est également soumise à des apports de sable (faible et récurrent), et à l’action du lapin.

Les dégradations anthropiques posent des problèmes de suivi de la végétation sur le protocole (Transects et Stations) en particulier pour l’exclos de Tarnos Métro …

Raphaël Jun – ONF – Révison DOCOB Dunes Landes- octobre 2012

L’ancienne piste d’aviation de Turbomeca fait l’objet d’une renaturalistion afin qu’elle soit à terme ensablée. La piste n’est pas immédiatement décelable, elle affleure par endroit. Le tarmac a fait l’objet de destructions partielles pour empêcher l’accès et l’installation de véhicules de type caravane ou mobil home. La piste, ainsi que les blockhaus fournissent des abris à quelques animaux dont des lézards ocellés, espèce protégée qui interdit la destruction de leur habitat.

document ONF

Photos Patrick Laforet – sauf autres mentions

Merci au spécialiste de l’écologie des dunes et des milieux naturels, Gilles Granereau, chargé de mission Natura 2000 à l’agence ONF LNA (Landes nord-aquitaine), pour son aide précieuse.

Pour consultation :

 

 

 

 

La piste des Apaches

Fondée en 2010, la Biennale de Belleville est le fruit d’une rencontre entre ce quartier de l’Est
parisien et un groupe de commissaires, de critiques d’art et d’artistes.
Jouant sur l’absence de lieu central pour en faire un de ses points de force, la Biennale de
Belleville se déploie du Pavillon carré de Baudouin au belvédère de la rue Piat, de la rue de
Belleville pour s’étirer davantage vers l’Est de Paris.
Reposant sur un principe de mixité des lieux et de variété des interventions, la Biennale allie
ainsi performances déambulatoires et expositions collectives.
Depuis deux éditions, la Biennale de Belleville dessine de nouveaux itinéraires et met en
place des manières originales d’appréhender l’art contemporain.
A cette occasion DéMarches proposera Hors-Circuits, un walkscape urbain de Pantin au Bourget en passant par Bobigny.

La Biennale de Belleville 3

Paris Art

Wall Street International

vernissage de la Biennale de Belleville by Saywho

Slash Paris

TCQVAR

 

HORS_CIRCUITS AFFICH

Un événement DéMarche

Démarches part en campagne

« Lisières & Climats de Bourgogne », un parcours dans un vignoble d’exception. Démarches a été sollicité par Bernard Utudjian, directeur de la Galerie Polaris et initiateur d’un événement dont l’intitulé « Une partie de campagne » évoquera Guy de Maupassant pour les lecteurs, Jean Renoir pour les cinéphiles et pour les galeristes et collectionneurs, une invitation estivale. Un événement que l’on rejoint en se déplaçant dans des lieux qui bien que éloignés du Marais parisien doivent disposer au moins d’une galerie et d’espaces disponibles pour accueillir des expositions à la demande d’un commanditaire sur place.

« Une partie de campagne » est l’occasion de découvrir en présence des galeristes et des artistes des œuvres inédites. Après la Bretagne -Locquirec et St Briac, l’Aquitaine -St Emilion, cette année sera bourguignonne. Châteaux, Domaines, caveau, salle du Conseil Municipal de Chassagne-Montrachet accueilleront les expositions le temps d’un weekend avec  un objectif : partir à la découverte de la création contemporaine entre professionnels, collectionneurs, amateurs et curieux de l’art, dans un cadre dont le savoir-faire a conduit le vignoble à la reconnaissance internationale de l’UNESCO. Une occasion de visiter aussi les oeuvres de l’antenne du FRAC-Bourgogne à Chagny.

Jacques Clayssen et Patrick Laforet, auteurs de parcours, ont été invités par Bernard Utudjian à proposer une marche de type walkscape (la marche comme pratique esthétique) entre Chassagne-Montrachet et Chagny. Marcher sur une terre qui vaut de l’or, entre des vignes qui produisent les nectars les plus précieux, voilà la commande confiée à l’association Démarches.

Un walkscape  associé à un parcours d’art contemporain à suivre du 11 au 12 juin à Chassagne-Montrachet.

 

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le carnet de campagne 2016

L’éprouvé et le dit

L’association Démarches propose deux walkscapes dont l’intitulé « Promenade » définit littéralement le lieu de marche : la promenade Victor Mendiboure à Anglet. Cette promenade fréquentée par une importante population composée de locaux, de joggeurs et de nombreux touristes dont le flux continue ne tarit jamais, en période estivale. En empruntant ce parcours quasi rectiligne défini par les aménageurs, nous pourrons vérifier la problématique pointée par Alain Corbin, suivant laquelle : Le paysage n’existe pas en lui-même. Il résulte d’une lecture comme tout système d’appréciation. Mais le véritable problème se situe entre l’éprouvé et le dit.
In entretien entre Alain Corbin et Véronique Nahoum-Grappe publié dans la revue La Mètis, que dirigeait alors Maryline Desbiolles (nº 1 « Le Littoral », janvier 1990).

Sur cette Promenade balisée le marcheur emprunte une voie aménagée dont les revêtements varient suivant les époques au gré des restaurations et des initiatives visant à séduire le marcheur en installant, par exemple, des promontoires surplombant la plage.

Cheminant entre les verts des plantations, des pelouses et du green du golf d’un côté et les différentes qualités de sable, d’or fin à l’ocre des graviers de l’autre côté avant que l’océan n’ajoute sa palette aux marées. La Promenade s’immisce entre ces ambiances colorées mettant le marcheur sur une lisière neutre. Le terrain de la marche appartient à l’espace aménagé, celui que l’on appelle espace vert par opposition à la plage espace naturel vers l’océan.

Espace public desservant les plages, entrecoupé d’accès perpendiculaires reliant les plages et les parkings, dont un tunnel sous la dune, cette liaison entre La Barre et la Chambre d’Amour fonctionne comme axe de déplacement pédestre, lieu de déambulation.

A l’image des sentiers douaniers, la promenade épouse la ligne de côte ici quasi rectiligne.

Cette portion de côte porte les stigmates des erreurs d’aménagement et de l’érosion naturelle dont les traces effacées à la suite d’un cycle de construction/déconstruction/reconstruction gardent en mémoire les empreintes du passé.

Ces témoignages d’une histoire mouvementée se lisent dans des signes généralement faibles pour un observateur non-averti. Le touriste de passage ne percevra rien de ce passé. Le vacancier fidèle à la station pourra noter les indices les plus visibles de mutation du paysage. Les autochtones gardent le souvenir des événements les plus marquants de leur vivant.

Les histoires littorales placent en premier les événements naturels. Les phénomènes liés aux érosions éoliennes et marines et aux tempêtes. Le réchauffement climatique favorise probablement la fréquence et la puissance des phénomènes météorologiques. La liste des noms des principales tempêtes qui ont sévi sur le littoral aquitain marquent autant d’épisodes violents : « Klaus », « Lothar », « Martin », « Xynthia », « Dirk », « Hercules », « Petra », « Qumeira », « Ruth », « Ulla », « Christine », « Ruzica », « Susanna ». A la suite de quoi, le littoral aquitain, qui était sur un recul de 3 à 6 mètres par an, a perdu 20 mètres en un mois et demi en 2014.

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photo : Patrick Laforet

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photo: Patrick Laforet

Texte Jacques Clayssen

Promenade Littorale

CARTE PARCOURS

 

Anglet, station balnéaire du Pays Basque, au bout de la Côte d’Argent, dans le golfe de Gascogne. Connue des surfeurs pour la variété de ses vagues, Anglet est surnommée « la petite Californie ».

La promenade pédestre de 4,5 km, en front de mer, longe les 11 plages d’Anglet, de la Chambre d’Amour à La Barre.

Sans difficulté particulière, la promenade Mendiboure est équipée de bancs, de points d’eau, de toilettes gratuites. Elle est jalonnée de nombreux lieux de restauration et rafraîchissement. Un balisage piéton éclaire les promeneurs le soir.

Le point départ se situe sur la plate-forme d’observation du Parc écologique Izadia

Pour un retour en transport en commun :

Bus 10 

Anglet Plages – Anglet La Barre

La ligne 10 dessert toutes les plages d’Anglet, de La Barre à la Chambre d’Amour. Une fréquence plus importante sera instaurée pour la période estivale.

Coordonnées GPS :

  • Parc écologique Izidia : 43° 31′ 35″ – long. -1° 31′ 11″
  • Promenade : lat. 43° 29′ 41″ – long. -1° 32′ 46″

Incendie à Anglet, jeudi 30 juillet 2020, dans la forêt de Chiberta.

Attisé par le vent l’incendie s’est déclaré vers 18 heures dans la forêt de Chiberta à Anglet, une zone boisée de 250 hectares. Des dizaines d’habitations ont été évacuées. 165 d’hectares de pinède ont brûlé et les flammes ont atteint le parc écologique Izadia.

Situé à l’embouchure du fleuve Adour, ce parc de 14 hectares qui « recèle les derniers vestiges des milieux arrière dunaires du littoral sableux angloy » et abrite plusieurs espèces végétales et animales  avait été restauré au début des années 2000. Il accueillait depuis une dizaine d’années le public pour des visites pédagogiques.

Extrait de La République des Pyrénées, publié le 20 août 2020 in La République des Pyrénées

Claude Olive, maire d’Anglet, veut désormais se tourner vers l’avenir.

Evoquant le parc Izadia, détruit par les flammes, l’élu angloy indique que « Nous régénérerons Izadia, sans rien soustraire de ses spécificités, de sa richesse florale et animale, de ses exigences environnementales. Nous doterons ce parc d’un nouvel édifice, qui sera un signal d’intégration au paysage, en même temps qu’un exemple vivant des nouvelles techniques de construction durables, d’expérimentation de procédés innovants. Nous ferons d’Izadia une référence, un témoignage de notre engagement écologique. »

« Nous mobiliserons les compétences, nous trouverons les financements, nous convaincrons les partenaires, parce que nous défendons un bien commun ancré dans notre histoire et notre capital paysager. L’accablement sera passager, le besoin d’action et de réussite nous fera relever la tête, la perspective d’un enjeu essentiel nous galvanisera, la fierté d’être des Angloys actifs et volontaires sera notre guide pour gagner ce nouveau pari. Ensemble nous ferons à nouveau briller notre devise « Mar e Pignada per m’aida » » indique enfin Claude Olive.

 

Bâtons/Mémoires

Le bâton est associé à l’humanité depuis ses débuts, il en a accompagné toutes les évolutions et s’est diversifié dans un grand nombre d’usages : aide à la marche, arme guerrière, signe de pouvoir ou instrument de chasse. Outil polyvalent, il a pris des formes esthétiques très diverses et souvent très codées, chaque culture ayants ses bâtons décorés, gravés, sculptés, peints ou ornés, aux significations précises et la plupart du temps rituelles. La pratique du WalkScape se devait de rendre hommage à ce compagnon fidèle des marcheurs, des pèlerins et le bâton s’est imposé comme élément de mémoire, autre forme de récit et d’écriture destinée à rendre compte de chaque œuvre, symbolique douce de l’esprit d’un parcours, à la limite de la sculpture, de l’installation et de l’objet fétiche.

Le bâton-mémoire est orné de parures et de signes le liant exclusivement à un walkscape. Il est support des attributs symboliques ou littéraux d’un chemin, d’une voie. Le bâton-mémoire, participe de la tresse narrative à l’œuvre dans le walkscape. Ce bâton condense sur sa partie haute les éléments d’une histoire à travers des objets issus pour une part d’association d’idées, d’affinités électives, d’évocations et d’autre part d’objets témoins collectés sur le parcours, dont le statut de reliquat leur confère une aura singulière. Le bâton-mémoire, objet narratif qui à travers sa composition  offre à chacun un support à l’imaginaire. Il évoque et convoque tout à la fois des points de vue propres à chacun selon la connaissance ou l’expérience qu’il a du walkscape et ses référents culturels.

Œuvres d’imagination, ces sculptures, éléments en volume ou ces tableaux en relief suivant la perception de chacun, racontent l’histoire d’un parcours mental restituant un parcours physiquement réalisé et éprouvé lors d’un walkscape. De forme cylindrique, le bâton une fois pris en main, déroule sous toutes ses faces une figuration enlacée à sa forme à l’instar du bâton d’Asclépios autour duquel s’entoure la couleuvre. Le bâton-mémoire s’impose par son inscription dans le champ de la marche comme l’accompagnateur traditionnel du marcheur. Au titre d’emblème de la marche,  le bâton-mémoire constitue le support naturel d’une matérialisation de l’expérience esthétique de celle-ci.

Ci-dessous quelques exemples historiques ou contemporains, de l’exposition des bâtons des pèlerins de Saint Jacques de Compostelle aux foires anglo-saxonnes de walking sticks en passant par les ateliers d’enfants autour de cet objet et également les réalisations de DéMarches pour ses WalkScapes, décrites plus complètement dans le cadre de chaque parcours.

Les Barthes avec Roland

Un walkscape, dédié à la mémoire de Roland Barthes, sur les traces d’un parcours entre Bayonne et Urt qu’il appréciait. Le célèbre sémiologue et critique appartenait à une famille dont les domiciles se déplaçaient au fil des événements sur une bande littorale d’Hendaye à Hossegor en passant par Biarritz et Bayonne avant de s’arrêter dans le village d’Urt.IMG_1561
CARTE DEF URT

Des résidences familiales, des institutions d’enseignement tracent une cartographie de lieux connus et célèbres ou discrets et méconnus. Ces lieux ont fait l’objet d’études, de notes, d’observations qui ont alimenté ou documenté les biobliographies de Roland Barthes. En 2015, lors des manifestations du centenaire de sa naissance, en Aquitaine, de nombreuses productions et travaux ont mis à jour des aspects liés à ce territoire familial.

Notre contribution se situe localement sur un parcours familier des auteurs et de Roland Barthes. Trajet commenté par ses soins dans le texte publié par l’Humanité en 1977 sous le titre  La lumière du Sud-Ouest. Un texte singulier dans l’oeuvre de Barthes, il y évoque en effet dans un style littéraire inusité des souvenirs intimes à travers ses sensations.

Ce walkscape hommage à la mémoire de Barthes commence là où Bayonne fini le long de l’Adour vers les Landes.

Point de départ : Moulin de Bacheforès
Ce moulin à marée construit en 1642, sur la rive droite de l’Adour à Bayonne, est l’un des derniers témoins d’une technique originale. Il se compose de trois paires de meules à grains, entraînées par des roues à augets horizontales. Il fonctionne sur les mouvements de la marée. L’étang se remplit à marée montante puis se vide à marée descendante à l’ouverture des vannes qui entraînent les meules.
Point d’arrivée : cimetière d’Urt.
Village situé à une quinzaine de kilomètres à l’est de Bayonne,  dans la province basque du Labourd, il jouxte le département des Landes.  Henriette Barthes s’y installera dans les années 60, dans la maison Carboué. Elle y  accueillera ses enfants jusqu’à son décés en 1977. Enterrée au cimetière d’Urt, situé non loin de sa maison, son fil Roland sera inhumé dans le même caveau à son décès en 1980.

Le bâtiment qui était en cours de construction lors de notre parcours, abrite une médiathèque, une cantine et des locaux associatifs. Il est implanté sur le site de l’ancienne médiathèque Roland Barthes. Il est ouvert depuis novembre 2016.

chantier gp (2)   

 

 

 

 

 

 

Ce parcours se déroule aujourd’hui en majeure partie le long de l’Adour sur la D74. Une voie mixte vélos-piétons permet de marcher en toute sécurité, à l’exception de quelques passages non aménageables du fait de l’étroitesse de la voie.

Photos du parcours par Patrick Laforet

Compter 3h pour parcourir les 15km en toute tranquillité.

 

La lumière du Sud-Ouest

Les Barthes avec Roland, un walkscape hommage à Roland Barthes. Né à Cherbourg, Roland Barthes était par sa famille paternelle attaché au Sud-Ouest, il en a détaillé les raisons dans un texte d’écrivain publié en 1977 dans l’Humanité et réédité à moult reprises. Ce texte intitulé « La lumière du Sud-Ouest » nous a guidés dans notre parcours par la départementale 74, des bords de l’Adour au sortir de Bayonne jusqu’ au cimetière d’Urt où il repose avec sa mère.

marguerite de jardin

Aujourd’hui, 17 juillet, il fait un temps splendide. Assis sur le banc, clignant de l’œil, par jeu, comme font les enfants, je vois une marguerite du jardin, toutes proportions bouleversées, s’aplatir sur la prairie d’en face, de l’autre côté de la route.

Elle se conduit, cette route, comme une rivière paisible; parcourue de temps en temps par un vélo-moteur ou un tracteur (ce sont là, maintenant, les vrais bruits de la campagne, finalement non moins poétiques que le chant des oiseaux : étant rares, ils font ressortir le silence de la nature et lui impriment la marque discrète d’une activité humaine), la route s’en va irriguer tout un quartier lointain du village. Car ce village, quoique modeste, a ses quartiers excentriques. Le village, en France, n’est-il pas toujours un espace contradictoire ? Restreint, centré, il s’en va pourtant très loin ; le mien, très classique, n’a qu’une place, une église, une boulangerie, une pharmacie et deux épiceries (je devrais dire, aujourd’hui, deux self-services) ; mais il a aussi, sorte de caprice qui déjoue les lois apparentes de la géographie humaine, deux coiffeurs et deux médecins. La France, pays de la mesure ? Disons plutôt — et cela à tous les échelons de la vie nationale — pays des proportions complexes.

De la même façon, mon Sud-Ouest est extensible, comme ces images qui changent de sens selon le niveau de perception où je décide de les saisir. Je connais ainsi, subjectivement, trois Sud- Ouest.

Le premier, très vaste (un quart de la France), c’est un sentiment tenace de solidarité qui, instinctivement, me le désigne (car je suis loin de l’avoir visité dans son entier) : toute nouvelle qui me vient de cet espace me touche d’une façon personnelle. A y réfléchir, il me semble que l’unité de ce grand Sud-Ouest, c’est pour moi la langue : non pas le dialecte (car je ne connais aucune langue d’Oc) ; mais l’accent, parce que, sans doute, l’accent du Sud-Ouest a formé les modèles d’intonation qui ont marqué ma première enfance. Cet accent gascon (au sens large) se distingue pour moi de l’autre accent méridional, celui du Midi méditerranéen ; celui-là, dans la France d’aujourd’hui, a quelque chose de triomphant : tout un folklore cinématographique (Raimu, Fernandel), publicitaire (huiles, citrons) et touristique, le soutient ; l’accent du Sud-Ouest (peut-être plus lourd, moins chantant) n’a pas ces lettres de modernité ; il n’a, pour s’illustrer, que les interviews des rugbymen. Moi-même, je n’ai pas d’accent ; de mon enfance, il me reste cependant un « méridionalisme » : je dis « socializme », et non « socialisme » (qui sait, cela fait peut-être deux socialismes ?).

Mon second Sud-Ouest n’est pas une région ; c’est seulement une ligne, un trajet vécu. Lorsque, venant de Paris en auto (j’ai fait mille fois ce voyage), je dépasse Angoulême, un signal m’avertit que j’ai franchi le seuil de la maison et que j’entre dans le pays de mon enfance ; un bosquet de pins sur le côté, un palmier dans la cour d’une maison, une certaine hauteur des nuages qui donne au terrain la mobilité d’un visage. Commence alors la grande lumière du Sud-Ouest, noble et subtile tout à la fois ; jamais grise, jamais basse (même lorsque le soleil ne luit pas), c’est une lumière-espace, définie moins par les couleurs dont elle affecte les choses (comme dans l’autre Midi) que par la qualité éminemment habitable qu’elle donne à la terre. Je ne trouve pas d’autre moyen que de dire : c’est une lumière lumineuse. Il faut la voir, cette lumière (je dirais presque : l’entendre, tant elle est musicale), à l’automne, qui est la saison souveraine de ce pays ; liquide, rayonnante, déchirante puisque c’est la dernière belle lumière de l’année, illuminant chaque chose dans sa différence (le Sud-Ouest est le pays des micro -climats), elle préserve ce pays de toute vulgarité, de toute grégarité, le rend impropre au tourisme facile et révèle son aristocratie profonde (ce n’est pas une question de classe mais de caractère). A dire cela d’une façon aussi élogieuse, sans doute un scrupule me prend : n’y a-t-il jamais de moments ingrats, dans ce temps du Sud-Ouest ? Certes, mais pour moi, ce ne sont pas les moments de pluie ou d’orage (pourtant fréquents) ; ce ne sont même pas les moments où le ciel est gris ; les accidents de la lumière, ici, me semble-t-il, n’engendrent aucun spleen ; ils n’affectent pas l’« âme », mais seulement le corps, parfois empoissé d’humidité, saoulé de chlorophylle, ou alangui, exténué par le vent d’Espagne qui fait les Pyrénées toutes proches et violettes : sentiment ambigu, dont la fatigue a finalement quelque chose de délicieux, comme il arrive chaque fois que c’est mon corps (et non mon regard) qui est troublé.

Mon troisième Sud-Ouest est encore plus réduit : c’est la ville où j’ai passé mon enfance, puis mes vacances d’adolescent (Bayonne), c’est le village où je reviens chaque année, c’est le trajet qui unit l’une et l’autre et que j’ai parcouru tant de fois, pour aller acheter à la ville des cigares ou de la papeterie, ou à la gare chercher un ami. J’ai le choix entre plusieurs routes ; l’une, plus longue, passe par l’intérieur des terres, traverse un paysage métissé de Béarn et de Pays basque ; une autre, délicieuse route de campagne, suit la crête des coteaux qui dominent l’Adour ; de l’autre côté du fleuve, je vois un banc continu d’arbres, sombres dans le lointain : ce sont les pins des Landes ; une troisième route, toute récente (elle date de cette année), file le long de l’Adour, sur sa rive gauche : aucun intérêt, sinon la rapidité du trajet, et parfois, dans une échappée, le fleuve, très large, très doux, piqué des petites voiles blanches d’un club nautique. Mais la route que je préfère et dont je me donne souvent volontairement le plaisir, c’est celle qui suit la rive droite de l’Adour ; c’est un ancien chemin de halage, jalonné de fermes et de belles maisons. Je l’aime sans doute pour son naturel, ce dosage de noblesse et de familiarité qui est propre au Sud-Ouest ; on pourrait dire que, contrairement à sa rivale de l’autre rive, c’est encore une vraie route, non une voie fonctionnelle de communication, mais quelque chose comme une expérience complexe, où prennent place en même temps un spectacle continu (l’Adour est un très beau fleuve, méconnu), et le souvenir d’une pratique ancestrale, celle de la marche, de la pénétration lente et comme rythmée du paysage, qui prend dès lors d’autres proportions ; on rejoint ici ce qui a été dit au début, et qui est au fond le pouvoir qu’a ce pays de déjouer l’immobilité figée des cartes postales : ne cherchez pas trop à photographier : pour juger, pour aimer, il faut venir et rester, de façon à pouvoir parcourir toute la moire des lieux, des saisons, des temps, des lumières.

On me dira : vous ne parlez que du temps qu’il fait, d’impressions vaguement esthétiques, en tout cas purement subjectives. Mais les hommes, les rapports, les industries, les commerces, les problèmes ? Quoique simple résident, ne percevez-vous rien de tout cela ? — J’entre dans ces régions de la réalité à ma manière, c’est-à-dire avec mon corps ; et mon corps, c’est mon enfance, telle que l’histoire l’a faite. Cette histoire m’a donné une jeunesse provinciale, méridionale, bourgeoise. Pour moi, ces trois composantes sont indistinctes ; la bourgeoisie, c’est pour moi la province, et la province, c’est Bayonne ; la campagne (de mon enfance), c’est toujours l’arrière-pays bayonnais, réseau d’excursions, de visites et de récits. Ainsi, à l’âge où la mémoire se forme, n’ai-je pris des « grandes réalités » que la sensation qu’elles me procuraient : des odeurs, des fatigues, des sons de voix, des courses, des lumières, tout ce qui, du réel, est en quelque sorte irresponsable et n’a d’autre sens que de former plus tard le souvenir du temps perdu (tout autre fut mon enfance parisienne : pleine de difficultés matérielles, elle eut, si l’on peut dire, l’abstraction sévère de la pauvreté, et du Paris de cette époque, je n’ai guère d’« impressions »). Si je parle de ce Sud-Ouest tel que le souvenir le réfracte en moi, c’est que je crois à la formule de Joubert : « II ne faut pas s’exprimer comme on sent, mais comme on se souvient. »

Ces insignifiances sont donc comme les portes d’entrée de cette vaste région dont s’occupent le savoir sociologique et l’analyse politique. Rien, par exemple, n’a plus d’importance dans mon souvenir que les odeurs de ce quartier ancien, entre Nive et Adour, qu’on appelle le petit-Bayonne : tous les objets du petit commerce s’y mêlaient pour composer une fragrance inimitable : la corde des sandales (on ne dit pas ici des « espadrilles ») travaillée par de vieux Basques, le chocolat, l’huile espagnole, l’air confiné des boutiques obscures et des rues étroites, le papier vieilli des livres de la bibliothèque municipale, tout cela fonctionnait comme la formule chimique d’un commerce disparu (encore que ce quartier garde un peu de ce charme ancien), ou plus exactement, fonctionne aujourd’hui comme la formule de cette disparition. Par l’odeur, c’est le changement même d’un type de consommation que je saisis : les sandales (à la semelle tristement doublée de caoutchouc) ne sont plus artisanales, le chocolat et l’huile s’achètent hors la ville, dans un supermarché. Finies les odeurs, comme si, paradoxalement, les progrès de la pollution urbaine chassaient les parfums ménagers, comme si la « pureté » était une forme perfide de la pollution.

Autre induction : j’ai connu, dans mon enfance, bien des familles de la bourgeoisie bayonnaise (le Bayonne de cette époque avait quelque chose d’assez balzacien) ; j’ai connu leurs habitudes, leurs rites, leurs conversations, leur mode de vie. Cette bourgeoisie libérale était bourrée de préjugés, non de capitaux ; il y avait une sorte de distorsion entre l’idéologie de cette classe (franchement réactionnaire) et son statut économique (parfois tragique). Cette distorsion n’est jamais retenue par l’analyse sociologique ou politique, qui fonctionne comme une grosse passoire et laisse fuir les « subtilités » de la dialectique sociale. Or, ces subtilités — ou ces paradoxes de l’Histoire — , même si je ne savais pas les formuler, je les sentais : je « lisais » déjà le Sud-Ouest, je parcourais le texte qui va de la lumière d’un paysage, de la lourdeur d’une journée alanguie sous le vent d’Espagne, à tout un type de discours, social et provincial. Car « lire » un pays, c’est d’abord le percevoir selon le corps et la mémoire, selon la mémoire du corps. Je crois que c’est à ce vestibule du savoir et de l’analyse qu’est assigné l’écrivain : plus conscient que compétent, conscient des interstices mêmes de la compétence. C’est pourquoi l’enfance est la voie royale par laquelle nous connaissons le mieux un pays. Au fond, il n’est Pays que de l’enfance.

* Paru dans L’Humanité du 10 septembre 1977. Ré-édition Le Seuil.

Goxokissime

C’est l’intime qui veut parler en moi, faire entendre son cri, face à la généralité, à la science. Le Bruissement de la langue. Essais critiques 4 par Roland Barthes.

L’époque des séjours à Urt commence dans les années 60, Henriette Barthes quitte la villa Etchetoa, à Hendaye devenue trop touristique. Elle achète la maison Carboué (la maison du charbonnier, en gascon), à Urt.  A compter de 1968, Roland Barthes y séjournera tous les étés et durant les vacances scolaires, « le délice de ces matinées à U. : le soleil, la maison, les roses, le silence, la musique, le café, le travail, la quiétude insexuelle, la vacance des agressions ».  Il y trouve une quiétude et une tranquillité bercées par la douce présence de sa mère, jusqu’au décès de celle-ci le 25 octobre 1977 qui bouleversera durablement le reste de la vie de son fils.

Villa Les Sirènes à Biarritz

La Villa Les Sirènes à Biarritz où résida la famille Barthes au début de la Seconde Guerre mondiale. RB réformé, échappe à la mobilisation et devient professeur à Biarritz.

Maison Etchetoa à Hendaye-Henriette

La villa Etchetoa à Hendaye que vendit Henriette, la mère de Roland avant de s’installer à Urt.

maison Carboué vue par RBLa maison Carboué à Urt, photo publiée par l’auteur dans Roland Barthes par Roland Barthes.

Dans la maison d’Urt, Barthes a reconstitué son espace de travail à l’identique de la rue Servandoni. II s’acclimate d’autant mieux au village qu’il s’y est fait quelques amis. Ce retour sur les terres de l’enfance le comble, pour preuve le récit qu’en fait l’écrivain Roland Barthes. Dans le texte littéraire sobrement intitulé La lumière du Sud-Ouest, Barthes laisse libre cours à ses souvenirs dans un récit intime et poétique dans lequel affleurent les émotions esthétiques, les souvenirs qui forgent le corps. Barthes s’incarne physiquement dans un paysage matriciel. Un environnement d’odeurs, de saveurs et d’accents nimbés d’une lumière lumineuse. Et là, tout d’un coup il avoue son impuissance à décrire. Lui, le sémiologue, le critique aux mots précis jusqu’à la préciosité, l’auteur au vocabulaire savant, le spécialiste de la rhétorique, écrit : Je ne trouve pas d’autre moyen que de dire : c’est une lumière lumineuse. Cette hyperbole illumine le texte, Barthes laisse place à Roland, le petit garçon qui a grandi à l’ombre de sa mère. La lumière inonde les Barthes, l’eau et la lumière, pas le soleil et la mer. Pour nommer cette différence, il agglutinera basque et latin inventant un mot capable de décrire le sentiment qu’il éprouvait, sur ce territoire, d’une existence protégée : goxokissime.

Enfant je m’étais fait une retraite à moi, cabane et belvédère, au palier supérieur d’un escalier extérieur, sur le jardin : j’y lisais, écrivais, collais des papillons, bricolais ; cela s’appelait (basque+latin) gochokissime. In « Grand fichier », 1 mai 1978.

A noter que Barthes n’utilise pas la graphie basque du mot racine goxo mais la graphie phonétique. La graphie basque permet d’identifier à l’origine du néologisme le terme goxoki, qui signifie douceur enveloppante.

Barthes était plus basque à Paris qu’à Urt. Il en a surpris plus d’un en arborant fièrement, autour du jardin du Luxembourg, son béret basque. Fabrice Luchini, raconte volontiers sa surprise lorsqu’ il avait découvert pendu à une patère, rue Servandoni, un béret. « C’est normal (d’avoir un béret), je suis Basque » lui avait expliqué Barthes.

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La littérature ne permet pas de marcher, mais elle permet de respirer concède Roland Barthes dans Essais critiques -1964. Le fait littéraire permet de dispenser un souffle dans un monde asphyxié par le signifiant. Quelques sept ans auparavant, il notait à propos de la marche dans Mythologies-1957: Marcher est peut-être – mythologiquement – le geste le plus trivial, donc le plus humain. Tout rêve, toute image idéale, toute promotion sociale suppriment d’abord les jambes, que ce soit par le portrait ou par l’auto.

Dans Roland Barthes par Roland Barthes, sous le classement J’aime, nous retiendrons qu’il aime …marcher en sandales le soir sur des petites routes du Sud-Ouest, le coude de l’Adour vu de la maison du docteur L.,…. Il notera avec ironie, dans La lumière du Sud-Ouest,  que les espadrilles chères aux touristes se nomment ici sandales.

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A cette époque, je ne fréquentais pas souvent les rives de l’Adour et j’ignorais cette proximité géographique. Pourtant, les occasions de croiser Roland Barthes ne manquaient pourtant pas, que ce soit chez Cazenave à Bayonne devant un chocolat mousseux, devant un fronton lors d’une partie de pelote, à l’Abbaye de Bellocq pour acheter des fromages de brebis ou sur le banc face à l’Adour devant la Galupe, table qu’il appréciait. Le patron ayant reconnu le bon vivant qui savait apprécier sa cuisine et prenait plaisir à sélectionner avec lui quelques flacons de vins fins. Ou encore le croiser dans sa coccinelle rouge entre Urt et Bayonne,  dans ce Sud-Ouest où il pouvait se saouler de chlorophylle.

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Cazenave sous les arceaux de Bayonne,
son chocolat mousseux a contribué à son succès.

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L’Abbaye de Bellocq commercialise un fromage de chèvre apprécié.

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Sur les rives de l’Adour, ce restaurant réputé, accueillait souvent Roland Barthes ami de Christian Parra. Ce chef étoilé, disparu en 2015, était célèbre pour ses recettes de boudin noir, de saumon de l’Adour et de ventrèche de thon.

Texte Jacques Clayssen

Les Barthes

Mettre nos pas dans le sillage des roues de l’auto de Roland Barthes pour effectuer son trajet préféré entre Urt et Bayonne, c’est parcourir dans un temps long un parcours effectué par l’auteur au volant de sa décapotable, les cheveux au vent quand le temps le permettait.

Il achète au début des années 1960 une Volkswagen, il sera propriétaire d’une Coccinelle décapotable de couleur rouge. Il aimait conduire. S’il descendait de Paris à Urt, comme on dit dans le Sud-Ouest, à l’époque le voyage nécessitait une douzaine d’heures. Il descendait très souvent en auto, puis la fatigue et son emploi du temps lui firent préférer le train ou l’avion. Il laissa l’auto à Urt pour ses périples au Pays Basque, sur les deux versants des Pyrénées.

Roland Barthes avait le choix entre trois itinéraires pour rejoindre la maison Carboué à Urt depuis Bayonne. Deux longent l’Adour, chacun par une rive, le troisième passe par les hauteurs loin du fleuve. Dans le texte La lumière du Sud-Ouest, RB précise son choix «Mais la route que je préfère et dont je me donne souvent volontairement le plaisir, c’est celle qui suit la rive droite de l’Adour ; c’est un ancien chemin de halage, jalonné de fermes et de belles maisons. Je l’aime sans doute pour son naturel, ce dosage de noblesse et de familiarité qui est propre au Sud-Ouest ; on pourrait dire que, contrairement à sa rivale de l’autre rive, c’est encore une vraie route, non une voie fonctionnelle de communication, mais quelque chose comme une expérience complexe, où prennent place en même temps un spectacle continu (l’Adour est un très beau fleuve, méconnu), et le souvenir d’une pratique ancestrale, celle de la marche, de la pénétration lente et comme rythmée du paysage, qui prend dès lors d’autres proportions ; on rejoint ici ce qui a été dit au début, et qui est au fond le pouvoir qu’a ce pays de déjouer l’immobilité figée des cartes postales : ne cherchez pas trop à photographier : pour juger, pour aimer, il faut venir et rester, de façon à pouvoir parcourir toute la moire des lieux, des saisons, des temps, des lumières. ». Dans l’ouvrage de référence écrit par Tiphaine Samoyault (1), celle-ci se trompe de route en s’engageant sur la départementale 261, alors que Roland Barthes indique clairement préférer la départementale 74 sur la rive droite, chemin jalonné de fermes et de belles maisons qui lui apparaît, comme il l’écrit dans La lumière du Sud-Ouest : une expérience complexe. Ce sera donc sur la route des Barthes que nous marcherons, pour une pénétration lente et comme rythmée du paysage,  qui prend dès lors d’autres proportions.

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L’homonymie est-elle un indice justifiant le choix ou une affinité élective qui ne manque pas d’interpeller?

Roland Barthes étudia, lors d’un séminaire sur le « Vivre ensemble au Collège de France » en 1976, la capacité des sociétés humaines à inventer des noms propres et forgea à cette occasion un néologisme : « l’onomatogénèse » (la création de nom, du grec onoma). Il ouvre ainsi une perspective vers une ethnologie historique ; puisque des noms de famille sont des noms de lieux ou des surnoms. On se souviendra qu’il a développé une étude onomastique dans le Degré zéro de l’écriture, Barthes y prend son nom comme exemple : une barthe, dans une langue celto-ibère, est une prairie périodiquement inondée. Barthes se souvient aussi avoir vu, enfant, dans un journal local, un article sur « La grande misère des barthes », relatant les désordres occasionnés par la trop faible ou trop forte montée des eaux. Mais, la route des Barthes, qu’il parcourt, longe un fleuve mieux maîtrisé même si le risque persiste. J’entre dans ces régions de la réalité à ma manière, c’est-à-dire avec mon corps ; et mon corps, c’est mon enfance… la campagne (de mon enfance), c’est toujours l’arrière l’arrière-pays bayonnais, réseau d’excursions, de visites et de récits.

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Le couple St Barthélémy-Barthes fonctionne sur une racine commune [Barthe], mais l’association géographique des deux toponymes n’est pas unique puisqu’elle se redouble dans l’arc antillais l’île et l’archipel associés : Saint Barthelemy / St Barth. L’apocope de Barthélémy ayant donné le nom familier utilisé par les îliens.

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La Barthe, désigne des terres inondables de la vallée de l’Adour. L’Office de tourisme des Landes explique : « façonnées par les crues millénaires de l’Adour, les Barthes, mi-eau, mi-terre, représentent un milieu original d’une très grande richesse ». La route longe une digue-talus la protégeant, ainsi que les terres alentour des inondations dues à la montée des eaux principalement quand les marées d’équinoxe se conjuguent avec la fonte des neiges. Moment critique durant lequel l’Adour voit son débit et son niveau augmenter. De la route en voiture, le fleuve n’est visible que dans les intervalles laissés dans la digue pour des appontements ou depuis les ponts qui jalonnent la route pour enjamber les esteys.

barthes

Les aménagements hydrauliques des barthes ont été réalisés au XVIIème siècle par des ingénieurs hollandais. Les eaux du coteau et les esteys sont canalisées par des canaux de traverse vers l’Adour. Le mot gascon estey désigne des cours d’eau à sec lors de la marée basse. Sur l’Adour, les plus hautes marées se font sentir jusqu’à Dax, à soixante kilomètres de l’embouchure, aussi les esteys sont équipés à leur débouché de portes à flots ou à clapets, laissant s’écouler les eaux vers le fleuve, mais se refermant à marée montante. Hors des saisons de hautes eaux, l’Adour s’écoule lentement presque au niveau de la route. Le flot changeant de direction avec les marées, à marée descendante le fleuve charrie vers l’océan les débris forestiers de ses rives pyrénéennes. Entre Bayonne et Urt deux îles, sur l’une d’elles, l’île de Berens, une demeure et sa chapelle bordées de grands arbres. La route suit les méandres de l’Adour, la bâti ancien empiète sur la chaussée contraignant la route à éviter les coins des fermes dont les plus anciennes dates du XVIIIème siècle, mais aussi de belles propriétés, dont le château de Montpellier, une maison de style espagnol, des maisons de maître accompagnées de leur corps de ferme alternent avec des prairies inondables. Ce bâti a du cachet et l’on comprend que Roland Barthes préfère cette rive à la rive gauche plus efficace pour relier Bayonne, mais dont les abords présentent moins d’attrait.

Roland Barthes avait confié lors d’une interview sur France Culture qu’il n’aimait pas trop marcher. La découverte pédestre de son parcours automobile préféré pour joindre Bayonne à Urt favorise une revue détaillée de l’environnement, mais aussi un point de vue à hauteur d’homme. Assis en auto, même décapotable le regard butte sur les haies et la digue ne livrent que de fugitives lignes de fuite.

La distinction entre paysages habitables et paysages visitables catégorise les paysages dont la distinction tient à la qualité de la lumière-espace qui dispense une qualité éminemment habitable à la terre qui acquiert ainsi le pouvoir de déjouer l’immobilité figée des cartes postales. Ce trajet des Barthes fait figure de modèle de paysage habitable, pourtant quelques années plus tard dans La Chambre Claire, l’auteur revient sur sa définition du paysage habitable en prenant pour exemple une photo de l’Alhambra. Réalisée par Charles Clifford dans les années 1850, cette image n’est pas sans évoquer la Villa Saint-Jean sur les bords de l’Adour, dont le souvenir du style hispanisant marqué pourrait avoir orienté le choix de Roland Barthes. D’autant que la légende « C’est là que je voudrais vivre… » est interrogée par le texte ci-dessous :

« Pour moi, les photographies de paysages (urbains ou campagnards) doivent être habitables, et non visitables. Ce désir d’habitation, si je l’observe bien en moi-même n’est ni onirique (je ne rêve pas d’un site extravagant) ni empirique ; il est fantasmatique, relève d’un sorte de voyance qui semble me porter en avant dans un temps utopique, ou me reporter en arrière, je ne sais où de moi-même (…) »… » La Chambre Claire- 1980- p.66-68

La tentation est grande de localiser ce je ne sais où de moi-même comme une réminiscence des bords de l’Adour. Et j’y succombe.

Quand il rentrait en fin d’après-midi à Urt, par la Départementale 74, il pouvait lire sur le cadran solaire de la Villa St-Jean : « Je ne marque que les beaux soirs ». Le cadran solaire ne peut marquer les heures de fin de journée que si le soleil brille assez tard dans la soirée. L’évidence poétique de cette assertion ne résume pas le sens littéral de ce tracé par la lumière, qui à l’instar des racines grecques du mot photographie « peindre avec la lumière » décrit un état naturel de la photo, inscription instantanée, sans mémoire. Dans ce contexte seul les « beaux » instants sont marqués, sans la lumière la marque n’apparaît pas, le « beau » fonctionne ici comme condition de la marque, du tracé. Ce « beau » météorologique peut aussi marquer un point final, le beau soir de la vie. Cet aphorisme éclaire d’une lumière particulière ce parcours qui lui est dédié.

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La villa et son cadran solaire éléments remarquables de ce parcours n’ont pu échapper à Roland Barthes malgré l’attention que requiert, à cet endroit, la route qui s’enlace sur l’angle de la villa, avant de filer vers le fronton de St Barthélémy, daté 1951 et orné d’un blason. Encore une image, sans texte, un tracé au trait figurant son propre décor.

Le fronton, support du blason dessiné y figurant, cette mise en abyme condense les éléments constitutifs du paysage dans lequel il s’inscrit : le fleuve, les roseaux, un arbre et l’église de St Barthélémy que l’on découvre plus loin perchée sur une butte.

Il ne s’agit pas d’un sentier pédestre mais bien d’une route, parfois bordée de platanes taillés suivants des règles variées qui donnent aux troncs des allures surprenantes, drôles ou inquiétantes. Le platane, repère identitaire des barthes de l’Adour, dispense non seulement son ombrage en été, mais il fournit son bois aux riverains. Ces platanes aux troncs tourmentés portent les marques des tailles répétées tout au long de leur croissance. Cette pratique, appelée trogne, consiste à couper le tronc ou les branches maîtresses à un niveau plus ou moins élevé, ce qui provoque un renflement au sommet du tronc qui supporte un taillis de branches. La trogne permet d’assurer une production de bois régulière pour le chauffage ou la construction sans détruire l’arbre. La drôle de trogne des platanes porte le nom de abarburu au pays basque.

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Le pont d’Urt, construction Eiffel, enjambe l’Adour. Premier pont depuis Bayonne, le suivant se situe à Peyrehorade à vingt kilomètres en amont. De ce pont doté d’un passage piéton, en aval du tablier et isolé de la chaussée,  le marcheur découvre l’Adour dans toute sa largeur et le village d’Urt perché sur sa colline. La petite gare, le passage à niveau, la rive droite à hauteur de St Laurent-de-Gosse, l’Aran petit affluent qui jouxte l’Adour d’un côté ; le restaurant la Galupe et le Château de Montpellier en aval composent ce paysage que l’on découvre en montant par le sentier qui, après une volée de marches, débouche sur la place d’Urt.

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Château de Montpellier vue du pont

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(1) Roland Barthes, Tiphaine Samoyault.- éd. Seuil-2015

Texte et photos Jacques Clayssen

Urt, pied-à-terre

De 1972 à 1973, devant des étudiants curieux, intervenaient successivement à l’université de Bordeaux III Julia Kristeva, Philippe Sollers et Roland Barthes. Nous étions quelques étudiants en Lettres Modernes entassés dans une salle de cours.

Alors que je travaillais à la librairie La Hune à la fin des années 70, sous la responsabilité de Jacques Bertoin, Roland Barthes passait souvent en voisin. Ne racontait-on pas à l’époque que la librairie était là pour permettre aux clients de choisir entre le Flore et les Deux Magots, lui avait choisi Le Flore. Ce jour-là Barthes cherchait un exemplaire de La Chartreuse de Parme. En édition de poche, précise-t-il, c’est pour travailler.

Il en avait besoin m’explique-t-il pour préparer une conférence qu’il devait donner à Milan la semaine suivante. Il s’agissait comme je l’apprendrai plus tard d’une intervention sur Stendhal et l’Italie qu’il avait intitulée « On échoue toujours à̀ parler de ce qu’on aime ».

Puis, nous avons échangé à propos de la photo. La Chambre Claire venait de paraître suscitant débats et polémiques. L’ouvrage marquait un tournant dans le monde de la photo, il succédait à la publication en français de Sur la photographie (1) ; six essais, écrits entre 1973 et 1977 par Susan Sontag, amie de Roland Barthes. Notre échange se prolongeait, des clients nous interrompaient, d’autres manifestaient leur impatience. Alors, il m’a suggéré un rendez-vous le lundi 25. Nous avons convenu qu’il me rejoindrait à la librairie, à la fin de mon service, pour poursuivre nos échanges autour d’une table.

Je passais un week-end dans l’impatience de cette rencontre proposée avec cette délicate amabilité dont il savait faire preuve.

J’ai attendu en vain. Roland Barthes n’est jamais venu. Je n’ai appris que le mardi qu’il avait été hospitalisé suite à un accident dont les conséquences devaient lui coûter la vie un mois plus tard.

Il sera enterré au cimetière d’Urt avec Henriette, sa mère bien aimée

« Là-bas, je ne me rappelle que la pluie battante, folle, violente, et le vent glacé qui nous enveloppa, resserrés comme une petite troupe aux abois, et le spectacle immémorial du cercueil qu’on descendait dans la fosse.» se souviendra son ami Éric Marty

Ma mère est décédée dans une maison de retraite d’Urt le 27 mars 2012. Barthes s’est éteint le 26 mars 1980, il sera inhumé quelques jours plus tard.

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Coïncidences et hasards de la vie. Marcher sur cette route aimée par Barthes, s’immerger dans son paysage, partager ses points de vue, regarder à travers ses descriptions et ses sensations, autant de raisons pour métamorphoser ce parcours en pèlerinage. De l’enfance au cimetière, un chemin de vie en quelques kilomètres pour éprouver de tout son être qu’Au fond, il n’est de Pays que de l’enfance.

Note :

(1)       Sur la photographie, Susan Sontag.- éd. Seuil-Fiction & Cie-1979

Texte Jacques Clayssen

Bâton/Mémoire – Les Barthes avec Roland

« Marcher est peut-être – mythologiquement – le geste le plus trivial, donc le plus humain », écrivait Roland Barthes.

Le bâton-mémoire se fait ici portrait d’un homme avec des évocations territoriales : le maïs des Landes, les couleurs du drapeau basque. Le sigle stylisé de la marque de son auto, réminiscence des Mythologies. La bière espagnole pour les escapades au-delà des Pyrénées. Le damier livré à notre imagination s’enroule autour d’un portrait de l’auteur adolescent.

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Adour mon amour

_H9A1650_DxOPaysage de rien, ou de peu, la promenade préférée de Roland Barthes ressemble à un chemin de croix dont on aurait enlevé les stations et dont il ne resterait que la trace de l’ombre sur les murs. Territoire vide et vaguement mélancolique au premier abord, les prairies se suivent et se ressemblent, uniformes, sans aspérités, désespérément plates et sans relief, bordées par le fleuve et sa platitude tranquille dont l’eau s’écoule ou, première surprise, parfois remonte avec la marée. L’Adour est un petit Danube dont le flot s’inverse tranquillement et ce phénomène se perçoit difficilement selon la marée, le vent, la saison, la lumière, bref demande du temps, de l’observation et une attention flottante suffisamment forte pour déceler le décalage du cours qui remonte la pente naturelle au lieu de la descendre, légère bizarrerie dans le paysage.

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Succession morne des étendues herbeuses, quelques reliefs au loin dans les forêts dispersées, un air de Sibérie au printemps, de l’eau partout, sous jacente, dont le bruit ne quitte jamais le visiteur, réseau de canaux anciens qui drainent sans cesse un envahissement régulier. La terre n’est pas vraiment la terre ici, elle ne sert qu’à écouler de l’eau, souvent en surnombre, le territoire est transitoire, en attente d’une arrivée toujours imprévue, comme un membre de la famille qui débarque toujours à l’improviste et du coup tombe parfois au mauvais moment, invité non-désiré mais dont on garde la chambre prête parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver, la neige peut fondre, la pluie tomber, le fleuve gonfler et l’invitée se répandre dans ce territoire toujours prêt à absorber un surplus, territoire toujours recommencé, réinventé, à la végétation rapide et envahissante.

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Dénuement spectaculaire où justement le moindre signe prend un éclat sans précédent, dans cette absence de choses le vide devient un écrin pour le petit, l’insignifiant que l’on ne regarde plus, l’inaperçu permanent, le détour dans le rien devient un éclat perçant pour les petites choses, les petits signes que nous adresse la réalité, le territoire devient une forme de méditation pour sémiologue stressé et occupé de millions de sollicitations visuelles, d’analyses mythologiques et de chambres claires. Le dénuement est reposant, paisible, toujours disponible, machine à laver permanente et bienveillante, passer dans ce territoire c’est remettre les compteurs à zéro, se débarrasser du superflu, de la profusion et de l’inutilement présent à l’esprit, et s’offrir quelques instants d’éternité au passage.

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La ponctuation, le « punctum » prend ici tout son sens, le chemin est jalonné de petits points au reliefs forts et délicats, très marqués, presque trop présents et qui viennent rompre une tranquillité visuelle charmante aux douces tonalités exotiques ou campagnardes. Un vrai repos du guerrier après la bataille perpétuelle de la surcharge, du baroque des paysages urbains modernistes. Enfin il ne se passe plus rien, juste une circulation dans un espace en creux, un entre-deux solitaire où rien ne distrait, rien ne perturbe, sauf la courbe d’un arbre, d’un roseau, les légères inflexions de la route ou la tache de couleur de quelques marguerites.

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Le temps aussi s’y est arrêté dans un style désuet, daté, propret, un petit monde de nains de jardins sympathiques où s’empilent les références, longuement accumulées au milieu de cette sorte de grenier stylistique, du vintage férocement brutalise à l’hacienda mexicaine, le tout enchâssé dans le fameux décor rural à la vibration bordélique, plein de machines, de poules et d’animaux, de déchets divers éparpillés selon une logique obscure mais persistante. De même que le fleuve inverse son cours selon les caprices des marées, le temps lui même par endroits se contracte et offre de splendides raccourcis, de belles coincidences dans un joyeux n’importe quoi, surprise toujours renouvelée du parcours.

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Le seul signe religieux de cette promenade se dresse avec élégance au milieu du parcours, reprenant la forme baroque de la figure de Dieu, sans les ornements, sans la préciosité, sans l’ostentation des ors de l’église, sans le cadre sacralisant, toujours le dénuement, simple rupture visuelle entre le plat et le vertical, ornée malgré tout d’une fine dentelle de grillage, vague réminiscence respectueuse, sur laquelle viennent se fracasser les balles du jeu collectif de la région. L’adresse a remplacé la dévotion mais sert toujours de ciment communautaire, nouvelle religion païenne partagée avec l’ancienne, égalité du fronton et de l’église.

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Paysage squelettique dans lequel peut se déployer sans frein, sans obstacle et sans distraction, la fameuse lumière du sud-ouest si chère à Roland Barthes, qui envahit, jour après jour, ce territoire incertain. Paysage dont la seule  fonction est de porter la lumière du ciel, de recevoir ses rayons et vibrer dans le dénuement des courtes oscillations de la couleur, miroir sans tain sur la beauté de la terre et des marécages, des nuages et du vide.

Texte et Photos Patrick Laforet

Hors-Circuits +1

Un an après la première édition, nous avons repris le parcours Pantin-Le Bourget. En effet, dès la mise en place de Hors circuits, nous avions envisagé de suivre les évolutions de son environnement.Une marche permet de découvrir un état du parcours figé à l’instant du passage, remettre ses pas dans les pas de l’année précédente révèle les mutations infimes ou massives d’un environnement en continuelle évolution.

Jacques Clayssen, relevé des observations notées en septembre 2015

De la gentrification de Pantin aux évolutions du site aéroportuaire du Bourget, en passant par les constructions, réhabilitations , aménagements et dégradations de l’espace public, nous découvrons comment la nature estompe les entraves à l’implantation des populations précaires, comment des espaces occupés par des bidonvilles sont aujourd’hui rendus inaccessibles après avoir été vidé de leurs habitants.

Des immeubles aux façades miroitantes se dressent en lieu et place de pavillons, un hyper O’Marché frais ouvre sur 4800 m² à la Courneuve, il occupe le rez-de-chaussée d’un parking de 750 places sur 3 niveaux. Ces façades équipées de gigantesques panneaux lumineux affichent des prix compétitifs en continu.

Les empierrements se sont incrustés dans le sol et les herbes folles masquent les fossés de défense, la tour de l’Etoile est en cours de réhabilitation de même que des bâtiments de la cité. Le stade a bénéficié d’une réfection des bâtiments japonisants et des courts de tennis ont été restaurés. Le jardin des Vertus exposent sa luxuriance et le temple de Shivan est en travaux d’agrandissement. Les changements ont des rythmes différents suivants les communes et le type de zone traversé. Dans l’ensemble, les espaces ont été nettoyés, dans tous les sens du terme. Rendez-vous dans un an pour la suite.

 

 

Retour à Pantin par Patrick Laforet

Retrouvailles avec un vieil ami : le parcours Hors-Circuits, anniversaire sans bougies mais avec émotion. Rien ne change sauf de micro-variations : la ville se construit, les légumes poussent et meurent dans les jardins ouvriers, les tags se délitent doucement pour accéder au statut de fresque primitive, la pluie érode lentement le béton abandonné, quelques fleurs de plastique rythment la vie des autoroutes et ses drames invisibles, le paysage reste triste, tout va bien, pas de surprises, à l’année prochaine.

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Table ronde au Mac Val-2015

Une table ronde animée par Sabine Chardonnet-Darmaillacq, architecte DPLG, docteur en urbanisme et enseignant-chercheur à l‘Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, impliquée dans de nombreuses recherches-actions sur la marche, réunissait le 12 septembre au MacVal les participants autour du thème « La marche comme nouvelle forme d’exploration des territoires ».

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Hors Circuits, parcours anniversaire!

Comme annoncé, nous proposons le premier circuit anniversaire de « Hors- circuits ». Mais la météo nous a obligé à annuler le parcours du Dimanche 13 septembre à 14h

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Arles 2015 : Blind Spot / Point Aveugle

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LOGOARLES2La singularité de ce walkscape réside dans deux facteurs dérogeant aux règles habituelles de cette pratique artistique. Sachant que le walkscape est défini par le groupe Stalker comme « … une affaire de marche, de promenade, de flânerie, conçues comme une architecturation du paysage. La promenade comme forme artistique autonome, comme acte primaire dans la transformation symbolique du  territoire, comme instrument esthétique de connaissance et transformation physique de l’espace ‘négocié’, convertie en intervention urbaine. »

En effet, le lieu proposé, la voie sous le tablier du pont de la Nationale 113 sur le Rhône, présente la particularité d’être une voie pédestre et cyclable dans un caisson de béton éclairé par une grille zénithale située entre les 2 x 2 voies de la circulation des véhicules sur le tablier du pont. Cette construction est décrite dans les études comme un passage intérieur construit sous les chaussées principales. Nous y proposons un parcours partant du chantier de la Fondation Luma, jusqu’au passage inférieur du pont Ballarin, se poursuivant par une boucle effectuée sur l’autre rive avant de repartir à travers la friche industrielle SNCF vers le pont de la D35A pour regagner le centre-ville et la fameuse place du Forum.

Les véhicules motorisés bénéficient d’une circulation à l’air libre ; avec vue sur le fleuve, alors que les adeptes de la marche et du vélo sont relégués dans un caisson de béton. Ce parcours aérien sous la chaussée met l’utilisateur dans une situation d’enfermement. Seule la grille zénithale offre une échappée du regard vers le ciel. Les vues latérales sur le fleuve sont occultées sur toute la longueur du passage. Ce dispositif inscrit le projet de walkscape dans un environnement singulier qui rend le passant invisible dans un paysage occulté. Il faut ici prendre en considération ces caractéristiques du parcours, pour comprendre l’intérêt de ce lieu.

L’invisibilité du lieu lui-même est vérifiable par une simple requête image sur un moteur de recherche. Même Google ne retourne qu’une occurrence, avec une vue prise par un cyclo-touriste. Cette absence d’image confirme une négation du lieu dont l’enfermement impose son inexistence visuelle. Un lieu quasiment sans représentation, un parcours occultant la vue. Sur la base de ces deux spécificités le walkscape trouve un terrain d’exploration inattendu, dont l’étude devrait soulever des questionnements atypiques.

Photos : Patrick Laforet/ Texte : Jacques Clayssen

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ARLESESSAI

Cartographie de l’invisible

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Temps de parcours : environ 1h30
Niveau : trajet facile, pas de difficulté

Le parcours commence sur l’avenue Victor Hugo au niveau de la brasserie Les Ateliers, prendre le chemin du Dr Zamenoff et suivre la voie ferrée désaffectée en longeant le chemin Marcel Sembat. Poursuivre jusqu’à l’autoroute, passer sur le pont et prendre à droite la rue Jean Charcot en longeant le canal. Au bout de cette rue, passer sous la D35 et traverser le terrain vague, ensuite remonter par l’Allée de la Nouvelle Ecluse. Prendre ensuite à droite l’allée de la 1ere Division Française Libre, passer devant le Musée Départemental Arles Antique et continuer dans l’avenue Jean Monnet. Arrivée au pont Ballarin, passer dessous et remonter par l’escalier et entrer dans le pont. Une fois la traversée terminée, à la sortie prendre l’escalier à droite, descendre et traverser la route, entrer dans la friche SNCF. La traverser et suivre le quai Trinquetaille. Remonter sur le pont de la D35A, traverser et suivre l’avenue du Maréchal Leclerc, à gauche suivre la rue de la République et dépasser la mairie par la droite, à gauche suivre le Plan de la Cour et à droite dans la rue du Palais, et voilà la Place du Forum, vous êtes arrivés.

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Marcher dans l’Invisible

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Un parcours simple et facile, d’environ une heure et demie, qui part de la Fondation Luma, descend le long de la voie ferrée désaffectée, passe au-dessus de l’autoroute et ensuite longe les rives du canal jusqu’au pont Ballarin. Là un escalier ou une rampe d’accès vous mèneront dans cet univers indescriptible des dessous de la circulation routière pour atteindre l’autre rive. En traversant la friche industrielle sur la droite du pont vous rejoindrez la D35A et remonterez dans la ville pour rejoindre la mairie, que vous dépasserez sur la droite pour arriver à la fameuse Place du Forum, lieu de tous les débats, rendez-vous, tractations et cafés pour vous rafraîchir.

PREMIERE PARTIE
De la Fondation au Pont Ballarin

DEUXIEME PARTIE
La traversée du Pont Ballarin

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TROISIEME PARTIE
Du Pont Ballarin à la Place du Forum

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Texte et Photos Patrick Laforet

La Galerie Invisible

Photographier une traversée invisible n’est pas chose courante, essai photographique évolutif aujourd’hui centré sur le pont, son dénuement et la rusticité des lumières qui le ponctuent, entre le clair-obscur et la manière noire en gravure.
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Le Bâton de Arles

Le pays des rencontres
Une pincée de pastis parce que le soleil y coule à flots et un coquillage parce que la mer est sa campagne, une pellicule bien sûr parce que l’argentique y fut roi consacré, des toros, du rouge, du sang, du noir pour le cuir luisant dans l’arène, Lénine parce que c’est un bastion rouge, une besace contenant un « espion », un des premiers appareils numérique vendu dans les tabacs comme un gadget portant la révolution digitale, une carte mémoire car il ne faut rien oublier, la mort est présente dans ce pays dur et austère, froid comme du métal malgré la chaleur des étés, et un tapis rouge, ou presque, car tous les festivals ont leur tapis précieux, leurs gloires et leurs stars, tout cela sur une canne, végétal emblématique du sud, des rizières et des canaux, des zones humides et de leurs recoins sombres.
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Aquitaine 2015

Sommaire
Into the wild : la carte
De la lande à l’océan en images
Chroniques Landes côtières
Lisières sols et végétaux
La nature n’est plus ce qu’elle était
La coustille
Empreintes
Marche et absolu
Galerie photo

 

Walking InTo The WilD

_MG_5035_DxOHommage à Henry D. Thoreau et Sean Penn

En écho aux paysages de la côte aquitaine, les textes de Henry D. Thoreau et le film de Sean Penn,  Into the Wild, se sont imposés à nous, modifiant notre appréhension de cet environnement support d’images mais aussi de mode de vie. Des espaces où la liberté trouve son sens.
Un horizon lointain, des points de vue s’estompant sous les effets des vents de sable, des embruns ou de l’air brûlant de l’été, des mirages, une bande-son composée par le vent, les vagues, les mouettes et les cris des baigneurs.

Dans ce milieu naturel à la lisière de la terre et de la mer, sur ces plages estivales où éclosent les amours de vacances, comment ne pas aussi se remémorer des travaux de Paul-Armand Gette, artiste des zones fragiles, à la limite de la décence et de l’indécence, aux confins de l’Art, de la Science et des évolutions adolescentes. Ce wildscape trouve son origine dans le goût partagé par les auteurs pour la côte landaise, avec ses vagues puissantes, ses baïnes dangereuses et ses dunes soumises à des phénomènes météos violents qui modifient la configuration du littoral au gré des tempêtes et des grandes marées.

De longue date nos séjours sur le littoral aquitain nous ont permis de parcourir les  plages en toutes saisons et par tous les temps.

Situation

GPS

Pour ce wildscape, nous avons retenu un parcours situé entre Capbreton et Labenne, précisément sur le site dit de la Pointe bordé à l’ouest par l’Océan Atlantique et à l’est par la rivière « le Boudigau ». Ce site présente la caractéristique unique de regrouper tous les milieux littoraux caractéristiques de la côte sableuse aquitaine : une forêt de protection, transition entre la forêt littorale et le massif dunaire. Ce massif étant lui-même composé d’une dune blanche et d’une dune grise.

 

Côte Aquitaine, sur les communes de Capbreton et de Labenne.

Parcours : 7,95km
Temps de parcours : 3h48mn
Nombre de pas : 12 691

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De la lande à l’océan

Rien ne remplace l’expérience sensible. Ce parcours vous prendra quelques heures de marche et vous mènera de la forêt landaise au bord de l’océan, puis vous ramènera à votre point de départ par une autre partie de la forêt. Ce site particulier est en fait un voyage dans le temps qui vous fera découvrir les diverses couches de cette « fausse nature » inventée et construite par l’homme.
Quelques conseils pratiques : en été il peut faire très chaud, donc emmenez de l’eau et protégez vous du soleil, les demi-saisons sont parfois pluvieuses, voire très pluvieuses, et en hiver les tempêtes peuvent être violentes, donc renseignez vous avant de partir. Pour la partie plage, selon les coefficients de marée, la force du vent, la mer peut remonter jusqu’au bord des dunes et vous barrer le passage, là encore prévoyez votre timing. Sur la plage, si vous n’êtes pas familier des vagues landaises et de leur force sournoise, ne vous baignez pas, les courants sont traîtres et puissants malgré un aspect paisible et la plage est sauvage, c’est à dire non-surveillée.

Première partie

La forêt

C’est la première zone tampon entre la partie aménagée de la côte et la rudesse de l’océan. Il y fait frais en été, les sentiers sont entretenus et balisés, le sol est un mélange de sable et de terre et selon les saisons quelques belles fleurs s’épanouissent.
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Deuxième partie

 Les dunes

Deuxième zone tampon, qui protège la forêt qui protège la campagne. La végétation disparaît, sous la force du vent et la sécheresse. La première partie de la dune est en pente et se termine de manière abrupte sur la plage. La plante emblématique de la dune est l’oyat.
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Troisième partie

La plage

La frontière entre l’océan et la terre est ventée, large, couverte de déchets, organiques ou industriels, les surfeurs y construisent des cabanes avec les bois flottés, la croustille est tentante (voir article connexe). Les célèbres vagues de la côte landaise sont là, parfois gigantesques et impressionnantes, toujours splendides et dangereuses. C’est ici, au croisement de la dune et de la plage que se situe notre petit mémorial sauvage.

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Quatrième partie

Rond-point du retour

Petit passage par la civilisation, en été poste de secours et bistroquets et point d’eau. Vous longerez quelques bâtiments anciens et abandonnés, mais gardés, attention aux youkis aboyeurs, avant de replonger dans la forêt.

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Cinqième partie

Le bayou

Au retour vous longerez pendant un moment le petit cours d’eau « le boudigau » qui à la saison des pluies a tendance à déborder de son lit et transforme la forêt en une sorte de bayou chaotique.

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Voilà, c’est fini, vous avez normalement perdu environ 350 calories et parcouru un paysage unique, voyagé dans le temps, ramassé de splendides déchets plastiques sur la plage dont vous ferez de splendides bracelets en souvenir de ce WildScape.

Texte et Photos Patrick Laforet

Lisières, sols, végétaux

 

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Ce sera dans les œuvres de Paul-Armand Gette que ce wildscape trouvera ses sources artistiques. En effet, la plage, la lisière et la végétation sont avec les petites filles les thèmes de l’œuvre singulière de Paul-Armand Gette, artiste contemporain né en 1927 qui reste un explorateur de l’équivoque et de l’ambiguïté par son activité maintenue à la lisière des domaines scientifiques et artistiques. Mais aussi à la lisière des genres et des techniques mises en oeuvre et des lieux investigués. En entretenant une polysémie dans les explications et les spécialisations des savoirs, il place la lisière comme lieu privilégié d’émancipation et de création, ce qui est a priori paradoxal.

Approche descriptive d’une plage exposée au Centre Culturel Suédois en 1972 est une mise en scène soumise à des codes et des méthodes scientifiques, selon le regard porté par l’artiste Paul-Armand Gette sur le paysage littoral. Plutôt qu’au paysage lui-même, ce sont les diverses manières de le représenter qui intéressent l’artiste. La plage a été l’un de ses lieux privilégiés car elle décrit une zone intermédiaire, un entre-deux, entre l’étendue de la lisière maritime et le commencement d’un paysage aménagé. Le concept de lisière, thématique majeure de l’œuvre de Paul-Armand Gette, trouve dans cette géographie une illustration adéquate.

La végétation de la côte landaise s’inscrit dans la nomenclature binominale établie par Carl Von Linné. L’artiste Paul-Armand Gette réalise le 29 novembre 1975, à l’Université Paris 10 une lecture-performance La nomenclature binaire-Hommage à Carl von Linné. Durant cette lecture-performance d’une liste de 5 945 noms de plantes à fleurs, extraits du Species Plantarum (1753) du botaniste suédois. De 8h à 18h Paul-Armand Gette a lu sans discontinuer les noms des plantes. La liste devient de fait un dispositif d’exposition, au sein de l’Université, en un hommage au scientifique botaniste Linné.
En 1976, à l’occasion de l’exposition Identité/Identifications au CAPC de Bordeaux, Jean-Paul Gette répondait à ma question : Dans ce travail (la Plage) vous mettez en évidence des végétaux et des animaux que le public peut voir, mais ne sait, généralement pas nommer.
Vous touchez là à une particularité de mon travail qui peut être particulièrement irritante pour le public. Je tiens à désamorcer tout de suite cette irritation, la nomination d’éléments figurant sur une photographie, toujours lisible bien que peu soucieuse de perfection technique, cherche à créer un décalage, à faire varier l’angle de vision habituel. Dans le cas de mon travail intitulé  La plage, le nom de la plage est mentionné et c’est d’une plage particulière qu’il s’agit, mais le public projette sa propre vision de la plage ou des plages qu’il connait sur l’image présentée et synthétise. L’image fonctionne comme support du fait que j’élimine le pittoresque. De toute façon le public ne lit pas dans le détail ; la précision crée un flou. Je pense et j’espère qu’il en est ainsi que le spectateur se trouve tout à fait libre de superposer sa vision à la mienne.

Lisières. A la traditionnelle lisière forestière s’ajoute la lisière maritime, frontière entre la mer et le sable. A la lisière mouvante de la mer, l’estran présente un sable variant de sec à trempé suivant les heures des marées. Lisière confuse parfois ourlée d’une écume abondante. Le sac et le ressac incessant des vagues gomme toutes les traces et empreintes et détruit les châteaux de sable construits sur l’estran.

Sols. Une marche de la forêt à la mer offre des sensations variées. En forêt le sentier reste ferme sous le pied, mais un écart dans le sous-bois et le pied comme sur un tapis éprouve une sensation de moelleux. Le sol sablonneux couvert de fougères et d’aiguilles de pins est aéré par cette végétation. Au sortir de la forêt, la lette, cette dune grise composée de sable, d’humus et d’un tissu végétal ras et rare reste ferme sous le pied jusqu’à la dune où le pied s’enfonce dans le sable sec aux grains très fins. Sur la plage les grains de sable évoluent parfois jusqu’à devenir des graviers. Suivant son degré d’imprégnation d’eau de mer, le pied s’enfonce plus ou moins et la résistance spongieuse du sable mouillé rend l’effort de marche plus intense.

 

Végétaux. De la lande à la mer, du vertical à l’horizontal, la végétation construit des perspectives. Ces paysages plantés superposent différentes strates témoignant du travail des hommes. Combat contre l’érosion éolienne toujours recommencé. Modifications des sites historiques par des plantations visant à assainir, à drainer, à fixer.

La dune : gourbet (Oyat), chiendent des sables (Agropyron), euphorbe maritime (Euphorbia paralias L.), panicaut de mer (Eryngium maritimum), liseron des sables (Calystegia soldanella), épervière laineuse (Hieracium lanatum), astragale de Bayonne (Stragalus boeticus L.), silène de Thore (Equisetopsida Caryophyllales), diotis maritime (Equisetopsida Asterales), carex des sables (Carex arenaria), oeillet des dunes (Dianthus gallicus), immortelle des dunes (Helichrysum stoechas), alysson des sables (Alyssum loiseleurii)… La forêt et la forêt galerie : chêne-liège (Quercus suber L.), pin maritime (Pinus pinaster),aulnes (Alnus),  chêne pédonculé (Quercus robur), chêne tauzin (Quercus pyrenaica), hêtre (Fagus sylvatica), robinier (Robinia pseudoacacia),  noisetier (Corylus L.), aubépine (Crataegus). Sur les rives : fougère (Filicophyta), iris des marais (Iris pseudacorus), scolopendre (Asplenium scolopendrium var. scolopendrium), hépatique (Hepatica triloba), … Les bruyères : bruyère callune (Calluna vulgaris), bruyère cendrée (Erica cinerea), hélianthème à gouttes (Tuberaria guttata), hélianthème faux alysson (Cistus lasianthus), ajonc d’Europe (Ulex europaeus), genêt à balai (Cytisus scoparius), … Les parasites : processionnaire du pin (Thaumetopoea pityocampa), apocrite (Apocrita), …

Texte et Photos Jacques Clayssen

La Coustille

WILDSCAPE6La coustille est une coutume ancienne toujours pratiquée par les nostalgiques et les artistes de tout bord qui redonnent vie aux bois flottés et aux objets plastiques détournés de leur état de rebus. Cette tradition perdure, il n’est pas rare de croiser des personnes charriant des sacs remplis de bois ou de déchets divers. Après les marées on peut observer des habitués marchant tête baissée en quête de merveilles, promenades intéressées, gestes vertueux de recyclage, poésie du bois flotté, à chacun sa raison.

Lors de ce wildscape, nous n’avons pas failli à la tradition, nous avancions sur la plage les yeux fixés sur les lignes de marée pour ramasser quantité de morceaux de plastique, genre bâtonnets de sucette et de cotons tiges de toutes les couleurs.

Aujourd’hui la mer charrie, sur ce qu’il reste de grève, des dizaines de milliers de déchets qui s’entassent. Certaines plages présentent des espaces submergés de débris divers, l’estran prend des apparences de zone sinistrée. Paysage apocalyptique d’enchevêtrements de détritus mêlant déchets hospitaliers, objets tombés ou jetés des bateaux, débris de chantiers et fortunes de mer.

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Aux déchets endogènes, bois et cadavres d’animaux s’ajoutent la pollution exogène provenant des activités humaines, pêches, bateaux, décharges littorales non conformes. L’association Surfrider dresse un bilan éloquent :
– 206 kg de déchets plastiques sont déversés chaque seconde dans les océans
– Sur les 100 millions de tonnes de plastique produites chaque année, 10% finissent dans les océans
– 1 million d’oiseaux et 100 000 tortues de mer meurent chaque année après ingestion ou enchevêtrement dans les déchets plastiques
– 5% seulement du plastique produit est recyclé

Un lourd bilan pour des sites fragiles. Aujourd’hui, les communes nettoient les plages à coup de pelleteuses et de bulldozers qui dessinent sur le sable de gigantesques arabesques d’empreintes des pneumatiques. Cette chorégraphie d’engins à l’instar des « sand artists » s’efface au gré des marées, la plage retrouve alors son sable vierge jusqu’aux prochaines empreintes.

La prise de vue sur la plage s’apparente à une forme de coustille photographique. Le prélèvement d’images constitue un témoignage visuel d’un état du site.

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Texte et Photos Jacques Clayssen

La nature n’est plus ce qu’elle était

intro_to_thoreau1L’invitation à la marche que prônait Henry D. Thoreau se situait dans un contexte naturel très différent du notre. La marche pour lui constituait un bain de régénération, un retour à un état vierge, apaisant et purificateur, dans une nature considérée comme vierge, non polluée par l’homme et ses activités et permettait de retrouver une harmonie perdue. Ce qu’on appelle « la nature » était à son époque plus naturelle que maintenant, moins marquée par les activités de l’homme, moins travaillée, moins exploitée mais également moins entretenue.
En vous promenant dans notre parcours, en arrivant sur la plage vous ne pourrez manquer de remarquer la présence massive de déchets, qui ne font pas de ce paysage un paysage dit naturel. Pour nous, le naturel est toujours vierge, les plages doivent être désertes, pures de tout déchet, le sable doit s’étaler à l’infini sans obstacle.

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Gouf-de-capbreton-relief1La côte sauvage est située juste en face du fameux Gouf du golf de Gascogne, profonde cicatrice intérieure du golfe, qui descend jusqu’à 3000 mètres et vient finir juste à Capbreton, au bord de la plage. Ce qui explique les cadavres de grands animaux marins parfois présents sur la plage et la répartition des nombreux courants qui transportent une masse impressionnante de déchets, estimée à 50 millions de tonnes. Du coup, le paysage prend un aspect relativement apocalyptique, surtout après de grandes tempêtes qui rapportent de grandes quantités de déchets organiques, bois, végétation, cadavres d’animaux dont profite tout un monde de charognards et d’insectes.

Larmes de sirènes et Chupa Chups

Le plastique constitue l’essentiel de l’autre partie des déchets et ponctue le paysage de ses couleurs vives, transformant la plage en décharge sauvage et lieu de nombreuses et nouvelles légendes. Par exemple le sable se couvre de milliers de petites perles de plastique translucides, brillantes au soleil, petits bijoux « naturel » puisque ramassés dans un endroit sauvage. La légende leur a attribué le nom poétique de larmes de sirènes ce qui est beaucoup plus intéressant que la réalité, en fait ce sont des composants bruts pour l’industrie de transformation, une sorte de matière première. L’autre légende attribue la présence de milliers de petits bâtonnets de couleur au naufrage d’un gigantesque cargo chargé de sucettes espagnoles, les Chupa Chups, qui aurait régalé des générations de poissons en fondant doucement dans l’eau avant de s’échouer sur ces plages. La réalité est plus prosaïque: ce sont des restes de coton-tiges, suffisamment petits pour passer les grilles des stations d’épuration.

Le nouveau sauvage

Les clichés ont la vie dure et pour nous une plage naturelle se doit d’être propre, vierge, pure de traces de l’homme. Les collectivités locales l’ont bien compris, qui, en saison touristique, gardent le paysage propre à coup de bulldozers et pelleteuses géantes. La gestion du déchets génère toute une activité qui va de la récupération du matériel de pêche pour l’envoyer solidairement aux pêcheurs africains, à la maintenance biologique des espèces animales, dont la survie est souvent menacée par ces petits bouts de couleurs vives, en passant par la coustille (voir article connexe). Le déchet est même depuis peu honoré en tant que tel, vers la fin février dans la commune de Boucau, ce qui signe, avec humour et intelligence, l’inversion du paradigme visuel de la nature : c’est aujourd’hui la présence du déchet qui est devenue « naturelle » et son absence qui signe la présence de l’homme. Le « sauvage » contemporain est maintenant synonyme d’abandon, de pollution, de chaos, de laisser-aller, tant l’emprise de l’humanité sur son territoire est devenue massive.

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Contenu d’un estomac de tortue.

Texte et Photos Patrick Laforet

 

Empreintes

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Jacques Clayssen

La tresse narrative du walkscape se constitue par le maillage établi entre différents moyens de production qu’ils soient textuel, photographique, sonore, vidéo ou multimédia. Aux moyens techniques que sont l’appareil de photo, la caméra et le magnétophone s’ajoute le texte aujourd’hui saisi numériquement mais qui peut aussi passer par une version manuscrite. La main organon pro organon selon Aristote, c’est-à-dire instrument de tous les instruments.

Les empreintes que nous diffusons ici relèvent d’une technique ancestrale : le frottage. Ces prélèvements in situ nécessitent un support papier, un crayon ou un embossoir. Le frottage, par un geste de la main, a pour avantage de mettre en évidence un travail de texture. Max Ernst a développé cette pratique dans le champ des arts plastiques.

L’obscure graphie
Ici, la lumière ne joue aucun rôle, seule la main est à l’oeuvre. Il s’agit du relevé d’une texture de la matière par frottage. Cette « révélation » sur le papier d’une image décalquée de son support fonctionne à l’identique d’une photographie à laquelle on aurait substitué le geste de la main à l’effet de la lumière. Ni chimie de l’argentique, ni pixel du numérique, ni optique, ni temps de pose, uniquement le mouvement de la main dotée d’un outil de frottage pour obtenir une image négative de la surface reproduite.

Image du relief ou relief négatif directement sur le papier. Le papier en contact direct avec son support en restitue les aspérités et les bosselages. Cette « empreinte » matérialise un décalque de son support. Sa définition, sa précision résultent de la précision du frottage et de la qualité du papier choisi. Des similitudes avec l’image photographique certes, mais la rusticité du procédé lui confère une aura particulière, ici pas de distance entre le sujet et son plan de reproduction. Le support restitue la forme sous la pression. Durant l’opération le négatif apparait au fur et à mesure à la surface décalquée. Empreinte négative au crayon sur du papier opaque ou embossage du papier calque, les supports à l’instar de l’image photographique se déclinent en négatif papier ou en transparent.

Sur la plage, le sable présente tous les avantages d’un support modelable et traçable sur lequel l’action des marées joue comme une gomme pour effacer les empreintes. Nos empreintes de pas, mais aussi celles des animaux et des différents engins qui circulent pour le nettoiement ou la surveillance. Par ce moyen, la tresse narrative s’enrichit d’un témoignage sur les matières que la photographie documente sans relief et sans contact avec les matériaux.

Prélèvements sur calque / Blockhaus béton

Patrick Laforet

La captation par frottage est une tentative magique de voler un bout du lieu, d’en capturer l’esprit et de le ramener en lieu sûr. C’est un piège, un piège parfait, à taille réelle, sans intermédiaire, immédiat, ludique, qui rejoint le fantasme de Borges sur la carte qui est à la taille du territoire. Le frottage est un retour en arrière à une des techniques les plus primitive, les plus primaire, de représentation du monde. Une sorte de pré-photographie d’avant la lumière, quand le monde était obscur et in-captable et que la caméra-piège n’avait pas encore été imaginée. Technique frustre, rudimentaire mais efficace avec un papier un peu solide et un bon charbon de bois.

Il s’agit là de photographier avec les doigts, avec la main, de révéler une image latente dans le monde, de fabriquer une relique véritable, comme si le paysage émettait une lumière noire, et de l’enfermer dans un support fragile, volatile mais subtil, presque intouchable sous peine de disparition. Le frottage graphique se propose comme une icône, assez proche de la logique du Saint-Suaire, mais sans la dimension religieuse, juste un morceau d’un paysage qui se met à dériver dans le monde.

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Prélèvement 01 / Bois flotté – Plage
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Prélèvement 02 / Rocher – Plage
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Prélèvement 03 / Ecorce – Arbre forêt
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Prélèvement 04 / Déchet plastique – Plage

Marche et absolu

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Mémorial / Labenne / 2015

Le nouveau paradigme

La deuxième partie de l’hommage de ce wildscape est rendue au film de Sean Penn « Into the wild », basé sur le roman de Jon Krakauer, qui conte l’histoire d’un jeune homme qui, après avoir tout donné, quitte le monde contemporain pour les lointaines contrées sauvages de l’Alaska où il connaît une fin tragique et meurt au bout de quelques mois. Le film est un récit initiatique qui se termine dans le Bus 142 (1), la dernière demeure de Christopher Mc Candless, lui même devenu l’objet d’un culte tenace. De nombreux jeunes gens s’y rendent régulièrement chaque année pour suivre le rituel, aux mêmes risques que ceux de leur modèle, ce qui pose des problèmes à la commune de Fairbanks, nombreux sauvetages et surveillance difficile. L’endroit est particulièrement isolé et dangereux mais le mythe s’est installé.
DéMarches a choisi de rendre une modeste contribution à cette initiation en déposant un petit mémorial dans une autre nature, moins abrupte certes mais tout aussi « wild » afin de connecter cette recherche contemporaine avec un écrit plus ancien, le livre  « Marcher » de Henry D. Thoreau, très présent dans les idéaux du jeune homme et référence incontournable de la culture américaine sur l’idée de nature.

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Le Bus 142 / Fairbanks / Alaska

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Nature et harmonie

La conception de la nature qui imprègne les deux récits est très précise et intemporelle : la nature est vierge de l’influence de l’homme, donc régénérante et tonique. La civilisation représente une forme de pollution dont il faut s’éloigner, régulièrement ou définitivement, sous peine de vivre une vie qui n’en est pas une. La religiosité diffuse de la culture américaine imprègne cette conception, la forme du paradis reste accessible, ici et maintenant, sans délai et sans médiation, à condition de « vivre bien », selon des préceptes naturalistes et de respecter une distance certaine avec le monde des vivants, la société et ses contraintes. La soif d’absolu du jeune Mc Candless le conduit dans le récit à une forme d’impasse, la nature se révèle beaucoup plus revêche que prévu, impitoyable et totalement indifférente à son sort, malgré son amour. La transfiguration du candidat ne se réalise pas et reste sur un constat d’échec amer et glacé de la fusion dans l’harmonie universelle.

D’une génération l’autre

Ce constat d’échec est à rapprocher d’un autre récit initiatique, lui aussi sous forme de film, de la génération précédente : le film « More » de Barbet Schroeder daté de 1969, dont la trame et les enjeux sont très proches et la conclusion identique : la mort du jeune initié. Les deux récits annoncent la recherche d’un nouveau paradigme dans le rapport au monde, éternel problème de la jeunesse. Dans « More » le nouveau paradigme s’installe dans la recherche d’une forme d’hédonisme, le soleil, la drogue, l’amour, lié à une recherche de la sensation absolue, dans le deuxième la recherche s’est déplacée, au vu de l’échec de la première, sur une notion plus ancienne, plus floue, moins imagée, celle de l’harmonie naturaliste, paradis non artificiel.

Les deux constats d’échec successifs peuvent donner une image sombre des possibilités contemporaines d’échapper à la triste condition humaine, mais ne sont en fait que des signaux des dangers qui attendent celui qui se lance dans la quête d’absolu. L’endroit du premier récit, Ibiza, est devenu la capitale mondiale de la « fête », les jeunes générations ont évité le piège annoncé et s’amusent par milliers sur les plages de sable chaud et dans les méga-structures musicales. Bien sûr il est toujours considéré comme plus élégant de mourir pour ses idées que de continuer à vivre les deux pieds dans le monde, cela fait partie des légendes modernes qui privilégient l’aspect « comète » des grandes figures. Que deviendra l’Alaska dans les prochaines années ?

Texte et Photos Patrick Laforet

Note

(1) actualisation Juin 2020

Alaska : le bus du film « Into the Wild » déplacé pour éviter les accidents à des touristes inexpérimentés

Le bus du film « Into the Wild » attirait trop de touristes inexpérimentés dans une région reculée.

Le bus du film \"Into the Wild\" de Sean Penn déplacé par un hélicoptère de l\'armée le jeudi 18 juin 2020
Le bus du film « Into the Wild » de Sean Penn déplacé par un hélicoptère de    l’armée le jeudi 18 juin 2020 (Seth Lacount / Alaska Army National Guard)

Un vieux bus des années 40, devenu un lieu de pèlerinage en Alaska pour des aventuriers du monde entier, notamment depuis son apparition dans le film de Sean Penn Into the wild, a été déplacé afin de protéger les randonneurs trop téméraires.

Surnommé le « Magic bus », il était mentionné dans le livre tiré d’une histoire vraie Voyage au bout de la solitude de Jon Krakauer (1996), et figurait sur l’affiche de son adaptation au cinéma en 2007, racontant le périple d’un jeune homme cherchant à fuir la civilisation pour se rapprocher de la nature.

Soulevé par un hélicoptère

Situé au bout du chemin de randonnée Stampede Trail, le bus avait fini par attirer de plus en plus de curieux, pas toujours bien préparés. Entre 2009 et 2017, quinze opérations de secours en lien avec le fameux véhicule ont dû être organisées, selon les autorités locales.

Certains ont même trouvé la mort, comme des voyageurs venus de Suisse et de Biélorussie, en 2010 et 2019, noyés lors d’expéditions pour aller voir le « Magic bus ».

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Le bus du film « Into the Wild » de Sean Penn déplacé par un hélicoptère de l’armée le jeudi 18 juin 2020 (Seth Lacount / Alaska Army National Guard)

Jeudi, il a été déplacé de son coin de nature reculé en étant soulevé par un hélicoptère de l’armée, a déclaré la Garde nationale.

Conservé dans un site sécurisé

« Après avoir étudié de près le problème, pesé de nombreux facteurs, et considéré une variété d’alternatives, nous avons décidé qu’il était mieux de déplacer le bus de cet endroit », a déclaré Corri Feige, la commissaire chargée des ressources naturelles pour l’Etat d’Alasaka, à l’extrême nord-est du continent américain.

Il sera conservé pour le moment dans un site sécurisé, jusqu’à ce qu’il soit décidé quoi en faire, a-t-elle précisé. L’une des options est de l’exposer.

 

 

WildScape Galerie

Au delà de l’aspect documentaire de la photographie dans la pratique du walkscape, le ressassement du parcours, le retour au même lieu à des heures différentes, dans des conditions météo différentes, la variation des points de vue, constituent l’occasion de dégager des figures fines d’un même territoire. Certaines images finissent par se déposer naturellement comme des représentations de « l’esprit du lieu », parfois franchement décalées, d’autres très imprégnées du territoire. La tentative n’a rien de systématique mais se bâtit au fil du temps, à mesure que se tisse une relation plus profonde avec le territoire.

Les mille et une facettes du même, du semblable, se retrouvent d’une année sur l’autre, au gré des parcours faits et refaits et des changements, parfois massifs, des territoires parcourus, jusqu’à ce que l’anecdote, le pittoresque disparaissent dans les sables du temps. Ici galerie de 2015 et 2014, photos Patrick Laforet.

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Labenne / 2015 

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Labenne / 2015

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Capbreton / 2015

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Capbreton / 2015

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Labenne / 2015

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Labenne / 2015

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Labenne / 2015

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Labenne / 2014

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Labenne / 2014

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Labenne / 2014

Texte et Photos Patrick Laforet

Chroniques landes côtières

Double trame sur la côte landaise. Si un observateur porte son regard sur le littoral parallèlement à la mer, il découvre une succession de paysages formées par des bandes de largeurs et de couleurs variées. Du bleu de la mer à l’écume qui dessine une ligne serpentine sur le sable mouillé de la plage, succède du sable blond sec sur lequel s’accumulent des bois flottés et des déchets de toute nature au pied de la dune embryonnaire. Ensuite la ligne de crête de la dune file en bosselé vers l’horizon traçant une fragile frontière entre le front de mer et  l’arrière-pays qui vient s’estomper sur la pente terrestre de la dune s’affaissant doucement pour se transformer en une plaine sableuse grise ou lette grise qui s’étale en s’ourlant pour se transformer en un manteau préforestier annonciateur du sol sablonneux boisé, que la forêt de pins maritimes, de chênes lièges et de fougères recouvre de sa palette de vert dressant une barrière verticale entre le littoral mouvant et la plaine aménagée pour la sédentarisation.
Ce même observateur notera que les bandes détrempées, mouillées, sèches se succèdent avec des couleurs du bleu au vert en passant par toutes les nuances du sable dans un ordonnancement continu.
Deux marcheurs effectuent un parcours systématique tracé dans la zone littorale pour observer ce chemin d’est en ouest, allant de l’arrière-pays jusqu’à la mer. Ce transect est matérialisé par un tracé qui chemine à travers les bandes successives que l’observateur a décrites.

entre Ondres et Labenne

Partis de la plaine aménagée, ils vont traverser la forêt, à l’orée de laquelle ils vont déboucher sur une zone moins arborée qui va laisser place à un à-plat ourlet de sable couvert d’humus gris avant d’aborder une longue montée au milieu d’un végétation xérophyte vers la crête dunaire bosselée qui offre une descente plus rapide vers le sable sec encombré de déchets qui une fois traversée offrira sur l’estran un sable d’humide à trempé jusqu’à l’écume des vagues venant mourir sur la lisière mobile de la marée.

Cet état de Nature ne doit pas nous abuser, il résulte d‘aménagements réalisés sous Napoléon III, assèchement des marais et plantation de pins maritimes et de chênes lièges. Sans compter, auparavant, les lourds travaux de dérivement de l’Adour. Jusqu’en 1578, l’Adour se terminait par un delta correspondant au Maremne, autour de son estuaire principal de Capbreton. Son exutoire actuel dans l’Atlantique, entre Anglet d’un côté et Tarnos sur l’autre rive, lui a été donné en 1578. Les travaux titanesques menés par l’ingénieur Louis de Foix s’étalèrent sous le règne d’Henri III de 1572 à 1578.

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La côte landaise telle que nous la connaissons aujourd’hui n’est pas contrairement aux apparences l’espace naturel que l’on imagine. Cette lande marécageuse était habitée par des bergers perchés sur des échasses qui menaient une vie pastorale particulièrement rude dans un environnement insalubre. Les échasses apparurent dans les Landes au tout début du XVIII ème siècle. Les bergers Landais les utilisent pour se déplacer dans les très nombreuses  zones marécageuses. En effet, la région sableuse présentait en cas d’inondation la particularité d’offrir un sous-sol suffisamment compact pour permettre aux échasses de ne pas s’enfoncer.

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Avec la promulgation de la loi du 19 juin 1857 qui impose aux communes des Landes de Gascogne d’assainir et de boiser leurs territoires, les territoires d’élevage se réduisent mettant en péril cette activité pastorale. Cette situation engendra de violents conflits entre les bergers et les forestiers. D’autant que les bergers pratiquaient l’écobuage, prenant ainsi le risque d’incendier la forêt naissante, comme cela se produisit souvent.

La disparition des espaces de pacage au profit de la forêt entraina la disparition des échassiers. Durant les années 20 les derniers éleveurs s’étaient reconvertis en résiniers … Malgré cette restructuration du paysage, chaque année, un quart du littoral recule. L’érosion est un phénomène de grande ampleur, en particulier sur la côte aquitaine. Menacées par l’océan, les communes engagent d’importants travaux d’enrochements et de préservation des dunes. Mais la mer gagne irrémédiablement du terrain.

transect La Pointe

Aux vastes plages du début du siècle, protégées par une large bande de dunes succèdent un écroulement du front dunaire. L’érosion s’accélère, le trait de côte a reculé cinq fois plus vite lors de tempêtes exceptionnelles anticipant les prévisions à long terme les plus pessimistes.

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Des blockhaus basculent dans la mer, des parapentistes s’entraînent aux bords des dunes abruptes, les plages non protégées par des digues ou des jetées changent de configuration au fil des saisons.
La côte que nous pratiquons aujourd’hui se construit à partir de 1786, quand l’ingénieur Nicolas Brémontier commença par fixer le mouvement du sable en établissant une digue de madrier à environ 70 m de la ligne atteinte par les plus hautes mers, on enfonce dans le sol une palissade de madriers contre laquelle le sable s’accumule. En ajustant la hauteur des madriers à l’accumulation du sable, il obtient une dune littorale haute d’une dizaine de mètres formant barrière de protection. Le sable est fixé en surface par des semis d’oyat connu localement sous le vocable gourbet, dont les racines couvrent de grande surface. Nicolas Brémontier fera planter des pins maritimes pour fixer le sable en arrière des dunes et plus en arrière pour couvrir les anciens marais.

types de Landes

Ces dernières années des tempêtes ont durablement impactés le littoral, modifiant la configuration des plages et charriant une masse considérable de déchets. Le samedi 24 janvier 2009, la tempête Klaus traverse le sud-ouest, entraînant d’importants dégâts matériels. Ceci à une période durant laquelle la région récupérait à peine de la tempête Martin de décembre 1999, les sylviculteurs voient à nouveau leurs pins maritimes et autres essences déracinés ou sectionnés. A ces deux tempêtes succèdera en mars 2014, la tempête Christine. Sur les côtes basque et landaise, de nouveaux soumises à des dégâts colossaux, les vagues minent le littoral, faisant reculer les plages de plusieurs mètres.

La question de la Nature est au cœur du film de Sean Penn, Into the wildFilm emmaillé de nombreuses citations, dont celle de Byron extraite de Childe Harold’s Pilgrimage  qui apparait dès le début : “There is a pleasure in the pathless woods, There is a rapture on the lonely shore, There is society, where none intrudes, By the deep sea, and music in its roar: I love not man the less, but Nature more,…”(*) qui prend tout son sens sur cette partie du littoral Atlantique.

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Ainsi, dès les premières images du film, Sean Penn instille  chez le spectateur une idée de Nature idéalisée ; c’est le mythe de la route, en symbiose avec l’environnement qui place Alexander dans la posture d’un Kerouac routard.  Toutefois le scénario s’attache à montrer la différence entre le paysage naturel du décor et la fiction de la Nature qui habite le personnage principal du film. A l’instar de la réalité, la Nature n’est pas accueillante pour ceux « born to be – away from the – wild » ! Comme l’avait illustré le récit de Jon Krakauer dans le livre consacré à l’histoire de Christopher McCandless dont le destin tragique est incarné dans l’adaptation cinématographique sous le nom d’Alexander. Si Thoreau et McCandless  semblent se faire écho à un siècle d’écart, la place majeure de Thoreau dans la culture américaine ne doit pas faire oublier qu’il fut influencé par le romantisme européen et en particulier le romantisme allemand alors que pour McCandless les influences sont plutôt à chercher du côté des auteurs de la beat generation donc des mouvements de pensées libertaires. Le professeur  émérite en études de l’histoire et de l’environnement de l’Université de Santa Barbara Roderick Nash publie en 1967 la première édition de son livre qui fait autorité Wilderness in the American Mind, dans lequel il explique que : « dans wild, l’on trouverait les notions de perdu, incontrôlable, désordonné, confus, et c’est ainsi que l’espace chaotique et sans repères de la forêt finit par être désigné par wilderness »

Mais, c’est au Thoreau de Walden et de la Désobéissance civile que se réfère Alexander, le héros du film. Thoreau qui écrit dans La Désobéissance civile : « Si je suis venu au monde, ce n’est pour le transformer en un lieu où il fasse bon vivre, mais pour y vivre, qu’il soit bon ou mauvais. »

H.D.ThoreauLes premières lignes du fascicule de Henry D.Thoreau, Marcher, posent la conception que l’auteur naturaliste et écrivain engagé se fait de la Nature. Non-conformiste, il tire de ses expériences personnelles son engagement et cherche à toujours faire corps avec ses idées. « Au cours de mon existence, je n’ai rencontré qu’une ou deux personnes qui comprenaient réellement l’art de Marcher, c’est-à-dire de se promener qui pour ainsi dire avaient un génie particulier pour flâner, sauntering…. ». Il analyse l’origine de ce mot qui dans le langage contemporain se définit comme A saunter is not a walk, run, or jog. To saunter is to walk in life. (Se balader, ne signifie pas marcher, courir ou faire du jogging, mais prendre la vie comme elle vient.)

« Qu’est-ce qui parfois rend difficile le choix d’une direction de promenade ? » Question lancinante à laquelle tout marcheur doit répondre, pour nous il s’agit de rejoindre la rive de l’océan à propos duquel Henry D.Thoreau note« L’Atlantique est semblable au Léthé ;… » Mais ce n’est pas l’oubli que nous venons chercher, mais plutôt une nature brute, un espace vivant dont les éléments peuvent atteindre des moments paroxystiques. Mais aussi les couchers de soleil, avec ou sans rayon vert. Des couchers de soleil comme les aime l’auteur « Chaque coucher de soleil que je contemple m’inspire le désir d’aller vers un ouest aussi éloigné et beau que celui dans lequel plonge le soleil. »

(*) Traduction :
On trouve le plaisir dans une forêt sans sentiers
On trouve le ravissement sur un rivage solitaire
On trouve la compagnie là où il n’y a personne
Près de la mer qui fait entendre la mélodie de son rugissement
Ce n’est pas que j’aime l’homme moins mais je préfère la Nature…

Texte et Photos Jacques Clayssen

Le bâton sauvage

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Déchets de plage, coustille, gravure sur bois et stylo, beaucoup de plastique pour un hommage discret aux vieux hippies des bois et à leur bimbeloterie colorée.

Psychogéographie et représentations_01

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Toute nouvelle théorie génère immédiatement de nouvelles représentations et la psychogéographie s’y est très brillamment employée dès ses débuts. Le document fondateur, « La fin de Copenhague », réalisé en 1957 par Guy Debord et Asger Jorn aux éditions Bauhaus Imaginiste, constitue la première tentative et s’impose comme document charnière dans l’histoire du design graphique.
La pensée psychogéographique n’est ni linéaire ni discursive, et il convenait donc de produire un ensemble qui en reprenne les principales caractéristiques : après, selon la légende, une beuverie mémorable, Debord et Jorn vont bouleverser jusqu’à la méthode de production. La feuille d’imprimerie est directement conçue comme un espace unitaire sur lequel Jorn répand ses couleurs et le noir, texte et images, est surimprimé sur le tout (Voir le recto-verso reconstitué ci-dessous)

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Une fois les pages remises dans l’ordre de l’imposition nécessaire pour l’impression, des collisions imprévisibles se font entre images, textes et surimpressions, de nouvelles significations, de nouvelles associations, émergent du chaos en gardant intact l’esprit de rupture du départ.
Ce document emblématique marque un tournant dans l’évolution des représentations « cartographiques » et sa dimension unitaire a profondément marqué l’histoire du design : refus de la linéarité, primauté du poétique sur le lisible, globalisation visuelle et cette nouvelle approche a massivement bouleversé les codes de lecture habituels.

Le walkscape et sa pratique sont pour beaucoup influencés par la psychogéographie et demandent donc de nouvelles méthodes, sensibilités, structurations pour rendre compte de leur activité. La longue tradition de déconstruction du lisible et l’accession à de nouveaux codes s’inscrit dans la tradition initiée avec les Chants de Maldoror et poursuivie par Dada, les surréalistes et les lettristes qui ont mis à mal les carcans du langage, y compris celui des images, pour arriver à imposer un nouvel ordre : celui de la subjectivité.

Psychogéographie ou l’anti-promenade

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Walkscape et psychogéographie ont beaucoup à voir ensemble, donc retour à un texte fondateur de la psychogéographie, publié dans la revue Les lèvres nues n° 6, à Bruxelles en 1955. Le texte est de Guy Debord, et fonde la critique situationniste de la ville. Dans le vaste projet de l’IS de transformer le monde, la vie, et de lutter contre l’ennui du paysage urbain, le fonctionnalisme général alors dominant et la rationalisation de l’espace, ce texte pose les bases d’une méthode d’analyse urbaine. Retour à une subjectivité assumée et revendiquée, pratique et buts de la « dérive », réintroduction du sentiment dans la cartographie, représentations poétiques, toute la démarche permet un diagnostic territorial nouveau destiné à réenchanter l’urbain, permettre de nouvelles appropriations de l’espace collectif. Basée essentiellement sur la marche, conçue comme une temporalité active, cette méthode n’a rien perdue de son actualité et le walkscape y puise de nombreuses racines.
Texte intégral

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Ce que la mobilité doit à la motilité

Si l’on demande à un aménageur, un urbaniste, un géographe, un sociologue, un ingénieur, un logisticien, un transporteur ou un opérateur de communication une définition de la mobilité, il y a fort à parier que nous obtiendrons autant de réponses différentes qu’il y aura d’interlocuteurs. Lire la suite

Teminologie -2- Hodologie vs walkscape

Hodologie vs walkscape

Le terme hodologie apparaît pour la première fois chez le psychologue Kurt Lewin (1890-1947). Celui-ci élabore une théorie du  comportement humain qui réintroduit l’individu dans son environnement. En resituant l’individu isolé de son background en situation dans son  environnement, Lewin implique que la conduite de tout individu est relative à son environnement géographique mais aussi psychologique.

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Terminologie -3- Photo vernaculaire vs photo véhiculaire

Photo vernaculaire vs photo véhiculaire

« Mon territoire est plutôt une géographie, celle de voyages personnels. Ce n’est pas le territoire des urbanistes ; ce n’est pas non plus le territoire des politiciens. C’est le territoire de quelqu’un qui marche à travers. » Guido Guidi, photographe italien.

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Patrick Raynaud - Giratoire- 1989

Terminologie -4- Dromologie

Extrait d’un entretien * daté de 2004, entre Giairo Daghini, docteur en philosophie, professeur honoraire à l’Institut d’architecture de l’Université de Genève et Paul Virilio, philosophe et urbaniste autodidacte, disciple de Deleuze et proche de Merleau-Ponty. Il est connu pour ses réflexions la logique de la vitesse qu’il nomme « dromologie ». Lire la suite

Toxique, vous avez dit toxique ?

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La passerelle Julian Grimau surplombe le fleuve triste des voies de chemin de fer de la gare de triage de Drancy-Le Bourget où transitent quelques 200000 wagons par an. Bien sûr il n’existe aucun risque, tout est sous contrôle, seulement moins de 10% des wagons transportent des produits toxiques, ce qui en fait quand même 20000, 70% d’hydrocarbures (inflammables), 20% de matières toxiques, explosives, voire radioactives, 10% de chlore ou d’ammoniac. Bien sûr ce n’est pas grave que tout cela se passe en milieu urbain dit dense (environ 40000 personnes) et que le périmètre de sécurité, jamais appliqué, soit de 620 mètres après avoir été fixé dans un premier temps à 2,6 Km pour le risque mortel.
Bien sûr les incidents sont peu nombreux, déraillements de wagons transportant des matières radioactives, fuites de produits, collisions, etc… C’est sans doute ce qui explique la vitalité des associations de riverains et la fameuse absence de dialogue des autorités dites compétentes et l’absence de la moindre décision malgré l’implication d’élus locaux. Sans doute le fameux mur de l’administration.

_MG_4869_DxODonc si vous cherchez le grand frisson, passez sur la passerelle qui relie l’autoroute A86 et l’autre berge des voies, empruntez l’ancien Chemin de La Corneuve. Le spectacle pèse son pesant de produits toxiques : derrière vous le grand sarcophage de béton du tunnel autoroutier, désert, hostile, bruyant, devant vous une grande zone semi-désertique pavillonnaire et quelques cités, entre les deux un tunnel à l’air libre entièrement grillagé, hermétique, peu éclairé en nocturne (déconseillé) et le rythme lent des wagons sur les rails dans vos oreilles, le choc des accrochages, toute une ambiance sonore passionnante qui vaut bien le chant des pinsons.

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Le nom de la passerelle, en fait une rue qui se poursuit dans le tissu urbain, vient de la longue tradition des luttes ouvrières locales. Julian Grimau, militant du parti Communiste Espagnol de toujours, après avoir été agent du service de sécurité républicain à Barcelone pendant la guerre, s’exile en Amérique Latine, puis revient en France. En 1959 il est chargé de la direction du parti « intérieur », c’est à dire sur place en Espagne, où il revient clandestinement. Il y sera arrêté quelques années plus tard, sur fond de rivalités internes, torturé, défenestré, en sortira vivant malgré tout et sera finalement fusillé, malgré les nombreuses manifestations en sa faveur et un procès digne des grandes bouffonneries cruelles de l’histoire. De nombreuses rues, avenues, places portent son nom dans la « ceinture rouge » de la périphérie de Paris.

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Texte et Photos Patrick Laforet

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derive_1Le mur du silence, Bobigny, 5 juin 2014 © Patrick Laforet

							

Avec le tEmPs

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avec le temps les signes urbains deviennent cabalistiques, beaucoup plus conceptuels et intéressants, à la limite de l’exposition.

MystEre

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oublié des évolutions du code de la route, celui-là est resté en place, quasi invisible et placé à contresens, collector urbain délaissé.

Thierry Davila Marcher, Créer

Thierry Davila  fait le constat qu’une partie de l’art actuel accorde au déplacement un rôle majeur dans l’invention des œuvres.

« C’est à partir de l’accès aux territoires, avec lui, que peut avoir lieu leur invention. »

L’auteur, conservateur au Mamco de Genève, étudie la question de la mobilité et son traitement par les artistes, à travers la figure de l’homme qui marche, de l’arpenteur. Cette figure  prend différentes formes, comme le souligne l’intégralité du titre : le piéton, le pèlerin, le manifestant, le flâneur,… Le livre relate l’histoire de la flânerie et analyse des problématiques qu’elle engendre dans le travail de certains artistes contemporains (réflexions centrées sur Gabriel Orozco, Francis Alÿs et Stalker). Le thème, récurrent dans l’art, de la spatialisation s’étend ici au mouvement et au déplacement, qui deviennent éléments centraux de la création.

Thierry Davila, Marcher, créer, Déplacements, flâneries, dérives, dans l’art de la fin du XXème siècle, Paris,
Editions du Regard, 2002.

Nuit Blanche 2014, Rando rive gauche

Depuis 2001, la Ville de Paris organise «Nuit blanche», chaque premier samedi d’octobre. Initiée par Jean Blaise, expert nantais en matière de tourisme culturel.

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Un sec-beurre avec Jean Echenoz

Trois sandwiches au Bourget.

Avec Echenoz, l’écriture s’inscrit dans un équilibre subtil entre précision descriptive et ressenti physique de l’expérience vécue.

Sa dernière livraison : Caprice de la reine, se termine sur un texte dont l’intitulé pose d’emblée  le motif et le cadre : Trois sandwiches au Bourget. Visites attentives de cette ville de banlieue dont le nom évoque l’aviation. En arpentant les rues de la gare RER, aux bars-tabacs et leurs sandwiches au saucisson sec ou à l’ail et pourquoi pas avec des cornichons, l’auteur croise des passants inquiets ou inquiétants, des équipements délaissés. Après un premier déplacement sur place, il prépare minutieusement son deuxième : Il s’agirait cette fois de préciser le projet, sur deux points : j’ai rapidement opté pour le bar-tabac-brasserie L’Aviatic,(…) ainsi que d’autre part la nature du sandwich : j’ai choisi, sur ce point, le sandwich au saucisson.

L’auteur y retournera une troisième fois pour visiter l’église de Saint Nicolas du Bourget et approfondir sa connaissance des lieux. Jean Echenoz porte une attention particulière à ces lieux modestes qui constituent un  environnement devenu invisible aux habitants. S’il plante ce décor de banlieue gris et triste, on est en février, c’est pour s’interroger sur le statut du sandwich au saucisson. Un motif qui interroge avec un humour certain l’évolution d’une société dont les ingrédients culturels tentent de résister face à la mondialisation. Le recueil se termine sur un nom de rue à lire comme un souhait : rue de l’Egalité prolongée.

 

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Caprice de la reine, Jean Echenoz, Editions de Minuit, 128 pages, 2014.

Texte et Photos Jacques Clayssen

 

Stalker

Walking School avec STALKER

Voyage dans la vallée, Echos de mémoires et de luttes
avec STALKER WALKING SCHOOL
Du 23 au 29 juin 2014 – De Firminy à Lyon, à pied

Le groupe italien Stalker, le Master In.Co.Nu. (Université J. Monnet), le Centre Social Occupé Autogéré de Rome EXSNIA, les centres sociaux et les habitants de la Vallée traverseront ensemble, à pied, les mémoires industrielles, les territoires de résistance et de luttes ouvrières, en partageant savoirs et narrations : une école d’habitants nomades, engagés dans une expérience artistique, sociale et citoyenne.

Informations et réservations : audefourel@hotmail.com ou 06 89 64 65 08
Réservations obligatoires pour l’hébergement lors des étapes, nombre de lits limités
Les marches sont ouvertes à tous, sans réservation, selon vos disponibilités
Participation gratuite
Merci de venir aux repas partagés avec une petite spécialité culinaire

 

BalZac, première théorie de la démarche

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Balzac a 34 ans quand il écrit La théorie de la démarche, qui s’avère être une théorie du mouvement. Balzac livre en filigrane une poétique de l’énergie, il décrypte à partir de la démarche de la condition et du caractère des sujets observés.

Il écrit: « Une pensée (…) si vous l’exprimez dans toute la chaleur prolifique de sa conception, vous la produisez rapidement par un jet plus ou moins heureux, mais empreint, à coup sûr, d’une verve pindarique. C’est Daguerre s’enfermant vingt jours pour faire son admirable tableau de l’île Sainte-Hélène, inspiration toute dantesque.» Son admiration pour Daguerre se doublait d’une « terreur » face à la photographie rapportée avec prudence par Nadar, dans son livre Quand j’étais photographe. On sait que Balzac avait une théorie du portrait, tirée des théories de Gall et de Lavater et dont on trouve l’expression dans ses ouvrages. Il note dans La Théorie de la démarche : N’est−il pas effrayant de penser qu’un observateur profond peut découvrir un vice, un remords, une maladie en voyant un homme en mouvement ?

Une observation sociologique amusée, un genre qui a fait école parmi les observateurs de nos vies actuelles. Ouvrez votre magazine favori, vous y trouverez une rubrique rhabillant les peoples ou décortiquant nos gestes quotidiens.

Texte Jacques Clayssen

Les Breton s’installent à Pantin

Nouvelles CuRieuSes ou sinGulièReS d’André Breton : les livres illustrés et les cahiers colorés de l’école marqueront la vie du pape du surréalisme.

André Breton avait quatre ans lorsque ses parents s’installent à Pantin, il passe son enfance dans cette banlieue où il découvre les livres illustrés à l’école maternelle Ste Elisabeth, puis à l’école primaire communale. Deux traces de ce séjour pantinois marquent son œuvre. Dans le « Rêve n°1 » publié dans le n°1 de la Révolution Surréaliste, il écrit :

En dernier lieu je remonte, à Pantin, la route d’Aubervilliers dans la direction de la Mairie lorsque, devant une maison que j’ai habitée, je rejoins un enterrement qui, à ma grande surprise, se dirige dans le sens opposé à celui du Cimetière parisien. Je me trouve bientôt à la hauteur du corbillard. Sur le cercueil un homme d’un certain âge, extrêmement pâle, en grand deuil et coiffé d’un chapeau haut de forme, qui ne peut être que le mort, est assis et, se tournant alternativement à gauche et à droite, rend leur salut aux passants. Le cortège pénètre dans la manufacture d’allumettes.

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parcours route d’Aubervilliers -actuellement Av Edouard Vaillant- Mairie de Pantin

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Manufacture d’allumettes-Pantin

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Hotel de Ville de Pantin

 

 

 

 

 
Puis, dans PSTT poème publié dans Clair de Terre, Breton cherche ses homonymes, parmi ceux-ci il relève au cimetière de Pantin : Nord 13-40.….    Breton (E.) mon. funèbr., av. Cimetière Parisien, 23, Pantin.

Complément d’enquête.

Julien Barret, auteur et journaliste, anime des visites qui font le lien entre la littérature et le territoire. Il a fondé le site Autour de Paris en février 2018, dans l’idée d’explorer la ville sur les traces des artistes et des poètes. Ce site propose différents parcours et ateliers d’écriture dont une balade participative qui se reconstruit et s’élabore chaque fois qu’elle a lieu : une enquête poétique sur l’enfance d’André Breton à Pantin

Pour retracer l’itinéraire d’André Breton, arrivé à Pantin à 4 ans, Julien Barret, qui a aussi grandi à Pantin, mêle géographie des lieux et des mots, dans une exploration de la langue et du territoire. Une enquête approfondie qui passionnera les lecteurs d’André Breton.

Jouer saNs enTraves

Tout ici incite à la fête du corps et de l’esprit dans la bonne odeur des gaz d’échappement et la douce musique du tunnel autoroutier. Ici tout est plaisir, enchantement, surprise, vous pouvez vous laisser aller à la joie sportive sans aucune arrière-pensée : le fait que l’aire de jeux soit située au milieu des voies rapides et d’un échangeur, d’un rond-point, que le sous sol vibre continuellement du passage des véhicules sous vos pieds, que le bruit soit parfois assourdissant et que le faux gazon idéalement placé pour amortir vos chutes sur le béton brut n’ait jamais été changé depuis plus personne ne sait quand, tout cela n’a aucune importance, jouez sans entraves pour reprendre un vieux slogan, en plus c’est gratuit et ouvert 24 heures sur 24, et même illuminé la nuit, j’ai bien dit illuminé, par les sympathiques lampadaires au sodium de l’autoroute voisine, dont la qualité d’éclairage et d’atmosphère ne sont plus à vanter.
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L’A86, Ruban d’Or.

La véritable beauté d’un ouvrage réside d’ailleurs surtout dans sa bonne conception et dans l’harmonie de ses lignes (Charles Bricka, Cours de chemins de fer, professé à l’Ecole nationale des ponts et chaussées, 1894).
Longer le viaduc partiellement couvert de l’A 86 lorsque il enjambe les voies de la gare de triage et du RER permet d’appréhender la beauté d’une courbe de béton dominant les habitations. Sous certaines conditions de lumière les parois s’estompent, le ciel et la couverture d’acier gris se confondent. L’ensemble de béton blanc, d’arches de béton ou d’acier blanc sur l’ouvrage, les bétons structurels gris clairs, les parois acoustiques en aluminium anodisé ton naturel gris clair réfléchissant contribuent à l’élégance, le mot n’est pas trop fort, d’un ouvrage autoroutier dont la courbure comble le regard. On est saisi par la capacité que peut avoir une conception technique de provoquer par l’harmonie de sa réalisation une expérience esthétique réussie.

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Edifice de béton doté d’arcs-boutants singuliers, de piliers de soutènement impressionnants, de parements soignés, tout contribue à installer dans ce paysage urbain ce viaduc réduisant au silence les nuisances sonores. Les aménagements des abords prennent parfois des allures de pyramide aztèque offrant des chemins de promenade en surplomb des habitations.

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En 2011, la boucle est bouclée
Il aura fallu 43 ans pour mener à bien le chantier de cette boucle de 78km située à 6km du périph. Bâtie en milieu urbain, il a fallu construire de nombreux ouvrages d’art et prévoir une protection phonique. A Drancy l’autoroute s’immisce entre le quartier de la rue Diderot, constitué de petits collectifs et de pavillonnaires ayant nécessité des aménagements spécifiques pour agrémenter les dessertes et les abords, et la gare de triage, puis entre un quartier pavillonnaire et la zone industrielle.  Ce parcours est donc totalement isolé phoniquement par des murs latéraux et une couverture partielle. L’ouvrage a reçu le « Ruban d’or » 1997.

Le mur du son
La photo frontale du mur anti-bruit présente une vue impossible à l’automobiliste habitué à rouler entre ces murs. Mur du silence, mais aussi dans cette configuration écran à trame rectangulaire qui occulte la vue laissant seulement entrevoir les faîtages d’une vie. Etant donné un mur que se passe-t-il derrière ? Deux lampadaires encadrent le toit d’un pavillon, le sommet d’un poteau, la cime de deux arbres et les derniers étages d’un immeuble. Tous ces éléments constitutifs d’une vie citadine se découpent au-dessus du mur. Sur fond de ciel les preuves d’une vie au sol protégée du bruit et de la vue des véhicules, élimination des nuisances pour les habitants, occultation de environnement pour l’automobiliste. L’A86 dans cette partie aérienne s’impose au regard, tel un boyau de béton et de métal. Cette image expose les parois intérieures et une partie de la chaussée à notre regard, comme une indiscrétion. Silence de l’image, silence dans l’image. Absence de véhicule, aucun mouvement, l’écran en majesté dans un camaïeu de gris.

photo : Patrick Laforet

photo Patrick Laforet

Texte Jacques Clayssen

L’Etoile, nom d’une cité.

Attention à ne pas confondre avec la Cité des Etoiles, centre spatial soviétique
Composante majeure de la « banlieue rouge » de Paris, Bobigny accueillait les locaux du journal «L’Illustration».Le directeur de l’hebdomadaire acquiert, en 1931, trente hectares de terrains maraîchers à Bobigny, sur le site de la Vache-à-l’aise, aujourd’hui haut lieu des fouilles archéologiques balbyniennes, pour y construire ce qui était à l’époque la première imprimerie d’Europe.

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Tour à tour
Proche du Mouvement Moderne, l’usine composée d’un grand bâtiment en briques de trois étages aux  façades horizontales de 141 mètres de long et 90 mètres de large, percées de larges ouvertures, inspirera plusieurs constructions dont la distillerie Cusenier, construite en 1939 à La Courneuve. L’imprimerie s’organise autour d’une cour-jardin et d’une cour couverte de sheds. Une tour de huit étages, haute de 64 mètres et surmontée d’une horloge surdimensionnée, est construite à l’angle sud du bâtiment. Après diverses affectations, les bâtiments abritent aujourd’hui l’Université Paris XIII.

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La Promenade Django Reinhardt emprunte le tracé d’une ancienne voie de chemin de fer reliant la gare de Bobigny à l’imprimerie, qui scinde en deux le Parc des sports de Paris Saint-Denis d’une superficie de 50ha, pour relier les bâtiments de l’université à la Cité de l’Etoile. Visuellement les deux lieux ont chacun leur tour. A celle de Paris 13 répond la tour de la Cité de l’Etoile.

L’abbé et l’architecte
Emmaüs Habitat est propriétaire gestionnaire de cette cité qui comprend 763 logements sociaux. Son histoire condense à elle seule les espoirs et les erreurs, les difficultés et les atermoiements du logement social.

L’abbé Pierre, figure préférée des Français de son vivant, se fait bâtisseur en créant la société anonyme d’HLM Emmaüs pour bâtir des cités d’urgence. Cette décision fait suite au drame survenue en 1953 qui verra mourir de froid un enfant._la_cite_de_letoile.jpg C’est en tant que maître d’ouvrage que le célèbre abbé rencontre l’architecte Georges Candilis. Ce dernier réussi à convaincre son commanditaire d’opter pour une solution pérenne. L’architecte propose une architecture très simple, de bâtiments aux caractéristiques plastiques affirmées suivant un plan de masse efficace. Le projet s’inscrit dans un périmètre éloigné du centre constitué d’un tissu urbain de type pavillonnaire. Georges Candilis décide contrairement aux dogmes de la charte d’Athènes de prendre en compte dans son projet ce tissu pavillonnaire préexistant.
L’édification de la cité s’inscrit dans le cadre de l’Opération Million, qui imposait pour la construction d’un logement de trois pièces de ne pas dépasser le budget maximum d’un million de francs. Ce qui compte tenu de l’érosion monétaire due à l’inflation, met le pouvoir d’achat de 1 000 000 francs en 1958 à l’équivalent de 1 731 398 euros aujourd’hui.

batiments cité de l'etoile focusL’équipe d’architecte (Georges Candilis, Shadrach Woods, Alexis Josic) va bâtir autour d’une tour construite en trèfle des ensembles d’habitations agrémentés de vastes espaces et d’une grande cour. Des jeux d’enfants, des balcons et des façades colorées agrémentaient l’ensemble d’origine.

L’Etoile, un univers en expansion
Depuis le temps a passé, l’entretien coûteux et des restructurations hasardeuses ont entraîné une dégradation de la Cité à laquelle s’est ajoutée la paupérisation des habitants. Les résidents ont dû subir les épisodes mouvementés d’une demande classement au « Patrimoine du XXème siècle » qui a engendré d’importants retards à la réhabilitation prévue en 2010. A cette époque, les habitants excédés avaient mis en ligne un clip pour faire valoir leurs droits et leurs espoirs de vivre à nouveau dans des logements décents. Un projet profondément remanié a permis de débloquer la situation pour que les travaux démarrent enfin. En décembre 2013, les habitants de l’Étoile avaient rendez-vous au Cargo pour faire le point sur l’avancement du projet de rénovation urbaine de leur quartier.

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Un projet pour une cité plus agréable à vivre, expliquait Le Parisien en novembre 2011, détaillant : un calendrier très étalé. Si les constructions neuves démarreront dès l’année prochaine, le relogement des locataires, lui, va s’étaler entre 2014 et 2017, le temps de finir les différents chantiers. Au total, Emmaüs investit 20 M€ et l’Etat 10 M€, à travers l’Anru (Agence nationale de rénovation urbaine), et la ville entre 800000 € et 1 M€ pour la voirie.
Actuellement des échanges de terrain avec le parc des sports contigu sont en cours pour permettre la construction de nouveaux logements.

texte Jacques Clayssen

Tchao la mort à Pantin

A Pantin, un cimetière parisien hors les murs.
Mourir à Paris est un casse-tête pour les familles. Le manque de place dans les cimetières pose de tels problèmes que la Ville de Paris a mis en place un plan de reprise, des concessions abandonnées, afin de libérer des emplacements. Lieu jouissant d’une forme d’extra-territorialité sur la commune de Pantin, le cimetière parisien illustre ces espaces absolument autres que Michel Foucault nommait hétérotopies pour les distinguer des utopies.

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A Pantin les espaces verts couvrent 114ha, dont 85% sont constitués des stades et du cimetière parisien. Environ un quart de la surface totale du territoire de la commune est occupé par le cimetière qui constitue une enclave au sein de la ville.

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En pénétrant dans cette nécropole, dont les caractéristiques vertigineuses constituent à elles seules un palmarès époustouflant, le visiteur découvre de grandes avenues rectilignes bordées d’arbres suivant un plan en damiers. Les tombes aux architectures et aux agencements spécifiques aux diverses cultures composent avec les espaces consacrés aux victimes civiles et militaires des deux guerres mondiales un ensemble organisé pour des morts d’origines et de conditions variés à l’image de la cité des vivants. D’une superficie de 107 hectares, soit l’équivalent de 100 terrains de football,  le cimetière parisien de Pantin est l’un des plus grands d’Europe en activité.
Ouvert le 15 novembre 1886, en 127 ans près d’un million de personnes y ont été enterrées. Il compte près de 150 000 concessions, regroupées dans 217 divisions numérotées de 1 à 163 puis de 201 à 217. Manque donc de 164 à 200. Actuellement, environ 2500 inhumations ont lieu chaque année.
Avec 4,7 Km de mur d’enceinte par 3 m de haut interrompu par deux entrées permanentes desservant 32 km de voies intérieures, autorisées à la circulation,  plantées d’une grande variété d’essences. Véritable arboretum de 8 759 arbres dont 7 969 en alignement. Les voies portent les noms des essences qui les bordent : avenues des Chênes Rouges, des Erables Noirs, des Peupliers Argentés, des Mûriers Blancs pour les couleurs et une invitation aux voyages avec des dénominations telles qu’avenues des Noyers d’Amérique, des Platanes d’Orient, des Tilleuls de Hollande, des Marronniers d’Inde, des Noisetiers de Byzance.

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Véritable cité-jardin des morts une grande quantité d’arbres sont quasi centenaires. Une flore composée d’une cinquantaine d’espèces s’y développe. Le mur d’enceinte abrite par exemple quelques spécimens d’une espèce caractéristique des murs secs et chauds, la cymbalaire des murailles. Cette plante a scrofulaire était réputée soigner la scrofule : il s’agit d’une maladie purulente des ganglions du cou formant des plaies autrefois dénommée « écrouelles ». Les Rois de France et d’Angleterre avaient le pouvoir de guérir les malades par l’imposition des mains assortie de quelques prières et d’un signe de croix. En fait la scrofulaire a de petites nodosités sur ses racines qui ressemblent vaguement aux glandes engorgées des écrouelles ; de là le nom et la croyance, en vertu de l’idée que les plantes avaient des vertus médicatrices pour les lésions auxquelles elles ressemblaient.

Aujourd’hui, la scrofulaire reste encore utilisée en herboristerie pour diverses affections, pas seulement cutanées. Dans cette classe des scrofulariacées on trouve aussi le Paulownia, arbre familier des espaces publics urbains qu’il colonise avec rapidité.
Le nombre de tombes rend quasi impossible un recensement exhaustif des sépultures malgré le découpage de l’espace en divisions. Chaque division sont composées en général de plus de 20 rangées totalisent une quarantaine de tombes chacune.

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Le cimetière offre bien des tentations auxquelles n’ont pas su résister quelques employés indélicats en 2012. Une affaire de trafic d’or et de bijoux volés sur les défunts lors d’exhumations de dépouilles vouées à être transférées dans un autre cimetière a jeté une ombre crapuleuse sur ce lieu de repos pour les morts et de recueillement pour les vivants.
Pourtant la position excentrée du cimetière, rattaché administrativement à Paris, explique le faible nombre de personnalités enterrées, preuve en est la modestie des tombes et l’abandon de certaines. Le promeneur découvrira avec surprise des pierres tombales cassées, des tombes éventrées par l’usure et la mauvaise qualité des matériaux. Ici, pas de dégradations volontaires seulement les effets du temps et une absence d’entretien. Mais l’importance du cimetière a favorisé des attributions erronées, comme celles d’Isidore Ducasse connu sous le pseudonyme de Comte de  Lautréamont et de Louise Weber plus connue sous le nom de  La Goulue. Le premier dont les ossements n’ont jamais été transférés depuis le cimetière Montmartre comme l’indiquent des récits infondés. Alors que La Goulue y a été enterrée avant d’être transférée au cimetière Montmartre sur décision de Jacques Chirac en 1992, à la demande de l’arrière-petit-fils de Pierre Lazareff, directeur artistique du Moulin Rouge qui avait été une des rares personnes a assisté à son enterrement en 1929.

Les dépouilles de Lautréamont et La Goulue ont été les actrices involontaires d’un  faux chassé-croisé entre le cimetière de Montmartre et celui de Pantin

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La Goulue, annonce presse de son décès

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Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont

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texte Jacques Clayssen

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derive_5Ensemble végétal, 6 juin 2014, © Patrick Laforet