Hodologie vs walkscape
Le terme hodologie apparaît pour la première fois chez le psychologue Kurt Lewin (1890-1947). Celui-ci élabore une théorie du comportement humain qui réintroduit l’individu dans son environnement. En resituant l’individu isolé de son background en situation dans son environnement, Lewin implique que la conduite de tout individu est relative à son environnement géographique mais aussi psychologique.
Alors que John Brinckerhoff Jackson, dans son célèbre ouvrage A la découverte du paysage vernaculaire propose une définition : « je vais introduire un mot savant dans le lexique du paysage, ‘ hodologie ‘. Il provient du grec hedos ; qui signifie route ou voyage. L’hodologie est donc la science ou l’étude des routes. »
Nous constatons qu’au concept de Kurt Lewin issu de l’observation des soldats sur la ligne de front durant la Première Guerre Mondiale, J.B. Jackson installe, à partir de son étude sur la fonction de la route dans la Rome antique, une dimension opérationnelle.
L’espace hodologique trouve son origine dans deux disciplines, d’un côté les travaux d’un psychologue sur le comportement humain, d’un autre côté dans les réflexions d’un écrivain enseignant sur la Rome Antique.
Gilles Deleuze, dans son cours sur la Vérité et le temps, s’interroge pour répondre par une synthèse performante « Qu’est qu’un espace hodologique ? C’est un espace vécu, dynamique, défini par des chemins – d’où son nom – des buts, des obstacles ou des résistances, des retours, bref, par une distribution de centres de forces. »
Le walkscape apparait pour la première fois en 2002 dans une version bilingue (espagnol/anglais, Barcelone : Editorial Gili) du livre de Francesco Careri (1) « Walkscapes. Camminare come pratica estetica », traduit en français en 2013. Le néologisme anglais « walkscape » s’imposera dans le vocabulaire déjà riche de la marche ajoutant des savoirs connexes qui élargissent le champ de réflexion. En effet, un walkscape suppose un engagement sensoriel et une positionalité dans le paysage qui permettent de définir la marche comme une pratique esthétique.
Le groupe Stalker à travers les textes de Francesco Careri explique que « le walkscape est une affaire de marche, de promenade, de flânerie, conçues comme une architecturation du paysage. La promenade comme forme artistique autonome, comme acte primaire dans la transformation symbolique du territoire, comme instrument esthétique de connaissance et transformation physique de l’espace ‘négocié’, convertie en intervention urbaine. »
Jean-Louis Violeau, sociologue, professeur de l’ENSA Paris-Malaquais, propose une approche de cette expression artistique : « L’art sert de voie d’accès, de compréhension et de célébration de ces combles de la ville, lieux de mémoire et de rebut ; cet ‘art’, c’est le parcours, l’arpentage. La traversée devient un instrument à la fois de connaissance et d’interprétation. Dès lors, chaque territoire, même – et peut-être surtout – le plus délaissé, a sa géographie, sa cartographie, son diagramme. Ce qui est intéressant, ce sont précisément les lignes qui le composent, ou qu’il compose, qu’il emprunte ou qu’il crée. Jeu sur la carte, donc, mais aussi jeu sur les trajets, l’itinéraire et l’errance où, selon Stalker, ‘les pleins du bâti, ou encore les fragments hétérogènes de la ville peuvent être interprétés comme les îles d’un archipel dont la mer est le vaste vide informe’. »
Le walkscape réactualise l’hodologie en articulant marche, paysage et cosa mentale enrichissant la pensée de John Brinckerhoff Jackson selon laquelle « les routes ne conduisent pas seulement à des lieux, elles sont des lieux » d’une dimension anthropologique.
Note
(1)
Francesco Careri, né à Rome en 1966, est cofondateur de Stalker/Observatoire nomade et chercheur au département d’architecture de l’université de Rome III, où il dirige le cours d’arts civiques, un enseignement entièrement itinérant créé pour analyser et interagir avec les phénomènes émergents de la ville. Depuis 2012, il est directeur du LAC (Laboratorio Arti Civiche) et du MAAC (Master in Arti Architettura Città).
Texte Jacques Clayssen