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derive_1Le mur du silence, Bobigny, 5 juin 2014 © Patrick Laforet

							

La faucille et le goupillon

Des vertus vertes aux choux rouges, le jardin des vertus résume l’histoire d’un miracle religieux devenu réalité sociale. Avant que les jardineries n’offrent leurs luxueux matériels à des urbains en mal de terre, les déclassés, les laissés pour compte de la société industrielle ont développé des formes de solidarité et de convivialité vivrières, dans ce que l’on nommait alors la « zone ».

Jardin des vertus-vue aérienne ensemble

Bien avant que l’abbé Lemire ne fonde « la ligue du coin de la terre et du foyer » en 1896 ; bien avant que les militaires ne mettent à disposition les glacis des forts, transformant ainsi des espaces de défense en espace de vie en 1851 ; bien avant qu’Aubervilliers ne se transforme en banlieue industrieuse ; il existait au Moyen âge un domaine agricole dénommé Albertivillare, la ferme d’Albert, qui dépendait de l’Abbaye de St Denis. Aux environs de l’an 1300, une chapelle St Christophe devient l’église paroissiale.

Terre connue pour sa fertilité, le domaine nourrit les habitants alentours jusqu’à Paris. En 1336 une terrible sécheresse affama la population locale habituée aux soupes de gros légumes. Le 14 mai, de cette même année, une jeune fille entre dans la chapelle St Christophe pour fleurir la statue de la Vierge Marie tout en priant pour demander la pluie. La donzelle dans sa pieuse ferveur remarque soudain que la statue se couvre de larmes alors qu’au même moment le toit résonne des gouttes bienfaisantes d’une longue averse.

Miracle ! Miracle ! Les cloches sonnent à la volée, la population se précipite pour constater que de la statue perle de grosses larmes.

Cette histoire relatée par l’abbé Jacques du Breul, prieur de St Germain-des-Prés sous le titre : Miracle de la Pluie, est à la source de nombreux autres miracles à travers les siècles, conférant ainsi une grande renommée au village et à la statue. Des personnalités royales et ecclésiastiques font le déplacement. Tant et si bien qu’en 1529, dans la nuit du Vendredi au Samedi Saint, les fidèles de toutes les paroisses de Paris se retrouvent un cierge à la main devant Notre Dame de Paris pour rejoindre en procession Notre Dame des Vertus. La lueur des milliers de cierge est telle que les habitants de Montlhéry penseront que Paris est en feu. Au XVème siècle, la chapelle trop exigüe est remplacée par une église, jamais terminée, au plan rectangulaire pour accueillir la foule des pèlerins. Cette procession préfigure par son parcours notre proposition de walkscape.

De cette époque naît la réputation de la Plaine des Vertus dont les gros légumes portent le nom caractéristique du terrain.

A Aubervilliers, 2 associations regroupent les jardiniers, l’une date de 1905, « l’association des jardins familiaux de Pantin-Aubervilliers » qui sous le patronage des autorités religieuses tente de lutter contre l’alcoolisme ouvrier, l’Assommoir bat encore son plein. Laval, maire d’Aubervilliers pose en 1924 les fondements d’un « groupe des jardins des Vertus d’Aubervilliers ». Mais, il faudra attendre 1935 pour qu’une société des « jardins ouvriers des Vertus » se constitue au Café du Bon Accueil, choix visant à s’émanciper de l’influence de l’action des catholiques.

La faucille va remplacer le goupillon, en 1952 l’appellation « jardins familiaux » est officialisée, après bien des péripéties les jardins en milieu urbain sont considérés comme des éléments constitutifs des différentes politiques de la ville. Ceci ne suffit pas à protéger totalement les parcelles de l’appétit des promoteurs.

Les jardins des Vertus ont vu au fil des ans leur superficie diminuer comme peau de chagrin. De 62 000 m² en 1963, on est arrivé aujourd’hui à 84 parcelles sur 26 000 m² auxquelles il convient d’ajouter une parcelle collective et une pelouse pour les événements. Les terrains restent la propriété du Génie militaire mais la Ligue du coin de terre possède la concession exclusive du bail de location. Celle-ci sous-loue des parcelles d’environ 200 m2 à des particuliers qui peuvent en obtenir au maximum deux. La municipalité fournit l’eau gracieusement à travers six points répartis sur le terrain, bien que chacun récupère les eaux pluviales. Les baraques construites de bric et de broc ont vu se succéder des générations d’immigrants qui ont pu ainsi économiser une fraction de leur salaire en mangeant des légumes frais. Lieu de travaux de la terre, quelques élevages de poules et de lapins, mais aussi lieu de villégiature, les jardins offrent leur vie en marge de l’urbanisme dense des immeubles alentour. La liste d’attente est longue, les candidats sont nombreux en cette période difficile particulièrement pour les plus fragiles.

En passant dans l’intervalle entre le serpent des Courtillières, construit par Emile Aillaud et les jardins des Vertus, on prend conscience de la singulière présence d’une nature fragile enclavée dans un tissu urbain dont le développement en menace l’existence même.

 sigle sonTémoignage sonore

Texte et Photos Jacques Clayssen

Mise à jour

En Seine-Saint-Denis, un hectare de jardins ouvriers va disparaître au profit d’un centre aquatique qui servira de site d’entraînement pour les Jeux Olympiques de 2024 et d’une gare du futur Grand Paris Express.

Comment des Jeux Olympiques dits écolo-compatibles et un Grand Paris Express vanté pour ses caravanes publicitaires contribuent à la destruction des Jardins des Vertus.

TRIBUNE parue dans Libération, daté 30 septembre 2020

Aubervilliers : nous étouffons !

Par Le collectif de défense des jardins des Vertus — 

Des jardins ouvriers d’Aubervilliers pourraient être en partie remplacés par un écoquartier et un centre de fitness construits en vue des JO de 2024. Jardinières et jardiniers de ces parcelles demandent aux pouvoirs publics de les sauver.

Tribune. Nous étouffons…

…de tristesse depuis que nous avons découvert que les parcelles que nous soignons depuis près d’un siècle doivent être grandement amputées (3 200 m²) pour accueillir l’extrémité d’une piscine d’entraînement des Jeux olympiques de Paris de 2024.

…de colère car pendant des mois nous avons cru à la concertation avec l’équipe municipale sortante. Nous comprenons maintenant que notre dialogue n’était qu’une manœuvre dilatoire. Ils ont gagné du temps pour modifier le plan local d’urbanisme et sacrifier froidement ce paradis de verdure.PUBLICITÉ

…d’impatience quand on nous explique qu’un mètre carré perdu sera remplacé par un autre comme si la biodiversité était un bien de consommation.

…de déception car nous étions heureux·ses de voir notre ville accueillir une nouvelle piscine, un équipement tellement utile pour nos enfants, et que nous découvrons maintenant que ce n’est pas un bassin qui va détruire nos terres mais un centre de «fitness» et un «solarium minéral». Des aménagements dont l’utilité au Fort d’Aubervilliers, une des zones les plus pauvres d’Ile-de-France, pose question.

…de dépit car nous savons que rien ne viendra jamais compenser la destruction de ce patrimoine inestimable. Un des tout derniers témoins de la plaine légumière des Vertus qui fut, dit-on, la plus grande d’Europe.

…de peur pour les renards, les hérissons, les oiseaux, les abeilles, les grillons d’Italie… espèces menacées pour la plupart, qui vont, encore une fois, voir l’homme détruire méthodiquement et sans scrupule leur habitat.

…de fatigue car nous comprenons que les décideurs qui convoitent nos parcelles n’en sont qu’à leur premier coup de pioche. Doivent suivre la gare du Grand Paris Express et l’éco-quartier (sic) du Fort qui sont autant de nouveaux prétextes pour spéculer sur les terres communes que nous entretenons depuis des décennies (10 000 m² de jardin détruits à terme).

…de rire quand nous songeons aux discours et aux engagements écologiques qui accompagnent les Jeux olympiques de 2024 et que nous voyons, encore une fois, les pouvoirs publics profiter de cette occasion pour bétonner et détruire la biodiversité. Il y a nos jardins mais aussi l’Aire des vents au Parc de La Courneuve et d’autres…

….de chaleur car notre ville compte moins de 2 m² d’espace vert par habitant, six fois moins que Paris et quinze fois moins que la plupart des grandes villes de France. Malgré cela, nos modestes parcelles sont sacrifiées. De même que toutes les autres friches que compte cette zone. Un désastre écologique orchestré par l’Etat via la Société du Grand Paris et Grand Paris aménagement.

Nous étouffons une rage que nos origines et notre éducation nous ont appris à contenir; un appel aux politiques, au Comité international olympique, aux Comité d’organisation, à l’Etat…

SIGNEZ la pétition Sauvez nos jardins !

Le 2 septembre 2021, en matinée, les pelleteuses ont entamé la destruction des parcelles pour libérer du terrain pour la construction d’une piscine pour les Jeux Olympiques 2024.

Aubervilliers : Les Jardins ouvriers ont été évacués, les constructions détruites à la pelleteuse

JARDINS A DEFENDRE Depuis des mois, des « jadistes » protestent contre le projet de construction d’une piscine olympique pour les Jeux olympiques 2024, qui implique une destruction partielle des jardinsA.L.

Une parcelle dans les Jardins ouvriers des Vertus à Aubervilliers - Le 9 juin 2021
Une parcelle dans les Jardins ouvriers des Vertus à Aubervilliers – Le 9 juin 2021 — Thomas Lemoine

Garde à vue et destruction en cours : ce jeudi matin, les Jardins ouvriers d’Aubervilliers, qui étaient occupés depuis plusieurs mois par des défenseurs de l’environnement, ont été évacués et leurs installations détruites. Les « jadistes » protestent contre le projet de construction d’une piscine qui doit servir de bassin d’entraînement pour les Jeux olympiques de Paris-2024, et implique une destruction partielle des jardins.

L’évacuation a commencé vers 7 heures du matin ce jeudi 2 septembre. « Ils sont en train de détruire à la pelleteuse toutes les constructions que nous avions construites : un salon, une bibliothèque, une tour… », a rapporté ce matin vers 10 heures à 20 Minutes Dolorès, membre fondatrice du collectif de défense et jardinière. 

« Une quinzaine d’occupants a été expulsée dans le calme. Seul un individu a été placé en garde à vue pour outrage et violences à l’encontre des policiers », a rapporté plus tard la préfecture de la Seine-Saint-Denis.

Un recours déposé la veille

Les Jardins Ouvriers Des Vertus sont des jardins centenaires, véritable enclave de nature et terre nourricière de 2,5 hectares au pied des tours. Ils ont été rognés au fil du temps par les aménagements urbains successifs. Ils doivent cette fois être amputés de près de 4.000 m2 pour la construction du centre aquatique.

La veille, deux associations locales de défense de l’environnement (Environnement 93 et le MNLE-93) et trois « jardiniers exploitants » avaient déposé un recours contre le permis de construire de la piscine, estimant que le permis de construire a été délivré à l’issue d’une procédure illégale et que l’impact du projet sur « la biodiversité » ou « les ressources naturelles du sol » est sous-estimé. Le collectif des Jardins à défendre invite à un rassemblement ce soir vers 18 heures devant la mairie d’Aubervilliers.

La Justice examine le dossier et suspend le chantier

actualisation 21/09/21 par Faustine Mauheran pour France Bleu Paris

Grosse surprise ce lundi matin à Aubervilliers en Seine-Saint-Denis. Une bonne surprise pour les défenseurs des jardins ouvriers, une très mauvaise pour le comité olympique de Paris-2024 : la justice suspend le permis de construire de la piscine d’entraînement censée remplacer ces terrains potagers centenaires.

La cour administrative d’appel de Paris a en effet, suspendu, ce lundi, le permis de construire d’une piscine destinée à servir de bassin d’entraînement pour les Jeux olympiques de Paris-2024, et qui impliquait la destruction des jardins ouvriers. Dans le détail, le projet implique notamment la destruction de 67 arbres, « alors que le permis de construire n’envisage au titre de la compensation (…) que la replantation de 47 arbres », a ainsi détaillé la cour. « L’exécution de la présente ordonnance, qui suspend le permis de construire litigieux, implique nécessairement, comme le soutiennent à bon droit les requérants, qu’il soit immédiatement mis fin aux travaux déjà entrepris », explique encore l’arrêt de la cour consulté par l’AFP. Il pointe plusieurs vices de légalité notamment envers le code de l’urbanisme. Lors de l’audience, mercredi dernier, le juge s’était montré perplexe sur ce projet d’un montant de 33 millions d’euros, dont environ un tiers doit être financé par la Solideo, la société chargée de livrer les ouvrages pour les JO-2024.

Dans cette requête en référé, déposée le 30 août, les opposants demandaient effectivement de suspendre le permis de construire délivré le 21 juillet dernier pour réaliser ce centre aquatique. Le projet prévoyant d’amputer au total près de 4.000 mètres carrés de jardins. Les requérants ( les deux associations ‘Environnement 93 et ‘MNLE-93′ et trois jardiniers exploitants) estimaient que le permis de construire a été délivré à l’issue d’une procédure illégale et que l’impact du projet sur « la biodiversité » ou « les ressources naturelles du sol » est sous-estimé. 

Dans l’urgence donc, c’est une sacrée victoire pour les défenseurs des jardins qui occupaient le site pour empêcher le début des travaux. « On est soulagés, c’est une reconnaissance. Les travaux de terrassement ont commencé ce matin, ils ont dû s’arrêter », déclare Ziad Maalouf, un des trois jardiniers à l’origine de la requête, avec deux associations de défense de l’environnement. « Nous continuons à dénoncer le fait que nous pouvions faire autrement », martèle aussi Jean-Marie Baty, président du MNLE 93 (Mouvement national de lutte pour l’environnement).

Une première victoire 

« On est heureux, rassurés », réagit Dolorès Mijatovic, membre du collectif de défense des jardins à France Bleu Paris. « Dès qu’on a su, on s’est mis au bord de la palissade, il y avait un tractopelle qui était arrivé pour faire des trous ce matin. On leur a expliqué et ils ont suspendu le chantier. On espère que le jugement qui va venir va complétement annuler le chantier. » Cette décision en référé n’augure en effet pas de la suite de la bataille judiciaire mais donne du temps aux autres procédures. La mairie d’Aubervilliers, porteuse du permis de construire, peut également faire appel de cette décision de la cour administrative. Sur le fond aussi, le projet doit faire l’objet d’une nouvelle audience.

Incohérence environnementale

Le Monde daté du 13 février 2022, la justice souligne l’incohérence du projet avec les objectifs environnementaux sans que cela stoppe le chantier en cours.

Mars 2022, suspension immédiate des travaux de la piscine d’entraînement des Jeux olympiques de Paris 2024.

Lire l’article d’Emmanuel Clévenot, publié par Reporterre-Le quotidien de l’écologie- le 11 mars 2022

https://reporterre.net/Les-defenseurs-des-Jardins-d-Aubervilliers-obtiennent-l-arret-des-travaux

Les défenseurs des Jardins d’Aubervilliers obtiennent l’arrêt des travaux

Les défenseurs des Jardins d'Aubervilliers obtiennent l'arrêt des travaux

En février, la justice avait donné raison une première fois aux défenseurs des jardins ouvriers d’Aubervilliers. La mairie avait tout de même fait le choix de poursuivre les travaux. Elle s’est fait rattraper, le 9 mars, par une condamnation.

Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), reportage

« La maire a dit qu’elle ne vous recevrait pas, s’agace un vigile. Elle n’est pas ici de toute façon ! » La vingtaine de défenseurs des jardins ouvriers des Vertus tente de pénétrer dans l’enceinte de la mairie d’Aubervilliers, en vain. Deux hommes en tenue sombre bloquent la porte d’entrée, ne laissant qu’un mince filet d’air pour poursuivre les négociations enflammées. « Tant pis ! Sûrement s’en veut-elle d’avoir commis une si grosse erreur, s’écrie Viviane, sourire aux lèvres. On fera la photo sans elle ! » En rang d’oignons sur le parvis de l’hôtel de ville, les militants immortalisent cette nouvelle victoire juridique contre la bétonisation des jardins, les poings brandis vers le ciel.

La veille, mercredi 9 mars, la cour administrative d’appel de Paris a confirmé l’obligation de la mairie d’Aubervilliers de suspendre immédiatement les travaux de la piscine d’entraînement des Jeux olympiques de Paris 2024. Un mois plus tôt, le 10 février, la même cour avait déjà statué sur l’irrégularité du Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) de Plaine commune. Les juges exigeaient alors la remise en conformité de ce document de planification de l’urbanisation, qui autorisait à tort l’aménagement de plusieurs projets sur une partie des jardins ouvriers. Les travaux devaient alors être interrompus.Ivan Fouquet, architecte mobilisé : « La mairie pourrait toujours se pourvoir en cassation mais ça prendrait des mois. » © Emmanuel Clévenot / Reporterre

Toutefois, à ce moment-là, la mairie et l’intercommunalité ont fait le choix d’une lecture détournée de cette première décision de justice. Mathieu Hanotin, édile socialiste de Saint-Denis à la tête de l’intercommunalité, avait alors déclaré : « Il n’y a pas de conséquence immédiate sur la question des travaux, le permis de construire reste valable. Cela ne remet pas en cause le projet. » Résultat : quatre semaines durant, la bétonisation des anciens jardins ouvriers s’est poursuivie sous le regard incrédule du collectif, qui pensait pourtant avoir remporté la bataille.

« Ils seront bientôt hors délais. La piscine olympique ne se fera pas ! »

Révoltés mais pas résignés, les militants ont donc déposé une requête devant le juge des référés, le 22 février, pour faire valoir la décision du 10 février et réclamer en urgence la suspension du chantier. « Lorsque l’avocat nous a appelés hier, pour nous dire que le juge nous avait donné raison… J’étais dans une joie indescriptible ! », se réjouit Dolorès, qui peine encore à y croire. Concrètement, la cour administrative d’appel de Paris ordonne désormais à la municipalité d’Aubervilliers de faire stopper les travaux et la condamne à rembourser 2 000 euros de frais de justice aux différents requérants.Le chantier de la piscine olympique d’Aubervilliers en février 2022. © NnoMan Cadoret/Reporterre

Cela sonne-t-il le glas du projet de piscine olympique ? Non, nuance Dolorès. « On gagne surtout un temps précieux. Tant que la mairie ne présentera pas un nouveau PLUi, conforme aux attentes du juge, ce sont les dispositions du PLUi précédent qui prévaudront… à savoir, la non-constructibilité des jardins. » Ces nouvelles attentes ne permettront pas de rendre aux jardiniers leurs 4 000 mètres carrés de terres, saccagées il y a déjà de nombreux mois. Elles protègeront cependant 4 000 autres mètres carrés de parcelles jusqu’ici menacées et qui échapperont donc aux pelleteuses. Enfin, concernant un projet de gare qui devait engloutir 5 000 mètres carrés de jardins supplémentaires, le juge a invité la mairie à ne détruire que le « strict nécessaire ».

Architecte mobilisé dès les prémices de la lutte, Ivan Fouquet se veut rassurant : « La mairie pourrait toujours se pourvoir en cassation, mais ça prendrait des mois. En réalité, le rapport de force commence à s’inverser. Nous attendons encore la décision sur le fond du permis de construire, pour laquelle j’ai aussi bon espoir. Plus on avance et moins ils pourront être prêts pour les JO. »Viviane : « Il y aura une piscine, mais à taille humaine ! » © Emmanuel Clévenot / Reporterre

Un constat partagé par Viviane : « Ils seront bientôt hors délais, donc la piscine olympique ne se fera pas. Il y a désormais peu de doutes là-dessus. Il y aura une piscine, mais à taille humaine ! » Bonne nouvelle pour le collectif, la remise en conformité du PLUi nécessite une concertation publique, qui ne peut avoir lieu en période électorale. L’intercommunalité devra donc attendre que passent les législatives pour s’attaquer au dossier… soit pas avant la fin du mois de juin.

Ce jeudi 10 mars, à 14 heures, la maire UDI d’Aubervilliers, Karine Franclet devait recevoir une délégation du collectif. Elle a finalement préféré se décommander, expliquant dans un courriel envoyé la veille au soir qu’elle devait consulter ses avocats et ses autres partenaires, dont la préfecture et l’intercommunalité. « À force de s’entêter avec ce projet, elle en paye les frais et se retrouve au pied du mur », déplore une militante en secouant la tête. Ce rendez-vous manqué n’entachera toutefois pas l’humeur festive des défenseurs des jardins, qui défileront dimanche 13 mars, avec d’autres luttes locales, dans les rues de Pantin.

O-2024 : noyée sous les recours en justice, la piscine d’Aubervilliers prend l’eau

https://batinfo.com/actualite/jo-2024-noyee-sous-les-recours-en-justice-la-piscine-daubervilliers-prend-leau_20590

Par Batinfo le 14/03/22 source AFP

Les Jeux olympiques de Paris-2024 virent au feuilleton à Aubervilliers, où le combat de militants environnementaux pour la sauvegarde des jardins ouvriers met à mal une promesse de piscine censée bénéficier à la Seine-Saint-Denis.

Visuel de l’entrée du projet de centre aquatique du Fort d’Aubervilliers - © Chabanne Architectes

Le futur centre aquatique de cette ville en lisière de Paris pourra-t-il être livré à temps pour permettre aux athlètes de s’y entraîner, quelques semaines avant les JO ?

La cour administrative d’appel de Paris a mis mercredi un nouveau coup de frein à ce projet au calendrier ultra serré en ordonnant l’arrêt « sans délai » des travaux, près d’un mois après avoir jugé qu’il ne respectait pas certaines dispositions en matière d’urbanisme.

Plaine commune, la structure qui regroupe neuf communes dont Aubervilliers, présidée par le maire (PS) de Saint-Denis Mathieu Hanotin, est sommée de revoir son plan local d’urbanisme, modifié pour bâtir l’infrastructure sur un parking et quelques parcelles de jardins centenaires attenantes.

La municipalité d’Aubervilliers, maître d’oeuvre, a indiqué que cette décision de justice faisait l’objet d’une « analyse » et qu’elle ne communiquerait pas avant qu’une « position commune » soit trouvée entre les différentes parties.

Les pelleteuses étaient à l’arrêt sur le chantier jeudi matin, a constaté une journaliste de l’AFP.

Une réunion entre les opposants et la municipalité, qui devait se tenir dans l’après-midi, a été reportée par la ville.

« Biodiversité »

La disparition d’une partie de cette enclave de verdure au pied des tours a cristallisé les oppositions de certains jardiniers, militants et associations environnementales locales. Elle est devenue un symbole de la « bétonisation » qui asphyxie les zones urbaines, à rebours selon eux à l’urgence écologique.

Pas opposés à la piscine en elle-même, ils fustigent ses annexes – solarium, plage minérale – qui doivent empiéter sur 4.000 m2 de parcelles vivrières – déjà détruites par les travaux – sur les 2,5 hectares (25.000 m2) du site.

La justice administrative a validé d’autres projets liés aux JO comme le Village des médias à Dugny, aux confins d’un parc départemental, ou la création d’un échangeur autoroutier à proximité d’une école à Saint-Denis. Mais elle a cette fois-ci changé de ton.

« Ces travaux, par leur nature, sont susceptibles de causer des conséquences difficilement réversibles sur les parcelles de jardins des Vertus alors même qu’il s’agit d’un noyau primaire de biodiversité », estimait le juge des référés dans l’ordonnance rendue mercredi.

C’est la seconde fois en six mois que le chantier est interrompu sur décision de justice.

Il avait déjà été interrompu brièvement de septembre à novembre 2021 pour un litige autour du permis de construire, que la ville avait dû modifier. Ce volet doit encore être jugé au fond.

Le projet est en réalité un serpent de mer qui fraie depuis longtemps dans les cartons de la mairie.

Aubervilliers en rêve depuis 2005, alors que Paris, qui espérait décrocher les JO dès 2012, lui avait assuré qu’elle aurait son centre aquatique. Une aubaine pour cette ville populaire qui manque de bassins pour l’apprentissage de la natation.

Sur la sellette

Le projet, finalement calibré comme site d’entraînement ensuite rendu aux habitants, avait été enfin mis sur les rails en 2017, sous la houlette de Mériem Derkaoui la maire (PCF) de l’époque.

Dès les premiers recours juridiques toutefois, le comité d’organisation de Paris-2024, piloté par Tony Estanguet, a expliqué que si la piscine ne voyait pas le jour, un autre site d’entraînement serait trouvé. Il a réaffirmé cette position jeudi.

Mais alors quid des quelque 10 millions d’euros que la Solideo est censée investir dans le centre aquatique, soit un tiers du budget ? La société chargée des ouvrages olympiques « étudie les conséquences sur le calendrier » du jugement, a-t-elle fait savoir à l’AFP.

« La question du maintien du projet de centre aquatique en l’état, ainsi que son soutien financier par les Jeux olympiques est clairement posée », a déclaré le collectif de défense des jardins.

Quant au conseil départemental, il soutient la création d’une piscine supplémentaire en Seine-Saint-Denis mais se garde de s’exprimer plus avant sur cet imbroglio.

D’autant que d’autres nuages s’amoncellent sur le département, qui doit urgemment trouver une solution pour le Terrain des Essences, où les épreuves de tir olympique seraient trop à l’étroit.

Jeux de pistes au Bourget

L’aéroport de Paris le Bourget (IATA : LBG, OACI : LFPB) construit en 1914 servait à l’origine de base aérienne à l’Armée française, ensuite il fut exploité commercialement dès 1919. Il sera ensuite fermé aux vols commerciaux en 1977, puis dédié à l’aviation privée à compter de 1980.Il s’agit du plus ancien aéroport du monde encore en activité. Situé à 11 kilomètres au nord-est de Paris, LBG est le premier aéroport d’affaires d’Europe, avec ses 3 pistes, ses 75 entreprises de services aéroportuaires et aéronautiques. Des sociétés d’aviation d’affaires et de transports à la demande, ainsi que des transporteurs de fret constituent un ensemble mixant services de luxe, conteneurs et ateliers de maintenance avec un Musée de l’Air et de l’Espace. Des premiers vols de nuit en septembre 1915 à l’arrivée du Solar Impulse en juin 2011, tous les événements aéronautiques trouvent leur place au Bourget, d’autant que le Salon International de l’Aéronautique et de l’Espace qui ouvrira ses portes en 2015 pour sa 51e édition constitue un événement mondial pour les constructeurs. En 1969 le Concorde et le Boeing 747 feront leurs débuts au Salon du Bourget.

Un enclos historique centenaire.

carte

De Lindbergh aux stars du showbiz en passant par les VIPs, tout le gotha fréquente les pistes de l’aéroport non-commercial du Bourget. Condensé de l’histoire de l’aviation,  des pionniers aux nababs, l’aéroport a traversé les époques en préservant son âme, malgré son incontestable succès pour preuve les 55 000 mouvements d’aéronefs et plus de 100 000 passagers annuel.

Il fut le premier de France à disposer d’une véritable piste en dur, utilisable tout temps. Aussi lors de sa création en 1933, la direction de la compagnie Air France s’y implanta. Le bâtiment historique de l’aérogare, signé par l’architecte Georges Labro, date de 1935. L’édifice, décoré par le peintre Lucien Martial, est inauguré le 12 novembre 1937 lors de l’exposition internationale de Paris. Ce bâtiment rectiligne de 233 mètres de façade sera sérieusement endommagé lors des âpres combats qui s’y déroulent le jour de la Libération de Paris. Il sera reconstruit à l’identique et servira d’aéroport civil jusqu’à sa reconversion à partir de 1977 où les compagnies commencent à déménager pour s’installer à Orly, puis plus tard à Roissy. affiche-Diamants-sur-canape-Breakfast-at-Tiffany-s-1961-1Parmi les nombreux transports très privés, retenons l’arrivée, en toute discrétion durant le mois de juin 2014, du collier de diamants jaunes que portait Audrey Hepburn dans le film « Breakfast at Tiffany’s» diffusé en France sous le titre « Diamants sur canapé », pour être exposé sur les Champs Elysées dans la boutique Tiffany. Ce diamant jaune affichait 287 carats  lors de sa découverte en Afrique du Sud en 1877, avant d’être taillé à  128,54 carats. Il se classe parmi les plus grands et les plus beaux du monde, il ne fallait pas moins que l’écrin du Bourget pour l’accueillir.

Parcourir l’espace aéroportuaire ne peut laisser insensible le visiteur qui sera soumis successivement à l’émotion historique, nostalgie des machines présentées au musée ; à la curiosité suscitée par la découverte des métiers et des industries liés à l’aviation ; et à  la prise de conscience de ce que représente le luxe de l’aviation privée. IMG_1468IMG_1553Rolling StIMG_1469IMG_1488tarmac Musée31

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Au sortir du Musée de l’Air et de l’Espace, dont la riche collection laisse toutes les générations bouche bée devant l’ingéniosité des fabricants pour faire voler ces drôles de machine, le visiteur pourra emprunter l’avenue de l’Europe. Sur l’esplanade de nombreux monuments commémoratifs célèbres les grands moments de l’histoire de l’aviation liés au Bourget. Ensuite sur cette large avenue bordée de hangars en béton armé, construits suivant les plans de l’architecte Henri Lossier, les grandes portes abritent les spécialistes de la maintenance et les experts de l’aéronautique qui disposent ainsi de 30 000m² de superficie couverte. Avec 15 mètres de haut pour 60 mètres de large, les hangars affichent sur leur fronton les noms des héros ou des sociétés qui ont écrit l’histoire de l’aviation,  mais surprise, le dernier hangar signalé sur les mats tout au long de l’avenue rompt avec l’industrie et les services traditionnels offerts par l’aéroport puisqu’il s’agit de la Galerie Gagosian.

Texte et Photos Jacques Clayssen

 

De Germain Dorel à Blankok 212

Des Chiffres ou des Lettres
Vivre face à un aéroport semble de nos jours une perspective peu enviable, pourtant fut une époque où ces emplacements étaient recherchés et appréciés. Qui envisagerait aujourd’hui de s’installer face aux aéroports de Roissy ou d’Orly dont les abords sont occupés par des parkings, des entrepôts, des autoroutes et des hôtels. Témoin d’une autre époque la Cité Julien Dorel, face à l’aéroport du Bourget, nous donne une idée de l’intérêt de résider à proximité d’un aéroport.

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Situé au nord-est de Paris et enclavé dans des banlieues qui n’ont de bleu que le festival du même nom, la zone aéroportuaire du Bourget constitue une « réserve » grillagée pour les propriétaires de jet privé, les services VIP et les amateurs d’histoire de l’aviation. Les habitants de la Cité qui lui fait face ne constituent pas la majorité des visiteurs, les décalages de mode d de vie et de moyens sont trop patents. Les moyens en l’occurrence, cela signifie d’importants revenus loin du RSA ou du SMIC qui sont sous la barre des salaires dits moyens.

Mais les bâtiments de l’aéroport et la Cité Germain Dorel ont en commun d’être restés dans leur jus des années 30 et d’être des modèles d’architecture. Ces qualités valurent à la Cité son classement à l’inventaire des Monuments historiques en 1996 ne présente pas que des avantages aux yeux des habitants.

Pour aborder cette cité du Blanc-Mesnil, il existe deux possibilités : la première s’inscrit dans une démarche touristico-culturelle et concerne le projet et l’histoire architecturale des bâtiments, on parle alors de la Cité Germain Dorel, du nom de l’architecte qui l’a conçue ; la deuxième essaie de découvrir quelques aspects des pratiques urbaines des jeunes habitants, on parle alors du 212 ou du 12/12 pour les initiés.

Germain Dorel

Pour ce qui relève de la Cité Germain Dorel, une documentation importante relate les  caractéristiques du projet initial et les phases d’une réhabilitation périlleuse.

La cité d’HBM dans le quartier de l’Aviation offrait 581 logements qui sont construits de 1933 à 1936 pour la Société du Foyer du Progrès et de l’Avenir par l’architecte Germain Dorel, qui en était également administrateur. Les bâtiments en brique et béton brut sont destinés au logement du personnel qui travaillait à l’aéroport, puis, la cité fut occupée en grande partie par des gardes mobiles jusque dans les années 70. Les bâtiments se succèdent dans une perspective formée d’arches centrales qui marquent les médianes de la polychromie et de la répartition pyramidale des balcons. Les façades sont ornées de bas-reliefs moulés de style Art déco en béton et de figures en ronde-bosse. La cité Germain Dorel, est construite à l’origine le long de la ligne de tramway qui menait du Bourget à Paris-Opéra. Ce qui permettait aux personnels navigants, hôtesses, stewards et pilotes de loger face à l’aéroport qui était à l’époque au milieu des terres cultivées, et pouvaient aisément se rendre à Paris, tout comme les passagers qui empruntaient la ligne. Dénommée CO lors de sa création en 1912 avant de devenir la 52 à compter de 1921 jusqu’à son remplacement par un bus conservant le même numéro, en 1933.

Jeanne Fontaine, première hôtesse de l’air en 1922 et André Lapierre, le  mécanicien de Jean Mermoz, ont résidé dans cette Cité qui offrait alors un confort et une luminosité exceptionnelle. Les logements répondaient aux types définis de l’époque. Variant entre 18 mètres carrés pour une chambre et une cuisine et 54 mètres carrés pour l’appartement de quatre chambres et une cuisine familiale. Les logements étaient équipés de l’eau, du gaz et de l’électricité.
Sa réhabilitation, engagée en 1977 se déroulera sur une dizaine d’années, restitue et met en valeur la variété des matériaux voulue par son concepteur avec ses carreaux cassés rouges, ses grès cérames roses, l’enduit tyrolien jaune et l’enduit blanc sur soubassement gris. Ce parti-pris décoratif devait dans l’esprit de l’architecte offrir aux classes populaires un accès à une certaine idée du modernisme.

BlanKok 212

Le 212 correspond à l’adresse de la Cité. Le nom de l’architecte n’étant pas une référence pour les habitants, ils ont pris l’habitude de s’identifier par ce seul numéro. Mais ni le nom de l’avenue, ni le nom de la ville ne sonnent aux oreilles des « peura » locaux pour identifier le lieu. Sheryo, rappeur originaire de Blanc Mesnil, ancien membre du groupe DSP avec B.James et du collectif Anfalsh, fait du « rap de fils d’immigrés » et non du « rap français ». Il a grandi dans la Cité et explique, dans une interview pour le mag spécialisé Down With This : On a été obligé de changer Blanc-Mesnil par « Blankok » car ça faisait vraiment naze (rires). Je l’ai fait parce que pour moi c’est une figure imposée du « peura ». Et puis il y a toujours un truc à dire sur le 9-3.…

Cette dénomination est dorénavant bien ancrée chez les jeunes de Blankok. D’ailleurs, la marque de vêtement Defend Paris qui a l’habitude de mises en scènes particulières pour promouvoir son image a retenu le site pour sa promo intitulée Defend Paris / 212 Blankok. La Cité a fourni un cadre parfait avec son avenue pour tourner une vidéo, mettant en valeur les urban street riders. On y voit des mecs s’éclater avec des levées de roue en compète et en quad. Réalisée par Axel Morin et Julien Capelle, et rythmée par un son de Provok, ce clip pour la marque parisienne est un must du genre.

Les habitants apprécient peu les visiteurs déambulant dans leur espace manifestant généralement plus d’intérêt et de respect pour le cadre que pour ceux qui y vivent. Ils rejettent l’idée d’être des « Monuments Historiques » ou de vivre dans un « Musée ». La réconciliation de Dorel et du 212 nécessitera une sédentarisation d’une population moins précaire. Aujourd’hui, Ils développent un sentiment de dépossession et une impression de devenir l’objet de curiosité déplacée, comme l’avait souligné l’ancien directeur du Centre social Pierre Meige dans son ouvrage, La Cité 212, utopie d’hier à vivre aujourd’hui.

Texte et Photos Jacques Clayssen

Avec le tEmPs

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avec le temps les signes urbains deviennent cabalistiques, beaucoup plus conceptuels et intéressants, à la limite de l’exposition.

Promenade manouche

Promenons nous dans les voies !
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Sur l’ancienne voie de chemin de fer qui allait jusqu’à l’imprimerie de l’illustration, aujourd’hui désaffectée et transformée en « promenade », plane l’ombre de Django. Les murs servent de tableaux vivants aux expressionnistes du street art local, quelques fleurs plantées à la diable tentent de réchauffer une atmosphère vide et sans grâce, arbres sauvages, herbes folles, le chemin passe au milieu des terrains de sport du parc départemental, la dernière partie longe la fameuse cité de l’Etoile et les anciens docks de stockage de la SNCF pour venir mourir sur des voies toujours en activité proche de la gare de Bobigny. Déconseillé le soir et en tailleur Chanel, population relativement hostile.

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Biennale de Belleville, Hors-Circuits, WalkScapes,thadaeus ropac,gagosian,pantin,bobigny,la courneuve,le bourget

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Texte et Photos Patrick Laforet

Long term parking

La mécanique sauvage
IMG_6464WLa proximité de l’ancienne casse automobile avait progressivement transformé le parking à ciel ouvert de la Courneuve en atelier sauvage de réparations et de vidanges discrètes où venaient s’échouer les voitures diverses et variées qui peuplent la périphérie. Economie souterraine nécessaire, inévitable, mais polluante. Huile noire sur le sol, terre gorgée de parfums lourds, pièces mécaniques tristes et abandonnées, quelques carcasses, chiffons souillés, bitume luisant, toute la poésie malsaine du dépotoir mécanique, le paysage classique du rebut mondial de l’automobile en fin de carrière.

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Avec la crise, les garages sauvages prolifèrent – Le Monde daté du 21 avril 2015

Dans les banlieues populaires, des mécanos occasionnels réparent les voitures pour quelques dizaines d’euros.
A l’ombre des arbres, à deux pas de la cité Dourdin, les signes d’activité ne trompent pas : une voiture ou deux montées sur cric, des mallettes d’outils étalées sur le trottoir, des chiffons sales. Dès le jeudi soir, tête dans le moteur ou allongés sous le châssis, les  » mécanos  en plein air  » sont installés dans ce quartier tranquille de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

Tee-shirt sans manche et faux diamant à l’oreille, Eddie (le prénom a été modifié) s’affaire, les clients patientant au volant. A la fin de la soirée, le jeune Antillais sort la bouteille de Jack Daniel’s et quelques gobelets en plastique et monte le son de l’autoradio. L’affaire prend alors des airs de pique-nique arrosé. Des garagistes amateurs comme ce trentenaire, on en trouve désormais un peu partout en région parisienne et dans les cités sensibles de bon nombre de métropoles hexagonales. Une économie de la débrouille qui s’est développée à la faveur de la crise et reste difficile à quantifier car non déclarée.

Dans le  » 9-3 « , c’est surtout près de Paris que ces garages à ciel ouvert se sont multipliés. Il suffit de passer le périphérique pour faire réparer son véhicule. A 20  euros le changement de plaquettes de frein ou 30  euros le montage d’un nouveau pot d’échappement, les tarifs sont imbattables. Et tous les travaux sont possibles, tôlerie et peinture comprises.

Entre Aubervilliers et Saint-Denis, malgré les gros blocs de béton installés pour empêcher l’occupation de l’espace derrière les chantiers du campus universitaire Condorcet ou du futur lycée, ces  » mécanos sauvages  » sont pléthore. Le commerce est bien rodé. Ici, c’est la filière ivoirienne qui recrute : venue du Val-d’Oise ou d’autres villes de Seine-Saint-Denis, la main-d’œuvre embauche près du foyer Adoma ou aux portes d’une société de transports. Réparer les moteurs, faire le gué, déplacer les voitures quand une patrouille de police passe, les tâches sont multiples. Quotidiennement, des camions apportent des voitures de Belgique ou d’Allemagne.

 » Une vieille pratique « Un peu plus loin, le long de la nationale 2, à la station de métro Fort-d’Aubervilliers, c’est à l’entrée d’une ancienne casse automobile que des sans-papiers algériens ou des Roms hèlent les voitures pour proposer leurs services de dépannage. Le même phénomène se développe à Stains, Rosny-sous-Bois, Drancy, Dugny, Montfermeil, Neuilly-sur-Marne… Plus ou moins organisés, les garages sauvages squattent les parkings des cités ou des copropriétés, envahissent les petites ruelles peu passantes, s’installent dans les arrière-cours d’anciens ateliers ou sur les esplanades des supermarchés.

On les retrouve aussi dans l’Essonne : à la Grande-Borne, à Grigny, sur le parking du Géant Casino, à Evry, et tout le long de la nationale 20. Et, dans le Val-d’Oise, à Argenteuil, ou, dans les Yvelines, au Val-Fourré (Mantes-la-Jolie). La région parisienne n’est pas la seule touchée. A Marseille, c’est dans les quartiers nord que ces ateliers sauvages prolifèrent, à tel point que Samia Ghali, sénatrice (PS) des Bouches-du-Rhône, veut en faire  » sa bataille «  :  » Avec les huiles usagées répandues partout, les voitures ventouse – longtemps en stationnement – , ça devient invivable. «  A Saint-Etienne, la cité Montreynaud comme d’autres quartiers populaires abritent les mêmes activités clandestines. Tout comme à Roubaix, où ils occupent les entrepôts désaffectés.

Cette économie de la bricole n’est pas un phénomène nouveau. Elle a toujours existé dans les quartiers populaires. Ce genre de petits travaux fait partie de la culture d’entraide entre familles. Les billets qui circulent entre deux portières sont souvent le seul salaire de ces mécanos occasionnels.  » Se faire une ou deux gâches – travail au noir – au bas de l’immeuble, ça aide la famille « , souligne Nordine Moussa, du Collectif des quartiers populaires de Marseille.  » C’est toujours mieux que le chichon « , renchérit Ali Rahni, du Collectif des musulmans de France.

 » C’est une vieille pratique mais ça s’accélère avec la crise : ici, la plupart des gens ont une voiture de deuxième ou troisième main qui tombe souvent en panne « , explique Philippe Rio, maire communiste de Grigny.  » Il faut faire le tri entre le coup de main pour arrondir les fins de mois et un vrai métier clandestin « , remarque Stéphane Troussel, président (PS) du conseil général de Seine-Saint-Denis.

Artisanaux ou très organisés, ces garages interdits sont connus des autorités publiques mais ces infractions ne sont pas une priorité. A la préfecture de l’Essonne comme à celle du Val-d’Oise, on assume :  » Le vrai sujet pour nous, c’est les vols avec violence. «  La préfecture de Seine-Saint-Denis y est, elle, plus sensible :  » On a beaucoup de signalements « , explique-t-on à Bobigny. Alors, de temps en temps, la police lance une opération pour tenter d’enrayer le phénomène et calmer les plaintes des riverains. Comme ce mercredi 15  avril, quand une trentaine de policiers a envahi le parking de la cité du Clos-Saint-Lazare, à Stains, pour démanteler une activité de mécanique sauvage qui avait pris trop d’ampleur. Résultat : six jeunes hommes venus de différents pays d’Afrique de l’Ouest en garde à vue puis mis en examen pour travail dissimulé, et trois clients pour recours au travail dissimulé.  » Ils envahissent le parking tous les jours depuis des années. Ils reviendront… « , se résigne le responsable d’une amicale des locataires.

Les maires, largement démunis, oscillent entre répression et laisser-faire. Pour empêcher ces garages clandestins, les villes les plus touchées multiplient les interdictions de stationnement ou la construction de plots pour condamner certains trottoirs. Elles intensifient les patrouilles de police municipale, amendes à l’appui, comme à Saint-Denis. Mais le commerce ne fait que se déplacer.

Certaines municipalités semblent se résigner, considérant qu’avec la crise ces commerces sont inévitables.  » C’est une activité qui répond à un besoin et ne génère pas de délinquance, assure Pierre Quay-Thevenon, directeur de cabinet du maire d’Aubervilliers. Il vaut mieux l’accompagner pour éviter les dérives. «  Dans cette commune, comme dans sa voisine, Saint-Denis, on s’interroge sur la création d’un garage solidaire qui permette de réparer sa voiture, moyennant une cotisation modique. Ce qui viderait un peu les rues de ces carcasses et tâches d’huile qui empoisonnent les riverains.

Sylvia Zappi

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A Aubervilliers, la ZAC du Fort prend forme – in Le Monde du 24 septembre 2017

Erigé à la fin des années 1830, le fort d’Aubervilliers est adossé au cimetière de Pantin et bordé par deux axes très passants : les avenues Jean-Jaurès (N2) et de la Division-Leclerc (D27). En  2014, les pouvoirs publics ont décidé de transformer ce secteur délaissé et enclavé de 36  hectares en nouveau quartier. Pour ce faire, ils y ont créé une ZAC (zone d’aménagement concerté). Après une période d’études et de concertation, les travaux vont -débuter d’ici à la fin de l’année sur les 20  hectares du secteur Jean-Jaurès.

 » C’est un site complexe, entouré de quartiers avec leurs -dynamiques propres « , explique Camille Vienne-Théry, directrice du projet chez Grand Paris Aménagement. A l’horizon 2020, 900  logements auront été créés, sous la forme d’appartements dans des immeubles de huit étages le long de la N2, et de maisons de ville mitoyennes en cœur d’îlot. La moitié d’entre eux seront destinés au logement social, 60 étant réservés à l’accession aidée, à des tarifs entre 2 700 et 3 000  euros/m2. Le solde rejoindra -le parc privé et devrait être vendu à des tarifs moyens de 3 700  euros/m2.  » Une large proportion de logements sera de grande taille, car ce quartier doit permettre à des familles de se loger « , précise Mme Vienne-Théry.

Pour rendre le secteur plus agréable, le -département a lancé des travaux de requalification de l’avenue Jean-Jaurès. D’ici trois ans, la place des voitures y sera réduite, la voirie refaite et les trottoirs seront verdis. Pour insuffler une vie de quartier, une école et 5 000  m2 de commerces de proximité au pied des immeubles seront construits.

Une promenade verte sera aménagée autour des murailles ; elle facilitera la connexion est-ouest du nouveau quartier. Le cœur du fort fera lui aussi l’objet d’une réhabilitation, actuellement en cours de débat. Seule certitude : une place privilégiée sera accordée à la culture, avec le maintien des artistes occupant les bastions et casemates du fort, dont le théâtre équestre Zingaro.

La deuxième phase d’aménagement sera lancée dans quelques années, pour construire 900  logements supplémentaires, dont une large proportion consacrée au parc privé. Une agora centrale accueillera une halle avec des activités culturelles et associatives, ainsi que des équipements sportifs. A l’horizon 2025-2030, une troisième phase de travaux au sud-est achèvera l’ensemble. La gare de la ligne 15 du Grand Paris Express sera connectée avec la station existante Fort-d’Aubervilliers.

Marie Pellefigue

François Jullien, ce que le paysage dit de nous

Vivre de paysage ou L’impensé de la Raison
François Jullien, philosophe helleniste, présente ainsi son livre :
«En définissant le paysage comme « la partie d’un pays que la nature présente à un observateur », qu’avons-nous oublié ?
Car l’espace ouvert par le paysage est-il bien cette portion d’étendue qu’y découpe l’horizon? Car sommes-nous devant le paysage comme devant un « spectacle »? Et d’abord est-ce seulement par la vue qu’on peut y accéder – ou que signifie « regarder »?
En nommant le paysage « montagne(s)-eau(x) », la Chine, qui est la première civilisation à avoir pensé le paysage, nous sort puissamment de tels partis pris. Elle dit la corrélation du Haut et du Bas, de l’immobile et du mouvant, de ce qui a forme et de ce qui est sans forme, ou encore de ce qu’on voit et de ce qu’on entend… Dans ce champ tensionnel instauré par le paysage, le perceptif devient en même temps affectif ; et de ces formes qui sont aussi des flux se dégage une dimension d’ »esprit » qui fait entrer en connivence.
Le paysage n’est plus affaire de « vue », mais du vivre.
Une invitation à remonter dans les choix impensés de la Raison ; ainsi qu’à reconsidérer notre implication plus originaire dans le monde.» 

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François Jullien a pris le parti de décentrer ses analyses pour désamorcer l’ethnocentrisme endémique de notre culture occidentale. En soumettant ses réflexions aux filtres de la pensée chinoise, il déconstruit depuis une culture extérieure a-conceptuelle notre pensée occidentale. Ce décentrement lui permet de réinstaurer le vivre là où l’être règne en maître.
En se libérant des contraintes de notre langue et de notre culture, François Jullien nous offre la possibilité de nous découvrir d’un autre point de vue.
Il nous explique la manière dont la structure alphabétique de notre langue a organisé nos savoirs, alors que l’écriture idéographique chinoise fonctionne sur une cohérence d’accouplement. En lieu et place du paysage, terme unitaire, la Chine dit un jeu d’interactions entre « montagne-eau ».

Ce regard, déconditionné de nos acquis culturels, permet de reconsidérer notre point de vue sur le monde préformaté que nous décryptons, faute de compétences sémantiques pour l’interroger.

Collection Bibliothèque des Idées, Gallimard

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Le petit temple de Shivan sur l’avenue Paul Vaillant Couturier signe la présence de la forte communauté tamoule de La Courneuve par ses touches colorées au milieu d’entrepôts lugubres et poussiéreux. Liée à la guerre civile au Sri Lanka dans les années 80, l’arrivée de cette diaspora s’est faite dans des conditions très particulières. En effet l’identité tamoule s’est scindée en deux blocs distincts, l’un se réclamant d’une indianité forte, les tamils de l’Inde du Sud, l’autre d’une origine Sri Lankaise marquée. Cette dernière est arrivée avec souvent un statut de réfugiés politiques et un activisme collectif fort. Par exemple de nombreux candidats tamouls ont été élus aux dernières élections municipales et les associations sont nombreuses et très actives, très implantées localement.

Le temple et La Courneuve

Environ 70 000 personnes constituent une communauté qui s’organise une visibilité dans le paysage français, à travers par exemple la fête de ganesh, organisée tous les ans fin Août à Paris qui est gérée et initiée essentiellement par des tamouls. L’ethnoterritoire de cette diaspora est aujourd’hui installé et reconnu, identifié par le pays d’accueil et valorisé par les qualités entrepreneuriales de ses membres.
La fête de Ganesh, 2014

 

Texte et Photos Patrick Laforet

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derive_2La carte du ciel, 6 juin 2014, Bobigny © Patrick Laforet