Des Chiffres ou des Lettres
Vivre face à un aéroport semble de nos jours une perspective peu enviable, pourtant fut une époque où ces emplacements étaient recherchés et appréciés. Qui envisagerait aujourd’hui de s’installer face aux aéroports de Roissy ou d’Orly dont les abords sont occupés par des parkings, des entrepôts, des autoroutes et des hôtels. Témoin d’une autre époque la Cité Julien Dorel, face à l’aéroport du Bourget, nous donne une idée de l’intérêt de résider à proximité d’un aéroport.

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Situé au nord-est de Paris et enclavé dans des banlieues qui n’ont de bleu que le festival du même nom, la zone aéroportuaire du Bourget constitue une « réserve » grillagée pour les propriétaires de jet privé, les services VIP et les amateurs d’histoire de l’aviation. Les habitants de la Cité qui lui fait face ne constituent pas la majorité des visiteurs, les décalages de mode d de vie et de moyens sont trop patents. Les moyens en l’occurrence, cela signifie d’importants revenus loin du RSA ou du SMIC qui sont sous la barre des salaires dits moyens.

Mais les bâtiments de l’aéroport et la Cité Germain Dorel ont en commun d’être restés dans leur jus des années 30 et d’être des modèles d’architecture. Ces qualités valurent à la Cité son classement à l’inventaire des Monuments historiques en 1996 ne présente pas que des avantages aux yeux des habitants.

Pour aborder cette cité du Blanc-Mesnil, il existe deux possibilités : la première s’inscrit dans une démarche touristico-culturelle et concerne le projet et l’histoire architecturale des bâtiments, on parle alors de la Cité Germain Dorel, du nom de l’architecte qui l’a conçue ; la deuxième essaie de découvrir quelques aspects des pratiques urbaines des jeunes habitants, on parle alors du 212 ou du 12/12 pour les initiés.

Germain Dorel

Pour ce qui relève de la Cité Germain Dorel, une documentation importante relate les  caractéristiques du projet initial et les phases d’une réhabilitation périlleuse.

La cité d’HBM dans le quartier de l’Aviation offrait 581 logements qui sont construits de 1933 à 1936 pour la Société du Foyer du Progrès et de l’Avenir par l’architecte Germain Dorel, qui en était également administrateur. Les bâtiments en brique et béton brut sont destinés au logement du personnel qui travaillait à l’aéroport, puis, la cité fut occupée en grande partie par des gardes mobiles jusque dans les années 70. Les bâtiments se succèdent dans une perspective formée d’arches centrales qui marquent les médianes de la polychromie et de la répartition pyramidale des balcons. Les façades sont ornées de bas-reliefs moulés de style Art déco en béton et de figures en ronde-bosse. La cité Germain Dorel, est construite à l’origine le long de la ligne de tramway qui menait du Bourget à Paris-Opéra. Ce qui permettait aux personnels navigants, hôtesses, stewards et pilotes de loger face à l’aéroport qui était à l’époque au milieu des terres cultivées, et pouvaient aisément se rendre à Paris, tout comme les passagers qui empruntaient la ligne. Dénommée CO lors de sa création en 1912 avant de devenir la 52 à compter de 1921 jusqu’à son remplacement par un bus conservant le même numéro, en 1933.

Jeanne Fontaine, première hôtesse de l’air en 1922 et André Lapierre, le  mécanicien de Jean Mermoz, ont résidé dans cette Cité qui offrait alors un confort et une luminosité exceptionnelle. Les logements répondaient aux types définis de l’époque. Variant entre 18 mètres carrés pour une chambre et une cuisine et 54 mètres carrés pour l’appartement de quatre chambres et une cuisine familiale. Les logements étaient équipés de l’eau, du gaz et de l’électricité.
Sa réhabilitation, engagée en 1977 se déroulera sur une dizaine d’années, restitue et met en valeur la variété des matériaux voulue par son concepteur avec ses carreaux cassés rouges, ses grès cérames roses, l’enduit tyrolien jaune et l’enduit blanc sur soubassement gris. Ce parti-pris décoratif devait dans l’esprit de l’architecte offrir aux classes populaires un accès à une certaine idée du modernisme.

BlanKok 212

Le 212 correspond à l’adresse de la Cité. Le nom de l’architecte n’étant pas une référence pour les habitants, ils ont pris l’habitude de s’identifier par ce seul numéro. Mais ni le nom de l’avenue, ni le nom de la ville ne sonnent aux oreilles des « peura » locaux pour identifier le lieu. Sheryo, rappeur originaire de Blanc Mesnil, ancien membre du groupe DSP avec B.James et du collectif Anfalsh, fait du « rap de fils d’immigrés » et non du « rap français ». Il a grandi dans la Cité et explique, dans une interview pour le mag spécialisé Down With This : On a été obligé de changer Blanc-Mesnil par « Blankok » car ça faisait vraiment naze (rires). Je l’ai fait parce que pour moi c’est une figure imposée du « peura ». Et puis il y a toujours un truc à dire sur le 9-3.…

Cette dénomination est dorénavant bien ancrée chez les jeunes de Blankok. D’ailleurs, la marque de vêtement Defend Paris qui a l’habitude de mises en scènes particulières pour promouvoir son image a retenu le site pour sa promo intitulée Defend Paris / 212 Blankok. La Cité a fourni un cadre parfait avec son avenue pour tourner une vidéo, mettant en valeur les urban street riders. On y voit des mecs s’éclater avec des levées de roue en compète et en quad. Réalisée par Axel Morin et Julien Capelle, et rythmée par un son de Provok, ce clip pour la marque parisienne est un must du genre.

Les habitants apprécient peu les visiteurs déambulant dans leur espace manifestant généralement plus d’intérêt et de respect pour le cadre que pour ceux qui y vivent. Ils rejettent l’idée d’être des « Monuments Historiques » ou de vivre dans un « Musée ». La réconciliation de Dorel et du 212 nécessitera une sédentarisation d’une population moins précaire. Aujourd’hui, Ils développent un sentiment de dépossession et une impression de devenir l’objet de curiosité déplacée, comme l’avait souligné l’ancien directeur du Centre social Pierre Meige dans son ouvrage, La Cité 212, utopie d’hier à vivre aujourd’hui.

Texte et Photos Jacques Clayssen