“Les Sentiers Métropolitains inventent la ville de demain. Ils métamorphosent une métropole en reliant tous ses territoires et en les éclairant d’une lumière nouvelle.”

Thierry Van de Wyngaert, Président de l’Académie d’Architecture

C’est une infrastructure pédestre qui permet une mobilité piétonne à l’échelle métropolitaine. C’est un équipement culturel au service du territoire, une plate-forme rassemblant des communautés de curiosités, valorisant des initiatives locales, assemblant des patrimoines culturels et naturels. Ce « centre culturel à ciel ouvert » ouvre un voyage, assemble des récits et crée un nouvel espace public. Il révélera les coulisses, les histoires et les monuments ordinaires et inconnus de la métropole. Il traversera des espaces méconnus du Très Grand Paris. Il racontera un territoire en transformation, un grand organisme entre ville et nature et révélera notre patrimoine métropolitain commun. Le Sentier Métropolitain du Grand Paris veut constituer un lien, assembler des récits et révéler un territoire. Extrait document Le Voyage Métropolitain

Guidé par les membres du « Sentier métropolitain du Grand Paris », le repérage se fait de deux manières. Une marche collective, ouverte au public, est organisée pour créer un parcours. Une seconde équipe est en charge de « l’éditorialisation » du parcours.  Dénommée « caravane », celle-ci est composée d’illustrateurs, écrivains, photographes, journalistes dont le travail consiste à élaborer un guide. 

Référence : Les Echos Par Lamia BarbotCaroline d’Avout (Rédactrice photo)Publié le 29 avr. 2017 

Si l’on considère avec Francesco Careri que « Dans les villes d’aujourd’hui, qui se transforment rapidement, marcher et franchir les frontières est devenu le seul moyen de reconstruire les tissus à partir des fragments urbains séparés dans lesquels nous vivons. La marche est devenue l’instrument esthétique et scientifique permettant de reconstruire la carte du processus de ces transformations, une action cognitive capable d’accueillir également les amnésias urbains que nous retirons de manière inattendue de nos cartes mentales parce que nous ne les reconnaissons pas comme une ville. »

Francesco Careri in La marche comme un art civique

La photographie tend à stabiliser une réalité disséminée aux rythmes multiples. Les bords du cadre, ses frontières figent cette réalité qui les dépasse. La photo gèle l’instant, le saisit dans une césure fragmentaire temporelle.

Elle contracte dans un rythme unique, pose, instantané ce moment critique ou cet instant décisif, elle représente « La marche de l’histoire à travers un temps homogène et vide » écrit Walter Benjamin, dans Thèses sur la philosophie de l’histoire.

Dans notre démonstration, nous ne montrerons pas l’ensemble des séquences dont elles participent, ceci étant conforme à l’usage qui est fait des images sélectionnées pour l’étude. En effet, ces images sont utilisées isolements dans les publications on line ou en print des Sentiers Métropolitains et des divers canaux de communications.

Les photographies présentées s’inscrivent dans le cadre d’un témoignage photographique sur une randonnée à la butte d’Orgemont à Argenteuil. Pardon, «Ce n’est pas de la randonnée, ce sont des marches urbaines», nuance Vianney Delourme, qui les organise avec son association Enlarge your Paris
Va donc pour marche urbaine dont les photos retenues se situent  entre des photographies d’arrivée sur le lieu, procession ascensionnelle et descentionnelle pour quitter la butte.

Toute marche en groupe obéit aux canons d’un tel exercice qu’il soit laïque, religieux ou militaire à savoir une procession d’individus qui avance en groupe ou en grappes quand ce n’est pas en file indienne quand la configuration des lieux l’impose. La procession publique est suivie dans un deuxième temps par une caravane composée d’illustrateurs, écrivains, photographes, journalistes dont le travail consiste à élaborer un guide. De la procession à la caravane, une idée de « nomadisme » complète le vocabulaire, en y ajoutant une note que l’on pourra interpréter comme un défilé de saltimbanques ou de pionniers sur les chemins de la découverte.

photo Jéromîne Derigny

Activité grégaire, les processionnaires composent une communauté menée par un ou des guides. Les images illustrant les marches montrent des chenilles humaines s’effilant de dos dans le paysage. Les pauses/poses donnant lieu parfois à des illustrations dont la référence religieuse n’est pas exempte.

Photo : Marie Genel

La photo utilisée par les documents d’Enlarge your Paris ou pour l’Art des sentiers métropolitains est une photo de Florence Joubert qui a été publiée sous cadrage natif en mode [paysage] et recadrée en format [portait]. Nous verrons pourquoi cette double présentation dans la suite de notre analyse.

Photo : Florence Joubert

Or, que voit-on dans l’image, de Florence Joubert, choisie pour résumer (à contre-courant du travail de narration du sentier du Grand Paris) Paris? Précisément la photographie d’un groupe constitué par une pause, et qui se fige devant le panorama. On y voit les participants du groupe disséminés sur une butte certains arrêtés, d’autres assis ou en mouvement, et les écarts entre eux. Un fait cependant importe plus encore : le fait que les membres soient tous de dos (dans l’édition [portrait], dans l’édition [paysage] une personne sur la gauche tourne le dos au paysage, alors que sur la droite une autre personne marche parallèlement au panorama). C’est qu’on ne peut pas photographier le regard qui advient alors pour chacun. Deux personnes photographient une vue hors champ sur la gauche de l’image. C’est également l’assomption de cette photographie comme mise en scène.

Les deux personnes en train de photographier utilisent des appareils numériques. Ces appareils (smartphones ou appareils de photo) présentent la particularité de rendre visible l’image sur un écran. Cette visibilité de l’image cadrée ne l’était pas avec la photographie argentique, qu’à la discrétion du photographe sous le voile de la chambre photographique. Pour le reste le viseur monoculaire était un système individuel, dont l’accès à l’image n’était pas partageable.

Trois plans horizontaux :

  • Un sol herbeux
  • Un front de personnages
  • Un panorama en surplomb (nimbé d’une brume de pollution, lui-même subdivisé en un premier plan pavillonnaire auquel succède les tours de la Défense)

Les personnages sont comme situés derrière un quatrième plan qui sépare cette réalité artistique d’un reste. Or, ce reste est précisément là où nous sommes, nous spectateurs. A notre regard la fiction rejoint la réalité, puisque l’espace s’ouvre à nous, il n’est pas caché derrière des figures qui nous feraient face. Elle la rejoint aussi par le fait que l’instant est proprement mis en scène: l’écart est comme organisé, même si cette organisation est latente : c’est la construction de la ruine positive du collectif. Dans la version [portrait] le recadrage vertical isole la ligne de dos, en réduisant le champ de l’image. Devant cette ruine, nous comme reste de l’oeuvre pouvons imaginer la salvation qui peut venir avec ces territoires et ces actions.


                           La-Seine-Rouen-1955©-Henri-Cartier-Bresson-_-Magnum-Photos

Ainsi, cette photo de Henri Cartier Bresson présente toutes les caractéristiques requises pour venir en miroir des photographies que nous analysons dans cette présentation. Le point de vue en surplomb, l’herbe et le chemin, les personnages, ici assis, attentif aux commentaires de celui qui regarde le paysage et ses ponts. La composition dynamique met l’accent sur le paysage, lisible et identifiable. Le lien entre les personnages et la ville, le fleuve et les ponts est magnifié par la composition. A partir de cette image matricielle le décryptage des intentions des éditeurs dans les choix opérés pour illustrer les documents des Sentiers Métropolitains met en lumière leur position sur le rapport du chemin à la ville.

La composition de l’image, répond à la règle d’or du maître français, à savoir la règle des tiers qui consiste à placer les éléments clef de l’image sur les lignes qui séparent les tiers verticaux et horizontaux, voire sur les intersections entre ces lignes, afin de répartir harmonieusement le contenu de l’image entre ces tiers. Le principe étant 2/3 de sol ou de paysage pour 1/3 de ciel ou l’inverse. Le parti-pris adopté montre l’intention du photographe, sur quoi a-t-il voulu mettre l’accent.

A ce sujet, Heidegger prend l’exemple d’un pont. « ’Léger et puissant’, le pont s’élance au-dessus du fleuve. Il ne relie pas seulement les deux rives déjà existantes. C’est le passage du pont qui seul fait ressortir les deux rives comme rives. […] Avec les rives, le pont amène au fleuve l’une et l’autre étendue de leurs arrière-pays. Il unit le fleuve, les rives et le pays dans un mutuel voisinage. […] Les ponts conduisent de façons variées. Le pont de la ville relie le quartier du château à la place de la cathédrale, le pont sur le fleuve devant le chef-lieu achemine voitures et attelages vers les villages des alentours. Au-dessus du petit cours d’eau, le vieux pont de pierre sans apparence donne passage au char de la moisson, des champs vers le village, et porte la charretée de bois du chemin rural à la grand-route. Le pont de l’autostrade est pris dans le réseau des communications lointaines, de celles qui calculent et qui doivent être aussi rapides que possible. […] « Le pont, à sa manière, rassemble auprès de lui la terre et le ciel, les divins et les mortels » in Essais et conférences Martin Heidegger 1951 (Conférence prononcée au mois d’août 1951 à Darmstadt) Gallimard.

La lecture de ces photographies et leurs usages affiche des indices sur la nature du projet. La décorrélation marcheur-ville mise en place par les photos illustre la vocation touristique d’un projet présenté comme un « centre culturel à ciel ouvert ». Ces parcours trop longs pour des déplacements quotidiens ne présentent aucun intérêt pratique pour les habitants. Ils s’inscrivent dans de l’activité de loisirs pour les nouveaux habitants des résidences immobilières qui repousseront les plus défavorisés hors des zones proches des gares du Grand Paris Express.

L’appropriation des sentiers par une population homogène assurera moins une cohésion territoriale qu’une communauté de classe.

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Etude sur la randonnée pédestre

Pratiquants

Volumes

En 2016, la France compte environ 16 millions d’adeptes de la randonnée pédestre

35 % des Français âgés de 15 à 70 ans déclarent avoir pratiqué au moins une fois la randonnée pédestre au cours des 12 derniers mois. En somme, ce sont environ 16 millions de randonneurs français qui arpentent les sentiers littoraux, de plaine et de montagne. Pour autant, bien que particulièrement nombreux à s’être essayé au moins une fois à l’activité, les randonneurs ne sont que 35 % à marcher régulièrement tout au long de l’année, ce qui représente en ordre de grandeur environ 5,5 millions de randonneurs réguliers. Finalement, près d’un tiers des randonneurs interrogés déclare pratiquer au moins une fois par semaine.

Sur une échelle sociale à trois niveaux (catégories populaires, moyennes et supérieures), le randonneur français est à 48 % issu des catégories populaires [1]. Les pratiquants de randonnée pédestre sont généralement peu diplômés. En effet, 48 % d’entre eux ont un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat. 33 % sont diplômés de l’université ou équivalent. Notons enfin que les randonneurs français sont 52 % à déclarer ne pas avoir des parents sportifs.

Note

[1]La construction de cette échelle à trois niveaux a été réalisée en regroupant différentes modalités de réponse à la question des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS). Ouvrier, chauffeur, employé, agent ou personnel de service ont été regroupés dans la catégorie « populaire ». Agriculteur exploitant, artisan, commerçant, chef d’entreprise, professions intermédiaires ont été regroupés dans la catégorie « moyenne ». Enfin, cadre, profession intellectuelle supérieure, professions libérales représentent la catégorie supérieure.


Addenda

« c’est dans la défection des communautés que l’on peut faire surgir l’incomplétude de toute communauté de nature ou de nation, de culture ou de classe, et rendre sa dignité de témoin à cet exemple qui est l’envers de l’artiste, ou plutôt son versant malheureux : le prolétaire ou, aujourd’hui en Occident, le  »travailleur immigré » 

Référence : Jean Borreil, « Le vagabond de l’universel », in La raison nomade, p96.

La possibilité de ne pas se comprendre, découverte dans le fait artistique, relève bien de la possibilité de ne pas être une communauté : le commun que la langue maternelle aurait si bien dit n’a pas existé. L’artiste comme le travailleur immigré sont des figures du témoignage de cette réalité critique parce qu’ils vivent tous de la réalité sur ses bords. Finalement, l’expérience d’artiste reprend à son compte cette question : « que se passe-t-il […] lorsque au pont de la fable heideggerienne qui lie le quartier du château à la place de la cathédrale, on oppose la déliaison de celui qui, n’étant pas propriétaire légitime de la ville, couche sous le pont? ». Ce qui se passe, c’est précisément qu’on ne peut plus penser la ville, et ce qu’elle symbolise, l’unité spatiale et à travers elle nationale, comme une totalité continue qui dans l’histoire serait perpétuelle. Il faut alors la penser comme une impossibilité, et à la place penser et pratiquer les possibles qui peuvent la traverser. 

Référence : Jean Borreil, « Le vagabond de l’universel », in La raison nomade, p82, commentant Martin Heidegger, Bâtir,habiter, penser 

des nécessités de déplacement : la frontalité des immeubles ne se traverse pas de la même manière ni aussi aisément que même la clôture du champ.

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