Le point de vue visuel se définit concernant l’image photographique non seulement comme lieu d’où l’on voit, vision d’un panorama, mais aussi comme angle de la prise de vue, l’objectif photographique conditionnant l’impression rendue par l’image.


De cette double acception : le lieu et l’angle, le point de vue informe sur l’endroit et le choix de l’objectif retenus pour réaliser la prise de vue. Les deux se combinant suivant d’innombrables possibilités. Sachant que l’échelle des plans détermine le rapport entre le sujet principal et l’ensemble de l’image, alors que l’angle de prise de vue s’établit sur le plan vertical et horizontal.
Jusqu’ici, ces principes sont établis, les typologies formalisent les différents points de vue. Dans   Les Cahiers de la Photographie, n°8-1982, Philippe Dubois chercheur belge, développe la notion qu’il nomme « le coup de la coupe » pour établir la coupe temporelle et la coupe spatiale en jeu dans l’Acte photographique. Nous examinerons comment cette découpe va évoluer spatialement. Car, en ce qui concerne la coupe temporelle, les modifications intervenues avec la photo numérique qui résorbe le temps de latence de l’image supposent une nouvelle donne impactant la notion de temps pour l’opérateur.

2eme étage Tour Eiffel

2eme étage Tour Eiffel

Chacun a son catalogue de points de vue exceptionnels, soit par expérience in situ soit par les nombreuses reproductions en circulation à travers les pages imprimées ou sur le web. Mais aux classiques images du Mont St Michel, de la Tour Eiffel, des Chutes du Niagara ou de l’Empire State Building, il convient d’ajouter désormais des lieux édifiés ou équipés pour offrir des points de vue remarquables.

 

A view shows downtown Shanghai and the Huangpu River from the Shanghai World Financial Center

Downtown Shanghai and the Huangpu River from the Shanghai World Financial Center

C’est ainsi que les promoteurs immobiliers et les opérateurs touristiques œuvrent de concert pour édifier sur les tours les plus célèbres pour leur taille des points de vue d’exception. Ces lieux privés ou publics deviennent de puissants atouts promotionnels pour des lieux qui en sont soit dépourvu soit dont les points de vue garantissent une découverte stupéfiante du panorama. Kingdom Tower (1000m), Sky City (838m), Burj Khalifa (829m), pour ne citer que les tours de plus de 800m, supplantent par leur prouesse technologique les traditionnelles tours panoramiques de Seattle ou de Berlin.

torre Tavira Cadix Andalousie

 

Depuis les tours observatoires ou les tours camera obscura de Cadix ou d’Edimbourg, en passant par les tours de San Gimignano, jusqu’à la récente tour Arcelor de Londres, les points de vue stratégiques, commerciaux ou touristiques fournissent à leurs concepteurs des occasions de montrer leur savoir-faire.

 

 

 

En Norvège avec le site d’Aurland ou aux USA avec l’installation sur le Grand Canyon, les exemples ne manquent pas, les réalisations deviennent des lieux de point de vue qui concurrencent la vue offerte. Les opérateurs touristiques ont équipé ces lieux naturels de plates-formes destinées à offrir un point de vue impossible sans des équipements étudiés pour installer le visiteur dans une position de surplomb et de transparence qui autorisent des points de vue saisissants.

Aiguille du Midi-France

Aiguille du Midi-France

Stegastein vue générale

Aurland -Stegastein vue générale

 

Grand Canyon vue générale

Grand Canyon -USA- vue générale

burj-al-arab-dubai-hotel-sail-arab-emirates-tiger-woods-playing-golf-

Burj Al Arab – Hotel Dubaï- Emirats Arabes Unis – Tiger Wood joue au golf

Des lieux édifiés ou équipés comme emplacement physique du photographe pour réaliser sa prise de vue accèdent eux-mêmes au statut de sujet, alors ce dédoublement du panorama à voir depuis un lieu en vue fonctionne autant comme point de vue que comme point à voir.

L’attractivité culturelle de ces lieux définis par André Gunthert (1) sous le terme de prosécogénie, qui décrit les ressorts de la mobilisation de l’attention, ou bien les effets sur la réception. Le chercheur montre comment les effets attrait/rejet se combinent chez le récepteur pour mobiliser son attention. Les points de vue bien que standardisés nous attirent malgré leur banalisation, la spectacularisation étant accessible à tout un chacun par le biais de dispositifs conçus à cet effet, comme nous l’avons vu avec les exemples de construction de plates-formes.

The Center- Hong-Kong -346m

The Center- Hong-Kong -346m

La diffusion massive des points de vue les plus spectaculaires pousse les auteurs à rechercher moins le point de vue que l’exploit pour l’obtenir. Voir le nombre de photos dont les auteurs se mettent en scène dans les conditions les plus extrêmes. Le déplacement du point de vue sur le lieu de la prise de vue induit de nouvelles pratiques comme la mise en scène par le selfie de l’auteur dans le décor ou la mise en scène de la prise vue comme point de vue auto-référé.

Ces lieux constituent autant de spots qui permettent des vues sous un angle particulier ou des panoramas de grande envergure. Les différents opérateurs touristiques ou même les fabricants de matériel y installent des tables d’orientations, des emplacements avec cadre matérialisé et des longues vues, afin que tous les amateurs puissent obtenir une photo standardisée qui représentera dans l’imaginaire collectif l’image symbole du lieu.
Mais il existe aussi des points de vue dont la singularité tient à différents facteurs : des points de vue proposent au spectateur une information inexacte sur la localisation,  d’autres prises de vue ont été effectuées depuis des lieux disparus ou modifiés.

P

Point de vue du Gras-depuis la fenêtre de la maison de Nicéphore Niépce de Saint-Loup-de-Varennes.

C’est ce que montre Julien Prévieux (2) dans « Les images manquantes » in Les carnets du BAL 03, Edition Le BAL.  A partir de trois histoires exemplaires, l’auteur circonscrit ces espaces « manquants » et esquisse une première classification de ce qu’il appelle des atopies. Ce qui pourrait poser les fondements d’une discipline, écrit-il, dont  le contenu exact reste à définir mais qui pourrait dans un premier temps recouvrir l’art de décrire et de représenter les lieux déplacés, mal placés ou non localisés.

 

 

Notes

Texte Jacques Clayssen