Motion
Du latin motio « mouvement », l’emploie en anglais de l’ancien français motion, se réfère au traitement du mouvement dans des techniques cinématographiques (slow motion) ou des logiciels de traitement d’images.
De cette action de mouvoir, de mise en mouvement, la motion infère une captation du mouvement mais aussi par le mouvement. Ce que le marcheur va accomplir dans son champ de vision dont le mouvement entraîne une succession de vues. Guy Ernest Debord présente la construction par la dérive d’un agencement de successions d’ambiances et de vues du décor urbain. Ce qui définit une forme quasi cinématographique constituées d’un montage de séquences. Le cadencement y joue un rôle primordial, les enchaînements de « l’observation de certains processus du hasard et du prévisible, dans les rues » doivent se succéder à un rythme soutenu pour fonctionner comme des photogrammes de vues et d’ambiances, une succession de décors que le pas et le regard scrutateur du marcheur mettent en œuvre.
Cette image cinématographique s’est construite à partir des travaux respectifs d’un français et d’un américain. Etienne Jules Marey et Eadweard Muybridge partagent non seulement leurs années de naissance 1830 et de décès 1905, mais de plus tous deux ont développé des matériels pour saisir le mouvement. Les décompositions photographiques du mouvement.
Marey, médecin physiologiste s’intéresse aux principes de la locomotion humaine et animale, inventeur en 1882 du fusil photographique et de la «chronophotographie», il réalise des images successives sur une même plaque à partir d’un appareil unique équipé de plusieurs objectifs. Ces images permettent de comprendre le fonctionnement de la «locomotion ». Alors que dans son célèbre ouvrage Animal Locomotion (1872-1885), Muybridge, présente l’autre côté de l’Atlantique des images réalisées au millième de seconde par une multitude d’appareils. Dénommé «zoopraxiscope » le système utilise de douze à vingt-quatre appareils se déclenchant successivement.
Les deux inventions, de chaque côté de l’Atlantique, constituent une passerelle entre science et art. Restituant une illusion de mouvement par une succession de clichés discontinus, précision et magie, applications tant scientifiques qu’esthétiques, ces nouvelles images bouleversent la vision du mouvement et modifient la perception du monde. L’impact de ces recherches sur notre compréhension du mouvement servira aussi à la mise au point du matériel cinématographique.
La vitesse et la persistance rétinienne se conjuguent pour matérialiser le mouvement. La capacité à modifier la vitesse, soit pour décomposer le mouvement soit pour le restituer dans sa temporalité, a trouvé un siècle plus tard des dispositifs optiques ajoutant la lumière comme matériau du mouvement. Le photographe Stephen Orlando développe cette pratique dans la photo de sport et de danse avec virtuosité.
LocoMotion
Il s’agit de la faculté, pour un organisme vivant, de se mouvoir pour se déplacer. Nous sommes des bipèdes avec pour conséquence une posture et une vision stéréoscopique associées à ce statut. Laurence Sterne, auteur du célèbre ouvrage The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman connu sous le nom abrégé de Tristram Shandy, notait avec ironie « Quoique, de tous les véhicules, l’homme soit le plus curieux, … ». Cette assertion renvoie notre corps à sa fonction de moyen de déplacement. Il est en effet quelque peu ironique qu’un bipède invente la roue pour équiper les véhicules. La locomotion humaine apparaît comme particulièrement singulière. La marche s’impose comme le moyen autonome le plus simple, mais aussi le plus adapté à nos sens, sa cadence permet à la vue de saisir avec acuité l’espace dans lequel nous nous mouvons.
EMotion
Dans des temps anciens l’émotion désignait un mouvement assez vif. Mouvement de l’air ou des ciels. Ce sens provient de l’étymologie du mot, du latin motus –mouvement- dérivé de movere -mouvoir, agiter, remuer-, accompagné du préfixe ex- (en dehors de) ; l’émotion est ce qui transparaît, la manifestation physique d’un ressenti devant une situation particulière. Il s’agit d’une réponse biologique à des influences ou des situations personnelles. Sous le coup de l’émotion, nous adoptons des postures singulières qui nous poussent à (ré)agir.
Parmi les qualités prêtées à la photographie, sa capacité à réactiver des instants passés et d’éprouver devant l’image les mêmes émotions qu’au moment du déroulement de la scène saisie, motive de nombreuses pratiques photographiques. Le photographe tente de saisir l’émotion qu’il éprouve devant son sujet, saisissement qui devra se reproduire ultérieurement à chaque vue de l’image. Des paysages grandioses aux scènes urbaines de Benoit Grimbert, chacun a fait l’expérience de séquences émotions.
La psychogéographie proposée par Guy Ernest Debord suppose une étude des lois et des effets du territoire géographique qui aménagé ou non, impacte le comportement affectif de chacun. La déambulation implique une dérive à travers les quartiers, les ambiances et les décors urbains agissant directement sur nos émotions. L’identité psychogéographique relève de l’effet du lieu sur l’affectivité.
ComMotion
Le mouvement violent pour clore cette déclinaison. Le marcheur s’arrête, le voyageur est perturbé, le fugueur se fige. Tétanisé, médusé, sidéré, la rencontre, le face à face, le vis-à-vis gèlent la scène en une image trouble, tremblante, flou ou au contraire un plein cadre, un effet de loupe, une surexposition qui vont témoigner de l’état de commotion du témoin.
Henri Beyle, connu sous le nom de Stendhal publie à 34 ans son premier ouvrage signé de ce pseudonyme « Rome, Naples et Florence ». Dans l’ouvrage, il relate une expérience vécue lors de son voyage. Submergé par l’idée d’arpenter les mêmes routes que Dante, Michel-Ange et Léonard de Vinci, il n’a pas d’autres choix que de « s’abandonner à sa folie comme aux côtés de la femme aimée».
Florence dépasse le supportable, en sortant de l’église Santa Croce où se trouve le tombeau de Michel-Ange, il analysera son état pour en déduire un quasi diagnostic médical : « J’étais dans une sorte d’extase, par l’idée d’être à Florence, et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber ».
Ce trouble esthétique devant une œuvre d’art, cette décompensation culturelle que Stendhal manifeste sous la forme d’une crise d’angoisse avec vertiges, suffocation, tachycardie préfigure un tableau que la psychiatre florentine Graziella Magherini nommera en 1990 « le syndrome de Stendhal ». Ces manifestations cliniques surviennent chez des visiteurs impressionnés par des lieux d’exception qu’ils visitent. Stendhal n’est pas le seul à avoir connu cette réaction de sidération face à des chefs-d’œuvre. Ce syndrome s’inscrit dans le tableau des troubles du voyage qui comme le note Graziella Magherini n’est pas spécifique aux touristes asiatiques « Nous sommes tous porteurs du syndrome de Stendhal. Ce phénomène reste pour la plupart d’entre nous diffus. Dans certaines conditions d’intimité, une oeuvre d’art fonctionne pour celui qui la regarde comme le symbole d’un drame intérieur ».
Ian Hacking, philosophe canadien, s’est pour sa part intéressé à la fugue pathologique. Ces « fous voyageurs », titre de son ouvrage sur le sujet, agiteront les aliéniste du XIXème siècle. Epilepsie comme le soutenait Charcot ou hystérie comme les diagnostiquaient les médecins bordelais, les querelles de l’époque cesseront avec la disparition de cette étrange épidémie.
Dénommée dromomanie, répertoriée aujourd’hui sous le terme de fugue dissociative, le premier patient diagnostiqué par le docteur Tissié concerne Albert Dadas, ouvrier gazier bordelais.
Comme le note l’auteur, d’Ulysse à Kerouac en passant par Œdipe, les exemples de voyageurs-fugueurs ne manquent pas dans la littérature. Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage… écrivait Joaquim du Bellay et ce n’est pas Rimbaud qui le contredira : « Le monde est très grand et plein de contrées magnifiques que l’existence de mille hommes ne suffirait pas à visiter. »
Le poids des mots, le choc des photos : un match nul!
article très intéressant, merci !