Promenade en cour

La cour de promenade, lieu enclos dans l’enceinte de la prison, est un espace de marche, c’est à ce titre que « Démarches » s’intéresse à cet espace singulier dont la dénomination convoque l’impression d’une grande bouffée d’oxygène, où comme l’exprime un détenu : « Rien que de pouvoir marcher, de discuter avec d’autres personnes… Et puis en promenade, on a cette sensation d’horizon. Vous savez, nous ici, l’horizon, on ne l’a plus »

Le photographe Thierry Chantegret et la psychiatre Sophie Baron-Laforet nous invitent à regarder la promenade des prisonniers à travers leurs expériences. Aux photographies de l’un s’ajoute l’analyse de l’autre. Deux points de vue sur le clos et les corps.

Thierry Chantegret, photographe, a documenté la vie dans les prisons. De 2021 à 2023 , il fait partie de l’équipe du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), autorité administrative indépendante en France, qui supervise les lieux où des individus sont privés de leur liberté, comme les prisons, les hôpitaux psychiatriques et les centres de rétention. Le rôle de Thierry Chantegret consiste à capturer des images illustrant les rapports publiés par le CGLPL, mettant en lumière les conditions de vie dans ces établissements.

Son travail reflète un engagement à montrer les réalités de l’incarcération, notamment la surpopulation et l’état des infrastructures.

Il a sélectionné vingt photos sur le thème de la promenade. Vingt photos qu’il commente, pour expliciter les conditions de travail particulières qu’impliquent la présence d’un appareil de photo dans un lieu où l’invisibilité est de mise.

Sophie Baron Laforet, psychiatre, a exercé en milieu carcéral. La place du corps et de
l’enjeu corporel dans la manifestation des troubles psychiatriques font suite à son travail aux
urgences psychiatriques, à ses interrogations à propos des « troubles de l’ordre public »
présentés aux psychiatres et aux réflexions sur les manifestations psycho somatiques.

En effet, l’incarcération peut engendrer une forme de dissociation entre l’individu et son propre corps, modifiant ses sensations, ses habitudes et son rapport à l’espace. La routine carcérale, l’absence de choix et la surveillance constante façonnent une expérience corporelle bien particulière, parfois marquée par des troubles psychosomatiques ou une altération de l’image de soi.

Cette réflexion est essentielle pour comprendre les enjeux du bien-être en milieu pénitentiaire et les possibles stratégies d’accompagnement des détenus.

La promenade

La promenade des prisonniers est une pratique essentielle dans le cadre de l’incarcération, elle permet aux détenus de sortir de leur cellule pour un moment de marche et d’activité physique, généralement dans une cour extérieure. Cette activité, réglementée dans la plupart des systèmes pénitentiaires, remplit plusieurs fonctions fondamentales pour la santé physique et mentale des détenus.

On peut l’interpréter comme une métaphore de l’attente, où les prisonniers tournent en rond, sans véritable but, illustrant l’écoulement monotone du temps en prison. Malgré le contexte carcéral, la promenade est perçue comme un moment de libération partielle du poids de l’enfermement.

La marche permet aux prisonniers d’exercer leurs muscles, de bouger après de longues périodes d’inactivité en cellule et de profiter d’un minimum d’air frais. C’est un moment crucial pour lutter contre l’isolement, réduire le stress et atténuer les effets psychologiques du confinement. La promenade est souvent l’un des rares moments durant lequel les détenus peuvent interagir, discuter ou observer les autres, dans les limites imposées par le cadre pénitentiaire.

Les cours de promenade sont des espaces où des alliances peuvent se former, mais aussi des conflits, en raison de la promiscuité.

En France, le Code de procédure pénale prévoit au minimum une heure de promenade quotidienne, mais cette durée peut varier selon les prisons et le régime de détention. Elle se déroule dans une cour, souvent un espace restreint, clôturé, et parfois équipé de bancs ou de barres de musculation. Certains établissements modernes offrent des cours plus ouvertes, mais les cours traditionnelles sont souvent austères, entourées de murs hauts surmontés de barbelés. Les promenades sont encadrées et surveillées pour des raisons de sécurité. Mais, les surveillants ne pénètrent pas dans la cour, ils disposent de miradors et d’accès sécurisés.

« Tout voir sans rien montrer de soi. Cela pourrait être la maxime des personnels de surveillance, pris entre l’envie de rester dans l’obscurité et le désir de nous éclairer sur ce qui se passe pour eux dans ces espaces d’enfermements. » Arnaud Théval -photographe.

Gustave Doré et Vincent Van Gogh,
gravure vs peinture

Van Gogh a repris la composition de Gustave Doré pour La Cour de promenade, mais l’a interprétée à travers son propre prisme artistique, avec des touches de couleur et une intensité émotionnelle qui donnent vie à la scène. Tandis que Doré cherchait à illustrer le réalisme social de son époque, Van Gogh s’est concentré sur l’expression du sentiment d’enfermement et de solitude, qui résonnait profondément avec son propre vécu.


Tu sais, les mecs tournent toujours à l’inverse des aiguilles d’une montre, toujours. Comme pour contrer le temps, comme dans le film Midnight Express.
D’autres sont debout à discuter, assis sur le sol à jouer aux cartes avec les sempiternels
« – T’as une roulée ? T’as une feuille de cigarette ?
– Ha non, c’est la misère mon gars. »
La cour de promenade, point hautement stratégique, balayée par les caméras où, quand on y est, jamais un maton n’entre. Même en cas de bagarre, pas si fréquentes qu’on le raconte. S’il y a un taulard qui pisse le sang, les matons disent à quelques-uns « Sortez-le, mais sortez-le ! ». Mais eux ne rentrent pas. A quatre ou cinq contre 30 à 60 ; ils ont peur, si peur qu’ils laisseront crever le type.
…/…
La promenade, c’est le lieu des revendications, le plus courant et le plus utilisé. Les taulards « bloquent ». Autrement dit, ils refusent de remonter. Le maton ouvre la porte :
« Allez, tel étage, on remonte ! »
Et les taulards continuent à tourner sans répondre.
Parfois un gradé vient parler à travers le grillage. Un ou deux taulards se dévouent pour poser la revendication. Ceux-là savent qu’ils prennent des risques et qu’ils seront certainement transférés dans une autre taule, considérés comme meneurs. Évidemment les matons disent de remonter, qu’on en causera après. Comment ? Bloqué en cellule, on ne peut plus « discuter » ou négocier.
in Rue89Lyon, Blog du taulard#4, publié le 16 janvier 2014

Le « sens » de la promenade

« Tourner » est la pratique caractéristique de la cour de promenade. Cette expression renvoie à l’idée de se mouvoir, seuls…

Note : « Tourner » est la pratique caractéristique de la cour de promenade. Cette expression renvoie à l’idée de se mouvoir, seuls ou en petits groupes, en marchant ou en courant, le long des grillages qui cernent l’espace de la cour. Cette pratique est emblématique de l’expérience carcérale : l’expression « tourner » est en effet aussi utilisée pour rendre compte de la durée du temps passé en prison (« Ça fait 6 mois que je tourne »).

Pourquoi « tourner » en sens inverse, différentes explications :

– Cela pourrait être l’envie de remonter le passer, revenir en arrière… Une attitude symbolique partagée dans de nombreuses cours de promenade.

– Il semblerait aussi quand tournant vers la gauche on évite mieux les regards… et donc les éventuels conflits.

– Enfin, une réponse pourrait se trouver dans le film Midnight Express (1978), réalisé par Alan Parker, dans la scène où le personnage principal, Billy Hayes, marche dans le sens inverse des aiguilles d’une montre est riche en symbolisme. Ce mouvement peut être interprété comme une rébellion contre le système carcéral oppressif et la société qui l’a emprisonné. En marchant à contre-courant, il exprime son refus de se conformer et son désir de reprendre le contrôle de sa vie.

Ce geste peut également représenter une tentative de remonter le temps, de revenir à un état antérieur où il était libre, ou encore une lutte contre le temps qui semble figé dans l’univers carcéral. La répétition de ce mouvement circulaire souligne l’absurdité et la monotonie de son existence en prison, tout en reflétant son état mental et émotionnel.

Les images des coureurs sur les pistes d’athlétisme ont pu influencer le choix de la gauche lors d’une marche dans un espace clos.

Différentes études scientifiques ont tenté d’expliquer les raisons physiologiques et neurologiques.

Des tests de vitesse ont montré que sur un tour de piste de 400 mètres, en sens inverse on mettait 2 secondes de moins…

Sophie Baron Laforet :
Incarcération et prise de corps

La prison dans sa définition est « la prise de corps », la perte de la liberté d’aller et venir. Elle entraîne derrière les murs, au retrait de la vie publique, hors du regard de la société. D’emblée se joue dans l’incarcération la place du corps et du regard posé sur ce corps. La photo, regard professionnel extérieur au lieu et destin de l’incarcération nous en donne un témoignage, ici centré sur les corps dans un espace à l’air libre, une autre surface que la cellule. La promenade est un espace partagé entre congénères, rassemblant dans un même lieu des personnes renvoyées à un même sort et par là indifférenciées pour le regard extérieur.   

Plusieurs axes sur la place du corps en prison sont à souligner et à mettre en face de la promenade : 

  • Le premier, le plus connu, mis en exergue est l’impact – le côté négatif – de l’enfermement sur ce qui relie le corps à l’environnement immédiat, les sens : l’odeur qui envahit de façon non contrôlable, le bruit qui résonne dans l’univers fermé, la vue bornée par les murs et par la lumière du jour moins présente dans les établissements anciens (« à l’ombre »), le goût des aliments que le fait de « cantiner » permet d’améliorer avec quelques épices ou choix d’aliments par opposition à la « gamelle ». La promenade diminue les odeurs, change des sons confinés, offre la lumière, permet de parler à d’autres qui ne sont pas ensuite dans la proximité corporelle de la cellule. 
  • Le corps est un outil d’expression pour nombres de personnes qui ne se sentent pas entendues, qui n’ont pas le même usage des mots ou du langage, qui ont eu des difficultés d’apprentissages. Longtemps la communication en prison passait par l’écriture, le fait d’écrire un courrier pour demander un rendez-vous médical, voir un travailleur social aujourd’hui un CPIP (Conseiller Pénitentiaire d’Insertion et de Probation), écrire au juge, à l’avocat, demander un transfert, un changement de cellule. Les automutilations venaient parfois en lieu et place de la lettre, de la honte de l’orthographe, pour accélérer la communication : une scarification, par désespoir de se sentir enfermé derrière les mots. Le corps reste un support de communication.  Et la peau, surface du corps visible, est témoin de ces moments, un fil de l’histoire. 
  • La promiscuité avec ceux que l’on n’a pas choisi : se laisser aller au sommeil, faire ses besoins, sa toilette, aller dans les douches où les violences peuvent avoir lieu échappant au contrôle des surveillants. Le corps est un enjeu permanent relationnel. Cette proximité qui n’est pas de l’intimité devient parfois menaçante et la promenade permet d’y échapper, soit en y allant « en promenade », soit en la refusant pendant que les codétenus vont en promenade. 
  • Ce corps il faut le garder vivant, puissant : dans les établissements pour hommes, les plus nombreux, la musculation est essentielle, pour garantir le corps, dans une image virile. Dans les établissements pour femmes, le corps est entretenu selon les codes genrés, maquillage, coiffure, vêtements. Ce corps témoin de l’existence, du déroulement de la vie, s’expose ou se masque en promenade. 

La promenade permet d’accéder à un « autre » lieu que la cellule, dans un statut de détenu. Pas besoin d’avoir une demande sociale, juridique, médicale. Un espace qui « appartient » aux détenus. La promenade peut être un lieu de calme, pour « tourner » seul, marcher seul, une marche « intérieure », regard vers le ciel permettant une introspection comme initialement inspiré des lieux religieux. C’est aussi un lieu de liens moins contraints, un espace relationnel à construire, incertain, avec son lot éventuel de violences, menaces, rencontres qui ne sont pas toujours faciles à gérer. Trouver sa place en promenade est un exercice qui se renouvelle régulièrement. 

Le regard sur le comportement est central dans la gestion de la prison. La surveillance s’exerce par le regard sur le comportement et son contrôle : les déplacements sont soumis au regard du surveillant.e qui actionne l’ouverture de la porte derrière une vitre, qui ouvre et ferme la cellule, qui vient ouvrir pour la promenade. De fait la promenade dépend des surveillants, et de l’organisation pénitentiaire qui peut par moments bloquer les promenades, en fixer la durée selon les « mouvements » à effectuer. . 

Ce corps est l’objet de la punition. Même si l’on répète souvent que la peine c’est le retrait social, l’enfermement, l’idée d’un supplément de peine par des châtiments indirects reste présente : privation de nourriture, restriction de l’espace vital ou des contacts… La place qu’occupe aujourd’hui la prison est héritée de la Révolution française. Dans Surveiller et Punir, Michel Foucault, souligne que si la peine a cessé d’être centrée sur le supplice physique vers le milieu du XIXème siècle, la prison “n’a jamais fonctionné sans un certain supplément punitif qui concerne bien le corps lui-même : rationnement alimentaire, privation sexuelle, coups, cachot. Conséquence non voulue de l’enfermement ? En fait la prison, dans ses dispositifs les plus explicites a toujours ménagé une certaine souffrance corporelle. La critique souvent faite au système pénitentiaire, dans la première moitié du XIX èmes siècle (la prison n’est pas suffisamment punitive : les détenus ont moins faim, moins froid, sont moins privés au total que beaucoup de pauvres ou mêmes d’ouvriers) indique un postulat qui n’a jamais été franchement levé ; il est juste qu’un condamné souffre physiquement plus que les autres hommes. La peine se dissocie mal d’un supplément de douleur physique. Que serait un châtiment incorporel ?” 

L’évolution des interventions de soins médicaux, passant par le corps sont pris dans ce fonctionnement. « La loi du 18 Janvier 1994, qui reconnaît aux personnes incarcérées le droit d’être soignées comme en milieu libre, traduit l’aboutissement d’une évolution déterminante, au cours de la dernière décennie, dans la conception de l’intervention médicale en prison, marquant une rupture avec la finalité originelle de la peine de prison qui légitimait la souffrance infligée au corps du détenu » (Colin M., Jean J-P.). 

La place du corps au centre de la peine, nous oblige à évoquer la place du suicide en prison, du nombre important de morts par suicide. La mort est ce qui permet au corps d’échapper à la peine, de reprendre paradoxalement la liberté, de faire un dernier pied de nez à la justice des hommes, souvent de mettre un terme aux situations auxquelles le sujet ne peut plus faire face seul. La prévention du suicide passe par de nouveaux contrôles, retrait d’objet pouvant être utilisés comme instrument pour y parvenir, corde, ceinture, lacets, sacs plastiques, médicaments, … Laisser un moyen d’expression, est également essentiel pour que le corps ne soit pas le seul moyen d’expression de l’épuisement ou de la colère. 

Les photos de Thierry Chantegret nous permettent d’accéder à ces espaces où les corps peuvent retrouver un mouvement différent. Prêtons attention tant aux espaces, qu’aux messages que ces images suscitent, autorisés que nous sommes à lire ce qu’ils nous montrent. Faisons le en respect de cette intimité soudainement mise à nu. 

La cour de promenade comme « grand’scène »

Extraits de  La prison, une « cité avec des barreaux » ? Continuum socio-spatial par-delà les murs, par Lucie Bony, géographe CNRS, lauréate du Prix Gabriel Tarde, en 2015. Prix décerné au titre de l’AFC (Association Française de Criminologie) dont Sophie Baron Laforet était membre du Jury.

La cour de promenade est le lieu carcéral où transparaît sans doute le mieux le continuum social. La vie sociale devant s’y dérouler est un impensé de l’architecture carcérale (Demonchy, 2003).
…/…
Elle est le lieu de circulation du ragot, de trafics, mais aussi de violences. Si la cour est un lieu d’entretien des relations sociales entre détenus, elle n’est pas un lieu de rencontre : en effet, ce sont la méfiance et la mise à distance qui caractérisent les interactions dans cet espace.
« Promenade et couloir [on ne fait] pas trop [de rencontres] parce que les gens ils tournent, ils sont dans leurs discussions, ils te calculent pas. Je me rappelle, quand j’étais arrivant, ça faisait bizarre quand même. Tout le monde parle avec tout le monde, vous êtes seul dans votre coin. Quand je vois les arrivants arriver et qu’ils sont sur le côté, ça me fait pitié. Mais après c’est compréhensible, on sait pas pourquoi ils sont là, on les connaît pas. » (24 ans, primaire).
…/…
La cohabitation en cours de promenade est par ailleurs structurée par un clivage générationnel : les détenus plus âgés « tournent » à l’écart des plus jeunes, cette mise à distance étant une façon d’imposer le respect…/… Pour schématiser et reprendre des expressions recueillies en entretien, on peut finalement considérer que la cour de promenade constitue la « grand’scène » de cette « grande école de la rue » que représente la prison. Étant potentiellement accessible à tous les détenus, elle représente le coeur névralgique de la vie sociale en détention. C’est en effet le lieu par excellence où les détenus peuvent se retrouver pour discuter, échanger et plus globalement s’observer et se montrer.

Espace de mise en scène de soi, il est impossible de se soustraire à la vue des autres détenus, qu’ils soient dans la cour ou dans leurs cellules orientées dans cette direction. De plus, ne pas se montrer en promenade, c’est refuser de participer à la communauté carcérale et s’exposer au discrédit en laissant penser que l’on a quelque chose à se reprocher…/… Pour certains jeunes détenus, il est par exemple prestigieux de se montrer en compagnie de détenus plus âgés, le respect que ces derniers inspirent rejaillissant quelque peu sur eux…/…En cela, la cour de promenade correspond à un « territoire de socialisation » dont se servent les détenus pour afficher leur rang social (Lamarre, 2001).

Extraits de  La prison, une « cité avec des barreaux » ? Continuum socio-spatial par-delà les murs, par Lucie Bony, géographe CNRS, lauréate du Prix Gabriel Tarde, en 2015. Prix décerné au titre de l’AFC (Association Française de Criminologie) dont Sophie Baron Laforet était membre du Jury.

Thierry Chantegret Portfolio « Promenades »

De mai 2021 à septembre 2023 en tant que photographe du Contrôleur général des lieux de privation de liberté j’ai effectué 37 missions d’une semaine dont 23 dans des établissements pénitentiaires.

Lors de ces missions, les contrôleurs bénéficient de tous les documents et accès qu’ils demandent. De fait en tant que photographe, je pouvais aller partout, sans que l’on puisse s’y opposer.

Parmi les lieux où je pouvais me rendre, les cours de promenades m’intéressaient bien sûr photographiquement mais également parce que je pouvais discuter avec des groupes de détenus où la parole était plus libre grâce à l’anonymat qu’il favorisait.

Bien que l’on ne pût m’interdire l’accès à une cour de promenade, cela posait toujours quelques problèmes. Les surveillants ne s’y rendant pas par sécurité, ils s’y opposaient dans un premier temps avant d’avoir l’autorisation du chef d’établissement. Et donc de se décharger de la responsabilité de ma sécurité. Bien que ne me quittant pas des yeux.

Néanmoins, je n’entrais pas dans une cour de promenade où je ne le « sentais » pas, particulièrement quand elle était majoritairement occupée par des détenus parlant peu ou pas le français. Ce qui pouvait poser un problème pour expliquer la raison de ma présence.

Prise d’une des cours de promenade vide du centre pénitentiaire de Gradignan.
Le matin j’avais assisté d’un bureau donnant sur celle-ci, à une très violente bagarre durant laquelle une dizaine de détenus ont « lynché » un détenu seul.
Le pigeon que l’on voit voler, se trouve pratiquement à l’endroit où le lendemain 2 juin 2022, un détenu a trouvé la mort dans l’incendie de sa cellule.
Ayant perdu ma meilleure amie dans un incendie en 2005, cet événement m’avait particulièrement marqué. Avec d’autres contrôleurs nous étions proches de la coursive où la cellule se trouvait, sans pouvoir intervenir. Le protocole obligeant aux surveillants de s’équiper en tenue anti-incendie et d’être deux pour ouvrir la porte à temps. Le surveillant était seul au moment où l’incendie s’est déclaré…

SBL : Comme la surface corporelle, la peau, les murs sont porteurs de l’histoire, d’inscriptions, de messages pour les suivants, de trace d’incendie ou …

https://actu.fr/nouvelle-aquitaine/gradignan_33192/un-detenu-de-20-ans-meurt-brule-dans-sacellule-a-gradignan-un-second-grievement-blesse_51394224.html
Prises dans la cour de promenade du quartier arrivant du centre pénitentiaire de Joux-la-Ville. Le tee-shirt symbolise bien quelques règles à suivre…

SBL : Les promeneurs gèrent une distance, un espace. Le message porté sur le T-Shirt comme un tatouage, un message pour celui qui le suivrait. Il signe peut-être aussi une enveloppe corporelle au-delà de la peau, une protection de cette peau, « sauver sa peau » sans cesser de communiquer avec les mêmes codes. Cette photo est une belle mise en abyme.
Et la photo 3 décale le regard et replace dans le contexte très dégradé, garder une construction individuelle dans un lieu de rejet, de souillure.

Centre pénitentiaire de Saint-Etienne, vue du poste de surveillance d’un agent. Déchets provenant des cellules se trouvant en surplomb de la cour de promenade.
Le nettoyage est délicat au niveau des concertinas (barbelés). Il est nécessaire d’utiliser des lance-flammes pour cela. Fréquence de 6 à 12 mois.
Vue des écrans de surveillance donnant sur les cours de promenade dites en « camembert », que l’on trouve dans la plupart des vieilles maisons d’arrêt que l’on trouve encore dans de nombreuses Préfectures. Maison d’arrêt de Blois.

SBL : Quelles belles saisies d’écran illustrant le panopticum, la vision panoptique, structure architecturale des prisons du XXème siècle pour favorise la surveillance du regard.

Une des seules photos que j’ai pu prendre au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin. La mission fût écourtée car un des contrôleurs de la mission a été contrôlé positif au covid le premier jour. J’aime beaucoup cette photo où l’on voit les activités sportives de groupe pendant que d’autres détenus discutent. Une image assez courante des cours de promenade.

SBL : la promenade comme lieu de vie, espace public partagé, comme ne l’est peut-être pas l’espace public dans lequel vivent ces personnes.

Cour de promenade du centre pénitentiaire de Toulon. Une image assez classique des sanitaires… Il est fréquent lors des missions de contrôle, que les cours de promenade soient ainsi lors de notre arrivée. Le jour même ou le lendemain elles ont été nettoyées.
Une des cours de promenade dite « en camembert » réaménagée de la maison d’arrêt de Blois.

SBL : traces sur les murs et rêveries d’une porte, d’espace à découvrir en haut des marches, d’un ailleurs …

Cour de promenade du quartier disciplinaire du centre pénitentiaire de Toulon. D’une durée d’une heure, le détenu tourne dans le sens inverse du sens des aiguilles d’une montre. Dans la plupart des cours de promenade de quartier disciplinaire, qui sont individuelles, on ne peut voir que le ciel à travers les grillages.
J’aime cette image avec le trou pour l’évacuation d’eau… un semblant d’ouverture ou d’échappatoire.

SBL : le détenu utilise au maximum l’espace de cette cour, rasant les murs pour réserver l’espace central.
Ballons de football pris dans les concertinas du centre pénitentiaire de Saint-Etienne.

SBL : on entend le bruit qui circule d’un étage à l’autre, la promiscuité indifférenciée, sans voir qui réside dans la cellule d’à côté, d’en dessous, d’en dessus

Cour de promenade du quartier femme de la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses. La personne assise est Jennifer, détenue transgenre dont la presse avait parlé en 2021 lors de son passage du quartier homme où elle était à l’isolement pour sa protection, au quartier femme.

https://france3-regions.franceinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/le-long-combat-de-jenniferdetenue-transgenre-a-la-maison-d-arret-de-seysses-2081578.html

La mission à la maison d’arrêt de Seysses fut ma première en prison. En juin 2021 c’était la prison avec le plus de matelas au sol (400), en raison de la surpopulation. L’arrivée au premier jour de mission sur le parking de la prison m’avait impressionné par le brouhaha me parvenant des cours de promenades, de l’autre côté des murs.
Lors de la visite de présentation par le chef d’établissement, nous nous sommes retrouvés dans l’une des cours de promenade du quartier homme. À l’abri visuel des fenêtres des cellules donnant sur celle-ci.
Dominique Simonnot, Contrôleur général, me dit d’aller faire une photo dans les toilettes « tellement c’est immonde ». En y entrant un rat qui se trouvait dans la cuvette, s’en est échappé pour la cour en me sautant sur les pieds… En apercevant d’autres rats, je m’engage alors dans la cour de promenade pour faire des photos, à la vue des détenus se trouvant aux fenêtres.
C’est alors que je me suis retrouvé interpellé, hué, insulté et menacé de mort par tous… ne sachant pas qui j’étais et ce que je faisais là ! Tous les détenus aux fenêtres, ayant rejoins les premiers m’ayant aperçu…
Ce fût un moment très impressionnant, presque angoissant. Alors que je ne risquais rien.
Cours de promenade du quartier disciplinaire de Blois.
On m’apprend, en sortant de celle-ci, que ces 2 angles de mur ont servi de peloton d’exécution durant la première et seconde guerre mondiale.
Maison d’arrêt de Draguignan
Vue classique d’une cour de promenade, lorsqu’elle est équipée d’agrès.

SBL : entretenir son corps, ses muscles, un enjeu essentiel pour tenir debout.
Centre de détention d’Orléans-Saran.
Image ironique prise de la cour de promenade du quartier femme.
Cour de promenade de la maison d’arrêt de Limoges.
On aperçoit à gauche une cabine de téléphone qui contrevient à tout principe d’intimité. Depuis 2020 et l’installation de téléphones dans les cellules, elles ne sont plus utilisées.
Il est à noter que les téléphones en cellule n’autorisent que 3 numéros de téléphones, préalablement vérifiés. Le coût des communications est très élevé. D’après les détenus, c’est leur coût qui a favorisé en partie, le fait de faire rentrer illégalement des téléphones portables.
Cour de promenade du centre pénitentiaire de Ploermeul.
Cette photo a été prise entre 12h30 et 14h00 alors qu’il n’y a pas de promenades.
Le surveillant qui m’y accompagne me dit qu’il me laisse 15 minutes avant de venir me rechercher. (Chaque mouvement qui voit l’ouverture d’une porte est suivi de sa fermeture). J’ai finalement attendu plus d’une heure ma « libération ». J’avais été oublié… Il n’est pas interdit de penser que c’était volontaire, les contrôleurs n’étant pas toujours bien vus au niveau du personnel pénitentiaire.
Cour de promenade de l’UDV du centre de détention de Châteaudun.
UDV : Unité pour détenu violent.

https://www.lejdd.fr/Societe/voici-la-nouvelle-unite-pour-detenus-violents-de-la-prison-dechateaudun-3904098

Cette image a été prise lors d’une séance de médiation animale.

https://www.evi-dence.fr/notre-action-et-ses-beneficiaires/mediation-animale-en-milieu-carceral/ approche-pratique/

En sortant de la cour de promenade où j’avais passé une heure, on m’explique que quelques semaines auparavant, mon entrée dans la cour et les prises de vue… auraient été impossibles.
Cour de promenade de la maison d’arrêt de Toulouse Seysses.
Un détenu à qui on a demandé de ramasser un « colis », se fait piéger et a la main transpercée par un couteau artisanal.
Les « colis » sont des paquets envoyés par dessus les murs à l’aide de lance-pierres ou raquettes de tennis. On y trouve des téléphones, de la drogue, de l’alcool et même de la viande. Les drones sont de plus en plus utilisés pour livrer les « colis » dans les cours de promenade. Pour rendre anonyme celui qui récupère un « colis », les détenus se regroupent en mêlées.

Ballons de football sur le grillage d’une cour de promenade du quartier disciplinaire du centre de détention de Val-de-Reuil.
Cour de promenade de du centre pénitentiaire de Gradignan. Outre les rats, les pigeons ou chats prolifèrent souvent au milieu des déchets. Certains détenus dont la fenêtre de cellule donne sur la cour en niveau du rez-de-chaussée, arrivent à apprivoiser des animaux et les introduisent ensuite en cellule.

Notes essentielles

Pour approfondir la réflexion sur le sujet, deux textes de référence signés Sophie Baron Laforet

  • http://psyfontevraud.free.fr/AARP/2002/prison%20et%20soin.htm Congrès à Fontevraud en 2002 avec d’éminents confrères dans un lieu d’enfermement religieux et carcéral dans lequel l’auteur souligne la place du corps dans l’histoire de l’enfermement et de la peine.
  • https://banpublic.org/reperage-du-suicide-en-prison-et
    texte d’une conférence de consensus sur la prévention du suicide en 1998 où l’on avait confié le sujet du suicide en milieu carcéral … Une partie est consacrée de nouveau au corps en prison et les enjeux de support de communication.

Sélection Livres

  • Michel Foucault

Surveiller et punir-éd. Gallimard

  • Ahmed Altan

Je ne reverrai plus le monde -éd. Actes Sud

  • Eric Rondepierre

La maison cruelle -éd. Mettray

  • Guillaume Poix

Perpétuité –éd. Verticales

  • Jane Sautière

Fragments d’un lieu commun – éd. Verticales

  • Arnaud Théval

Histoire animale de la prison – éd. Dilecta

  • Philippe Artières

Intolérable [Groupe d’information sur les prisons] – éd. Verticales

Le point sur les derniers ouvrages sur la prison, dans le Monde des Livres datés 23 oct 2025, par Pierre Karila-Cohen

Le Panoptique est une machine à dissocier le couple voir-être vu… Michel Foucault in Surveiller et punir